1. La christologie avant Ephèse

 

L'Eglise a défendu sa foi sur la personne du Sauveur aux conciles de Nicée et celui de Constantinople, en ajoutant face aux erreurs des précisions pour sauvegarder sa réelle humanité et sa parfaite divinité.

 

      Symbole de Nicée

    Symbole de Nicée -Constantinople

Il est descendu des cieux, s'est incarné

 

et fait homme,

a souffert, est ressuscité le troisième jour,

 

 

est monté aux cieux,

 

et viendra juger les vivants et les morts ;

 

 

" Il est descendu des cieux et s'est incarné du Saint-Esprit et de la Vierge Marie, et s'est fait homme ; il a été crucifié pour nous sous Ponce Pilate ; il a souffert [est mort] et a été enseveli; et il est ressuscité le troisième jour, suivant les Écritures; il est monté aux cieux ; il est assis à la droite du Père, et il viendra encore avec gloire juger les vivants et les morts; son Royaume n'aura point de fin. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La question soulevée  après Nicée et Constantinople est celle de savoir de quelle manière sont unies dans la personne de Jésus l'humanité et la divinité.

 

Les pères avant le synode d'Ephèse se sont contentés de formules et d'expressions justes mais vagues qui pouvaient être interprétées d'une manière orthodoxe ou erronée.  Saint Ignace d'Antioche appelle le Seigneur "porteur de la chair" -1-, Tertullien, allez savoir pourquoi recommande de dire "le Logos a revêtu la chair" au lieu de "s'est fait chair" -2-. ( nous traduisons aussi le mot chair par Homme Anthropos, comme dans le symbole de Constantinople). Le grand Origène désigne l'union comme un "tissu" pour montrer l'impossibilité de séparer les natures sans détruire la réalité, il se sert aussi du mot "mélange" krasis/commixtio. –3- Saint Irénée utilise les mêmes expressions qu'Origène. -4- Ce mot mélange aujourd'hui banni du vocabulaire théologique est abondamment utilisé par les pères. Tertullien encore dit "Homme mêlé à Dieu", saint Cyprien de Carthage "Dieu mélangé/mêlé avec l'homme". Et aussi saint Grégoire de Nysse: "Le Logos s'étant mélangé à l'homme prit en lui toute notre nature, afin que par ce mélange avec la divinité, toute l'humanité fut déifiée en lui et que toute la masse de notre nature fut sanctifiée avec les prémices" -5-  Nous verrons un peu plus tard avec saint Basile que le mélange ne doit pas être compris comme celui de la confusion des éléments comme le mélange du vin avec une goutte d'eau,  mais comme celui du feu qui se communique au fer. 

 

Sur cette base de la christologie, des erreurs de compréhension se sont développées, notamment celle d'Apollinaire, évêque de Laodicée en Syrie. Apollinaire se basant sur l'anthropologie classique, l'homme porteur de trois facteurs, le corps, l'âme, l'esprit, explique  l'union du Dieu-Homme par le remplacement dans la personne de Jésus de l'esprit par le Logos. Il entend à sa manière "la chair", pour lui, c'est uniquement le corps, alors que la Tradition, à la suite de saint Paul, l'entend de la totalité de l'être humain du point de vue de sa fragilité périssable. Nos pères saint Athanase et les deux Grégoire, celui de Nysse et celui de Naziance, ont bien mis en avant que le Logos en prenant chair a assumé toute la nature humaine.

Les évêques réunis en Synode à Alexandrie en 362 confessent que le Sauveur n'a eu ni un corps sans âme, ni un corps insensible, ni un corps privé d'esprit. 

 

A partir de là, Théodore de Mopsueste et d'autres théologiens de l'école dite d'Antioche, s'attachent à sauvegarder la distinction entre les natures et leur opérations dans l'être et les activités de Jésus. Pour sauvegarder la liberté morale de l'homme Jésus par rapport à la perfection du Logos, ils développent l'idée de la parfaite harmonie de la volonté humaine avec la volonté divine. Ce qui parait exact si cela ne conduit pas à poser deux personnes séparées dans l'être Jésus. Ce pas a été franchit, la réunion du divin et de l'humain en Christ étant comprise comme "habitation". Théodore aurait précisé "L'expression "le Logos fait Homme" s'apparente à "le Logos se transforme en homme", il faut donc dire " Le logos habite l'homme choisi comme dans temple. Dieu habite dans quelqu'un, il n'y habite pas selon sa substance, pas plus selon ses forces, mais simplement par son bon plaisir. Dans le Christ, ce degré de bon plaisir est plus élevé que dans tout autre juste".

Si union il y a, cette union est toute extérieure. On attribue à Théodore l'idée selon laquelle, pour montrer l'état futur et parfait de l'humanité,  Dieu créa miraculeusement par le Saint Esprit dans le corps d'une vierge un homme, et au moment où cet homme fut formé, le Logos s'unit à lui. Après quelque temps le Logos conduisit cet homme au baptême, ensuite à la mort et le ressuscita et l'éleva à la droite du père comme juge des hommes, c'est pour cela que tous le prient.

Pour aller jusqu'au bout de la théorie des deux personnes en Christ, Théodore s'en serait pris à l'expression populaire désignant Marie comme "Mère de Dieu". (titre d'ailleurs emprunté à Isis).

"Marie a enfanté Jésus, mais pas le Logos quoiqu'il est habité d'une manière toute particulière dans Jésus. Marie est à proprement parler  la mère du Christ et non la mère de Dieu".

Ce qui n'est pas absolument faux, sauf que Théodore ajoute:      

"Elle a donné naissance à un homme auquel le Logos a commencé à s'unir, mais cette union était alors si peu complète qu'il ne pouvait pas être appelé Fils de Dieu, il a pu l'être qu'après son baptême. Ce n'est pas Dieu qui est né d'une vierge, mais bien le temple dans lequel Dieu a habité".

Ce que n'avait pas voulu savoir ou accepter Théodore, c'est ce que Origène puis Alexandre et Athanase d'Alexandrie entendait par Mère de Dieu Théotokos: la conséquence de l'union (qu'on appellera plus tard hypostatique) des deux natures en Christ: les attributs et fonctions des natures ne sont pas mélangés ou reportés d'une nature à l'autre mais constamment sur l'unique personne du Logos incarné, Dieu-homme.

