Hospitalité eucharistique

 

 

 

Les organisateurs de cette réunion m’ont chargé de la redoutable mission de vous parler du délicat sujet du partage eucharistique. Je vais le faire à la manière orthodoxe, c'est-à-dire en utilisant la rhétorique de l’antinomie: deux propositions apparemment contradictoires mais qui doivent néanmoins être tenues exactes et qui engagent la vie.

 

Avant tout, une première remarque de vocabulaire : Intercommunion? Communion en grec Koinonia/Union, suffit à exprimer ce que nous faisons, quand nous nous réunissons en Eglise pour célébrer "le repas du Seigneur". Il y a communion ou pas.

Intercommunion ne veut rien dire, c'est pour cela que je préfère utiliser l'expression  "hospitalité eucharistique" pour  désigner la demande de partage eucharistique de la part des fidèles d'Eglises qui ne sont justement pas "en communion".

 

Pourtant de nombreux chrétiens, protestants et catholiques et aussi quelques orthodoxes, réclament "l'intercommunion" parce qu'ils ressentent, à juste titre, la déchirure de la chrétienté comme un scandale. Ils savent que, en vertu du baptême, ils sont les fils et les filles d'un unique Père et les disciples d'un unique Christ, et ils veulent s'asseoir ensemble autour d'une même table, à laquelle l'unique Seigneur les invite tous.

 

Les positions officielles des Eglises:

 

 1. Examinons donc ce que disent dans les documents officiels chaque communauté sur la possibilité ou pas d'exercer l'hospitalité eucharistique.

Nous constatons deux blocs, celui de l'Eglise catholique romaine avec les Eglises orthodoxes, très circonspects, et celui des Eglises de la Réforme, généralement largement ouvert.

 

Ce que tient l'Eglise catholique romaine

 

Je pose les déclarations de Vatican II complétées par des documents plus récents:

article 27 du décret sur les Eglises orientales: "On peut conférer aux Orientaux, qui en toute bonne foi sont séparés de l'Eglise catholique, les sacrements de pénitence, de l'eucharistie et de l'onction des malades, s'ils les demandent eux-mêmes et sont bien disposés. De plus, il est permis également aux catholiques de demander ces mêmes sacrements aux ministres non catholiques dans l'Eglise desquels ces sacrements sont valides, chaque fois que la nécessité ou une véritable utilité spirituelle le demandent - et qu'il est physiquement impossible de s'adresser au prêtre catholique".  

L'article 22   à  propos des divergences dans la foi des protestants, le Concile déclare que "ces derniers célèbrent certes à la Cène le mémorial de la mort et de la résurrection du Seigneur", mais il estime d'autre part "que, en raison surtout de l'absence du sacrement de l'ordre, ils n'ont pas conservé la substance propre et intégrale du mystère eucharistique ".

Nous pouvons discuter de ces affirmations.

 

Un document plus récent, "Ecclesia de Eucharistia" publié le 13 avril 2003 revient sur l'intercommunion:

 

article 44. "Précisément parce que l'unité de l'Église, que l'Eucharistie réalise par le sacrifice du Christ, et par la communion au corps et au sang du Seigneur, comporte l'exigence, à laquelle on ne saurait déroger, de la communion totale dans les liens de la profession de foi, des sacrements et du gouvernement ecclésiastique, il n'est pas possible de concélébrer la même liturgie eucharistique jusqu'à ce que soit rétablie l'intégrité de ces liens. Une telle concélébration ne saurait être un moyen valable et pourrait même constituer un obstacle pour parvenir à la pleine communion, minimisant la valeur de la distance qui nous sépare du but et introduisant ou avalisant des ambiguïtés sur telle ou telle vérité de foi. Le chemin vers la pleine unité ne peut se faire que dans la vérité".

L'article 45 ajoute: "S'il n'est en aucun cas légitime de concélébrer lorsqu'il n'y a pas pleine communion, il n'en va pas de même en ce qui concerne l'administration de l'Eucharistie, dans des circonstances spéciales, à des personnes appartenant à des Églises ou à des Communautés ecclésiales qui ne sont pas en pleine communion avec l'Église catholique. Dans ce cas en effet, l'objectif est de pourvoir à un sérieux besoin spirituel pour le Salut éternel de ces personnes, et non de réaliser une intercommunion, impossible tant que ne sont pas pleinement établis les liens visibles de la communion ecclésiale".

