L'Eglise locale
Le diocèse français de l'Eglise copte orthodoxe: L'année 2014 est marquée par le vingtième anniversaire de l'établissement de notre diocèse français par sa sainteté abba Shénouda. Ce statut fut précédé par vingt années de ministère épiscopal en France d'abba Marcos aidé par le chorévêque abba Athanasios. Je m'autorise à prendre l'exemple du diocèse français de l'Eglise copte pour expliquer le concept d'Eglise locale.
L'article 1 de la charte du "diocèse inséparable du patriarcat copte d'Alexandrie" pose en exergue la notion d'Eglise locale: "L'Eglise copte orthodoxe française est une Eglise locale, fondée sur la foi et la tradition de l'Eglise apostolique, appelée à la restauration de l'Orthodoxie pour les Français avec pour objectif de donner un puissant témoignage de la foi et de la tradition orthodoxes…". http://coptica.free.fr/eglise_copte_orthodoxe_de_france_152.htm Nous remarquerons, sans s'y attarder, pour la définir, l'emploi des adjectifs qualificatifs "copte" et "française". L'adjectif qualificatif caractérise un nom, en l'occurrence "Eglise", par ses qualités particulières. L'adjectif "copte" signifie qu'elle relève de l'Eglise copte dans sa théologie, son autorité canonique supérieure et la structure de sa liturgie. Le qualificatif "français" désigne non seulement le lieu, le pays, la nation, mais aussi un climat spirituel et psychologique, une langue, un patrimoine historique, une culture, tout cela avec sa personnalité unique et irremplaçable. C'est probablement pour cela que le préambule parle de restauration et non de création, car les racines du diocèse français plongent aussi dans le passé apostolique et patristique de la France que nous espérons vérifier et vivifier par la puissante tradition de l'Eglise d'Alexandrie.
L'Eglise locale est toute l'Eglise catholique
Quand nous entendons "Eglise locale", vient à l'esprit l'organisation ecclésiastique qui établit des entités autocéphales, autonomes, plus ou moins nationales, comme les Eglises byzantines, avec un primat et un synode revendiquant une indépendance. Or nous ne pouvons séparer l'Eglise locale de l'Eglise catholique. Nos pères vivaient l'Eglise locale et pensaient Eglise catholique. Car il ressort de leurs écrits et des livres liturgiques, qu'ils avaient conscience que chaque communauté locale, de la plus puissante à la plus modeste, qui proclamait la Bonne Nouvelle, confessait la foi des apôtres et célébrait le Repas du Seigneur, était non seulement en communion avec l'Eglise catholique mais Eglise catholique en sa plénitude. Chaque Eglise locale, en communion avec les autres, est Eglise catholique de tous les temps et de tous les lieux, car il ne manque rien au Corps du Christ assemblé en Eglise. Comme le dit le document de la "commission orthodoxes - catholiques romains" réunie à Ravenne en 2008: "Chaque Église locale est en communion non seulement avec les Églises voisines, mais avec la totalité des Églises locales, avec celles qui sont actuellement présentes dans le monde, celles qui le sont depuis le début et celles qui le seront dans le futur, et avec l’Église qui est déjà dans la gloire. Selon la volonté du Christ, l’Église est une et indivisible, la même toujours et en tous lieux. Dans le symbole de la foi nicéo-constantinopolitaine, nous confessons que l’Église est une et catholique. Sa catholicité embrasse non seulement la diversité des communautés humaines, mais également leur unité fondamentale".
L'Eglise telle qu'elle se révèle dans ses premières années montre d'une part, des communautés locales diverses, d'autre part, l'Eglise de Dieu et du Christ est tenue pour réalité catholique une, unique.