 

Les fidèles étaient peu au fait de la position de Théodore jusqu'à ce que Nestorius enflamme le sujet.

 

Nestorius, est né à Antioche vers 381, on dit que sa famille était d'origine perse.  Il fut patriarche de Constantinople du 10 avril 428 au 11 juillet 431 après avoir mené la vie monastique au monastère d'Euprépios, dans la banlieue d'Antioche, puis exercé le diaconat et la prêtrise à  la cathédrale d'Antioche. Il se fit connaître comme un ascète rigide mais aussi comme un prédicateur de grand zèle, quoique Théodore de Mopsueste, son maître, qui ne peut passer comme un ennemi, lui attribuait un esprit de vanité.

Sur le siège de Constantinople en avril 428, il manifesta un zèle intempestif contre ceux qui ne pensaient pas comme lui, et accumula les maladresses, excommunia les moines qui s'insinuaient dans les maisons et qui vaguaient sur les voies publiques, il défendit aux femmes d'aller aux offices de nuit avec les hommes et d'y chanter, il poursuivit les hérétiques jusqu'à risquer de les faire périr, il fit  ostensiblement mémoire de saint Jean Chrysostome mort en exil et déposé suite aux manœuvres du patriarche d'Alexandrie défunt Théophile, tonton du patriarche régnant Cyrille. (On s'imagine du bon effet). Ce grand psychorigide vexa les deux sœurs de l'empereur Théodose II, et s'empara du droit de juger et de réconcilier des évêques déposés par le pape de Rome et de prêtres en conflit avec celui d'Alexandrie.

Enfin, donc il voulut trancher sur la question de l'appellation de Marie Theotokos. Il se fit le chantre de l'appellation de "Mère du Christ" croyant ainsi contenter tout le monde, et en interdisant  et se moquant de l'appellation "Theotokos".

 

Marius Mercator, un lettré vivant à Constantinople a dressé un tableau des positions tenues par Nestorius au cours de plusieurs homélies:

" Celui qui s'est formé dans le corps de Marie, n'était pas Dieu lui-même, mais il a été choisi par Dieu" -6- Ici Nestorius se place au même point de vue que Théodore de Mopsueste. Dans une autre homélie, Nestorius va encore plus loin et met en cause la réelle incarnation du Logos: " [ ceux qui confessent Marie mère de Dieu et disent le Logos a souffert] osent rabaisser le Logos jusqu'à des fables de théâtre, comme s'il avait été enveloppé de langes et comme s'il était mort […] Pilate n'a pas tué la divinité, mais seulement l'habit de la divinité.". -6-

 

Pour résumer, Théodore et son disciple Nestorius acceptaient  la double nature du Christ et proclamaient contre Apollinaire l'intégrité de chacune d'elles, toutefois ces natures sont plus  juxtaposées que vraiment unies.

 

Le rude patriarche d'Alexandrie Cyrille entre donc en scène pour défendre l'intégrité de la foi  apostolique sur l'incarnation du Logos. 

                                                                       

 

Notes et bibliographie:

1. Saint Ignace, épitre aux Smyrnotes, 5     

2. Tertullien, adversus Prexeam, 27

3. Origène, contre Celse,3,41 & de principis 3,6,3 & contre Celse 3, 28: "Avec Jésus la nature divine et la nature humaine ont commencé à s'entrelacer, afin que la nature humaine, par la participation à la divinité, soit déifiée, non dans Jésus seul mais encore en tous ceux qui, avec foi, adoptent le genre de vie que Jésus a enseigné et qui élève à l'amitié pour Dieu et à la communion avec lui quiconque vit suivant les préceptes de Jésus"

4. Saint Irénée, contre les hérésies, 3, 19,1: "Telle est la raison pour laquelle le Logos s'est fait homme, et le Fils de Dieu, Fils de l'homme: c'est pour que l'homme, en se mélangeant au Logos et en recevant ainsi la filiation adoptive, devienne fils de Dieu"    

5. Grégoire de Nysse, contre Apollinaire, 11     

6. Marius Mercator

 

La controverse entre Cyrille et Nestorius

 

Nous nous attardons sur les prolégomènes du concile d'Ephèse pour en saisir toute la portée  et aussi parce que la réunion même du synode s'est contentée de prendre à son compte les professions de foi de Cyrille, l'archevêque d'Alexandrie.

 

Nous avons vu la position de Nestorius qui en Christ Jésus, reconnaît l'humanité et la divinité comme deux natures co-existantes mais sans union véritable: D'une part l'homme Jésus, d'autre part le Logos qui emprunte la chair qu'il habite comme dans un temple.

Dans une première lettre qu'il écrivit à Nestorius, Cyrille explique pourquoi la question soulevée par Nestorius lui-même est tellement importante.

 

"Il y a des gens qui en sont venus presque à ne plus supporter de reconnaître que le Christ est Dieu. Ils préfèrent plutôt considérer le Christ comme un instrument, un outil de la divinité, un homme qui porte Dieu -anthrôpos théophores-"-

 

Cyrille, dans son homélie pascale de 429, affirme que Marie est Mère de Dieu, puisqu'en elle le Logos de Dieu est devenu chair, c'est-à-dire homme, et que l'être qu'elle a porté, c'est la parole créatrice même de Dieu, parole qui n'est pas un autre dieu que Dieu.

Cyrille écrit aussi une lettre aux moines d'Égypte.

 

"Je m'étonne de ce que certains mettent en doute la question de savoir si l'on peut, oui ou non, appeler Mère de Dieu la sainte vierge. Car enfin, s'il est Dieu, notre seigneur Jésus Christ, comment n'est-elle pas mère de Dieu, Theotokos, la vierge qui l'a enfanté ? C'est cela la foi que nous ont transmise les disciples, même s'ils n'ont pas fait mention de cette expression. C'est ainsi que nous avons appris à penser, de la part des saints pères, par exemple notre père Athanase qui a, pendant quarante-six ans, été l'évêque de l'église d'Alexandrie. Athanase, dans les livres qu'il a consacrés à la sainte et consubstantielle triade, appelle la sainte vierge Theotokos, mère de Dieu,.  -1- L'écriture inspirée par Dieu dit que le Logos issu de Dieu est devenu chair, c'est-à-dire qu'il s'est uni à une chair qui avait l'âme rationnelle. Suivant les enseignements des évangiles, le saint et grand concile [de Nicée] dit que lui-même, l'unique engendré né de la substance de celui qui est Dieu et père, celui par lequel toutes choses ont été faites et en qui toutes subsistent, pour nous les hommes et pour notre Salut, s'est incarné et est entré dans la condition humaine (enanthrôpèsai), a souffert et il est ressuscité. Le saint concile a nommé le Logos issu de Dieu, l'unique Seigneur Jésus Christ. Mais quelqu'un dira peut-être: ce nom de Christ, nous l'avons trouvé appliqué non seulement à l'Emmanuel, mais à d'autres. Par exemple, le psaume 105 nous dit, de la part de Dieu : " Ne touchez pas à mes christs, et à mes prophètes ne faites pas de mal! [.] Ce nom christ ne convient pas seulement ni en propre à L’Emmanuel, mais à tous ceux, quels qu'ils soient, qui ont été oints par la grâce du Saint Esprit "-2-