Hélas l'article 46, revient sur l'argumentation de Vatican II au sujet du ministère et de la succession apostolique: "Il convient d'être très attentif à ces conditions, qui ne souffrent pas d'exception, bien qu'il s'agisse de cas particuliers bien déterminés, car le refus d'une ou de plusieurs vérités de foi sur ces sacrements, et, parmi elles, de celle qui concerne la nécessité du sacerdoce ministériel pour que ces sacrements soient valides, fait que leur administration est illégitime parce que celui qui les demande n'a pas les dispositions voulues. À l'inverse, un fidèle catholique ne pourra pas recevoir la communion dans une communauté qui n'a pas de sacrement de l'Ordre valide".

 

Comme seules les églises orthodoxes et les églises orientales ont un sacrement de l’ordre "valide" selon l’église catholique, cela exclut les communautés ecclésiales issues de la Réforme. Par "sacrement de l’ordre valide " il faut entendre une ordination au ministère qui se situe dans la succession épiscopale en continuité avec les apôtres. Alors pour un catholique, est-il possible de participer à une cène protestante. La réponse officielle est clairement non!

 

Ce que disent les Eglises orthodoxes: (position officielle)

La tradition Orthodoxe parle du Corps et du Sang du Christ glorifié, expliquant clairement que notre communion est en la  personne du Seigneur ressuscité et exalté, et non pas seulement dans la chair et le sang de Jésus incarné, brisé et répandu sur la Croix. Le Jésus incarné et le Christ ressuscité sont bien sûr une seule et même Personne.

Notre communion est dans la réalité radicalement transformée du Christ ressuscité, qui est monté aux cieux et qui se rend accessible à nous par la présence et l'inhabitation du Saint Esprit au sein de l'Église. Une épiclèse eucharistique dit aussi: "Que ton Esprit Saint vienne sur nous  et sur les dons ici présents, qu'il les purifie pour qu'ils deviennent saints pour tes Saints, qu’il les sanctifie et les manifeste Corps très saint".

 

En participant à l'Eucharistie d'une Eglise, nous communions au Christ ressuscité et aussi au grand corps du Christ,  à tous les saints qui forment la réalité de l'Eglise. Nous disons amen, c'est la vérité, à toute la foi (orthodoxie) et à la pratique, aux règles et ascèse (orthopraxie) de cette Eglise.

Aussi l’eucharistie est le signe ultime et l’aboutissement de l’unité, de l'Eglise une, unique, sainte et catholique, pas le moyen pour arriver à ce que tous désirent, la pleine communion ecclésiale.

Par conséquent, cette unité ecclésiale doit précéder l’eucharistie.

Donc pas d'intercommunion! Sauf que, le principe étant posé, il peut être dérogé à la règle par Economie pour le Bien et le Salut de l'âme. Par exemple, le patriarcat de Moscou a autorisé le 16 décembre 1969 l'admission des catholiques romains à la Communion tandis que l'Eglise grecque orthodoxe a refusé jusqu'à présent l'accès des catholiques romains à son Eucharistie; l’Eglise orthodoxe syriaque a conclu un accord local avec les Eglises byzantines (novembre 1991) et l’église catholique (juin 1984) rendant possible l'hospitalité eucharistique. Enfin le prêtre, responsable de l'eucharistie doit et peut exercer la discrimination. 

 

Ce que disent les Eglises de la réforme

 

Historiquement la communion ouverte n’est pas une tradition primitive des Eglises de la Réforme. La messe "papiste " était considérée comme " une maudite idolâtrie ", selon le Catéchisme de Heidelberg (Question 80).

Nous ne sommes plus au temps des guerres de religions.  " En tant qu’Eglises réformées et presbytériennes nous attestons vis-à-vis des autres chrétiens que nous reconnaissons le ministère, les sacrements et la qualité de membres de toutes les Eglises qui confessent Jésus Christ comme Seigneur et Sauveur conformément à la Bible. Nous invitons les membres de ces Eglises à la table de notre Seigneur commun, et nous leurs y souhaitons cordialement la bienvenue". Assemblée générale de Princeton, 1954.

