Le Vainqueur du Shéol
Quelques lecteurs m'interrogent sur un type d'icône de la résurrection utilisé par les Eglises orthodoxes, celle de la descente aux enfers.
Cette représentation est souvent plus usuelle que celle des femmes au tombeau, de la venue du ressuscité auprès des disciples, des pèlerins d'Emmaüs,
et fort heureusement d'une représentation hétérodoxe de la sortie du Seigneur du tombeau.
Les Ecritures canoniques respectent le mystère de la résurrection en ne donnant pas de description du moment même où le "Seigneur s'est relevé des morts", l'iconographie devrait s'en tenir à cette retenue.
Le Ressuscité "s'est laissé voir", il s'est montré à ses disciples vivant et présent au milieu d'eux, sa présence est toujourseffective, même si nos yeux, sauf par grâce, sont incapables de constater la réalité.
Revenons donc à l'icône de "la descente aux enfers", ne devrions-nous pas d'ailleursla nommer, "la victoire du Christ sur les ténèbres du Shéol"? Quel message nous transmet cette icône théologique? Nous y contemplons avec les yeux de la foi, le Sauveur de tous, qui après avoir remis l'esprit sur la croix, s'en va dans le royaume de la mort, brise ses portes, et en libérant ses prisonniers, les entraîne à sa suite. Les justes de la Première Alliance, représentés souvent par les rois David et Salomon et Jean le baptiste, quelquefois des prophètes, et tous ceux qui veulent se mettre à la suite du Rédempteur sont figurés par Adam et Eve. Les enfers sont encore présents comme l'indique la couleur sombre du fonds, mais ses portes fracassées, impuissants à retenir ceux qui à sa suite marchent dans la lumière de la résurrection.
C'est là la première résurrection dans l'attente du grand chambardement de la parousie, la grande résurrection universelle de l'achèvement du projet divin. L'icône montre ce que dit la liturgie. "Christ est ressuscité des morts, par sa mort, il a vaincu la mort, à ceux qui sont dans les tombeaux, il a donné la vie". Une vénérable ancienne anaphore résume ce que nous voyons dans l'icône: <> Si c'est un grand et beau mystère que sa naissance, combien plus admirable encore sa mort: En dépouillant sa chair par la croix, ton Logos, en toute liberté se rend aux enfers, il brise ses portes et libère les enchaînés de leurs liens. Libre parmi les morts, il inonde les ténèbres d'une lumière nouvelle. <> Il descend dans les profondeurs de l'enfer, et pour ceux qui étaient assis à l'ombre de la mort, il resplendit de l'éclat d'une lumière inconnue. Enfin, Soleil de Justice, il sort du tombeau avec son corps ressuscité et, d'une façon admirable, il éclaire nos ténèbres des rayons de sa splendeur…".
Le sujet de l'illustration iconographique et liturgique ressort d'allusions des Ecritures explicités par les pères de l'Eglise:
Mathieu 27, 50-53: "[sur la croix] Jésus, criant de nouveau d'une voix forte, remit l'esprit. Et voici que le voile du Sanctuaire se déchira en deux du haut en bas; la terre trembla, les rochers se fendirent; les tombeaux s'ouvrirent, les corps de nombreux saints défunts ressuscitèrent: sortis des tombeaux, après sa résurrection, ils entrèrent dans la Ville Sainte et apparurent à un grand nombre de gens".
L'épître aux hébreux 2,14: "Ainsi donc, puisque les enfants ont en commun le sang et la chair, [Christ] y a également participé lui-même, afin que, par la mort, il réduise à l'impuissance celui qui a le pouvoir de la mort, c'est-à-dire le diable, et qu'il délivre tous ceux qui, par crainte de la mort, étaient toute leur vie exposés à la servitude".
La première épître de Pierre 3,18-20: "Christ aussi a souffert une fois pour les péchés, lui, juste pour des injustes, afin de nous amener à Dieu, ayant été mis à mort quant à la chair, mais ayant été rendu vivant quant à l'Esprit, dans lequel il est allé aussi prêcher aux esprits en prison, qui autrefois avaient été incrédules, lorsque la patience de Dieu se prolongeait, aux jours de Noé".
L'épître de Paul aux Ephésiens 4,8-10: "C'est pourquoi il est dit: étant monté en haut, il a emmené des captifs, et il a fait des dons aux hommes. Or, que signifie: il est monté, sinon qu'il est aussi descendu dans les régions inférieures de la terre? Celui qui est descendu, c'est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux, afin de remplir l'univers".
