Matta el Maskîne

 

                                                         L'Unité véritable,

          source d'inspiration pour le monde

 

 

 

 

 

 

 présentation

 

Nous présentons ici un texte relativement ancien du Père Matta et Maskine, higoumène du monastère de saint Macaire, publié dans la revue du monastère.

 

Les réflexions du père Matta risquent de choquer les habitudes des théologiens orthodoxes crispés sur l'axiome: "pas de communion au Calice, sans communion sur l'expression de la foi".

 

Le père Matta ne peut être accusé de laxisme théologique; il défend les définitions doctrinales de notre Eglise copte-orthodoxe par l'argumentation suivante: " que le Christ lui même s'est pour ainsi dire naturalisé dans chaque nation en assumant son caractère et ses traits particuliers, et en lui donnant en retour sa propre vie."

 

L'expression de la foi comme les usages liturgiques, sont certainement  dépendants des cultures.

 

L'opinion mérite une réflexion. Père Matta préconise " de commencer par vivre ensemble l'essence de la foi unique sans attendre de se mettre d'accord sur l'expression de son contenu."

Mettre en avant le primat de l'unité d'amour en Christ selon l'Esprit sur l'unité de la pensée intellectuelle

 

"L'accord de rapprochement fraternel et de coopération pastorale entre les deux églises du patriarcat d'Antioche", (S O P n° 163, décembre 1991) l'orthodoxe byzantine et l'église orthodoxe syrienne orientale, diffusé le 12 novembre 1991, n'excluant pas la communion eucharistique, confirme la valeur spirituelle des réflexions du père Matta et Maskîne.

 

Il faut préciser que le texte présenté vise en premier lieu l'union des églises orthodoxes et des églises orientales non chalcédoniennes.

 

Cette union sera avec la grâce de Dieu, le prélude à l'unité dans l'unique Esprit dans l'unique Pain et l'unique Calice, de tous les disciples de l'unique Christ, un avec le Père et L'Esprit de Vie.

 

                                                  E-P  

 

            

 

1.1 PAS DE CHANGEMENT DANS LA DOCTRINE DE LA FOI

 

Dans l'Église la doctrine de la foi signifie son existence même. C'est parce qu'a existé une doctrine copte orthodoxe de la foi que l'Église copte orthodoxe a existé. Parce que telle quelle cette doctrine continue d'exister, telle quelle aussi l'Église copte continue d'exister. La doctrine ne se réduit pas, en effet, à de simples articles de foi, à des énoncés ou à des canons, mais elle est avant tout un culte spirituel, une foi vivante avec ses marques et caractéristiques propres. Ce sont ces dernières qui confèrent à chaque doctrine son caractère. En s'y attachant, la doctrine continue. à vivre et à durer,  autre­ment elle change d'aspect et même de nom; elle peut même disparaître.   

 

1.2 LA TRADITION

 

La continuité à travers les siècles des caractéristiques pro­pres de la doctrine de la foi n'a pas été due tellement à la mémorisation intellectuelle, à la transmission écrite ou au plaidoyer apologétique; mais ce fut avant tout une question d'amour et d'attachement à cette doctrine, de pratique vivante et d'efforts pour la méditer, l'expliciter, la définir et découvrir les profondeurs de vérité qui s'y trouvent cachées.

 

Tout cela a constitué un précieux et vivant héritage transmis d'une généra­tion à l'autre par la tradition vivante accompagnée bientôt par les écrits. C'est ainsi que l'Église s'est perpétuée et qu'avec elle s'est conservée sa doctrine.

Au cours des siècles le contenu de la doctrine a été progressivement mis par écrit avec tout ce qui s'y rapporte en fait de commentaires, de précisions et de défini­tions, au point que l'histoire de chaque Église se confond avec celle de sa doctrine.

L'histoire de ses chefs religieux et de ses principaux docteurs est, en fait, l'histoire de leur attachement à sa doctrine ou, au contraire, de leur laxisme à son égard.

Ainsi la doctrine est-elle devenue pour l'Église un cadre structurant sur lequel on ne saurait faire de concessions et dont on ne saurait s'écarter, car il représente, comme nous l'avons dit, l'être même de l'Église. Il exprime son existence même à tra­vers l'histoire, son amour et sa spiritualité.

 

1.3  LE CHRIST EST UN

 

C'est ainsi que le christianisme - ou plutôt le Christ lui-­même - s'est pour ainsi dire naturalisé dans chaque nation en assumant son caractère et ses traits particuliers, et en lui don­nant en retour sa propre vie.

En Afrique le Christ apparaît comme noir, dans les pays nordiques comme blond avec un teint clair, aux Indes il semble brun et chez les Esquimaux il apparaît de taille très petite. Mais en tout ceci c'est toujours le même et unique Christ, le Christ du Golgotha, du tombeau et de la Résurrection, le Christ du monde entier.

 

Par conséquent, il est inutile que les Églises dans leur quête ardente de l'unité chrétienne essayent de changer les définitions doctrinales d'aucune d'entre elles, que ce soit par des ajouts ou par des suppressions. Autrement nous serions comme qui vou­drait écorcher la peau de l'Africain ou teindre celle de l'Euro­péen, ou comme qui voudrait supprimer l'identité de l'homme pour susciter un Christ sans homme.

 

1.4 L'UNITE CHRETIENNE

 

Cela veut-il dire que nous nous désintéressons de l'unité chrétienne?

Pas du tout. L'unité chrétienne est la plus impor­tante des exigences de la foi. Elle pénètre au plus profond de notre être et fait vibrer notre coeur et notre sensibilité. Nous recherchons l'unité avec larmes parce que nous recherchons le Christ, nous voulons la vivre "en esprit et en vérité" - Jean 4,23- car nous voulons goûter le Christ, vivre de son amour et jouir du mystère de son unité avec le Père. C'est cette unité qui est l'essence de l'amour divin; le Christ lui-même nous encou­rage à la demander et il l'inculque en nous: "Je ne prie pas pour eux seulement, mais pour ceux-là aussi qui, grâce à leur parole, croient en moi: que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et moi en toi, qu'ils soient un en nous eux aussi (...), moi en eux et toi en moi, pour qu'ils soient parfaitement un (...) que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux" Jean 17,20-21.23.26-.

 

Soyons bien attentifs à saisir la profondeur de cette prière: le Christ ne demande pas pour nous l'unité selon la lettre, mais selon l'Esprit, non l'unité de la pensée intellectuelle, mais l'unité d'amour.

Le Christ dans cette prière ne s'arrête pas à notre unité dans la compréhension que nous avons de lui, mais il va droit à notre unité en lui. Cela ne nous sera pas donné par notre seule réunion en sa présence sous forme d'une commission de conciliation au niveau intellectuel, mais cela se réalisera uniquement par cette prière: "Que soit en eux l'amour dont tu m'as aimé et que je sois en eux".

 

Cela signifie-t-il qu'il faut cesser les réunions de prière et les sessions d'études et de dialogue où l'on échange des idées et où l'on s'efforce de rapprocher les points de vue? Loin de là.

Mais le problème grave que nous posons est celui-ci: par lequel des deux commencer? Par la lettre ou par l'Esprit? Par les défini­tions ou par la vie? Par l'énoncé de la foi et de la doctrine ou par leur fonds?

Sachons bien, toutefois, que si nous commen­çons par la lettre, nous ferons mourir l'Esprit et les réunions se termineront en discussions de mots et de formules. Si nous commençons par les définitions, il nous semblera de ce point de vue que nous avons toujours indubitablement raison, tandis que les autres sont indubitablement dans l'erreur. Autour de cela on tournera et tournera encore jusqu'à ce `que le temps nous échappe et avec lui la vie. Si nous commençons par l'énoncé du dogme, nous n'arriverons jamais à en saisir la substance.

 

Quant à l'Esprit, c'est lui qui a établi la lettre. Lui seul peut la parfaire et la rendre vivante.

 

C'est la vie en Christ qui est première et qui s'est coulée dans des schèmes de pensée pour donner naissance aux règles de la foi. La vie en Christ est seule à pouvoir débloquer la rigidité du dogme pour qu'il puisse s'ou­vrir à un surplus de vie, de croissance et d'ampleur. Quant à l'essence même de la doctrine, c'est le Christ lui-même qu'au­cune formulation ne peut circonscrire.