 

L’église luthérienne d’Alsace affirme  "Les communautés appartenant à notre Eglise peuvent accueillir à la Sainte Cène des fidèles d’une autre Eglise, Eglise catholique comprise … Nous estimons que, dans les circonstances présentes, la fidélité à l’Evangile et à notre tradition ne nous permet pas de nous opposer à la participation des fidèles de notre Eglise à une célébration eucharistique catholique ".

Elle pose toutefois trois conditions à la pratique de l’intercommunion :

-"Avoir un lien réel avec la communauté d’accueil

- garder le lien avec l’Eglise d’appartenance.

-  Reconnaître dans la célébration eucharistique (catholique) la Cène instituée par le Seigneur ".

La Discipline de l’église réformée de France déclare :

"Sont invités tous ceux qui, membres ou non d’une Eglise locale de l’ERF, discernent les signes de la présence du Christ dans le pain et le vin partagés ".

 

Résumé des prises de positions officielles:

 

Nous pouvons conclure cette première partie par les observations suivantes:

 

- L’Eglise catholique, (comme les Eglises orthodoxes), lient par principe la communion eucharistique à la communion ecclésiale, elles acceptent toutefois une certaine hospitalité eucharistique selon les lieux et les circonstances.    

 

-Hospitalité eucharistique et intercommunion sans réserve de la part des Eglises réformées.

 

-   interdiction de concélébration entre ministres d'Eglises non en communion de foi. Cette interdiction souffre d'une exception notable pour l'Eglise catholique et les Eglises orientales: Le catéchisme de l'Eglise catholique rédigé sous la direction du cardinal Ratzinger (futur pape Benoit XVI) et publié le 11 octobre 1992 par la Constitution apostolique fidei depositum dont la valeur doctrinale est attestée par l'affirmation qu'il "est une norme sure pour l'enseignement de la foi", dit:

"article 1399: Les Eglises orientales qui ne sont pas en pleine communion célèbrent l'Eucharistie avec grand amour." Ces Eglises, bien que séparées, ont de vrais sacrements –principalement, en vertu de la succession apostolique: le sacerdoce et l'eucharistie- qui les unissent intimement à nous". Une certaine communion in sacris, donc de l'eucharistie, est donc "non seulement possible, mais même recommandée, lors de circonstances favorables et avec l'approbation de l'autorité ecclésisatique;"

 

Toutes les Eglises abordent la question avec sérieux, mêmes les plus libérales posent des restrictions de foi à l'accès au partage eucharistique.

 

Justification dogmatiques et canoniques:

 

Les difficultés sont:

-pour l'Eglise orthodoxe: -la tradition canonique ancienne n'admet pas à l'Eucharistie ceux qui refusent l'expression du dogme et par là "se séparent du corps de l'Eglise",

- la question formelle de la succession apostolique

-le discernement de la réalité du mystère de l'autel.

- pour l'Eglise catholique: l'obligation d'être en communion parfaite avec l'évêque de Rome, considéré comme l'unique successeur de Pierre,

-la succession apostolique sans interruption,

-la foi dans la doctrine de la transsubstantiation.

- les communautés de la Réforme, sauf exceptions notables, sont ouvertes à la participation de chrétiens n'appartenant pas à la Réforme. La réciproque n'est douloureusement pas consentie.

 

Une certaine communion

 

Il y a d'autres lieux de communion: l’étude de la Parole, la prière, le service auprès des pauvres, des malades,  authentique diaconie œcuménique.

Il s'agit de véritables modes de présence du Christ, il ne faut pas tout concentrer sur l’eucharistie.

Ceci dit, l’impossibilité d’une hospitalité eucharistique sans restriction entre membres du Christ reste une écharde dans la chair et un contre témoignage de l'Evangile. Elle fait mal à chaque fois que nous sommes ensemble pour prier, servir, partager et que nous ne pouvons pas célébrer ensemble le mystère du Christ.