 

Mais il y a une grande différence répond Cyrille, entre les christs dont il est question dans les livres de l'ancienne Alliance, et celui que nous appelons le Christ. Seul il est Dieu véritable, L’Emmanuel, le " Dieu-avec-nous ":

 

"Celui donc, qui voudrait appeler les mères des autres oints (= christs) " mères de christs ", christotokoi, celui-là n'aurait pas tort. Mais il ne peut pas les appeler aussi " mères de Dieu ", theotokoi. Seule, parmi elles toutes, la sainte vierge peut être pensée et appelée Mère du Christ (christotokoi) et mère de Dieu (theotokos).

Car celui qu'elle a enfanté n'est pas seulement un homme, un homme purement et simplement, mais c'est le Logos issu de Dieu le Père, qui s'est incarné et qui est entré dans la condition humaine. Nous aussi, par grâce, nous sommes appelés " dieux ". Mais ce n'est pas ainsi qu'il était Dieu, le Fils; car il l'est par nature et en vérité, même s'il est devenu chair. -2- Mais alors, quelqu'un dira peut-être : ainsi donc, la vierge est devenue mère de la divinité ?

De la substance même de Dieu et Père, a été engendré son Logos vivant, qui est une réalité objective. Il tient son existence, sa permanence, sans commencement du point de vue du temps. Il subsiste éternellement avec celui qui l'a engendré. En lui et avec lui il coexiste et il est pensé avec lui. Dans les derniers temps, il est devenu chair, c'est-à-dire qu'il s'est uni à une chair qui a l'âme rationnelle. Il est donc dit avoir été engendré aussi charnellement par une femme. -3-

 

Dans une seconde lettre adressée à Nestorius en janvier ou février 430, Cyrille expose comment il comprend l'incarnation:

 

" La sainte et grande assemblée (de Nicée] a dit ceci :" c'est lui-même, le Fils, l'unique engendré, né de Dieu Père selon la nature, le Dieu véritable issu de Dieu véritable, la lumière issue de la lumière, celui par lequel le Père a tout créé, c'est lui qui est descendu, qui a été incarné, in-humanisé (enanthrôpèsai), qui a souffert, qui s'est relevé le troisième jour et est monté aux cieux". Car nous ne disons pas que la nature du Logos est devenue chair en se transformant. Mais nous ne disons pas non plus qu'elle a été changée en un homme complet, l'homme constitué d'âme et de corps. Mais nous disons bien plutôt ceci : le Logos s'est uni une chair animée du dedans par une âme rationnelle, en sorte qu'il constitue vraiment un seul être agissant- kath’ hypostasin-Hypostase. Et d'une manière que l'on ne peut pas dire, ni cerner par la pensée, il est devenu homme et il a pris le titre de Fils de l'Homme. Elles sont différentes les natures qui ont été portées à l'unité, la vraie.

" Un est le Christ et le Fils qui résulte des deux. Ce n'est pas que la différence des natures soit abolie par l'union. Mais elles constituent bien plutôt pour nous l'unique Seigneur et Christ et Fils, la divinité et l'humanité par leur conjonction/rencontre –syndromè-, indicible et secrète vers l'unité. Avant les siècles il a l'existence et il est engendré du Père. Et cependant il est dit être engendré aussi du point de vue de la chair, d'une femme.

Non pas que sa nature divine prenne un commencement d'être dans la sainte vierge, ni qu'elle ait besoin d'une manière nécessaire, par la vierge, d'une seconde génération après celle par laquelle il est issu du père [.] Car il est absurde et stupide de dire que celui qui existe avant tous les siècles et qui est coéternel au Père a besoin d'un second commencement d'existence. Mais pour nous et pour notre Salut il s'est uni d'une manière selon l'hypostase/personne agissante  (kath’ hypostasin) ce qui appartient à l'homme (to anthrôpinon). Il est issu d'une femme. C'est par elle qu'il est dit être engendré selon la chair (sarkikôs).

Car il n'y a pas eu d'abord un homme ordinaire engendré de la sainte vierge, et puis ensuite le Logos serait descendu sur lui. Non. Mais depuis la matrice elle-même, il s'est uni, et il est dit avoir pris sur soi une génération charnelle. [.]

C'est ainsi que nous disons qu'il a souffert et qu'il s'est relevé [de la mort], non pas en ce sens que le Logos aurait souffert, [.] Mais parce que ce qui est devenu son corps propre a souffert cela, c'est la raison pour laquelle, encore une fois, il est dit avoir souffert pour nous. Nous pensons, de la même manière, au sujet du fait qu'il est mort. Car il est immortel par sa nature, et incorruptible, il est Vie, il est Vivifiant, le Logos de Dieu. Mais parce que, de nouveau, son propre corps, par la grâce de Dieu, comme le dit Paul, pour tout homme a goûté de la mort: à cause de cela il est dit avoir souffert, lui-même, la mort pour nous. [.] C'est ainsi que nous reconnaissons un seul Christ et Seigneur. Non pas comme si nous adorions un homme avec le Logos. Car il ne faut pas introduire l'imagination d'une séparation en employant l'expression "avec". Mais nous l'adorons comme étant un et le même, car son propre corps n'est pas étranger au Logos, avec lequel il siège avec  le père lui-même. Et ce n'est pas, de nouveau, comme s'il y avait deux fils qui siègent avec, mais c'est un seul, à cause de l'union avec sa propre chair.  -4-

 

Puis en avril  430, saint Cyrille convoqua un  premier concile à Alexandrie au sujet des choix théologiques de Nestorius. Tout le concile fut d'avis que Cyrille écrivît à l'évêque de Rome pour lui représenter l'état de l'affaire de Nestorius, et combien il était nécessaire d'en arrêter ensemble les suites. Conformément à cet avis, Cyrille écrivit au pape Célestin une lettre où il lui rendit compte de tout ce qui s'était passé, de sa lettre aux moines, de ses deux lettres à Nestorius, et de la nécessité qui l'avait engagé à s'opposer à lui.  Il demande à l'évêque romain de lui tracer une règle de conduite et dire s'il faut encore communiquer avec Nestorius, ou lui dénoncer nettement que tout le monde l'abandonne, s'il persiste dans ses opinions. La réponse de l'Occident sera l'occasion de s'affermir dans l'unité de sentiments, et de venir au secours de la foi attaquée.