L'Eglise dans les Ecritures saintes
Dans les Ecritures le mot "Église " (en grec ekklêsia) est utilisé à la fois au singulier et au pluriel. Il y a "des Églises" (à Jérusalem, Antioche, en Asie Mineure, à Corinthe, etc. ; il y a même des "Eglises de maison ", -.1 Co 16, 19 ; Rm 16, 3-5.16 ; Col 4, 15 ; Phm 2- et, il y a dans chacune de ces Églises locales l'Église une du Christ -Mt 16, 17s ; 1 Co 12; Rm 12, 4ss ; Ép 4, 4ss ; 1 Pi 2, 4-9 - L'Église une ainsi entendue est communion en Christ un (en grec koinônia). 1 Cor 1,1-9 La diversité des Églises n'est pas seulement territoriale; elle est aussi, d'une part théologique (si c'est la même foi qui lie les Églises locales les unes aux autres, il y a cependant des accentuations théologiques différentes entre judéo-chrétiens et pagano-chrétiens), d'autre part liturgico-canoniques (c'est pourtant les mêmes mystères qui sont célébrés.)
Le récit de la Pentecôte -Actes 2,1sq- décrit la descente de l'Esprit de Dieu se faisant comprendre par des hommes de multiples langues (et donc de cultures). Sanctifiée par l'Esprit, l'Eglise est dès le début composée d'hommes de différentes langues et cultures, rassemblés maintenant par l'Esprit dans la foi. Ils sont désignés comme "les frères" -1,15-, "les croyants", -2,44-, les "disciples"-6,1-, "ceux qui invoquent le Nom du Seigneur" - 9,14.21-, les "sauvés" -2,47-, "le parti des nazôréens" -24,5-, et pour tout dire, les "chrétiens" -11,26; 26,28-. Le terme d'ekklèsia désigne le plus souvent une Eglise d'un lieu, d'une ville (ainsi celles de Jérusalem et d'Antioche). Mais on parle aussi de "l'Eglise dans toute la Judée, la Samarie et la Galilée" -9,31-, ou encore de "l'Eglise de Dieu qu'il s'est acquise par son sang" -20,28-. On entend dire que les Eglises locales échangent des délégations et qu'il y a des aides matérielles réciproques -11,29-. Les Actes des apôtres reflètent une large diversité d'organisation ecclésiale et ministérielle selon les lieux et les groupes ethniques. Les Eglises locales apparaissent largement autonomes dans leur fonctionnement interne, tout en étant solidaires les unes des autres et en gardant un lien privilégié avec Jérusalem.
Se pose la question de la définition de "l'Église en un lieu donné ".
Ce lieu est-il seulement géographique, national, ethnique, et alors en quel sens l'entendre? La question de la coordination entre tel lieu territorial et tel autre, se pose aussi. Parce que le Christ est totalement présent en toute assemblée liturgique, toute assemblée locale est au plein sens du terme "Eglise de Dieu". Toutefois, il y a d'autres communautés qui sont pareillement Eglise de Dieu. Il est nécessaire d'entrer en communion avec elles. Mais attention, "l'Eglise, une, unique, sainte, catholique et apostolique, celle qui s'étend jusqu'aux extrémités de la terre" (grande intercession de la liturgie de saint Basile) n'est pas la juxtaposition ou le rassemblement d'Eglises locales sans lien les unes avec les autres, mais toutes ensemble, dans le même Esprit, elles sont unique Eglise, unique corps du Christ, par la communion (koinonia) dans l'unique Seigneur. Elles confessent la même foi et reçoivent les mêmes mystères.
L'Eglise d'un territoire
L'Eglise locale est avant tout comme son nom l'indique d'un lieu, d'un territoire: les chrétiens habitant une cité ou une campagne homogène ne peuvent pas se réunir en conventicule selon leurs affinités culturelles, sociales, économiques. Les canons des conciles rappellent que là où pourraient exister des lieux de pèlerinages, des chapelles privées, des fraternités, les fidèles de ces communautés ont l'obligation d'assister aux saints mystères à l'église paroissiale les jours de grandes fêtes.
Eglise nationale mais pas ethnique
L'Eglise locale peut être nationale, dans le sens où son appartenance à un lieu donné lui permet d'évangéliser et sanctifier ce qui constitue la nation, la langue, la culture, l'histoire, la manière de vivre ensemble d'une nation. Le théologien grec Jean Zizioulas écrit: " l'Eglise est locale lorsque la réalité du Salut du Christ s'enracine dans une situation locale particulière avec toutes les caractéristiques naturelles, sociales, culturelles et autres qui constituent la vie et la pensée du peuple vivant en ce lieu. Elle doit assimiler et utiliser toutes les caractéristiques d'une situation locale donnée et non surimposer une culture étrangère". (L'Eglise locale, Labor et fides, Genève 1981).