Plus la communion fraternelle, plus le témoignage et le service communs s’intensifient entre nos églises, plus le désir de communier ensemble au pain sanctifié et au vin vivifié  se fait ardent.

 

Durant la semaine de prière pour l’unité des chrétiens, nous réentendons la vocation du Christ, qui s’adresse à tous les chrétiens : " Que tous soient un". Cet appel pressant du Sauveur est plus grand que tout et ne devrait jamais nous laisser tranquilles.

La réflexion théologique et pastorale ouvre la voie.

 

Une réflexion théologique:

 

Nous avons entendu les arguments de chaque Eglise et nous savons qu'en suivant les directives nous sommes à l'abri d'errements qui nous mettent en danger, d'une part, d'un certain relativisme qui inévitablement affadit et tiédit la foi, d'autre part d'un sentimentalisme peu éclairé.

Toutefois, il ne convient pas que ces directives nous écartent de la recherche de la vérité qui est la personne même du Logos incarné.

 

Les communautés se séparent en deux groupes:

celles qui pensent que l'eucharistie est le couronnement et la fin de l'expression commune de la foi et de l'accord des théologies,

celles qui voient l'Eucharistie comme le moyen de l'unité pour ouvrir les cœurs au pluralisme de l'expression de la foi. La personne même du Christ semble absente de la réflexion.

Pour les premiers chrétiens, le terme "communion koinonia" indiquait la fraternité vécue dans la communauté. On lit dans les Actes des apôtres qu’ils "persévéraient dans  l’enseignement des apôtres et la communion fraternelle, la fraction du pain et les prières".  -2,42-.

Koinonia signifie en premier lieu le partage de ce qui commun, pour les grecs anciens ce fut d'abord le sang qui soude la nation, puis un peu plus tard, la culture partagée et aussi la relation charnelle de l'époux et l'épouse. Pour nos pères dans la foi, koinonia est l'union des cœurs à l'intérieur de l'Eglise qui se concrétise par le partage des biens spirituels et matériels et en premier lieu la coupe eucharistique, l'union mystique du fidèle avec le Christ dans l'eucharistie. "Puisqu’il y a un seul pain, nous sommes tous un seul corps, car tous nous participons à cet unique pain" -1 Co, 10, 16- Employé sans caractérisation explicite, le mot "corps" désigne ici l’unité organique des "nombreux" qui "ont part" au même pain eucharistique. Faut-il comprendre que du point de vue de Paul, le partage du pain crée en lui-même une unité?

Il semble que saint Cyrille d'Alexandrie ait répondu par l'affirmative:

 

" Pour que nous tendions vers l'unité avec Dieu et entre nous, et que nous soyons mêlés ensemble, bien que nous formions tous des individus distincts quant aux âmes et aux corps, le Fils unique a disposé un moyen qu'il découvrit par sa propre sagesse et par le conseil du Père. En effet, en sanctifiant les croyants en soi dans un seul Corps, le sien, par la communion mystique, il les a rendus concorporels avec lui et entre eux. Qui en effet séparera et écartera de cette union physique ceux qui sont attachés au Christ jusqu'à être un avec lui par ce saint Corps unique? Car si tous, nous participons à un pain unique, nous formons un Corps unique. Le Christ en effet ne peut pas être divisé. C'est pourquoi l'Eglise est elle aussi appelée le Corps du Christ, et nous ses membres, selon la pensée de Paul -1Cor. 12, 27- L'Esprit est un et indivisé, lui qui rassemble par lui-même les esprits de chacun, malgré leur distinction selon l'existence individuelle, et il les fait apparaître tous comme ne formant qu'un seul être en lui-même <> Aussi Paul déclare-t-il: "Supportez-vous les uns les autres avec charité, appliquez-vous à conserver l'unité que donne l'Esprit par ce lien qu'est la paix. Il n'y a qu'un Corps et qu'un Esprit, un seul Dieu et Père de tous, qui est au-dessus de tous, agit par tous et est en tous -Ephès. 4, 2-6- . In Joan., 11, 11: PG 74, 560 A - 561 B).