En août 430, Célestin réunit à Rome un concile qui examina le dossier envoyé par Cyrille et qui conclut en affirmant que les positions de Nestorius étaient par trop hérétiques. Nous ne possédons pas les actes du concile de Rome aussi, nous ne savons pas quels étaient les "évêques d'occident" qui y siégèrent. Le pape mandaté par son concile écrivit à Nestorius et à Cyrille. Au premier, il reproche de n'avoir pas tenu compte des avertissements de Cyrille, d'avoir reçu des pélagiens condamnés à Rome, et il lui demande, dans les dix jours, de repousser ses opinions impies sous peine d'être chassé de toute communion de l'Eglise. Au second, il requiert, dans le cas où Nestorius s'obstinerait et ne promettait pas "d'enseigner ce qui est conforme à la foi de l'Eglise romaine et de l'Eglise d'Alexandrie, à celle même de toute la chrétienneté", d'annoncer son exclusion de l'Eglise.

 

Note & bibliographie:

1." Le but et la caractéristique de l'Ecriture sainte, c'est un double enseignement au sujet du sauveur. Éternellement, il est Dieu et Fils, puisqu'il est la Parole et la splendeur et la sagesse du père. Et puis ultérieurement, pour nous, il a pris chair de la vierge, la mère de Dieu, Marie, et il est devenu homme. " Saint Athanase cité par Cyrille                                                                                                                    

 2. Cyrille d'Alexandrie,  Lettre aux moines d'Égypte, PG 77,  12                                                                   

 3. Cyrille d'Alexandrie, Lettre aux moines d'Égypte, PG 77, 21                                                                  

4. Cyrille d'Alexandrie, Lettre à Nestorius, PG 77, 45

 

 

Les lettres synodales de saint Cyrille à Nestorius

 

Dès la réception de la lettre du pape Romain Célestin, Cyrille réunit un autre synode à Alexandrie qui publia une longue lettre synodale datée du 3 novembre 430. C’est un exposé magistral sur le mystère de l’incarnation du Logos de Dieu adressé à Nestorius en personne. La lecture peut nous apparaître fastidieuse, mais selon le conseil d’Origène, "  les généreux soldats du Christ doivent former de tous côtés un rempart autour de la vérité, sans laisser si possible, à la vraisemblance du mensonge aucun moyen de s’infiltrer ", ci-dessous les extraits les plus significatifs :

 

" Au très religieux et très aimé de Dieu, au collègue dans le service divin, à Nestorius,  Cyrille et l'assemblée réunie à Alexandrie, de la région Égypte, salut dans le Seigneur...

" ... Voici donc qu'avec la sainte assemblée qui s'est réunie dans la grande Rome, sous la présidence du très saint et très dévoué à Dieu, notre frère et collègue dans le service divin, l'évêque Célestin, par cette troisième lettre nous te conjurons, nous te conseillons de te séparer de ces doctrines si funestes et tordues que tu penses et que tu enseignes et de choisir à la place la foi droite <…>,  Tu penseras et tu enseigneras, ce que nous aussi, tous, nous pensons et enseignons: nous les évêques enseignants, guides des peuples, de l'occident et de l'orient...

Voici donc la foi de l'église catholique des apôtres, foi avec laquelle sont d'accord tous les évêques du couchant et du levant :

" Nous croyons en un seul Dieu, Père tout-puissant, créateur de tous les êtres visibles et invisibles." < la lettre reproduit le symbole de Nicée en entier suivi par les anathématisme http://coptica.free.fr/les_conciles_oecumeniques__1_nicee_150.htm puis enchaîne) nous disons que :

Lui-même l'unique engendré, le Logos de Dieu, qui a été engendré de la substance même du Père, qui, issu de Dieu véritable, est Dieu véritable, lumière issue de la lumière, celui par lequel toutes choses sont venues à l'être, dans le ciel et sur la terre, à cause de notre Salut il est descendu, s'est abaissé lui-même jusqu'au dépouillement (kenôsin), s'est incarné, s'est fait homme, c'est-à-dire : il a pris chair de la sainte vierge, il l'a faite sienne dès la matrice, il a enduré la même génération que nous, et est sorti homme issu de la femme. Il n'a pas rejeté, il n'a pas perdu ce qu'il était. Mais même s'il est né en prenant pour soi en plus la chair et le sang, même ainsi il est resté ce qu'il était, c'est-à-dire Dieu, bien évidemment, par nature et en vérité.

Nous ne disons pas que la chair a été changée en la nature de la divinité, ni que la nature de la chair se soit transformée en nature secrète du Logos de Dieu.  Car il n'est pas sujet au changement et il est inaltérable de toute manière celui qui est toujours le même, comme le disent les Ecritures. Lorsqu'on le voyait nouveau-né et dans les langes, et même dans le ventre de la vierge qui le portait, il remplissait la création tout entière, en tant que Dieu, et il trônait avec celui qui l'a engendré. Car ce qui est divin est sans quantité et sans mesure et ne reçoit pas de limites qui puissent l'enfermer.

