Du 28 juin 2008 au 29 juin 2009, une année festive soulignera le bimillénaire de la naissance de l'apôtre Paul.

Afin de s'associer à cette commémoration, voici trois monographies:

 

 1.  R.P. Elias-Patrick,    Essai de biographie de l'apôtre Paul

 2. R.P. Elias-Patrick,     Paul apôtre des nations

 3. R.P. Patrick-Georges, Le mysterion selon saint Paul

 

 

1.               1. Essai de biographie de l'apôtre Paul

 

 

                                       Tarse

 

Saul, notre futur saint Paul, naquit à Tarse en Cilicie -Actes 22.3-. La ville était le chef-lieu administratif de la région, en 41, Tarse avait été le lieu de la première rencontre entre Marc Antoine et Cléopâtre.

                                         l

                                                                                                    e Lorrain, rencontre de Cléopatre et Marc Antoine

Juif de la diaspora, Saul parlait le grec même en ayant un nom d'origine latine dérivé par assonance de l'originaire hébreu Saul/Saulos, et avait la citoyenneté romaine -Act 22.25-28-. Notre Paul apparaît donc situé à la frontière de trois cultures différentes - romaine, grecque, juive - et peut-être grâce à cela, il était disponible à des ouvertures universelles  fécondes, à une médiation entre les cultures, à une véritable universalité.

Il apprit aussi un travail manuel, peut-être venant de son père, consistant dans le métier de "faiseurs de tentes" -Act 18.3 :-, travaillant probablement la laine rêche de chèvre ou les fibres de lin pour en faire des nattes ou des tentes -Act 20.33-35-.

 

Vers les 12-13 ans, l'âge où le jeune garçon juif accomplit sa bar mitzvà -fils des Commandements -, Saul quitta Tarse et se rendit à Jérusalem pour être formé par le rabbi Gamaliel le Vieux, le neveu du grand Hillèl, selon  les règles les plus rigides du pharisaïsme et en acquérant un grand zèle pour la Loi mosaïque -Gal 1.14 ; Fil 3.5-6 ; Act 22.3 ; 23.6 ; 26.5-.



Sur la base de cette Orthodoxie profonde qu'il avait apprise à l'école de Hillèl, à Jérusalem, il entrevit dans le groupe qui se réclamait de Jésus de Nazareth une menace pour l'identité juive.  Cela explique le fait qu'il "ait fièrement persécuté l'Église de Dieu ", comme il l'admettra par trois fois dans ses Lettres -1 Cor 15.9 ; Gal 1.13 ; Phil 3.6- Même s'il n'est pas facile de s'imaginer concrètement en quoi consistait cette persécution, son attitude fut de toute façon une attitude d'intolérance. Et même plus, puisqu'il assista sans y prendre part mais sans désapprouver à la lapidation du diacre Etienne. –Actes 7,58.- A partir de ce jour, Saul se mit à "ravager l'Eglise". 

                                      Damas

Alors qu'il se rendait à Damas "respirant de menaces et de meurtres contre les disciples du Seigneur" -Actes 9.1- sur le chemin "alors qu'il s'approchait de Damas, tout à coup une lumière venant du ciel resplendit et l'enveloppa". Le Christ lui demandait les raisons pour lesquelles Saul le persécutait. Cette vision allait illuminer toute la vie de Saul qui y trouva la lumière et la foi du Christ ressuscité.

Le Christ ressuscité apparaît comme une lumière splendide et parle à Saul, transforme sa pensée et sa propre vie. La splendeur du Ressuscité le rend aveugle: ce qui était sa réalité intérieure, sa cécité vis-à-vis de la vérité, de la lumière qu'est le Christ, lui apparaît ainsi de manière extérieure. Et ensuite sa foi au Christ par le baptême ouvre à nouveau ses yeux, le fait réellement voir.

Dans l'Église antique, le baptême était également appelé "illumination ", parce que ce Mystère donne la lumière, il fait voir réellement. Ce qui est ainsi indiqué de manière théologique, cela se réalise en Saul même physiquement: guéri de sa cécité intérieure, il voit bien. Saul donc, a été transformé non par une pensée mais par un évènement, par la présence irrésistible du Ressuscité, de laquelle il ne pourra ensuite jamais douter, tant l'évidence de l'évènement, de cette rencontre, avait été forte. Elle changea fondamentalement sa vie; en ce sens, on peut et on doit parler d'une conversion.  Il acquiert aussi la certitude que le Christ l'a appelé à partir de ce jour à être son apôtre –envoyé- et le témoin de l'Evangile. Dès son baptême à Damas par saint Ananias, Saul enseigne à temps et à contretemps la Bonne Nouvelle du Royaume venu avec le Messie Jésus.