 

 

 

 

II. COMMENT SORTIR DE L'IMPASSE DE LA DIVISION

 

Il est donc nécessaire de commencer le dialogue doctrinal par l'esprit et non par la lettre, en accueillant la vie dans le seul Christ, avant d'unifier les articles du Credo aux formes et aux aspects divers. Il est nécessaire de commencer par vivre en­semble l'essence de la foi unique sans attendre de se mettre d'accord sur l'expression de son contenu.

L'essence de la foi, qui est le Christ lui-même, est fondée sur l'amour, le don de soi, le sacrifice et l'abnégation totale jusqu'à prendre la forme de l'esclave -Phil. 2,7-. Ainsi, ce dialogue cordial de chacun avec sa propre conscience aboutit à un résultat étonnant mais authentique, car il vient du Christ lui-même. Il se déploie en trois étapes:

 

2.1   UNE SEULE FOI, DES EXPRESSIONS DIVERSES

 

A. Que les Églises déclarent simultanément la levée réci­proque des anathèmes, car cet état d'excommunication est contraire à la volonté de l'Esprit Saint. Il s'est produit en rai­son de l'ignorance réciproque de chaque Église à l'égard de la spiritualité et de la bonne foi de l'autre, et par attachement à la lettre et non à l'esprit. Cet état d'excommunication réci­proque est la cause principale qui a entravé toutes les tentati­ves d'union dans les réunions et les rencontres tenues jusqu'à présent. Comment se mettre d'accord sur une formule de réconciliation et d'union tant que chaque Église est excommu­niée par l'autre?

 

B. La reconnaissance réciproque et simultanée entre Chalcédoniens et Non-Chalcédoniens de leurs doctrines respectives en se fondant sur l'essence et non sur la forme, sur le mystère du Salut et de la vie éternelle offerts par Jésus-Christ dans cha­cune des deux doctrines. C'est lui qui oeuvre également dans l'une et dans l'autre en dépit des différences d'expressions.

 

C. Entreprendre le dialogue sur les expressions du contenu en dissipant les malentendus par un supplément d'explication et non par suppression ni par addition à l'énoncé de la doc­trine transmise par la tradition de chacune des deux Églises. On parviendra ainsi à une formule de réconciliation qui corres­ponde à l'unité d'esprit et de communion, sans rien changer à tout ce qui a trait à l'histoire du dogme, aux écrits et aux conciles qui s'y rapportent.

En d'autres termes, qu'il y ait entre les partenaires ortho­doxes une reconnaissance mutuelle et simultanée de l'authenti­cité de leurs doctrines respectives en accueillant le Christ lui­-même dans notre communion par la participation à la coupe unique.

La base n'en sera pas la lettre de la doctrine, mais bien le Christ lui-même, vivant dans le coeur de chaque Église, et l'Esprit Saint qui agit en chacune d'elle et lui procure le Salut.

 Ce n'est qu'après cela qu'on commencera à dialoguer sur les formules et les articles de foi, sans rien changer à l'héritage de chaque Église, à sa tradition spirituelle, à ses schèmes théologi­ques et à tous les écrits et tous les conciles qui s'y rapportent.

 

2.2 UNITE

 

À ce stade, tandis que nous sommes unis spirituellement dans l'amour de Dieu et la communion de l'Esprit saint, en présence du Christ unique, celui-ci nous obligera à l'unité de pensée, de parole et d'expression ou plutôt il nous inspirera cette unité, sans que pour autant aucune des deux Églises ne perde les propriétés et les caractéristiques de sa théologie, qui sont, d'ailleurs, les propriétés mêmes du Christ unique vivant en chacune d'elles, ou encore - pour reprendre l'image déjà utilisée - on retrouvera la communion spirituelle dans la foi unique sans exiger des Noirs qu'ils arrachent leur peau et sans obliger les Blancs à se teindre le visage. Depuis que le Christ est entré dans le monde, il a adopté comme patrie le midi tout autant que le nord; il a pris la ressemblance de tous: "Mon bien-aimé est blanc et vermeil" -Cant. 5,10-; "Je suis noire mais belle" -Cant. 1,5.-

 

 

 

 

2.3 L’ÉGLISE FACE AU MONDE

 

Lorsqu’elle fait face au monde, l’Église ne s’arrête aucune frontière, car le monde entier est un champ ouvert son activité spirituelle. Elle y affronte, dans leurs divergences toutes les idéologies, tant positives que négatives, les situations, les politiques et les gouvernements. "Allez dans monde entier" Marc 16,15 ~ «, « vers toutes les nations  ~, en d’autres termes: vers tout homme. C’est l’homme en tant que tel, dépendamment de son idéologie et de son comportement qui fait l’objet de la préoccupation de l’Église.

 

L’activité de l’Église dans le monde est sa vie en Christ,  sa joie en lui et l’expérience qu’elle a de lui, manifestée  d’abord à travers une vie de sainteté qui soit une règle exemplaire de conduite; et présentée ensuite dans une parole inspirée pleine  d'affection sincère, avec une attitude de bienveillance et de consolation en vue de ramener les coeurs des fils vers leurs pères et ceux des pères vers leurs fils –Malachie 3,24 & Luc 1,17- pour entraîner la pensée et le coeur de l’homme vers la vie meilleure.

 

Le Christ n’est pas venu pour une Église déterminée, dans sa condition limitée et une structure donnée, sous une dénomination particulière ou dans un milieu précis, ni pour un peuple particulier avec une culture et un héritage particuliers, comme autrefois il était engagé auprès de la Tente de réunion et du Temple. Bien plutôt le Père a envoyé le Christ au monde qu’il aimait, à l’ensemble de la création, qui est devenue son temple sans frontières : parce que le temple de Dieu est saint, et ce temple, vous l’êtes- 1 Corinthiens 3,17

 

Jamais il n’est arrivé que le monde, dans son aliénation de Dieu, soit aussi affamé de vérité, de justice, de paix et d’amour que de nos jours, au point de s’être fait esclave de toute forme de pensée et de tendances.

Dans l’Église se trouve le Pain de Vie pour le monde; elle est la Bethléem (la Maison du Pain) pour toutes les nations. Le Christ lui a confié le panier contenant les sept pains où subsiste encore le mystère capable de rassasier une foule de cinq ou de sept milliers ou millions. Or cette faim n’est pas une faim de pain mais de la Parole de Vérité, d’amour et de vie. Et si seulement les gens ressentaient une faim sincère de Dieu comme par les temps anciens ou comme il y a encore cinquante ou cent ans! Mais c’est une faim rebelle: bien que dans un besoin extrême de Dieu, l’âme s’en est détournée par répulsion, pour bien des raisons dont la plus importante était et demeure la négligence de l’Église, la médiocrité de sa pâture et l’ignorance de ses bergers. Et c’est ainsi que de nos jours s’accomplit la parabole du Christ à propos des brebis qui fuient le mercenaire de telle sorte que ce soit le loup qui les guide. Si le Pain de Vie n’a pas été pétri avec la sueur de la piété et cuit au feu des épreuves et d’une expérience accomplie, il devient repoussant pour les âmes.

 

2.4 L'Eglise lumière du monde:

 

Dans les temps anciens, il y avait dans le temple un chandelier à sept branches (la Menorah) qui signifiait la présence de Dieu au milieu du peuple, pour illuminer leur esprit au milieu de l’ignorance du monde païen de cette époque.

A notre époque, c’est l’Église qui est cette même lumière capable de dissiper les ténèbres de l’ignorance humaine â travers le monde, cette lumière que Dieu a placée dans le monde pour éclairer, devant tout homme, le chemin qui mène à la vie et l’immortalité. Aucunes ténèbres, quelle que soit la tyrannie qu’elles exercent sur un individu, un groupe, un peuple ou un état, ne peuvent résister à cette lumière si ce n’est dans la mesure où l’Église elle-même défaille et se détourne de sa propre lumière pour habiter dans l’ombre.

 

Les ténèbres sont maintenant aux prises avec la lumière, et la lumière recule désemparée.