Nous reconnaissons que le Logos s'est uni à la chair d'une manière réelle selon l'hypostase (kath’hypostasin) -1-. Nous adorons un seul Fils et Seigneur Jésus Christ. Nous ne posons pas à part et nous ne séparons pas l'homme et Dieu comme s'ils étaient attachés l'un à l'autre par l'unité de la dignité et du pouvoir. <…>

Par conséquent, il est un le Christ, le Fils, le Seigneur. Il ne s'agit pas seulement d'une réunion, d'une association, d'un rapprochement, d'une conjonction (synapheia, c'est le mot qu'employait Nestorius), comme celle que pourrait avoir un homme avec Dieu, dans l'unité de la dignité ou de l’autorité.  Car l'égalité d'honneur ou de dignité n'unit pas les natures. Car Pierre et Jean ont une égale dignité l'un par rapport à l'autre, dans la mesure où ils sont également apôtres et disciples saints, et pourtant, ils ne sont pas un seul être, eux deux. <…>

Le Christ Jésus, Fils unique engendré est honoré avec sa propre chair, d'une seule adoration.  Nous reconnaissons que lui-même, le Fils engendré de Dieu Père, Dieu unique engendré, quoique par sa nature propre il soit impassible, a souffert par la chair pour nous, conformément aux Ecritures, il était dans son corps crucifié. Il s'est uni intimement, il s'est approprié sans souffrance les souffrances de sa propre chair.

Par la grâce de Dieu et pour tout homme il a goûté la mort -He 2, 9-, lui donnant son propre corps, quoique par nature il soit Vie et qu'il soit lui-même la résurrection.

Nécessairement nous devrons ajouter ceci. Lorsque nous annonçons la mort selon la chair du Fils unique engendré de Dieu, c'est-à-dire de Jésus Christ, et lorsque nous professons sa résurrection, sa remontée à la vie d'entre les morts et son ascension aux cieux, nous accomplissons dans les Eglises le culte non sanglant. Nous nous approchons ainsi des paroles de bénédictions qui concernent les mystères, nous sommes sanctifiés parce que nous prenons part à la chair sainte et au précieux sang du Christ qui est notre Sauveur à nous tous. Nous ne la recevons pas comme de la chair commune - loin de nous cette pensée! - ni comme la chair d'un homme sanctifié et conjoint au Logos selon l'unité de la dignité, ou d'un homme qui aurait reçu l'inhabitation de Dieu. Mais comme quelque chose qui véritablement est vivifiant, la propre chair du Logos. Car il est vie, par nature, en tant que Dieu. Puisqu'il est devenu une seule chose avec sa propre chair, il en a fait manifestement quelque chose de vivifiant: En sorte que, lorsqu'il dit en s'adressant à nous: " Amen, je vous dis, si vous ne mangez pas la chair du Fils de l'homme et si vous ne buvez pas son sang vous n'aurez pas la vie en vous" -Jn 6, 53-, nous ne devons pas en conclure que cette chair est comme celle d'un homme, l'un d'entre nous -comment en effet la chair de l'homme sera-t-elle vivifiante de par sa propre nature?- mais parce qu'elle est devenue véritablement la propre chair de celui qui pour nous est devenu Fils de l'homme et qui a été ainsi appelé. -2- 

Quant aux paroles de notre Sauveur que l'on trouve dans les évangiles, nous ne les divisons pas, nous ne les distribuons pas, nous ne les répartissons pas entre deux réalités subsistantes (hypostasesi) ni entre deux personnages (prosopa). Car il n'est pas double (diplous) l'unique et seul Christ, même s'il est pensé constitué de deux choses (pragmatôn) différentes rassemblées dans une unité indivisible, de la même manière que l'homme aussi est certes pensé comme constitué d'une âme et d'un corps, mais pourtant il n'est pas davantage double : il est un seul être constitué de l'une et de l'autre. Donc les paroles humaines et les divines, nous estimons qu'elles sont dites par un seul, et c'est penser droit.

Et puisque que la sainte Vierge a enfanté d'une manière charnelle, un Dieu uni à la chair d'une manière réelle selon l'hypostase (kath’hypostasin) pour cette raison nous disons aussi qu'elle est Mère de Dieu (Theotokos), non pas comme si l'existence de la nature du Logos avait eu son principe de la chair -car il était au commencement et il était Dieu le Logos, et le Logos était en présence de Dieu, et il est, lui, le créateur des durées cosmiques (aiôniôn siècles des siècles), coéternel au Père et organisateur de tous les êtres- mais, comme nous l'avons déjà dit précédemment, parce que d'une manière réelle selon l'hypostase (kath’hypostasin) il s'est uni à lui-même ce qui est humain (to anthrôpinon) et  a subi depuis la matrice même une génération charnelle. Ce n'est pas qu'il ait eu besoin d'une manière nécessaire ou à cause de sa propre nature, d'une génération dans le temps et dans les derniers moments de la durée. Mais c'était pour bénir le principe de notre propre existence"

 

Note

-1- il est difficile de traduire "kath’hypostasin" autrement que par le barbarisme "selon l'hypostase". hypostasis " se placer en dessous " d'où "support; sédiment, dépôt " en médecine, et en philosophie. "substance, c'est-à-dire réalité ". Dans ce sens il peut être synonyme d'Ousia-essence. Ce n'est pas le cas ici. 

Certains auteurs, Tresmontant notamment, traduisent kath'hypostasin par "de manière substantielle" ce qui risque d'ajouter à la confusion.

Le terme hypostase, utilisé par les pères et la théologie orthodoxe, est souvent laissé de côté par l'Église latine et remplacé par celui de persona, personne. Ce qui est plutôt juste, mais insuffisant: l'hypostase n'est pas "une personne", du grec prosopon, "masque ou personnage de théâtre", mais la réalité unique et agissante d'un individu en relation avec d'autres. Je conserve donc  le mot compliqué d'hypostase en y ajoutant pour être plus clair  le groupe nominal "réalité agissante".

-2- On voit ici l'enjeu de la querelle avec Nestorius: saint Cyrille et les évêques du concile d'Alexandrie associent la réalité de l'incarnation et la réalité de l'eucharistie. C'est en effet fondamentalement le même problème, et si l'on ne comprend pas bien ce que signifie l'incarnation, on ne peut pas non plus comprendre correctement ce que signifie la réalité du corps et sang du Logos communiqués à ses fidèles dans l'Oblation mystique.                    