Il faut prendre garde à ne pas confondre "Eglise d'une nation" (selon la formule de la 34è règle apostolique) avec nationaliste ou identitaire. Les Eglises orthodoxes condamnent ce risque sous le nom de phylétisme. Le phylétisme consiste en l'attitude de cloisonnement ecclésial dans la soumission de l'Eglise avec l'esprit de séparation ethnique, raciale et politique. C'est un non sens pour les disciples du Christ qui nous a rachetés et unis en lui "de toutes nations, familles, peuples et langues".
La plus ancienne liturgie, celle des judéo-chrétiens recensée dans "la Didaché" dit: "Comme ce pain rompu avait été dispersé sur les montagnes et sur les collines et qu’après avoir été rassemblé il est devenu un, qu’ainsi soit rassemblée ton Église des extrémités de la terre en ton royaume; car à toi est la gloire et la puissance par Jésus-Christ dans les siècles. (Didaché 9,3-4).
Notre liturgie égyptienne selon saint Sérapion amplifie la prière de la Didaché, elle exprime parfaitement l'Eglise catholique dans l'Eglise locale:
"Car de même que ce pain autrefois disséminé sur les collines a été réuni pour devenir un, ainsi, daigne réunir ton Eglise sainte de toute famille, de tout pays, de toute ville, village et maison, et fais d'elle l'Eglise une, vivante et catholique".
L'anaphore parle bien de la communauté locale réunie pour l'eucharistie et demande au Seigneur pour elle d'être en toute vérité l'Eglise une et catholique par la communion des fidèles au corps du Christ et entre eux, quelle que soit leur origine.
Bien avant saint Sérapion (milieu du 4è siècle), notre saint Irénée de Lyon (fin du 2è siècle), met en exergue la tradition des apôtres conservée intacte dans les Eglises en prenant l'exemple parmi d'autres de l'Eglise romaine, définit "l'Eglise catholique comme l'Eglise des fidèles de partout, pour tous les fidèles de partout".
"La Tradition des apôtres qui a été manifestée dans le monde entier, c'est en toute l'Eglise qu'elle peut être perçue par ceux qui veulent voir la vérité. Et nous pourrions énumérer les évêques qui furent établis par les apôtres dans les Eglises, et leurs successeurs jusqu'à nous. Mais comme il serait trop long, dans un ouvrage tel que celui-ci, d'énumérer les successions de toutes les Eglises, nous prendrons seulement l'une d'entre elles, l'Eglise très grande, très ancienne et connue de tous, que les deux très glorieux apôtres Pierre et Paul fondèrent et établirent à Rome. En montrant que la Tradition qu'elle tient des apôtres et la foi qu'elle annonce aux hommes sont parvenues jusqu'à nous par des successions d'évêques, nous confondrons tous ceux qui, de quelque manière que ce soit, ou par vaine gloire, ou par aveuglement et erreur doctrinale, constituent des groupements illégitimes. Car l'Eglise, à laquelle en raison de sa puissance plus forte, doit s'accorder toute Eglise, c'est-à-dire les fidèles de partout, c'est celle [Eglise catholique qui s'étend sur tout l'univers] en qui toujours, au bénéfice de ces gens de partout, a été conservée la Tradition qui vient des apôtres". (Saint Irénée, contre les hérésies, 3,3.2, traduction Pierre Nautin, Revue d'histoire des religions, N°151, 1957).
La coordination entre Eglises locales s'établit d'abord par leur fidélité à la tradition des apôtres contenue dans toute l'Eglise catholique, puis à la succession des évêques qui ont été ordonnés légitimement. Par conséquent, il est clair qu’une unique et même foi doit être confessée et vécue dans toutes les Églises locales, que la même et unique Eucharistie doit être célébrée partout et que le même et unique ministère apostolique doit être à l’œuvre dans toutes les communautés.