 

                                         

                                                                                 Damas, sanctuaire de saint Paul

Traditionnellement, on partage son activité apostolique sur les bases des trois voyages missionnaires, auxquels il faut ajouter un quatrième, son voyage à Rome en tant que prisonnier. Tous sont racontés par Luc dans les Actes.



Pendant son  premier voyage, en effet -Act 13-14-, Saul fut mis à part par l'Esprit Saint  avec le chypriote Barnabas et envoyés par les Anciens de Damas vers Chypre. Ils partirent ensemble d'Antioche sur l'Oronte -Act 13.1-3-, et, après avoir quitté le port de Séleucie sur la côte syrienne, ils traversèrent l'île de Chypre, à Salamine, Le proconsul Sergius Paulus vit venir à lui  Paul et Barnabé " avec le vif désir d'entendre la Parole de Dieu Actes 13,7- I

Il crut vivement frappé de la doctrine du Seigneur. C'est probablement en mémoire de cette conversion que Saul changea son nom en Paul.  

De Paphos ils arrivèrent aux côtes méridionales de l'Anatolie, aujourd'hui Turquie, et touchèrent les villes d'Attalie, Pergè en Pamphylie, Antioche de Pisidie, Iconium, Lystres et Derbé, d'où ils revinrent au point de départ. Ils prêchèrent bien entendu dans les synagogues mais devant le peu de succès, ils se tournèrent aussi vers les non juifs. "Vous ne vous jugez pas dignes de la vie éternelle, voici, nous nous tournons vers les païens.  Actes 13,46

Et entre-temps, surtout à Jérusalem, était née une discussion dure jusqu'au point que ces chrétiens provenant du paganisme étaient obligés d'entrer dans la vie et dans la loi d'Israël pour participer réellement aux promesses des prophètes et pour entrer effectivement dans l'héritage d'Israël. Pour résoudre ce problème fondamental pour la naissance de l'Église future, on réunit à Jérusalem le Concile des Apôtres, pour débattre sur ce problème dont dépendait la naissance effective d'une Église universelle. Et il fut décidé de ne pas imposer aux païens convertis l'observance de la loi de Moïse -Act 15.6-30-.  L'unique nécessité était d'être du Christ, de vivre avec le Christ et selon sa parole.

 

Après cet événement décisif, Paul se sépara de Barnabas, choisit Silas et commença son second voyage missionnaire -Act 15.36-18.22-. Ayant dépassé la Syrie et la Cilicie, il revit la ville de Lystres, où il accueillit Timothée (figure très importante de l'Église naissante, fils d'une juive et d'un païen), et il le fit circoncire ; il traversa l'Anatolie centrale et rejoignit la ville de Troas sur la côte nord de la mer Égée. C'est là qu'eut à nouveau lieu un événement important : il vit en rêve un Macédonien de l'autre côté de la mer, c'est-à-dire en Europe, qui disait "Viens et aide-nous ! "

C'était la future Europe qui demandait l'aide et la lumière de l'Évangile. Sur la poussée de cette vision, il pénétra en Europe. De là il prit la mer pour la Macédoine, entrant ainsi en Europe. Après avoir débarqué à Néapolis, il arriva à Philippes, où il fonda une belle communauté, puis il passa ensuite à Thessalonique, et, étant parti de là suite à des difficultés créées par les juifs, il passa par Bérée, et arriva à Athènes.

Dans cette capitale de l'antique culture grecque, il prêcha d'abord dans l'Agorà, et ensuite dans l'Aréopage, aux païens et aux grecs. Et le discours de l'aréopage rapporté dans les Actes des apôtres est le modèle de la manière de traduire l'Évangile dans la culture grecque, de la manière de faire comprendre aux Grecs que ce Dieu des chrétiens, des juifs, n'était pas un Dieu étranger à leur culture mais le Dieu inconnu qu'ils attendaient, la véritable réponse aux questions les plus profondes de leur culture.