 

                       Les fameux anathématismes de saint Cyrille

 

A la suite de la  longue lettre à Nestorius, saint Cyrille et les évêques réunis à Alexandrie énoncent une série de propositions qu'ils lui demandent de signer. Elles sont entrées dans l'histoire sous le nom  des " douze anathématismes de saint Cyrille". Ces brèves formules d'une parfaite énonciation synthétisent toute la christologie selon l'école d'Alexandrie. Elles seront, surtout les 3, 4 & 12, hélas la pierre d'achoppement sur laquelle trébuchèrent les querelles christologiques ultérieures.

 

"  1. Si quelqu'un ne confesse pas l'Emmanuel Dieu selon la vérité, et pour cette raison la sainte vierge mère de Dieu (theotokos) car elle a engendré charnellement le Logos issu de Dieu et devenu chair, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise (anathema estô).

                                              

2. Si quelqu'un ne confesse pas le Logos issu de Dieu Père,  uni à une chair selon l'hypostase et qu'il est un-unique Christ, avec sa propre chair, c'est à dire en même temps Dieu et homme, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise.

 

3. Si quelqu'un, à propos du Christ qui est un, sépare les hypostases (ici dans le sens de ousia nature) après l'union, s'il les associe (synaptôn) seulement par une association (synapheia) selon la dignité, le pouvoir absolu, la domination, et non pas bien plutôt par une véritable union physique (kath'enôsin physikèn), qu'il soit exclu du corps de l'Eglise.

 

4. Si quelqu'un partage, distribue et répartit entre deux personnes (prosôpois) ou deux hypostases (hypostasesin) les paroles qui se trouvent dans les écrits évangéliques et ceux des apôtres, ou bien celles qui ont été dites au sujet du Christ par les saints, ou bien par le Christ lui-même à son propre sujet, et s'il les applique, ces expressions, les unes comme si c'était à un homme considéré séparément du Logos issu de Dieu, les autres, en tant que dignes de Dieu, au seul Logos qui est issu de Dieu Père, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise.

 

5. Si quelqu'un ose dire que le Christ est un homme porteur de Dieu (theophoron) et non pas bien plutôt qu'il est Dieu selon la vérité, en tant qu'il est Fils, un, et par nature, selon que le Logos s'est fait chair, et a pris part en commun avec et comme nous au sang et à la chair, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise.

 

6. Si quelqu'un dit que le Logos issu de Dieu Père est Dieu et maître du Christ, et s'il ne confesse pas bien plutôt que c'est le même qui est Dieu et en même temps homme, en tant que Logos fait chair, conformément aux Ecritures, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise.

 

7. Si quelqu'un dit que Jésus en tant qu'homme a été porté par le Logos de Dieu, et que la gloire du Fils unique engendré lui a été attribuée comme à  un autre existant à côté de lui, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise. 

 

8. Si quelqu'un ose dire que l'homme assumé doit être co-adoré avec le Dieu Logos, et glorifié avec, et être appelé " Dieu avec ", comme un autre avec un autre (car le mot "avec" forcera de concevoir la chose ainsi), et s'il n'honore pas bien plutôt, d'une seule adoration, l'Emmanuel, et ne lui attache pas une seule glorification, parce que le Logos s'est fait chair, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise.

 

9. Si quelqu'un dit que l'unique Seigneur Jésus Christ a été glorifié par l'Esprit, comme d'une puissance étrangère comme s'il avait utilisé un pouvoir étranger qui provient de l'Esprit, et qu'il reçoit de lui le pouvoir d'opérer contre les esprits impurs et d'accomplir pour les hommes les signes divins, et s'il ne dit pas plutôt qu'il lui est sien, l'Esprit par lequel il a aussi opéré les signes divins, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise.

 

10. La Sainte Ecriture dit que le Christ est le grand prêtre et l'apôtre de notre confession de foi: il s'est offert lui-même pour nous en parfum d'agréable odeur au Dieu et Père. Si donc quelqu'un dit que notre grand prêtre et apôtre n'est pas le Logos lui-même issu de Dieu et devenu chair et homme semblable à nous, mais qu'il est un autre proprement distinct [du Logos] un homme né de la femme, ou si quelqu'un dit qu'il a présenté l'offrande pour lui-même et non pas pour nous seuls, car celui qui n'a pas connu le péché ne saurait avoir besoin de l'offrande, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise

 

11. Si quelqu'un ne reconnaît pas que la chair du Seigneur est vivifiante et qu'elle est la chair propre du Logos lui-même qui est issu de Dieu Père, mais (s'il prétend qu' ) elle est comme celle d'un autre qui lui est lié par la dignité ou du moins comme portant la seule inhabitation divine, et s'il ne dit pas bien plutôt qu'elle est vivifiante, comme nous l'avons dit, parce qu'elle est devenue la chair propre du Logos qui a donne la vie à tous (zôogoneô), qu'il soit exclu du corps de l'Eglise.

 

12. Si quelqu'un ne reconnaît pas que le Logos de Dieu a souffert dans la chair, qu'il a été crucifié dans la chair, qu'il a goûté à la mort dans la chair, qu'il est devenu le premier-né d'entre les morts, parce qu'il est vie et créateur de vie en tant que Dieu, qu'il soit exclu du corps de l'Eglise. "

 

Le 7  décembre 430 les délégués d'Alexandrie remirent à Nestorius la lettre de saint Cyrille. Toutefois ce courrier fut sans effet car, à la demande de Nestorius, les empereurs Théodose II et Valentinien III avaient convoqué le 19 novembre 430 un concile à Ephèse pour la Pentecôte de l'année suivante. Le cas de Nestorius et de Cyrille devait y être examiné.

La procédure romaine et alexandrine devint donc sans effet. Parallèlement à cette convocation Cyrille reçut de Théodore II une lettre furieuse qui l'accusait de fomenter des troubles dans l'empire.

Pendant ce temps de répit, Nestorius rédigea à son tour, douze anathématismes en réponse à ceux de Cyrille.

 

Il n'était pas le seul mécontent des anathèmes de Cyrille, Jean d'Antioche et tous les disciples de Théodore de Mopsueste les entendirent de travers avec une bonne foi plus que douteuse et voulurent entendre par enosis physiké -union physique-, un mélange des deux natures aboutissant à  l'absorption de l'humanité par la divinité.

                        

La première session du concile d’Ephèse

 

Le concile aurait donc dut s'ouvrir le 7 juin 431, jour de la Pentecôte.

En fait du fait de multiples retards dans l'arrivée des évêques, la première session débutera le 22 juin 431 dans la cathédrale d'Ephèse.