Et aussi l'Apocalypse 1,17-18: Il posa sur moi sa main droite en disant: Ne crains point, Je Suis le premier et le dernier, et le Vivant. J'étais mort, et voici, je suis vivant aux siècles des siècles. Je tiens les clefs de la mort et du séjour des morts.
St Hippolyte (†235) est peut-être le premier auteur dont les écrits nous soient parvenus, qui évoque cette descente du Christ aux enfers, dans le contexte de la mission de Jean-Baptiste, il dit: "Jean entendit, dans le ventre de sa mère, la salutation d’Élisabeth, et il s’agita de joie en voyant le Logos qui venait d’être conçu dans le sein de la Vierge. Ensuite nous le voyons venir prêcher dans le désert, annonçant au peuple le baptême de la conversion. En effet, comme il était à prêcher à ceux qui étaient dans le désert, il leur montra le Sauveur en disant: "Voici l’Agneau de Dieu, celui qui efface le péché du monde". C’est aussi lui qui, ayant été décapité par Hérode, alla évangéliser ceux qui étaient dans le shéol et leur annoncer la descente prochaine du Christ dans les enfers, pour délivrer les âmes des saints des liens de la mort. (Saint Hippolyte de Rome, Démonstration du Christ et de l’Antéchrist § 45.
Dans ce 3è siècle, début 4è, le symbole de la foi des Eglises latines, au témoignage d'auteurs grecs, Marcel d'Ancyre et Théodore de Mopsueste, confesse "Je crois en Dieu le Père tout-puissant, créateur du ciel et de la terre, et en Jésus Christ son Fils unique, notre Seigneur qui a été conçu du Saint Esprit, né de la Vierge Marie. Il a souffert sous Ponce Pilate, il a été crucifié, il est mort, a été enseveli, il est descendu aux enfers. Le troisième jours, il est ressuscité des morts…" Ce credo est encore utilisé par l'Eglise catholique romaine sous le nom de "Symbole des apôtres.
Je vous laisse lire sur http://coptica.free.fr/jours_saints_de_la_paque_422.htm une homélie anonyme du 4è siècle attribuée à Epiphane de Salamine. Elle présente, pour le samedi saint, un dialogue savoureux entre le Christ et Adam lors de la "descente aux enfers".
Saint Jean Chrysostome (†407), homélie contre les juifs et les païens sur la divinité du Christ:
"Quand le Libérateur descendit aux enfers, il remplit tout de trouble, c'était un tumulte, une confusion universelle, et la forteresse fut démolie. Les prophètes n'ont pas oublié cet événement, écoutez plutôt ce que crie David: Princes, ouvrez vos portes; ouvrez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera. Isaïe en parle aussi de la sorte: Je briserai les portes d'airain et je romprai les verrous de fer; je vous découvrirai des trésors enfouis dans les ténèbres, et je vous montrerai des trésors cachés, invisibles. C'est l'enfer que le Prophète appelle ainsi: car, tout enfer qu'il était, il contenait les saintes âmes et les vases précieux, Abraham, Isaac et Jacob. Voilà pourquoi Isaïe lui donne le nom de trésors, mais trésors enfouis dans les ténèbres, parce que le soleil de justice n'y avait pas encore répandu l'éclat de sa lumière ni l'annonce de la résurrection".