Un texte encore plus ancien, l'épitre de saint Clément de Rome aux Corinthiens (Sources chrétiennes N°167, Paris 2000) écrite peu avant la fin du premier siècle, annonce dans son préambule: "L'Eglise de Dieu en séjour à Rome, à l'Eglise de Dieu en séjour à Corinthe, à ceux qui ont été appelés et sanctifiés par Jésus Christ notre Seigneur selon la volonté de Dieu". Cette phrase est intéressante pour deux raisons: la première, qu'il est inutile de développer au stade où nous sommes de notre étude, est le témoignage que les deux Eglises sont distinctes par leur localité, mais aussi elles qu'elles sont toutes deux "Eglises de Dieu". La seconde développe un paradoxe pour l'Eglise locale: le vocable grec que nous traduisons par "en séjour" est "paroikousa" qui a donné notre nom "paroisse" qui, aux premiers siècles, désignait ce que l'on a appelé plus tard un diocèse, le territoire administré par un évêque. Il s'agit de la base de l'Eglise locale et pourtant, et là est le paradoxe, paroikia désigne à l'origine le "voisinage" dans le sens d'un "séjour en pays étranger". " paroikia " et de ses dérivés dans le Nouveau Testament l Ac 7, 6.29 ; 13, 17 ; He 11, 9 ; et surtout à propos de l'Église Ép 2, 19 ;1 P 1, 17 et 2, 11, signifie que les fidèles de l'Église, ce sont, comme l'indique 1 P 1, 1, "les élus vivants en étrangers dans la dispersion". Car bien que les chrétiens soient enracinés dans un lieu, ils vivent sur cette terre comme des pèlerins, en voyage, leur véritable demeure est dans les cieux dans le Christ ressuscité assis à la droite du Père. Aussi, la pratique orthodoxe ne s'est jamais constituée par une abstraction, mais s'est approprié les génies nationaux. Elle s'organise dans les Eglises des peuples en tenant compte de leur configuration territoriale, linguistique, sociale et culturelle. Par contre elle a toujours refusé que les chrétiens se réunissent sous d'autres principes que celui de l'unique appel de l'unique Sauveur. Ainsi l'Eglise locale, en cette qualité, ne doit pas épouser les doctrines politiques de la nation dans laquelle elle demeure, ni prendre part aux querelles idéologiques.
La doctrine sociale de l'Eglise se résume, selon un évêque russe interrogé par les bolchéviques, à l'imitation de la Trinité, l'unité dans la diversité scellée par l'amour agapè. C'est pourquoi l'Eglise locale est constituée en Eglise catholique par les fidèles de partout. Sur le territoire d'une Eglise locale, la constitution durable de diocèses ou paroisses par affinité ethnique est une faute qui contredit la notion même d'Eglise. Les Eglises locales, elles-mêmes étrangères au monde, doivent accueillir les étrangers, en respectant leur particularité, mais aussi avec le devoir de faciliter leur intégration, leur faisant connaître, apprécier, assimiler, sinon aimer, tout ce qui constitue le génie du lieu qu'elles sanctifient. –Lév.17, 8-10 & Nb 15,14-16- ¤ E-P
Note: Le lecteur aura compris que l'adjectif catholique employé ici ne fait pas référence à l'Eglise romaine. Catholique vient de l'adverbe grec -cath olou- qui signifie "orienté au tout". Olos est généralement employé quand on parle de choses dont les parties ne sont concevables qu'en fonction du tout, où les divers éléments sont unis entre eux par des liens physiques ou spirituels. Le tout est parfaitement représenté dans toutes les parties. L'Eglise, en raison de son caractère catholique, est plus grande que l'homme, que ses concepts, ses structures, ses hiérarchies et même les formules de ses dogmes. Sa dimension catholique lui vient du Christ, qui est le seul qui emplit tout en tous. http://coptica.free.fr/ecclesiologie_040.htm Lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie N° 310 & 311 septembre/octobre 2014 |
Eglise locale |