                                          Corinthe

Puis d'Athènes, il arriva à Corinthe, où il s'arrêta une année et demie. Durant ce premier séjour à Corinthe il dut se présenter devant le gouverneur de la province sénatoriale d'Achaïe, le pro-consul Gallion, accusé de culte illégitime. A propos de Gallion et sur son époque à Corinthe, il existe une inscription ancienne retrouvée à Delphes, où il est dit qu'il était proconsul à Corinthe de l'an 51 à l'an 53. Nous avons donc une date absolument certaine. Le séjour de Paul à Corinthe se déroula dans ces années-là. Par conséquent, nous pouvons supposer qu'il est arrivé plus ou moins en 50 et qu'il est resté jusqu'en 52. Puis de Corinthe en passant par Cencrées, port oriental de la ville, il se dirigea vers la Palestine en rejoignant Césarée maritime, de là il remonta à Jérusalem pour revenir ensuite à Antioche sur l'Oronte.



Le troisième voyage missionnaire –Act 18, 23-21, 16- commença comme toujours par Antioche, qui était devenue le point de départ de l'Église des païens, de la mission aux païens, et c'était aussi le lieu où naquit le terme "chrétiens ". Là pour la première fois, nous dit saint Luc, les disciples de Jésus furent appelés "chrétiens ".

De là Paul alla directement à Éphèse, capitale de la province d'Asie, où il séjourna pendant deux ans, exerçant un ministère qui eut des répercussions fécondes sur la région.

                                          Ephèse

D'Éphèse, Paul écrivit les lettres aux Thessaloniciens et aux Corinthiens. La population de la ville fut cependant soulevée contre lui par les orfèvres locaux, qui voyaient diminuer leurs entrées, en raison de l'affaiblissement du culte d'Artémis (le temple qui lui était dédié à Éphèse, l'Artemysion, était l'une des sept merveilles du monde antique) ; il dut donc fuir vers le nord. Après avoir retraversé la Macédoine, il descendit de nouveau en Grèce, probablement à Corinthe, où il resta trois mois et écrivit la célèbre Lettre aux Romains.

De là, il revint sur ses pas: il repassa par la Macédoine, rejoint Troas par bateau et, ensuite, touchant à peine les îles de Mitylène, Chio, et Samos, il parvint à Milet où il tint un discours important aux Anciens de l'Église d'Éphèse, traçant un portrait du vrai pasteur de l'Église: -Act 20-. Il repartit de là en mettant les voiles vers Tyr, d'où il rejoint Césarée Maritime pour remonter encore une fois vers Jérusalem. Il y fut arrêté à cause d'un malentendu : plusieurs juifs avaient pris pour des païens d'autres juifs d'origine grecque, introduits par Paul dans la partie du temple réservée uniquement aux Israélites. La condamnation à mort prévue lui fut épargnée grâce à l'intervention du tribun romain de garde dans l'aire du temple -Act 21, 27-36- ; cet événement eut lieu alors qu'Antoine Félix était gouverneur impérial en Judée. Après une période d'emprisonnement (dont la durée est discutée), et Paul ayant fait appel à César (qui était alors Néron) en tant que citoyen romain, le gouverneur suivant Porcius Festus l'envoya à Rome sous surveillance militaire.



Le voyage vers Rome passa par les îles méditerranéennes de Crète et Malte, et ensuite par les villes de Syracuse, Reggio Calabria et Pozzuoli. Les chrétiens de Rome allèrent à sa rencontre sur la Via Appia jusqu'au Forum d'Appius (à environ 70km au sud de la capitale) et d'autres jusqu'aux Tre Taverne -Trois tavernes-(environ 40km).

                                        Rome, voie Appia

 A Rome, il rencontra les délégués de la communauté juive, à qui il confia que c'était à cause de "l'espérance d'Israël " qu'il portait ces chaînes -Act 28, 20-. Mais le récit de Luc se termine par la mention de deux années passées à Rome sous une surveillance militaire légère, sans mentionner aucune sentence de César (Néron), pas plus que la mort de l'accusé.

 

                                         

                                                                                            Néron condamne Paul

Des traditions tardives et incontrôlables  parlent de sa libération, qui aurait permis un voyage missionnaire en Espagne, ainsi qu'un passage en Orient et spécifiquement à Crète, à Éphèse et à Nicopolis en Epire. Toujours sur une base hypothétique, on parle d'une nouvelle arrestation et d'un deuxième emprisonnement à Rome (d'où il aurait écrit les trois épîtres appelées pastorales, celles à Timothée et celle à Tite) avec un deuxième procès, qui lui aurait été défavorable.