                                           

Nestorius accompagné de seize évêques et d'une solide escorte commandée par le comte Irénée fut un des premiers arrivés; Cyrille arriva après avec cinquante évêques et un cortège impressionnant de valets, de marins et de portefaix. L'évêque d'Ephèse Memnon y était déjà présent avec quarante de ses évêques et douze autres de Pamphilie; S'y joignirent Juvenal de Jérusalem et Flavien de Thessalonique. Rome avait expédié deux évêques et un prêtre avec pour mission de se tenir étroitement unis à Cyrille sans pourtant en faire trop pourvu que les décisions romaines sur Nestorius soient appliquées.

Les Eglises d'occident en masse se dérobèrent à l'édit impérial: Les africains confrontés aux vandales y envoyèrent un diacre de Carthage, les Eglises des Gaules ne bougèrent pas d'un cil, les Eglises italiques, à l'exception de Rome, ne se sentaient certainement pas concernées et s'abstinrent. Ce 22 juin manquaient curieusement les amis de Nestorius, Jean d'Antioche et ses évêques sauf Alexandre d'Apamée et Alexandre d'Hiérapolis qui prétendirent que Jean d'Antioche retardé demandait de commencer les débats sans l'attendre.

Les empereurs ne parurent pas au concile et avaient chargé le capitaine de la garde impériale, le comte Candidien de les représenter et d'assurer l'ordre et la liberté des débats. Il protesta de l'ouverture du concile voulant attendre l'arrivée des antiochiens. Saint Cyrille précipita les choses et en sa qualité de présidant ouvrit la séance où siégèrent deux cent pères. (les actes reçurent 198 signatures)

                                                     

Nestorius refusa de comparaître en l'absence des Antiochiens et des légats du pape de Rome en route.

 

La session se borna donc à la lecture des trois lettres de Cyrille à Nestorius ( donc des douze anathématismes cités plus haut), que les pères déclarèrent conformes à la foi exprimée à Nicée. Après le brouhaha et les invectives occasionnés par la lecture des réponses de Nestorius, fut lue la lettre du pape romain Célestin puis les pères présentèrent un enchiridion patristique touchant l'union des deux natures.  La comparaison entre l'enseignement des pères et la prédication de Nestorius conduit directement à la sentence:

"Pressés par les canons et les lettres de notre très saint Père et collègue Célestin, évêque de Rome, nous avons dû avec larmes, en venir à cette triste sentence: Le Seigneur Jésus-Christ qu'il a blasphémé décide par ce saint concile que Nestorius est privé de la dignité épiscopale et de la communion sacerdotale".

 

La poursuite du concile

 

Avec cette journée du 22 juin 431, le concile aurait pu se terminer: tout avait été dit: l'approbation des lettres de saint Cyrille, la déposition de Nestorius.

 

Sauf que dès le lendemain, le comte Candidien déclara que tout ce qui avait été fait était nul et non avenu et envoya à l'empereur un rapport très défavorable sur Cyrille et les chefs du concile. Il présenta le concile comme une assemblée tumultueuse, où tout s'était passé contre les règles. Nestorius ne déguisa pas moins les choses dans la relation qu'il adressa de son côté à l'empereur, se plaignant des menaces et des mauvais traitements de saint Cyrille et de Memnon qu'il taxait de séditieux.   

 

Ce n'est que le 27 juin que Jean d'Antioche et ses évêques arrivèrent à Ephèse. La députation envoyée par Cyrille et les pères fut accueillie plutôt fraîchement et, dit-on, eu à subir quelques molestations de la part de la garde qui accompagnait l'évêque d'Antioche. Ce dernier réunit aussitôt dans une maison un concile adversaire comptant quarante trois évêques, ils déposèrent saint Cyrille et l'évêque d'Ephèse Memmon, ils ajoutèrent bonne mesure en excommuniant tous les évêques en accord avec la session du 22 juin. Ils s'attaquèrent plus précisément aux anathématismes de Cyrille qu'ils disaient remplis d'erreurs.

Tous les efforts de Jean d'Antioche pour imposer un autre évêque d'Ephèse à la place de Memmon vinrent échouer "devant la résistance du peuple orthodoxe d'Ephèse". Doux euphémisme, les vigoureux accompagnateurs de la délégation de Cyrille n'y furent certainement pas inactifs.

La lettre de Candidien eut un effet déplorable sur l'empereur Théodose qui confirma la nullité de tout ce qui avait été fait et interdit aux évêques de quitter Ephèse dans l'attente d'une enquête en responsabilité.

                                                     

Les légats du pape de Rome, Arcadius, Projectus et Philippe, que les tempêtes et divers autres accidents avaient empêchés de se rendre à Éphèse au jour marqué, arrivèrent le 10 juillet de l'an 431. On tint, ce même jour, la seconde session du concile dans la maison épiscopale de Memnon. Saint Cyrille continua d'y présider. Les légats prirent connaissance des actes de la première session et les déclarèrent conformes à la foi et la discipline canonique.  Ils lurent la lettre de Célestin qui appelait à la condamnation de Nestorius. Le lendemain, tout ce qui avait été fait en première session fut approuvé et une lettre fut envoyée à l'empereur pour lui signifier que l'occident était d'accord avec l'orient pour condamner l'enseignement de Nestorius et lui demander l'élection d'un successeur sur le siège de Constantinople.

 

La deuxième quinzaine de juillet et le mois d'août furent consacrés à la question du patriarche Jean d'Antioche et de ses partisans. Les voies de réconciliation furent recherchées mais ne furent pas trouvées, Jean fut excommunié.

 

 

La dernière session prit les canons de discipline, pour nous aujourd'hui sans intérêt, il s'agit de mettre en musique les condamnations de Nestorius et ses partisans.

Seule l'affaire de l'Eglise de Chypre nous apporte un enseignement: L'évêque d'Antioche s'était mis en tête qu'en raison de sa primatie, il avait le droit de s'immiscer dans les affaires de la petite Eglise de Chypre et l'autorité de consacrer ses évêques. Il avait sollicité pour cela la force de l'empereur.  Or l'île de Chypre s'est toujours, depuis la fondation apostolique par saint Paul, administrée par son synode provincial et ses évêques ordonnés par les membres du synode et non par le puissant voisin d'Antioche.