L'archevêque de Constantinople revient sur la destruction de la puissance du royaume de la mort dans son homélie sur le mot cimetière et la croix:
C'est aujourd'hui que Notre-Seigneur parcourt tous les abîmes ténébreux; aujourd'hui, il a brisé les portes d'airain; aujourd'hui, il a rompu les gonds de fer. Voyez combien les expressions sont exactes. On ne dit pas: il a ouvert les portes d'airain, mais il a brisé les portes d'airain, afin que la prison devienne inutile. On ne dit pas: il a enlevé les gonds, mais il les a rompus, afin que le séjour de captivité perde toute sa force. Une prison où il n'y a ni portes ni gonds, ne peut retenir ceux qu'on y enferme. Lors donc que Jésus-Christ a brisé les portes, qui pourra les rétablir? Ce qu'un Dieu a détruit, quel homme le rétablira? Ce n'est pas ainsi qu'agissent les princes, lorsqu'ils envoient des lettres de grâce pour mettre les prisonniers en liberté; ils laissent et les portes et les gardes, afin d'annoncer à ceux qui sortent de la prison, qu'euxmêmes ou d'autres à leur place peuvent encore y rentrer. Jésus le Christ au contraire, voulant apprendre que l'empire de la mort était fini, a brisé ses portes d'airain. Elles sont appelées d'airain, non qu'elles fussent vraiment d'airain, mais c'était pour exprimer le caractère cruel et inexorable de la mort. <> Voulez-vous apprendre comment la mort était impitoyable, inflexible, qu'elle avait toute la dureté du diamant, c'est que, dans un si long espace de temps, personne n'a pu lui persuader de relâcher aucun de ses captifs, jusqu'à ce que le Souverain des anges, descendu dans ses abîmes, l'y eût obligée. Premièrement, le Seigneur a enchaîné le fort et l'a dépouillé de ses armes. l’Ecriture ajoute qu'il s'est emparé des trésors ténébreux et invisibles. Quoique l’expression ici paraisse simple, elle présente un sens double. Il est des lieux obscurs, mais où l'on peut souvent distinguer les objets, lorsqu'on y porte un flambeau et la lumière; les abîmes de l'enfer étaient d'une obscurité affreuse, impénétrable; aucune lumière n'en avait encore éclairci les ombres. Voilà pourquoi on dit qu'ils étaient ténébreux et invisibles. Ils étaient vraiment ténébreux jusqu'à ce que le Soleil de justice y fût descendu, qu'il les eût éclairés par sa présence, jusqu'à ce qu'il eût fait le ciel de l'enfer, le ciel étant partout où est Jésus le Christ. L'enfer est appelé des trésors obscurs, et avec raison, parce que d'immenses richesses y étaient déposées. Toute la nature humaine, qui est la richesse de Dieu, avait été dépouillée et livrée à la mort par le démon, qui avait trompé le premier homme. Or, saint Paul nous apprend que toute la nature humaine est la richesse de Dieu, lorsqu'il dit: Le Seigneur est riche pour tous ceux et par tous ceux qui l'invoquent. Comme donc un prince, après avoir trouvé un chef de brigands qui parcourait les villes, qui les pillait de toute part, et qui, se retirant dans des cavernes, y déposait les fruits de son brigandage, l'enchaîne, le livre au supplice, et transporte ses richesses dans le trésor de l'Etat: de même Jésus-Christ, après avoir enchaîné par sa mort, et la mort et le démon, chef des brigands, gardien de la prison infernale, a transporté ses richesses, je veux dire tout le genre humain, dans les trésors célestes. C'est ce que nous fait entendre le même saint Paul: Il nous a arrachés, dit-il, à la puissance des ténèbres, et nous a transportés dans le royaume de son Fils bien-aimé. Mais ce qu'il y a de plus admirable, le Prince lui-même est venu dans la prison. Cependant aucun prince de la terre ne vient lui-même délivrer les prisonniers, il envoie ses officiers et ses ministres. Ici le Prince est venu en personne: il n'a rougi ni des prisonniers ni de la prison -et comment aurait-il rougi de son ouvrage?-. Il a brisé les portes, rompu les gonds, et, se montrant au milieu de l'abîme, il a rendu la prison déserte, et nous en a amené le gardien chargé de chaînes. Le tyran du monde était conduit captif, le fort était enchaîné, et la mort elle-même, jetant bas ses armes, est accourue sans défense aux pieds de son vainqueur".
saint Aphraate, le sage persan († vers 345)
"Le Soleil de Justice, disparu depuis trois jours, se lève aujourd'hui et illumine toute la création, Christ au tombeau depuis trois jours, lui l'existant avant les siècles. <> Les portes des enfers sont brisées par le Christ, les morts se dressent comme d'un sommeil: le Christ, résurrection des morts, a réveillé Adam. Le Christ, résurrection des morts, est ressuscité et a délivré Ève de la malédiction. Le Christ est ressuscité, lui la résurrection, et il a transfiguré dans la beauté ce qui était sans beauté ni éclat. <> Il est ressuscité, et il donne la joie à toute la création. Il est ressuscité, et la prison de l'enfer a été évacuée. Il est ressuscité, et a transformé le corruptible en incorruptible. Le Christ ressuscité a rétabli Adam dans sa dignité première d'immortel."
Lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie N° 331 juin 2016
|
icône de la résurrection |