 

La tradition liturgique de l'Eglise de Rome relate la décapitation de l'apôtre "aux trois fontaines" et l'ensevelissement de son corps là où fut construite la basilique de saint Paul hors les murs.

                                       basilique Saint Paul, Rome

 

En février 2005 ,Un sarcophage pouvant contenir les reliques de l’apôtre Paul a été identifié dans la basilique romaine de Saint-Paul-hors-les-murs.
"La tombe que nous avons découverte est celle que les papes et l’empereur Théodose (379-395) ont retenue et présentée au monde entier comme étant celle de l’apôtre", assure l’archéologue qui a assuré la direction des fouilles.

 "Sur la partie que nous avons pu apercevoir, précise-t-il, il n’y a rien d’écrit; nous avons seulement découvert un côté du sarcophage sur cinquante centimètres de long, alors qu’il doit mesurer deux mètres".

Les premières recherches archéologiques ont permis de découvrir des traces de l’abside de l’ancienne basilique constantinienne (première moitié du IV° siècle) sous les marches de l’autel dédié à saint Timothée, collé au maître-autel. Le second sondage effectué sous l’autel majeur de la basilique, à l’intérieur de la Confession, a permis d’accéder au sarcophage, au niveau du sol de la basilique construite par l’empereur Théodose à la fin du IV° siècle.
 

                                      
Sous le maître-autel actuel, une plaque de marbre du IV° siècle, visible depuis toujours, porte l’inscription "Paulo apostolo mart" -Paul apôtre martyr-La plaque est munie de trois orifices probablement liés au culte funéraire de saint Paul. Ces trous étaient certainement utilisés "pour la "création" de reliques par simple contact" avec le tombeau de l’apôtre. 

A ce jour le tombeau n'a pas été ouvert.


Le long de la voie Ostiense, un édicule aurait été élevé sur la tombe de l’apôtre Paul, après sa mort dans le cours du Ier siècle.

 

Comme pour saint Pierre, l’empereur Constantin entreprit ensuite au début du IV° siècle de faire construire une basilique pour abriter la tombe. Puis, en 386, un demi-siècle après la mort de Constantin, devant l’afflux des pèlerins, une basilique plus grande fut construite à la demande des empereurs Valentinien II, Théodose et Arcadius.            

                                                                                                              Septembre 2008

L’Observatore Romano du 28 juin 2009 annonçait la découverte de la plus ancienne représentation de Paul, datant du IVe siècle. Elle a été trouvée lors de fouilles effectuées dans la catacombe sainte Thècle, au bord de la via Ostiense, la route romaine qui mène à la mer, non loin de la basilique Saint-Paul-hors-les-Murs, à Rome.  C’est en nettoyant aux rayons laser la voûte d’une alcôve, que les archéologues ont vu apparaître à la lumière l’image du Bon Pasteur, entourée de quatre médaillons représentant les visages de Paul, de Pierre et de deux autres apôtres.  La fresque nous montre l’apôtre Paul comme un philosophe pensif, au regard vif, au front haut, à la calvitie naissante et à la barbe en pointe.

                                                            

 

 

Bibliographie:

-Edouard Cothenet, Petite vie de saint Paul, Desclées, 2004

- Michel Gourgues, actes des apôtres, Cahiers Evangile N° 60, Cerf 1987

- Benoît XVI, catéchèse du mercredi 27 août 2008, source et base de ce billet,

 http://www.vatican.va/holy_father/benedict_xvi/audiences/2008/documents/hf_ben-xvi_aud_20080827_fr.html

 

                                  

Du  

 

 

 

2. Paul, l’apôtre des nations

 

Le christianisme invention de Paul?

Pendant les fêtes de Pâques 2004, la chaîne de télévision Arte a présenté une " enquête sur la naissance du christianisme ". Un DVD est disponible.  Les connaisseurs ont certainement trouvé matière à réflexion dans les discours des différents intervenants malgré les coupures et partis-pris du montage.

La multiplicité des intervenants, bien qu'ils ne fussent pas toujours des grandes pointures, a enrichi le débat. Il est fort dommage que le point de vue des réalisateurs ne laisse dans la mémoire des non spécialistes que quelques fausses idées:

1. La religion chrétienne serait essentiellement une création de Paul.

2. La rupture entre le judaïsme et le christianisme serait à mettre au seul tord des chrétiens, de Paul à l'origine.

3. L'origine de l'antisémitisme serait à chercher dans le christianisme primitif en particulier dans les Ecritures chrétiennes et chez les pères apostoliques.