 

La lampe de Dieu risque de s’éteindre dans la main de celui qui prêche et qui enseigne. Car maintenant, la lumière de l’Église ne tire plus son huile du réservoir de la piété et de la grâce déversées sur le coeur de celui qui témoigne de la Parole, de telle sorte que celle-ci jaillisse comme de la bouche de Dieu "de la part de Dieu, devant Dieu, nous parlons dans le Christ" -2Corinthiens 2,17- Une telle parole disperse les pensées des coeurs abusés et assaillis par l’excès d’intellectualisme et de technicité qui a altéré la simplicité de la vie en Christ selon l’Esprit. Une parole bien étudiée ne suffit plus à toucher le coeur des hommes. Ceux-ci ont désormais un besoin urgent d’une démonstration d’Esprit et de puissance1 Corinthiens 2,4- par laquelle celui qui prêche leur présenterait la personne du Christ vivant - - le Christ crucifié et rédempteur capable de remplir, de toutes les joies de l’Esprit, le vide du coeur, de la pensée et de l’âme, en sorte que toute âme puisse goûter et être rassasiée de l’intimité avec le Père dans la plénitude de l’Esprit Saint et la sainteté du Christ.

 

Or, d’après le livre de l’Apocalypse, il n’appartient pas à tout homme de dire aux autres: "Venez" mais bien plutôt: "Que celui qui entend dise: “Viens” –Apoc. 22,17- Celui qui prêche n’a pas à s’annoncer lui-même, sinon la parole mourra dans sa bouche. ~‘ Car ce que nous vous annonçons, ce n’est pas nous- mêmes, mais Jésus Christ Seigneur; quant à nous, nous sommes vos esclaves, à cause de Jésus – 2 Corint.4,5-  

Quand l’Église se placera-t-elle comme esclave dans sa relation au peuple?

Un esclave et non pas un serviteur. Car un serviteur a des droits et des gages, mais un esclave a des devoirs et n’a aucun droit. Il sert fidèlement, sans attendre de recevoir des gages pour son service ou sa fidélité, Il lui suffit de demeurer heureux dans la maison de son maître, toujours prêt à se dessaisir de sa vie pour son maître et les enfants de son maître. C’est ainsi que l’Église s’est levée et continue à se tenir debout sur la base d’une disponibilité au martyre et non en se contentant de simples paroles: "Pour toi nous sommes mis à mort tout le jour".  –Romains 8,36-.

 

Dans l’Écriture et dans la pensée du Christ, l’Église est l’Épouse. Si l’Épouse dédaigne sa pureté, ne se sanctifie pas elle-même - elle qui est représentée en tous ceux qui portent son nom et son habit,  - de qui donc alors pourra-t-on attendre qu’il aime passionnément la pureté, qu’il ait la force de vivre dans la sainteté ou qu’il vienne à l’Époux? Pourrait-on alors blâmer ceux qui sont entrés et repartis déçus?

 

Au livre de l’Apocalypse, l’Église est, à l’instar de son maître, une source d’eau vive à cause de l’Esprit qui est en elle: L’Esprit et l’Épouse disent : “Viens. Et que celui qui entend dise: “Viens.  Que celui qui a soif vienne et que celui qui le veut prenne de l’eau de la vie gratuitement. –Apoc 22,17- ‘~. Si, dans l’Église, la source de l’Esprit d’amour et de piété tarit, que proclamerait-elle donc alors? Et si l’Eglise proclame, qui entendra? Qui viendra? Qui boira? Et ceux qui ont soif de justice où iront- ils? S’ils se détournent et recherchent consolation et bonheur aux sources du diable, qui pourrait alors les blâmer? Et qui serait à blâmer sinon l’Église? Le monde est rempli de connaissances, de sciences et d’idéologies sans nombre, mais une est la source confiée par Dieu à l’Église, qui jaillit en vie éternelle.

 

Dans les paraboles du Christ sur le Royaume, pleines de significations qui s’étendent à travers les âges, l’Église est la perle sans prix que le marchand avisé a trouvée et qu’il a achetée en vendant tout ce qu’il avait. Elle devint pour lui source de richesses qui demeurent au-delà de la fin des temps, car dans le livre de l’Apocalypse, la perle est la porte qui ouvre sur la Jérusalem céleste. –Apoc 21,21-

Dans l’enseignement du Christ, il apparaît qu’il est lui-même cette porte ouvrant sur la vie éternelle. -Jean 10,7.-

 

Mais si la pensée de l’Église se détourne de la simplicité en Christ, comme Eve a été séduite par l’astuce du serpent ~, et si l’Église incline son coeur vers la gloire de ce siècle, si elle a tendance à s’appuyer sur les richesses, la puissance et les multiples affaires de ce siècle et à rechercher avidement le pouvoir, sera-t-elle encore une perle? Y aura-t-il encore la capacité de connaître le chemin qui mène à la porte ou de connaître le mot de passe? Et si l’on découvre cette incapacité et que chacun suive son propre chemin, si les points de vue et les opinions se multiplient et que les aberrations abondent, qui donc pourrait blâmer et qui serait à blâmer?

Qui pourrait corriger les idées? Car une idée ne peut être corrigée par une autre, mais uniquement par une vie bâtie sur une pensée correcte. L’Évangile, les versets des Écritures, les sermons sont des expressions de la piété, mais, comme toute piété, sans le mystère de la présence du Christ ils deviennent une source de profit -1Thimothée 6,5-6- pour le moi et non pour le Christ.

 

Le Christ a confié à l’Église le mystère de son corps. Dès lors, ou bien l’Église est le Corps du Christ, "la plénitude de celui qui remplit tout en tout" –Eph 1,23-, ou bien elle devient vide et plus rien ne la remplit.

 

Le plus grand trait distinctif du Corps du Christ est que chaque jour il est encore susceptible de mort et de résurrection dans l’Église. "Pour toi nous sommes mis à mort tout le jour; nous sommes considérés comme des brebis pour l’abattoir" –Rom 8,36-  Et "si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivrons aussi avec lui" –Rom 6,8-  Dans cette mort et cette résurrection, les générations vivent et se suivent l’une après l’autre.

 

 L’Église qui évite et fuit la mort sur la croix, tant la mort à elle-même que la mort au monde, cette Église-là perd le charisme et la puissance de la résurrection, à savoir la victoire sur le monde. Finalement, en dépit d’elle- même, elle se range sous le pouvoir du monde et perd ainsi sa capacité de le juger.

 

La plus grande puissance cachée dans le corps du Christ, dans l’Eglise et en nous qui sommes "chair de sa chair et os de ses os" –Eph 5,30- est la puissance d’une mystérieuse attraction exercée par lui, à tous les niveaux. "Et moi, lorsque j’aurai été élevé de terre, j’attirerai à moi tous les hommes". -Jean 12,32-  Si l’Église désire être à ce niveau, elle doit être au service de ce divin mystère d’attraction déposé dans le corps du Christ qui lui a été confié. Cela veut dire qu’elle doit tout rassembler en Christ et être elle-même rassemblée en tous pour le Christ, au niveau de l’Évangile, des sacrements, de la Tradition et de l’histoire, pour être au service de toute condition humaine dans l’Église et de toute âme vivante en son sein.

 

A mesure que l’Église s’élève au-dessus du niveau de la terre et de la poussière, en son esprit, sa pensée et ses intentions, alors la puissance divine d’attraction est ravivée en elle. Alors elle élèvera, avec elle-même, tout homme, dans le mystère de la croix jusqu’à achever le mystère du corps ressuscité selon le dessein du Christ. Quant au Christ, il s’est élevé effectivement de terre, par la mort, la mort sur la croix.

Est-il donc possible que l’Église s’élève et exerce sa puissance d’attraction sans passer par cette même mort, qu’il s’agisse d’une mort volontaire, consciente et délibérée, ou d’une mort involontairement subie, dans la faiblesse, avec un total abandon à Celui entre les mains duquel se trouve  la mort et la vie? Car il a été crucifié en raison de sa faiblesse, mais il vit par la puissance de Dieu". -2Corint 13,4-Dans cette faiblesse et cette même mort, saint Paul a découvert le mystère de l’attraction: "Pour moi, vivre c’est le Christ et mourir est un gain" –Ph 1,21-   "C’est avec grand plaisir que je me vanterai surtout de mes faiblesses, pour que repose sur moi la puissance du Christ" -2 Corint 12,9- ~. C’est en effet par sa faiblesse que le Christ a fondé l’Église et non par sa force.