 

Baptême et ministère

Les exceptions aux règles de restrictions de la communion sont justifiées par deux constatations: la reconnaissance commune de la réalité du baptême chez tous les chrétiens "plongés dans le Nom du Père, du Fils, du Saint Esprit", et le rôle du ministre dans l'administration de l'Eucharistie et des autres sacrements.

 

Le baptême nous fait participants au "corps vrai du Christ" (Augustin et d'autres employaient l'expression "Corps vrai" pour désigner le corps ecclésial un avec celui du Christ, et "corps mystique" pour les dons consacrés dans l'Eucharistie).

 

Le baptême, dans l'Eglise orthodoxe, suivi de l'onction de l'Esprit, conduit immédiatement à l'Eucharistie. Les Eglises orthodoxes n’ont jamais associé la communion eucharistique à la compréhension des dogmes de la théologie, mais à la certitude de participer aux mystères de l’Eglise. C’est la raison pour laquelle dans la tradition orientale l’enfant peut communier dès qu’il a reçu le baptême et le sacrement de la chrismation.

Aussi l’argument qui consiste à poser la communion eucharistique comme l’achèvement de la compréhension intellectuelle des mystères de la foi est-il insensé pour la tradition de l’Eglise bien appréciée.

 

C’est pourquoi la reconnaissance mutuelle du baptême, peut conduire à la reconnaissance des mystères de la foi, et autorise l’hospitalité eucharistique.

Il faut bien prendre garde toutefois à l'automatisme de la chose. Celui qui s'approche de l'autel, comme le ministre qui distribue, doit exercer le discernement pour ne pas communier indignement, selon l'expression de Paul. Le minimum nécessaire est de reconnaître sa propre foi  eucharistique dans la foi de la communauté célébrante et de s'approcher avec crainte de Dieu et amour.

 

"Pour la théologie orthodoxe la participation à la vie eucharistique n’est pas un bien dont elle peut disposer ni une expérience individualiste. Il s’agit à la fois d’un commandement et d’un don de Dieu qui appelle à une responsabilité et donc à un jugement, nécessairement personnel".  (Antoine Arjakovsky, directeur de l’Institut d’Etudes Oecuméniques, L’inter-communion entre chrétiens catholiques, protestants et orthodoxes au corps et au sang du Christ est possible, Lviv, Ukraine, 2012)

 

Le ministre président l'Eucharistie n'est pas le consécrateur:

                                                

 

Saint Jean Chrysostome disait que le prêtre prête sa voix, ses mains, au Christ, et que c'est lui, le grand-prêtre des choses à venir qui par la venue de l'Esprit Saint, accomplit le Mystère. Le prêtre est le dispensateur des mystères, mais c'est le Christ "qui offre et qui est offert, donne et distribue". (anaphore de saint Athanase)

Le prêtre doit donc s'effacer devant le Christ et considérer que son rôle de serviteur ne l'autorise pas à se considérer propriétaire des sacrements, il doit toujours avoir devant lui la conscience qu'il représente le Sauveur, qui reçoit celui qui vient à lui. Il est toutefois responsable de son ministère devant Dieu et l'Eglise. La monition de l'évêque au nouveau prêtre copte orthodoxe met en garde:

 

"Mon fils, fais très attention  à toi-même, garde ce sacrement comme les chérubins gardent l'arbre de vie. Fais attention afin que tu sois sauvé de tous maux; ne le donne qu'à celui de bonne volonté, de bonne réputation, de bonne âme. Remets au Christ celui qui est de mauvaise conduite pour l'empêcher de se perdre car tu serais responsable pour une telle action. Attention à la négligence pour éviter le mal. Car le monde entier ne vaut pas le poids d'une toute petite parcelle de ce Mystère. Quand tu donnes ce sacrement, fais le avec  préparation, avec ordre et silence, avec précaution, avec soin et surveillance".

 

Il s'agit ici des bonnes dispositions de celui qui s'approche et non des connaissances intellectuelles, opinions philosophiques ou politiques. J'ajouterai ni de sa carte d'identité ecclésiale.  "Ne jugeons personne ou n'écartons personne du droit à la communion pour divergence de sentiment" (saint Cyprien de Carthage  Sent. Episcop. cité dans Saint Augustin, De Baptismo,VI, 7, 10 ; coll. Bibl. August., 29, pp. 416-418).