Pour reprendre le débat, je vous propose de revisiter la carrière de l'apôtre Paul à partir des Actes des Apôtres et des épîtres.

 

Notre Jésus n'a laissé aucune trace écrite des Paroles qu'il nous a transmises venant du Père. Il n'a pas laissé non plus d'autobiographie. Les chrétiens ne peuvent accéder à la connaissance de sa Parole qu'en passant par le témoignage de ceux qui sont devenus ses disciples. C'est le fondement de la Tradition apostolique. Un des plus ardents annonceurs de la Bonne Nouvelle dans la première Eglise fut l'apôtre Paul qui, venu de judaïsme et persécutant d'abord la communauté chrétienne, est celui qui a commencé à exposer la doctrine révélée par Jésus Christ. Tous les exégètes sont d'accord pour dater les épîtres de Paul avant la rédaction des évangiles canoniques. Ce qui ne veut pas dire qu'avant l'annonce de Paul  des recueils de Paroles de Jésus n'aient pas circulé dans les communautés.

La personne de Paul

                                   

Saul qui se fera appeler plus tard Paul, décline lui-même son identité religieuse et civile: C'est un juif de Tarse, ville de Cilicie (proche d'Adana au sud de la Turquie d'aujourd'hui, à la verticale de Chypre) où cohabite grecs et juifs, la langue commue est le grec. Saul, "de la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, pharisien" Philippiens 3,  5-6 reçut sa première éducation dans l'école juive de sa ville et se familiarisa avec l'Ecriture sainte selon le texte hébraïque et la version grecque des septante. Après sa Bar Mitzva (majorité religieuse à l'âge de 12 ans qui fait de l'enfant un membre à part entière de la communauté: bar mitzva = fils des commandements), Saul se rend à Jérusalem pour suivre l'enseignement des rabbis. "Je suis juif, né à tarse en Cilicie, mais c'est ici, dans cette Ville -Jérusalem- que j'ai été élevé et que j'ai reçu aux pieds de Gamaliel une formation stricte de la Loi de nos pères". Actes 22,3 Ce Gamaliel était certainement un rabbi éclairé, juste et modéré, c'est lui qui invitait à la prudence les juifs excités contre les premiers disciples de Jésus : "Si c'est des hommes que vient leur résolution ou leur entreprise, elle disparaîtra d'elle-même ; si c'est de Dieu, vous ne pourrez pas la faire disparaître. N'allez donc pas risquer de vous trouver en guerre avec Dieu ! Actes 5 38 39. Saul lui ne s'embarrassait pas de nuances, tout manquement à la Loi devait être puni avec la rigueur de la Loi. La formation que Paul avait reçue et son caractère ne le prédisposaient donc pas à accueillir les enseignements d'un petit prophète galiléen, Jésus de Nazareth, qui semait le trouble dans les esprits et les cœurs de ceux qui voulaient suivre sans questions la Loi mosaïque.

Il est probable que Saul de Tarse n'ait pas connu Jésus au cours de sa vie, et même s'il l'avait rencontré, Saul n'aurait pas été ébranlé dans sa fidélité à la tradition de ses pères. En pharisien convaincu et rigoureux il n'admet pas de transiger avec la tradition. La Bonne Nouvelle constituait à ses yeux un péril très sérieux pour la religion juive.

Un disciple était particulièrement gênant; il portait la discussion jusque dans les synagogues, troublant même les docteurs de la Loi. Traduit devant le Sanhédrin, le grand tribunal religieux, Etienne esquissa à grands traits l'œuvre de Dieu sur son peuple depuis l'époque d'Abraham. Il fut condamné à être lapidé. Saul fut témoin de l'événement auquel il ne prit aucune part active, mais qu'il approuvait. Cette exécution sommaire fut le signal d'une première persécution à Jérusalem; les disciples durent quitter la ville pour gagner les campagnes de Judée et de Samarie. C'est donc bien le Sanhédrin, tribunal religieux juif, qui prit l'initiative, et de condamner Jésus avec la complicité des romains, et, d'exclure les disciples du Christ de la synagogue en allant jusqu'aux limites de l'application de la Torah envers les blasphémateurs: la lapidation. Saul mit toute son ardeur à combattre les disciples, et il se mit rapidement à la tête des persécuteurs.