 

Si ce sont les mystères de l’attraction divine cachés dans le corps du Christ au milieu de l’Église qui constituent le fondement de l’existence de l’Église et de sa vie, et si cette attraction n’opère pas autrement que par la faiblesse et la mort acceptées en vue de l’achèvement du corps du Christ que nous devons concevoir sans limite et sans dénomination, comment alors une Église pourrait-elle se résigner, accepter ou même se satisfaire de vivre séparée d’une autre Église portant ce même corps du Christ avec toutes ses blessures, ses souffrances, ses peines et sa mort en croix en vue d’être élevé pour attirer tous les hommes à lui ? Et qui donc seraient tous les hommes ?  Les Chalcédoniens ou les non-Chalcédoniens? Les Orientaux ou les Occidentaux? Les gens du Nord ou du Sud? Les blancs ou les noirs?

 

2.5 UN REGARD IRÉNIQUE SUR LE SCHISME ENTRE CHALCÉDONIENS ET N0N-CHALCÉDONIENS

 

Il a échappé à nombre de ceux qui analysent les situations politiques et internationales actuelles dans le monde chrétien, que ce soit au pur niveau des idéologies ou au niveau des conflits sanglants qui les accompagnent inévitablement entre pays, peuples, nations ou même citoyens d’une même patrie, il leur a échappé qu’une bonne part de la responsabilité de ces malheurs incombe à l’Église qui ne remplit plus son rôle fondamental: réconcilier le monde avec Dieu.

Elle n’y parvient plus en raison de sa faiblesse et de sa défaillance, non seulement au plan purement spirituel et dévotionnel qui, en soi, avait la puissance naguère de conférer aux saints dans l’Église une autorité assez forte pour en imposer à l’orgueil des hommes - et même des rois - et les soumettre aux vues de Dieu selon l’Évangile, de telle sorte que les nations vivent ensemble dans la crainte de Dieu et grandissent ensemble selon les intentions de Dieu pour le bien de l’homme: "Nous faisons toute pensée captive pour l’amener à obéir au Christ" -2 Corint 10,5-; mais outre ce plan purement spirituel, la faiblesse de l’Église atteint jusqu’aux profondeurs de la pensée théologique.

 

Le regard de piété envers la Bible a été ébranlé dans les écoles théologiques modernes, à tel point qu’au lieu de craindre Dieu, on en vient à craindre pour Dieu qu’il ne perde son honneur et jusqu’à son existence même, dans les programmes de ces écoles et dans le coeur de bon nombre de leurs théologiens. C’est ainsi que l’Église a perdu une partie de la dignité avec laquelle elle imposait naguère sa parole sur la terre. Cette dignité, elle la tirait de la puissance de la Vérité par le Saint Esprit, lui qui fonde l’unité entre la pensée, la parole et l’action; c’est ainsi qu’ont été ébranlées les fondations de l’Église qui était, aux yeux du monde, " colonne et fondement de la Vérité". -1Thim 3,15-

 

Cette discordance et cette division au plan des idées, que l’on ressent entre les Églises aujourd’hui ne sont que la répercussion à travers l’histoire de la grande brisure dont nous avons injustement hérité par suite des dissensions, des divisions et des disputes de Chalcédoine au Ve siècle et de ce qui s’ensuivit.

 

La question affligeante qui ne trouve pas de réponse est celle-ci : pourquoi des hommes éminents, forts et bien-aimés dans le Seigneur, se querellent-ils, pourquoi des frères dans l’Esprit se séparent-ils les uns des autres et tombent-ils dans l’inimitié? Mais alors, en qui Dieu mettrait-il son espoir de se réconcilier le monde2 Corint 5,19620-

 

Mais voici que surgit une autre question plus affligeante et plus douloureuse comment se fait-il que tous ceux-ci soient entrés, en ce temps-là, aux sessions de Chalcédoine avec la ferme espérance de parvenir à l’unité de foi, de pensée et d’expression, chacun ayant l’intention de purifier sa conscience de toute pensée qui déplaise à Dieu, comment se peut- il qu’ils en sortirent ensuite excommuniés, humiliés, frappés au visage, les dents cassées, pour commencer l’histoire du plus grand schisme qui ait eu lieu dans le monde chrétien tout entier? Ce schisme qui l’a affaibli et a miné sa force, laissant l’Orient immobilisé, proie facile pour tout maraudeur, tandis que l’Occident souffrait de ses plaies et se retrouvait incapable d’offrir son aide et de vivre la communion.

 

2.6 Des accords de foi et puis après?

 

Ce qui rend cette tragédie encore plus déplorable, douloureuse et déconcertante, c’est bien la conclusion à laquelle sont parvenus les plus honnêtes parmi les brillants théologiens orthodoxes dans leurs rencontres en vue de la réconciliation entre Chalcédoniens et non-Chalcédoniens aux conférences d’Aarhus (Danemark, août 1964), de Bristol (Angleterre, juillet 1967), de Genève (Suisse, août 1970) et d’Addis Abeba (Éthiopie, janvier 1971). Et ce qui est vraiment déplorable et déconcertant, c’est qu’ils ont découvert et reconnu d’un commun accord dans leurs propositions en vue de la réconciliation, que ce terrible schisme qui a duré 1500 ans et qui a infligé à l’ensemble du monde chrétien cet héritage de faiblesse, d’impuissance et de médiocrité, n’avait absolument aucune raison d’être!

De toute façon, ces conférences représentent le premier pas entrepris courageusement par les Églises, depuis le temps lointain de la séparation, pour sortir de cette division désespérée et de cet isolement tragique, vers une ébauche de l’idée de réconciliation. Ainsi, une lueur d’espoir a commencé à briller dans le ciel de l’Orient, annonçant que l’unité chrétienne est sur le point de recouvrer son influence spirituelle, en vue d’effacer du visage de l’Église les blessures de l’histoire, d’apaiser le coeur des saints qui ont quitté cette terre dans l’espérance de ce jour, de soutenir le coeur défaillant des générations actuelles épuisées par le repli sur soi, le déchirement et les vives souffrances de l’isolement et, finalement, en vue de réjouir le coeur de Dieu.

 

NDLR Lettre de saint Elie: Nous sommes encore en attente de la réception et de l'application par toutes les Eglises du document  "convergences de la foi" établi à Lima en 1982 par la commission Foi et constitution du Conseil œcuménique des Eglise".

Cette charte de communion, qui n'est pas un traité de théologie, mais les points d'accords sur le Baptême, l'Eucharistie, les Ministères,  devrait être le départ de l'attitude juste et fraternelle entre Eglises confessant la foi orthodoxe sur ces points essentiels.

 

 

 

III. VALEURS ET VERTUS DE L'UNITÉ

 

A. La levée des anathèmes équivaut en fait, au niveau spiri­tuel, à la levée des obstacles qui empêchent l'Esprit Saint de renouveler son oeuvre dans les Églises et de répandre de nou­veaux charismes pour le bien de ce monde cassé et de chacune des Églises.

 

B. Retrouver la communion à la coupe unique signifie "faire des deux une unité par la Croix" -Éph. 2,14.16-, en vue de porter le sacrement à son plus haut degré d'efficacité, de s'ou­vrir au dynamisme du sang du Christ qui a seul la puissance de détruire la haine et d'accomplir la réconciliation dans le Corps unique.

 

C. Accepter de se réconcilier, c'est recevoir de Dieu le par­don de nos propres péchés comme une grâce nouvelle en retour du pardon que les Églises se seraient mutuellement accordé. Par là notre conscience se libère d'une dette qui a contribué à notre insu à affaiblir chacune des deux Églises: "En effet, si vous pardonnez aux hommes leurs fautes, votre Père céleste vous pardonnera à vous aussi" -Mt. 6,14-.