 

Je terminerai en laissant la parole à un moine du désert de notre Eglise, le père Matta el Maskhîn:

"Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croient en moi: que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'ils soient un en nous eux aussi (...), moi en eux et toi en moi, pour qu'ils soient parfaitement un (...) que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux" Jean 17,20-21.23.26-. 

Soyons bien attentifs à saisir la profondeur de cette prière: le Christ ne demande pas pour nous l'unité selon la lettre, mais selon l'Esprit, non l'unité de la pensée intellectuelle, mais l'unité d'amour. Le Christ dans cette prière ne s'arrête pas à notre unité dans la compréhension que nous avons de lui, mais il va droit à notre unité en lui. Cela ne nous sera pas donné par notre seule réunion en sa présence sous forme d'une commission de conciliation au niveau intellectuel, mais cela se réalisera uniquement par cette prière: "Que soit en eux l'amour dont tu m'as aimé et que je sois en eux".Le Christ a formulé ainsi sa prière: "Je ne prie pas seulement pour eux, je prie aussi pour ceux qui grâce à leur parole croient en moi: Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient un en nous, eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé"-Jn 17,20-21-.

Le Christ demande cette unité pour nous "tous", pour chaque personne, pour chaque Église et pour quiconque accepte de se situer dans le rayonnement de cette prière du Christ pour obéir à son appel et répondre à ce grand commandement. C'est une unité mystique au plus haut niveau.

Le Christ présente son union dynamique avec le Père et celle du Père avec lui comme le modèle et la pierre de touche de l'unité qu'il demande pour nous, avec lui et les uns avec les autres. Considérant que cette unité dépasse nos capacités et notre entendement, c'est au Père lui-même qu'il la demande et - avec quelle insistance! - par son sang, il ne cesse d'intercéder pour elle". http://coptica.free.fr/unite_veritable__784.htm source d'inspiration pour le monde. 

 

Le père Matta dit encore:

"Si les fidèles dans l'Eglise ne parviennent pas à l'unité de cœur et d'esprit par la communion au Corps unique, s'ils ne parviennent pas à l'amour unifiant que dispense la personne du Christ qui règne sur tout, les sacrements ne représentent plus que des rites formels et c'est cela qui prépare la discorde intellectuelle et dogmatique. Le formalisme sacramentel ou dogmatique est incompatible avec la réalité du Corps unique et qui contient tout, qui donne la vie à tous ceux qui s'en nourrissent et les fait devenir «un» en lui. Dans l'Eglise, le Corps du Christ est source de vie et d'unification. Il est vivant et vivifiant, il est capable de faire tomber toutes sortes de barrières créées par le temps et l'espace, par l'intellect et les instincts de l'homme.  <> Le corps mystique du Christ est dans l'Eglise source de la puissance qui la rend capable de tout rassembler et unir dans sa propre nature catholique et unique.

http://coptica.free.fr/un_seul_christ__une_seule_eglise_791.htm

 

L'Esprit rend libre

 

Me voici au terme de cet exposé: la question de l'eucharistie partagée est sérieuse, remplie de périls, elle doit être envisagée avec respect des opinions, celles généreuses, celles plus réservées, mais toujours avec fidélité à la Parole de Dieu, et aussi le souci de ne pas scandaliser les faibles.

 

Prenons garde à l'esprit de supériorité en s'affranchissant trop facilement de la discipline posée par les autorités.

 

Toutefois si les arguments des scolastiques sont justes, la théologie exacte, souvent l'impression dominante est que l'icône de l'Eglise est supplantée par une image étriquée de clochers rivaux au détriment de la Parole du Seigneur: "Prenez, mangez, prenez, buvez en tous". 

 

En matière d'hospitalité eucharistique, je soutiens, non une intercommunion ouverte à tous vents, mais l'exercice d'une responsabilité personnelle dans le discernement du Christ présent pour nous sur la Table de communion et la réponse libre, en conscience, à son invitation.