Les pères d'Ephèse reconnurent l'autonomie de l'Eglise chypriote et étendirent le droit à toutes les Eglises par la conclusion suivante:

"Les Eglises de Chypre doivent continuer de jouir de leur indépendance et de leurs droits de sacrer leurs évêques. Le synode renouvelle en général, toutes les libertés des provinces ecclésiastiques et prohibe les empiétements dans les provinces étrangères"

 

Ainsi s'achève notre concile d'Ephèse mais non son histoire et les discussions dogmatiques. 

 

Les suites du concile d’Ephèse

et la conclusion théologique des débats

 

Les deux partis ont fait appel à l'empereur. Il est inutile de narrer les longues et pénibles négociations entre les fidèles de Cyrille et au concile et ceux de Jean d'Antioche, ni les péripéties devant la cour impériale qui finit par déposer tout ce beau monde, Cyrille, Jean et les autres.

En octobre 431, l'empereur Théodose II promulgue enfin l'édit de clôture d'Ephèse et tient pour non avenue la sentence contre Jean d'Antioche et les siens mais approuve tacitement la foi proclamée par les pères selon les formules de saint Cyrille. Nestorius fut exilé à Petra puis en Thébaïde, désert lybien.

 

Saint Cyrille et Jean d'Antioche prirent sur eux-mêmes pour engager des négociations plus iréniques.

 

En 433, réunis en synode, les évêques de la province d'Antioche reconnaissent à Marie le titre de "Mère de Dieu" (Théotokos) et reprennent contact avec Cyrille par une lettre de Jean d'Antioche qui insère une profession de foi qui reprend celle élaborée par "son" Concile en 431, et qui sera le modèle de celle de Chalcédoine. Il est à noter une ouverture capitale: l'acceptation du terme cyrillien d'union hénôsis plutôt que le terme nestorien de "conjonction" (sunaphéia):

 

" Nous reconnaissons donc et professons d'un commun accord que notre Seigneur Jésus le Christ, le Fils de Dieu, l'unique engendré, est Dieu parfait et homme parfait, constitué d'une âme raisonnable et d'un corps, engendré quant à la divinité du Père avant les siècles  (pro aiônôn), mais à la fin des jours, pour nous et pour notre Salut, de Marie la vierge, quant à l'humanité. Consubstantiel au Père, lui, le même, et consubstantiel à nous quant à l'humanité. Car de deux natures il y a eu union. Et c'est pourquoi nous reconnaissons, nous professons, un seul Christ, un seul Fils, un seul Seigneur.

Conformément à cette notion d'une union sans mélange, nous reconnaissons et professons d'un commun accord que la sainte vierge est mère de Dieu par le fait que le Logos de Dieu est devenu chair, devenu homme et que dès même la conception il s'est uni le temple qu'il a pris de Marie.

Quant aux expressions que l'on trouve dans les évangiles et chez les apôtres au sujet du Seigneur, nous savons que les hommes qui sont théologiens les considèrent, les unes, communes, comme se rapportant à une seule personne (prosôpon); ils distinguent les autres, comme se rapportant à deux natures: les unes qui conviennent à Dieu, ils les accordent, ils les rapportent à la divinité du Christ, les expressions humbles à son humanité. "

 

Au printemps de 433, Cyrille répondait à Jean évêque d'Antioche par une lettre devenue célèbre :

" Que se réjouissent les cieux et qu'exulte la terre (Ps 96, 11). Il est détruit le mur de séparation (cf. Ep 2, 14). Ce qui nous chagrinait a cessé. Toute division de pensée a été abolie. Le Sauveur de nous tous, le Christ, a accordé la paix à ses églises "

Puis Cyrille recopie dans sa propre lettre ce que Jean d'Antioche lui écrivait, et que nous venons de lire et  ajoute :

 

" Le Dieu Logos s'est dépouillé lui-même, prenant la condition d'esclave (Ph 2, 7). Il a pris le titre de Fils de l'Homme, en même temps qu'il demeurait ce qu'il était, c'est-à-dire Dieu. Car il est, par nature, non susceptible de changement ni d'altération... Il est parfait en divinité, et parfait, le même, en humanité et il est pensé comme en une seule personne, hôs en eni prosôpô nooumenos. Car il est un le Seigneur Jésus Christ, même si l'on ne méconnaît pas la différence des natures, à partir desquelles nous disons que s'est réalisée l'union secrète. Quant à ceux qui disent qu'il y a eu un mélange, une confusion, une mixture du Logos de Dieu avec la chair, que ta sainteté daigne leur fermer la bouche<..> ils sont fous furieux ceux qui pensent qu'il a pu arriver l'ombre d'un changement à la nature divine du Logos. Car il demeure ce qu'il est, toujours, et il n'est pas changé <…> De plus, que le Logos de Dieu soit impassible, tous nous le reconnaissons et le professons, même s'il s'attribue à lui-même, il prend sur soi à la vue de tous les souffrances qui sont advenues à sa propre chair. C'est pourquoi le tout-sage Pierre dit que le Christ a souffert par la chair (1 P 4, 1), pour nous, et non par la nature de la divinité secrète. Et pour que l'on croie qu'il est lui-même le sauveur de tous les êtres, il rapporte à soi-même, comme je l'ai dit, selon une appropriation qui tient à l'organisation même du mystère de l'incarnation, les souffrances de sa propre chair (Cyrille d'Alexandrie, à Jean d'Antioche, PG 77)

 

Du concile d'Ephèse nous devons retenir deux choses qui constituent la foi orthodoxe:

Le Christ est un de deux natures sans séparation ni confusion, de cette union découle la communication des idiomes, c'est-à-dire que nous pouvons attribuer à la seule personne ce qui appartient à l'une ou l'autre nature.

Pour cette raison nous appelons Marie Mère de Dieu.            

 

                                                                                                             E-P

 

 

Bibliographie générale:

- Charles-Joseph Héfélé, histoire des Conciles, Paris 1869, T.2. Il convient d'être d'une grande prudence à l'examen des thèses de Théodore et de Nestorius, car nous ne possédons pas les écrits de première main mais seulement les citations des adversaires. (sauf le livre d’Héraclius de Nestorius)

- collectif, les conciles œcuméniques, Paris le cerf, 1994

- Nestorius, livre d’Héraclide, traduction François Nau, Paris letouzay, 1910

 

Concile d'Ephèse