 

D. Le fait qu'ensemble les Églises se détournent de l'état d'hostilité dans lequel elles ont vécu durant mille cinq cents ans représente une conversion communautaire. Cette conver­sion est par elle-même une puissance considérable qui réjouira le ciel tout entier -Luc 15,7- et fera venir les «temps du soula­gement» et de la paix pour le bien du monde entier: "Conver­tissez-vous donc et revenez à Dieu afin que vos péchés soient effacés. Ainsi viendront les temps du soulagement accordé par le Seigneur, quand il enverra le Christ qui vous est destiné, Jésus que le ciel doit accueillir jusqu'aux temps du rétablisse­ment de tout, ce dont Dieu a parlé par la bouche de ses saints prophètes d'autrefois" -Act. 3,19-21-.

"Les temps du rétablissement de tout" sont-ils donc venus selon la plénitude du dessein de Dieu -Lc 18,8-? Le Fils de Dieu, quand il viendra, trouvera-t-il la foi indivise parmi nous pour qu'aucun de nous ne soit privé de le voir "tel qu'il est" -1Jn 3,2-?

 

E. Si les Églises orthodoxes sont en mesure de dépasser les obstacles qui jusqu'ici ont entravé la réconciliation plénière  parmi nous de l'unité dans la foi, l'amour et la célébration liturgique, de cette réconciliation même jaillira, pour le monde, une force qui balaiera les autres obstacles sur lesquels ont buté la pensée et le coeur humain, qu'il s'agisse des Églises ou des individus.

Car ce qui s'est passé lors du premier schisme, au V° siècle, à Chalcédoine, entre Orthodoxes, sans que l'Église d'alors soupçonne les graves conséquences qui allaient en découler pour le monde chrétien, a préparé le second schisme, celui du XIe siècle, entre Catholiques et Orthodoxes. De tout cela le monde entier continue à subir les graves séquelles sous forme de faiblesse, de désagrégation et de division dans des affronte­ments profonds ou superficiels. L'Église ne s'est pas doutée que c'était elle qui avait semé l'esprit d'hostilité et de division dans le monde, cet esprit qui s'est infiltré dans les nations, les peuples et les individus jusqu'à devenir la norme du compor­tement des gouvernements, des États et des blocs à travers le monde. Aussi, après une si amère récolte, incombe-t-il à l'Église de se mettre à l'oeuvre dans la piété du Christ et dans son amour et de porter le souci de ce monde divisé contre lui­-même et désintégré qui a pris le parti de sa propre destruction.

Mais tant qu'elle restera divisée l'Église ne pourra jamais prier pour ce monde divisé ni porter le souci de cette division du monde; elle n'y sera pas habilitée et Dieu ne lui en confiera pas la tâche. Tant qu'elle sera intérieurement divisée, elle ne sera pas en mesure de porter le souci de la division du monde: elle en porte uniquement la culpabilité. La réconciliation entre les Églises est une nécessité pour le monde. Il l'attend avec impatience, même sans s'en douter, ni en soupçonner la puis­sance et la portée.

 

F. Nos Églises orthodoxes orientales sont naturellement portées vers l'unité. Cela découle directement de notre ecclésio­logie de communion dans laquelle l'individualisme et l'esprit de parti n'ont pas leur place. Même si le retour à l'unité - la pleine communion - entre Orthodoxes semble difficile en rai­son des longs siècles de séparation et des facteurs politiques qui ont prédominé au V° siècle et ont semé entre nous l'esprit d'hostilité, il reste que l'unité est inhérente à notre tempérament spirituel, psychologique, social et même théologique.

Un des éléments essentiels qui distinguent la spiritualité orthodoxe est justement la foi en la communion des saints. L'Église tient à être une famille spirituelle ou, selon l'expression de saint Paul, la famille de Dieu -Éph. 2,19-; et cela tant au plan per­sonnel ou communautaire qu'ecclésial ou théologique. Or, cette valeur spirituelle et théologique de la communion des saints se trouve être un des éléments qui font défaut au monde occidental d'aujourd'hui. Il souffre de l'excès d'individualisme aux plans social, familial, religieux, liturgique et professionnel. Si cette situation vient à empirer, elle compromettra la cohé­sion de l'Église et diminuera les chances du salut et les possibi­lités de communiquer le message de vie à l'être humain perdu parmi les machines, errant au milieu des grandes villes, happé par les mass-media et les moyens de divertissement. Car ceux-ci contribuent à détruire ce qui lui reste de capacité d'appartenir à l'Église, à un groupe social ou même à la famille, et atro­phient en lui les valeurs d'amitié et de communion, et l'aspira­tion vers la patrie céleste.

 

G. Cette unité scellée dans le mystère de communion et actuellement entravée par nos divisions est en réalité la puissance de transfiguration qui, depuis un certain temps, travaille le monde et le fait gémir dans les douleurs de l’enfantement –Romains 8,22-  et l’amertume de la mort, en vue de le faire parvenir dans sa totalité à une nouvelle naissance .~ Les royaumes du monde ont été acquis à notre Seigneur et à son ChristApocalypse 11,15- Ainsi, le mystère de l’unité suprême est-il lui-même le mystère de la Transfiguration, ou encore le mystère de l’infinitude du Corps unique du Christ. Et ce mystère ne s’actualise que dans l’unité de communion. De plus, il s’avère être la seule puissance sur laquelle se fonde la transfiguration du monde et la présence de Dieu dans le monde, en vue de le sauver du tourbillon de la destruction Aussi est-il impératif que les Églises tirent de ce fait la puissance de sortir de leur inertie, de leur égocentrisme, de leur isolement et même parfois de leur lâcheté, pour devenir capables de répondre à toutes les exigences de l’unité.

 

3.2L'Eglise & le monde

 

H. Il est clair que si le monde tend constamment à se libérer de l’Église, c’est parce que l’Église elle-même lui fournit l’occasion de s’écarter d’elle, dans la mesure où elle-même se libère par rapport à une soumission et une adhésion complètes à Dieu. Aussi le retour du monde à l’esprit de l’Eglise est-il conditionné par le retour de l’Église à l’Esprit de Dieu.

C’est un fait indéniable que le monde chrétien est incapable, absolument incapable de s’unir à Dieu indépendamment de l’Église. Car c’est dans l’Église seulement qu’est révélée la justice de Dieu par la foi en Christ en vue de la conversion, du Salut et de l’union à Dieu.

 

Tous ceux qui ont goûté la vraie conversion et découvert le mystère du Salut, perçoivent que le monde ne tourne pas autour de lui-même, mais qu’il évolue à travers le temps en s’éloignant de lui-même.

Le monde, en effet, change d’aspect à une vitesse déconcertante Et ceux qui vivent le mystère du salut se rendent compte que le monde ne s’éloigne pas de lui- même pour se jeter dans l’absurde ou le néant. Bien au contraire, la vie intérieure profonde de tout homme spirituel lui fait sentir avec force que le monde se dirige vers Dieu, à travers même les échecs de sa triste course. Et cette course trébuchante du monde n’est pas complètement dépourvue de personnes inspirées parmi ses saints et ses hommes de valeur, mais ils sont devenus une infime minorité incapable d’influer sur le cours du monde. Et l’Église aussi, dans sa grande défaillance, n’arrive pas à inspirer au monde où se trouve le chemin qui mène vers Dieu. Y a-t-il encore quelqu’un qui comprenne cela?

 

L’Église, toute Église, chalcédonienne ou non chalcédonienne, s’imagine devoir agir pour le plus grand bien de son propre peuple seulement.  Préoccupée d’elle-même, elle ne veut pas comprendre que l’intérêt des siens n’est pas comparable au destin du monde. La préoccupation exclusive de chaque Église pour les siens propres et son manque d’intérêt pour la destinée du monde impliquent de se vouer à jamais à l’amertume de la division: car la coupe de communion dans l’Eglise manque alors d’esprit de communion, et la présence du Christ dans l’Église n’inclut pas le monde aimé et racheté par Dieu.

 

I.  Le Christ a formulé ainsi sa prière: "Je ne prie pas seule­ment pour eux, je prie aussi pour ceux qui grâce à leur parole croient en moi: Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient un en nous, eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé"-Jn 17,20-21-.

Le Christ demande cette unité pour nous «tous», pour chaque personne, pour chaque Église et pour quiconque accepte de se situer dans le rayonnement de cette prière du Christ pour obéir à son appel et répondre à ce grand commandement. C'est une unité mystique au plus haut niveau.