"La Parole du Seigneur est Vérité".1Rois 17,24

 

-excursus- La délicate question des ministères

 

Les Eglises d'Orient orthodoxes, unies en cela à l’Eglise catholique romaine, croient à la nécessité du Sacrement de l’Ordre pour la célébration de l’Eucharistie: l’Eucharistie a absolument besoin d’un prêtre ordonné qui la préside.

Dans le symbole de la foi de Nicée, l’Église confesse qu’elle est apostolique. L’Église vit dans la continuité avec les apôtres et leur proclamation. C’est le même Seigneur qui a envoyé les apôtres en mission et qui continue à être présent dans l’Église et qui agit dans les ministères.

Pour que l'hospitalité eucharistique soit possible, il faut posséder la même réalité spirituelle.

 

Il est évident que le problème le plus aigu est la pratique des Eglises de la Réforme. 

Ces derniers temps, une convergence s'est établie dans l’interprétation de la cène: les dialogues œcuméniques ont abouti à un ample consensus dans les sujets traditionnellement controversés. C’est pourquoi les différences persistantes aujourd’hui ne sont pas un obstacle insurmontable à la reconnaissance de la cène protestante excepté pour les communautés anabaptistes partageant l'opinion de  Zwingli qui ne voient dans l’eucharistie qu’un geste évocateur vide de réalité. 

 

Il est possible de trouver un chemin de conciliation. Il faut entendre ce que disent vraiment les Réformés, et pour les catholiques-orthodoxes reconnaître que l'Esprit Saint agit aussi au-delà des formes convenues. Les Eglises de la réforme s'attacheront aussi à discerner ce qui appartient à une histoire conflictuelle passée et chercher et exprimer dans leur langage la tradition de toujours sans vouloir absolument faire preuve l'originalité.

 

Le ministère apostolique: Même si la conception de l’ordination est différente (Calvin ne dédaignait pas l'appeler sacrement) Mélanchthon posant la confession de Luther expliquait: "Seul un pasteur appelé par l’Eglise et consacré par elle peut présider légitimement la sainte cène. -Confession d’Augsbourg 14,20.- La Confession helvétique postérieure fait une nette distinction entre le sacerdoce universel et le ministère de la Parole et des sacrements, auxquels sont seulement appelés les pasteurs " par élection ecclésiastique et légitime " -Chap. 28- : " Ce sont choses grandement diverses et différentes, que la prêtrise et le ministère. Car la prêtrise -le sacerdoce universel- est commune à tous les chrétiens, mais non pas le ministère ".

 

La succession apostolique: Les protestants la comprennent d’abord comme une fidélité à la foi des apôtres. Les ministres sont dans la continuité des apôtres lorsqu’ils confessent leur foi. Pour Calvin les apôtres ont des successeurs et ceux-ci sont les pasteurs. Leur ministère est semblable à celui des apôtres et ils ont les mêmes devoirs à remplir qu’avaient autrefois les évêques de l’Eglise des premiers siècles. "Voilà une loi inviolable qui est imposée à tous ceux qui se disent successeurs des apôtres : c’est de prêcher l’Evangile et administrer les sacrements.  Finalement ce que les apôtres ont fait par tout le monde, chaque pasteur est tenu de le faire en son Eglise, à laquelle il est député". Institution de la religion chrétienne (1559) IV, 3,6]

 

Les Eglises "apostoliques" devront se persuader avec saint Cyprien de Carthage (†258) que "le Saint-Esprit est libre de ses dons et peut les communiquer sans passer par les voies normales du Salut, là où il trouve des cœurs bien disposés".

 

Ne posons pas la question en termes de "validité" qui préjuge de l'action de Dieu, mais d'envisageable "reconnaissance ecclésiale" au-delà des formes admises dans un contexte sociologique et culturel.

 .

Ici toutefois, prenons garde au relativisme religieux, toutes observances ne se valent pas: L'orthodoxie ne se fragmente pas, elle sait pourtant reconnaître ce qui est sien.

 

+ E-P                  assemblée œcuménique du Lodévois-Clermontais,  janvier 2013 

 

Lettres aux amis du sanctuaire du prophète Elie, N°291-293, février- avril 2013

hospitalité eucharistique