La pensée humaine ne saurait en énumérer toutes les conditions, en fixer les termes et en imaginer la réalisation. Soyons bien attentifs à cela. En effet, toute tentative de ce genre pourrait nous faire passer à côté du mystère du Christ et de l'Église, car cette unité se situe au niveau de la présence du Christ dans le Père et du Père dans le Christ, en tant qu'il est non seulement Logos éternel, mais l'homme Jésus-Christ.

En vue de cette unité Dieu a agréé le sang du Christ répandu sur la Croix. Là réside le mystère du salut éternel déployé dans le Christ ressuscité, qui donne à l'homme, à l'Église et au monde de fouler aux pieds le pouvoir de la mort, d'échapper à la destruction et d'accéder à la vie nouvelle en Dieu qui transcende le temps, ses aléas et ses dan­gers menaçant l'existence humaine.

 

Le Christ présente son union dynamique avec le Père et celle du Père avec lui comme le modèle et la pierre de touche de l'unité qu'il demande pour nous avec lui et les uns avec les autres. Considérant que cette unité dépasse nos capacités et notre entendement, c'est au Père lui-même qu'il la demande et - avec quelle insistance! - par son sang, il ne cesse d'intercé­der pour elle.

 

L'union requise des Églises n'est donc pas une union aux dimensions purement «temporelles» et «géographiques», comme on dit parfois; elle ne peut être édifiée sur une base intellectuelle ou humaine quelle qu'elle soit. Mais il s'agit d'abord d'une union au Père à travers le Christ, dont les con­séquences et les vertus se feront sentir en nous dans le temps et dans l'espace. Le Christ savait d'avance que cette unité qui en lui nous rassemblera avec le Père serait porteuse de puissants charismes et aurait d'extraordinaires répercussions sur le genre humain tout entier. Aussi affirme-t-il avec clarté que cette unité aura un rôle direct pour que le monde croie au Christ: "Qu'ils soient un en nous, eux aussi, afin que le monde croie que tu m'as envoyé" -Jn 17,21. En bref, disons clairement que le dynamisme de l'union des Églises sera pour le monde, sans bruit ni paroles, une force de prédication:

"Non point récit, non point langage, point de voix qu'on puisse entendre, mais par toute la terre résonne leur écho et les mots jusqu'aux limites du monde" -Ps. 18,4-.

C'est là-dessus que les Églises ont buté jusqu'à présent, car elles ont tenté de se présenter elles-mêmes au monde en se ser­vant des paroles du Christ. Lorsque se réalisera l'union divine et mystique requise des Églises, ce sera le Christ lui-même qui se présentera au monde à travers l'unité des Églises dans l'amour divin. L'unité sera réalisée, si l'on peut dire, par la mort du moi - de l'ego - de chacune des Églises pour qu'el­les toutes vivent de l'ego du Christ.

 

3.3 LE CHRIST CACHE:

 

De l'Église ainsi réunie la personne du Christ se manifestera au monde comme puissance de résurrection pour le monde, cette même puissance qui a ressuscité le Christ. En d’autres termes, le Christ lui-même ressuscitera dans l’Eglise et toute chair le verra. Le Christ attend donc la réalisation de cette unité avec toutes ses conditions, qu’elles dépendent de nous ou non, pour se manifester au monde à travers elle.

 

Actuellement par notre état de division nous présentons un Christ qui est comme mort et caché au monde, enfoui dans la froide hostilité de nos dissensions entre Eglises. Or, le Christ attend — et le monde attend avec lui — qu’on mette un terme à cette situation pour que la chaleur de l’amour vienne ranimer son Corps, qu’il se lève et donne la vie, que toute chair le voie pour que le monde vive et ne meurt point: “Parce que je suis vivant, vous aussi vous vivrez. En ce jour-là vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous. Celui qui s’attache à mes commandements et qui les observe, celui-là m’aime. Or celui qui m’aime sera aimé de mon Père et, à mon tour, moi je l’aimerai et je me manifesterai à lui” -Jn 14,19-21

 

Nous croyons vraiment qu’à travers l’Église, vivant dans le Christ et le Père, rendue pure par la fidélité à ce commandement d’unité et d’amour, le monde verra le Christ “tel qu’il est-I Jn 3,2-. Rendu pur à son tour et attiré par le Christ, il le suivra. Dieu n’a-t-il pas aimé le monde au point de livrer son Fils unique pour qu’il ne périsse pas? Le Christ n’a-t-il pas pris du monde un corps, ne l’a-t-il pas uni à lui pour garantir à ce monde la pérennité d’une relation secrète avec Dieu et qu’il soit attiré à lui? Enfin, Dieu n’a-t-il pas confié à 1’Eglise le mystère de son Corps pour qu’elle devienne responsable de cette relation et de la pérennité de cette attraction?

 

4 LE GRAND OBSTACLE Â L’UNITÉ

 

Dans les conversations non officielles qui ont eu lieu jusqu’ici entre Eglises chalcédoniennes et non chalcédoniennes il a semblé que le différend en matière de christologie pouvait être réglé par une formulation commune de la doctrine, suffisante pour amorcer les démarches vers l’unité. Je ne crois pas que ce soit là un bon point de départ.

L’Évangile nous montre dans une situation analogue la même erreur d’optique. Un jour, peu avant la Passion, le Christ demandait à ses disci­ples: “Et vous, qui dites-vous que je suis?” -Mt 16,15-. Par la bouche de Pierre les disciples, d’un commun accord, exprimè­rent leur foi au Christ dans une même profession. Les termes en étaient vraiment remarquables, parfaitement conformes à la vraie foi et même directement inspirés par Dieu au témoignage même du Christ: “Simon Pierre lui répondit: Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant. Reprenant alors la parole, Jésus lui déclara: Heureux es-tu, Simon, fils de Jonas, car ce n’est pas la chair et le sang qui t’ont révélé cela, mais mon Père qui est aux cieux” -Mt 16,15-17-.

Hélas, cette formulation de la foi, pour être d’une ortho­doxie impeccable, vraiment inspirée du ciel, n’a pas garanti pour autant aux disciples d’être un en quoi que ce soit, ni au plan de la pensée, ni à celui de la foi vivante au Christ. Même celui qui l’a proclamée, Pierre, a renié le Christ et a déclaré ne pas le connaître. Les autres disciples se sont dispersés, chacun retournant chez soi. Certains même ont repris leur ancien métier. L’Esprit n’était pas encore descendu sur eux à la Pentecôte. On nous dit même qu’ils se sont disputés pour savoir qui d’entre eux était le plus grand -Lc 22,24-.

Il est donc évident qu’une formulation authentique et impeccable de la foi au Christ, proclamée publiquement et avec l’accord de tous, même inspirée par le Père céleste, ne pourrait suffire, toutefois, à unir les disciples ou les Églises dans l’unité de communion au Christ, dans la participation à son oeuvre, à son amour, à son don de soi et à sa mort.

 

N’est-il pas remarquable, en effet, que dans la péricope qui suit immédiatement celle de la déclaration de Pierre, celui-ci se comporte d’une façon qui lui vaut la réprimande du Christ:

“Retire-toi derrière moi, Satan, tu es pour moi une occasion de chute, car tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes” -Mt 16,23-? N’est-ce pas là le noeud du problème: une foi vraie qui n’aboutit pas à un comportement qui lui soit conforme? “Tu es le Christ, le Fils du Dieu vivant”; “tes vues ne sont pas celles de Dieu, mais celles des hommes”.

Le Christ a remarqué ce décalage entre la foi et le comportement, et pour y remédier, il donna un précepte apte à les réconcilier: “Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il renonce à lui-même et prenne sa croix et qu’il me suive” -Mt. 16,24-. Malgré cela, les disciples recommencèrent à demander au Christ: “Qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux?” -Mt 18,1-. Ce à quoi le Seigneur répondit par une nou­velle formule de réconciliation entre la foi et le comportement: “Si vous ne changez et ne devenez comme des enfants, non, vous n’entrerez pas dans le Royaume des cieux” -Mt 18,3-.

 

De cela il ressort qu’une formulation impeccable de la foi, unanimement acceptée, ne peut pas suffire, bien qu’absolument nécessaire à unir véritablement les Eglises.

Nos divisions ont eu des implications qui se sont étendues au domaine spirituel, mais aussi au domaine personnel ou ethnique ou encore tem­porel ou même politique. Le Christ n’est pas ainsi; nous ne l’avons pas connu ainsi.

Notre comportement à l’égard du Christ est différent de la vérité du Christ.

Voilà les racines empoisonnées de la division qui ne cesseront de nourrir l’esprit de parti et de dissension, même si nous tombons d’accord sur une formulation aussi vraie et belle que celle de saint Pierre.

 

La situation actuelle de nos Eglises est encore plus grave que celle des disciples en ce temps-là, avant la descente de l'Esprit Saint. Ceux-ci se demandaient “qui donc est le plus grand dans le Royaume des cieux” Les Eglises aujourd’hui ont acquis chacune la certitude à ce propos, car chacune est assu­rée d’être la plus grande dans le Royaume des cieux, comme possédant la foi la plus vraie et la plus exacte!

Quant à l’abné­gation requise en même temps que la foi, quant au retour à l’esprit d’enfance dans la simplicité et la puissance de la foi au Christ, oserons-nous dire que ce sont-là des exigences qui ne sont plus honorées dans les Eglises et dont personne n’estime avoir la charge?

 

4.2LE VERITABLE REMEDE DE LA DIVISION

 

Ce dont nous avons besoin c’est d’une Eglise capable d’imi­ter le comportement du Christ, de renoncer à soi-même, de porter la croix et de mourir pour le péché de la division, afin de vivre et avec elle de faire vivre les autres.

Ce qui manque le plus aujourd’hui aux Eglises séparées c’est justement "Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié" -I Cor 2,2-.

Dans le dialogue entre nos Eglises séparées l’élément qui fait défaut est celui-ci:

Qu'elle sera l’Eglise capable d’assumer les fautes du passé pour se libérer et libérer les autres de la faute présente, de l’état de division et de déchirure, pour que l’unité se réalise, que la réconciliation s’accomplisse et que triomphe la charité.

 

Parler de mort volontaire, d’outrages acceptés et de croix est dur. Qui peut entendre cela? Telle a été la réaction des disciples lorsque le Christ a parlé de la nécessité des outrages, de la mort et de la croix: "Voici que nous montons à Jérusalem et que va s’accomplir tout ce que les prophètes ont écrit au sujet du Fils de l’homme. Car il sera livré aux païens, soumis aux moqueries, aux outrages, aux crachats; après l’avoir flagellé, ils le tueront et, le troisième jour il ressuscitera". Mais eux n’y comprirent rien. Cette parole leur demeurait voilée et ils ne savaient pas ce que Jésus voulait dire» -Luc 18,3 1-34.-

 

Aussi le témoignage de saint Paul nous sera-t-il d’un grand secours dans notre dialogue pour l’unité: "J’ai décidé de ne rien savoir parmi vous sinon Jésus-Christ et Jésus-Christ crucifié" -I Cor 2,2-. Cela signifie s’avancer avec l’esprit du Seigneur Jésus, en sorte que chaque Eglise prenne sur soi les fautes de l’autre de manière mutuelle et simultanée. Nous disons bien: que chaque Eglise prenne sur soi les fautes de l’autre, sans plus.

 

Le dialogue entre nos Eglises dure maintenant depuis plus d’une dizaine d’années et avec des efforts, des initiatives et des propositions dignes de respect. Il est incapable, cependant, de donner aux Églises l’élan qui permettra à chacune d’elles d’imiter la démarche du Christ et d’assumer les fautes des autres. Cette démarche dépasse le niveau du dialogue intellectuel, des réunions prolongées et des solutions théoriques. Les Eglises sont devant les excommunications du passé.

Les Eglises se réunissent maintenant en l’absence officielle de l’Esprit Saint; les réunions ne servent plus qu’à mettre à découvert les anciennes blessures pour en raviver la souffrance.

 

V.     LE RÔLE DE L’ESPRIT SAINT DANS LES POURPARLERS NON- OFFICIELS

 

Les Églises se réunissent et déclarent officiellement que leurs réunions sont non officielles!

Pourquoi donc tenir à ce que ces réunions restent non officielles? Est-ce pour que les Eglises «officielles» ne se sentent pas liées par les résultats? Ou pour qu’aucune délégation ne soit habilitée à s’écarter moindrement des règles et de la tradition de son Eglise? Ou bien est-ce pour qu’aucune délégation ne soit autorisée à se désister d’une position déterminée ou à reconnaître une faute passée ou présente ou à admettre la rectitude de la position de l’autre Eglise, ou encore à pardonner leurs fautes aux autres? Et, en fin de compte et surtout, pour qu’aucune des délégations ne soit autorisée à lever les excommunications en vigueur et à absoudre l’autre Eglise.

 

En d’autres termes, les Églises tiennent à ce que les réunions de leurs délégations se passent à un niveau non officiel pour qu’elles restent officiellement sans la présence de l’Esprit Saint afin de pouvoir maintenir le statu quo. Cette situation nous rappelle l’assemblée des disciples apeurés et égarés réunis dans la chambre haute, toutes portes étant closes. Le Saint-Esprit est absent, le Christ est mort et enseveli et la résurrection n’est pas encore manifestée, les disciples avaient peur des Juifs et en l’absence de leur maître s’effrayaient de tout.

 

De qui les Eglises ont elles peur aujourd’hui? Pourquoi verrouillent-elles sur elles-mêmes les portes de leur esprit?

 

Le Christ a détruit l’inimitié qui de longue date séparait les institutions, les lois et les traditions les plus solidement établies à travers le monde, à savoir celle des Juifs et des païens. Des deux il a fait une unité ayant une même pensée, un même coeur, un même esprit, un même culte. Il a détruit la barrière éternelle qui séparait l’homme de Dieu; il a réconcilié les êtres du ciel et ceux de la terre, de même il a brisé les portes de l’Enfer et il y a délivré les esprits en prison détenus par le diable.

Est-ce qu’après cela il est permis aux Eglises de poser des barrières, de verrouiller les portes sur elles-mêmes ou sur les autres? Mais même après que se soit manifestée la résurrection et que le Christ soit apparu aux disciples en son propre corps avec ses plaies aux mains et au côté et qu’il leur eût donné la paix, ils sont retournés à leur attitude première de crainte et d’hésitation. Certains ont douté et d’autres ont quitté le groupe et sont revenus à leur occupation première de pêcheurs.

 

Dans les réunions non officielles nous voyons les délégations se préoccuper de trouver une formule conciliatrice précise en vue de l’unité. Mais, à la lumière de ce que nous venons de dire, même si le Christ en personne leur apparaissait, se tenait au milieu d’elles et se laissait palper par elles, l’éventualité du doute demeurerait, comme aussi celle de sortir de l’unanimité, car le principe même de l’unité assurée par l’Esprit Saint est encore absent.

 

L’Esprit est le seul qui dès le début assume le rôle de détruire tout ce qu’il y a de vétuste et de périmé dans la pensée et le coeur de l’homme, tout ce qui fait obstacle à la charité du Christ et entrave la marche de l’Eglise sur la voie de la vie éternelle. L’Esprit est le seul à défaire les liens qui jusqu’ici ont empêché l’unité de l’Église et ont paralysé si malheureusement son action dans le monde, donnant ainsi au démon, et pour longtemps, toutes les occasions de faire des ravages en Orient et en Occident, au Nord et au Sud, de sorte que le monde, arrivé au soir de son existence, semble avoir besoin de recommencer le cours de l’histoire et d’attendre une nouvelle naissance, un nouveau Noël.

 

La soumission â l’Esprit Saint devient ainsi une exigence incontournable pour avoir les chances les meilleures, non seulement de paix et de réconciliation, mais aussi pour susciter dans le monde un ferment neuf pour une vie nouvelle.

Car la division et la fragmentation ont atteint le monde au point de s’infiltrer au plus profond de la pensée et de la sensibilité, de l’esprit et des institutions. Ainsi la soumission des Églises à l’Esprit Saint devient-elle aujourd’hui l’exigence la plus difficile et la plus grave à laquelle les Eglises ont à faire face depuis qu’elles ont commencé à exister. Cela constituera la bataille décisive avec les puissances de Satan qui s’affairent à diviser, à disperser tout ce qui existe dans le monde pour le mener à sa ruine: "Tout royaume divisé contre lui-même court à la ruine; aucune ville, aucune famille divisée contre elle-même ne se maintiendra" -Mt 12,25-.

L’Eglise a pourtant, en principe et dès l’origine, la responsabilité de faire jaillir dans le monde le feu de l’Esprit Saint: "Vous êtes la lumière du monde" -Mt 5,14-.

Qu'est la lumière sinon les valeurs spirituelles éternelles, l’unité de l’esprit et les actes de charité? Si donc ces valeurs spirituelles viennent à manquer, si l’unité de l’esprit est brisée et si le dynamisme de la charité est compromis par les divisions entre Eglises, qui donc se dressera pour résister à l’esprit du mal et de séduction, et comment le gémissement du monde arrivera-t-il jusqu’à Dieu?

 

Par nature le monde ignore Dieu; il ne le connaît qu’à travers le comportement de I’Eglise; c’est l’Eglise qui présente Dieu au monde "non par des discours persuasifs", mais par "une démonstration d’Esprit et de puissance" -I Co 2,4-, par des gestes héroïques d’abnégation, par des témoignages de charité, de piété et d’intégrité pour stimuler le monde et le soutenir.

 

La charité est le dynamisme secret et inépuisable de l’Eglise, mais celui-ci ne pourra développer son action dans le monde que par l’unité de l’esprit et l’unanimité des coeurs.

L’Eglise ne pourra pas présenter au monde ce dynamisme et ces valeurs éternelles à travers les seuls théologiens de renom, mais bien à travers des personnes simples et saintes, capables d’entraîner par la qualité de leur exemple.

 

Le Saint-Esprit aime passionnément les saints et c’est à partir d’eux qu’il bâtit l’Église du Christ.

                                                               

Aussi aurons-nous beau faire retomber sur l’Eglise la responsabilité de l’unité, c’est en définitive sur les épaules des saints qu’elle repose.

Si nous voulons que les choses bougent rapidement, portons notre regard sur ceux qui dans chaque Église sont choisis de Dieu et pourvus de ses dons, même s’ils veulent s’effacer et se soustraire aux regards.

 

                                                    + Père MATTA EL-MASKîNE , saint Macaire,  1984


 Excursus

 

                        ACCORD DE RAPPROCHEMENT FRATERNEL

                         ET DE COOPERATION PASTORALE

               ENTRE DEUX EGLISES DU PATRIARCAT D’ANTIOCHE

 

Dans un communiqué adressé aux fidèles le 12 novembre 1991 le Saint-Synode, c’est-à-dire l’assemblée plénière de l’épiscopat du patriarcat d’Antioche a présenté cet accord de communion:

 

Vous avez certainement suivi les efforts que les deux Eglises soeurs du même patriarcat d’Antioche, celle des Syriaques orthodoxes et la nôtre (patriarcat grec-orthodoxe), n’ont cessé de faire depuis quelques années en vue d’une meilleure connaissance réciproque et d’une plus profonde compréhension, et ce sur les plans doctrinal et pastoral. Ces efforts ne sont qu’une expression normale du fait que les Eglises orthodoxes, et en particulier au sein du patriarcat d’Antioche, sont appelées à manifester la volonté du Seigneur que tous soient un comme Il l’est avec son Père céleste (Jean 10,30). De plus il nous incombe, ainsi qu’à nos frères de l’Eglise syriaque orthodoxe, d’être les témoins du Christ Jésus, Notre-Seigneur, dans cette région de l’Orient où il est né, a enseigné, a souffert, a été enseveli, est ressuscité d’entre les morts, est monté aux cieux et a envoyé son Esprit Saint et vivifiant à ses saints apôtres.

 

Diverses réunions et rencontres, ainsi que plusieurs déclarations et communiqués, faits oralement ou par écrit, ont confirmé que nous participons à une même foi, malgré le fait que l’histoire a surtout accentué ce qui nous sépare au détriment de tout ce qui nous unit.

 

Cela a amené le Saint-Synode antiochien à décider d’accélérer le processus qui doit mener nos deux Eglises à une union conservant à chacune son authentique tradition orientale tout en la faisant profiter, au sein d’une même Eglise d’Antioche, de la richesse exprimée dans la Sainte Tradition, la littérature et la vie liturgique de sa soeur.

Aussi, après avoir dûment analysé ce qui a été fait à ce jour en vue du rapprochement entre les deux Eglises, et étant convaincu qu’il est inspiré du Saint-Esprit pour donner à notre christianisme oriental la clarté et l’illumination qui lui ont manqué dans les siècles passés, notre Saint-Synode antiochien a décidé de concrétiser davantage ce rapprochement fraternel entre les deux Eglises des Syriaques et des Grecs orthodoxes, pour le plus grand bien des fidèles des deux Eglises où qu’ils se trouvent, par l’adoption des mesures suivantes:

 

1. Le respect total et réciproque par chacune des deux Eglises de la spiritualité, de la tradition et des saints Pères de l’autre, ainsi que le maintien intégral des deux rites syriaque et byzantin.

 

2. L’introduction de l’enseignement des Pères des deux Eglises et de leur tradition dans les programmes catéchétiques et d’enseignement théologique, ainsi que l’échange de professeurs et d’étudiants en théologie.

 

3.       Ne plus accepter, pour quelque raison que ce soit, qu’un fidèle d’une des Eglises passe à l’autre.

 

4.       Organiser des réunions communes aux deux Synodes, à la demande de chaque Eglise et chaque fois que de besoin.

 

5.  Chaque Eglise continuera de s’occuper des affaires relevant du statut personnel de ses fidèles.

 

6.  La présidence des célébrations du baptême, des funérailles ou d’autres cérémonies religieuses sera assurée par l’évêque de l’Eglise à laquelle appartient le chrétien pour qui la cérémonie est célébrée. Dans le cas du mariage, elle le sera par l’évêque de l’Eglise à laquelle appartient le fiancé.

 

7.  Ce qui précède ne s’applique pas à la concélébration par le clergé des deux Eglises de la Sainte Liturgie.

 

8. Les modalités du paragraphe 6 s’appliquent aussi aux prêtres.

  

 

9. Quand il n’existe dans un endroit donné qu’un seul prêtre appartenant à l’une ou l’autre Eglise, il célébrera les Saints Mystères ainsi que les services liturgiques et spirituels, y compris la Sainte Eucharistie et le sacrement du mariage, pour les fidèles des deux Eglises. II devra cependant garder des registres séparés pour les mariages et en informer les autorités spirituelles concernées de chacune des Eglises.

 

10. Quand deux prêtres de l’une et de l’autre Eglise cohabitent dans un lieu où il n’y a qu’une seule église, ils y célèbreront les offices à tour de rôle.

 

11.     Si un évêque de l’une des deux Eglises participe à un service liturgique avec un prêtre de l’autre Eglise et dans la paroisse de ce dernier, c’est lui (c’est-à-dire l’évêque) qui présidera l’office.

 

12.    Les ordinations sacerdotales seront célébrées par les autorités spirituelles de chacune des deux Eglises, chacune pour ses candidats propres. Il est cependant souhaitable que les frères de l’Eglise soeur soient conviés à participer.

 

13.     Les parrains et les témoins peuvent être choisis indifféremment dans l’une ou l’autre Eglise.

 

14.     Des rencontres devront être organisées entre les divers organismes des deux Eglises en vue d’une coopération dans tous les domaines concernant l’éducation, la bienfaisance et la culture pour promouvoir l’esprit de fraternité et de rapprochement entre eux.

 

En cette occasion, nous demandons à Dieu de nous aider à poursuivre notre oeuvre en vue de raffermir encore plus nos relations avec cette Eglise soeur, ainsi qu’avec toutes les autres Eglises, afin que tous soient réellement membres du même troupeau de l’unique Pasteur.

 

                                                                      Source: SOP N° 163 décembre 1991


                                      

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Unité véritable