La vocation de Paul

Alors qu'il poursuivait sa campagne de persécution contre les disciples de Jésus, Saul effectua une véritable conversion, à la suite d'un événement qui l'atteint personnellement alors qu'il se rendait à Damas afin de ramener à Jérusalem les disciples qui avaient fui jusque dans cette ville. Il raconte lui-même sa vocation : "Lorsque Celui qui m'a mis à part, dès le sein de ma mère, et m'a appelé, par sa grâce, a jugé bon de révéler en moi son Fils afin que je l'annonce parmi les païens, aussitôt... je suis parti.. .Gal. 1, 15-17.     

Le dessein de Dieu, sa volonté sur chaque homme, se dévoile dans le cadre d'une tradition, dont le sein maternel est la figure. Adonaï  (dont Saul ne prononce pas le Nom)  l'a "mis à part" sans le séparer du reste des hommes, "depuis le sein de ma mère". Il n'y a pas d'interruption dans l'histoire de la personne de Saul, Dieu ne fait pas une irruption dans la vie de l'homme, il se manifeste à lui d'une manière progressive depuis ses premières origines, toutefois il y a rupture avec son ancienne manière de penser, Saul à la suite de la vision de la lumière divine fait métanoïa, il change d'état d'esprit. La révélation qui lui est faite dans la Lumière "je suis Jésus que tu persécutes" Actes 9,3 a pour conséquence : "afin que je l'annonce".

La doctrine de Saul ne sera pas simplement un enseignement, mais surtout un changement complet de vie, elle ne sera pas un nouveau Talmud, mais une conversion de l'existence personnelle, une invitation pour tout homme à changer d'état d'esprit, de vie. Tous les hommes sans distinction de race sont invités à entrer en relation avec Dieu, d'une manière totalement différente, non pas par un enseignement, mais par une filiation dans le Fils unique.

Après son baptême à Damas reçu des mains d'Ananias,  Saul "se mit aussitôt à annoncer dans les synagogues que Jésus était le Fils de Dieu". Actes 9,20.  C'est à Chypre, qu'il changea son nom de Saul en Paul. Sans n'avoir pas pris le soin de faire confirmer l'authenticité de sa mission par le collège des apôtres, il annonce partout dans les synagogues et les places publiques la Parole de Dieu au sujet de son Fils Jésus Christ. En même temps qu'il est devenu disciple de Jésus-Christ, Paul est devenu lui aussi apôtre; du collège des douze comme des douze tribus d'Israël, il va devenir le treizième, celui qui par son enseignement fusionne les douze d'Israël avec toute l'humanité.  Lui, le défenseur acharné de la religion de ses pères, est devenu le fidèle apôtre de la Voie évangélique, lui, qui méprisait les païens avec une ardeur farouche, va devenir leur plus grand défenseur et va leur permettre d'entrer de plain-pied dans l'EgIise naissante.

La mission de Paul

Paul juge indispensable de se rendre à Jérusalem pour faire la connaissance de Pierre, non pas pour dissiper ses doutes sur son Evangile, mais simplement pour constater et faire constater l'harmonie de son enseignement avec celui des autres apôtres.

                               

                                                                                 Paul & Pierre,cathédrale de Maguelonne

C'était nécessaire pour bien affirmer sa communion avec l'ensemble de la Communauté chrétienne. Paul connaissait le Message professé par tous les apôtres, mais il l'enseignait avec beaucoup d'originalité. Ce qu'il souhaite montrer, c'est "qu'il ne court pas en vain"; il lui faut aussi recevoir l'acquiescement de tous sur son attitude en face de la circoncision et autres préceptes de la Loi judaïque.

Cette première assemblée générale que nous appelons le Concile de Jérusalem libère des préceptes de la Loi les chrétiens venant du paganisme. L'unité de l'Eglise était aussi affirmée: il ne peut y avoir une Eglise pour les juifs et une Eglise pour les païens, mais une seule et même Eglise, même si les pratiques peuvent être différentes. La liberté chrétienne s'affirme par rapport au judaïsme: la circoncision n'est pas une obligation, ce qui veut dire que le passage "pédagogique" par la Loi juive n'est pas une nécessité absolue pour la conversion à Jésus-Christ.

Paul a compris tout l'enjeu théologique de ce Concile de Jérusalem:  Si l'on doit devenir juif pour être baptisé, c'est que la grâce de Jésus-Christ ne suffit pas, c'est qu'il faut que l'homme fasse quelque chose de lui-même avant de pouvoir recevoir le don de Dieu. La décision des apôtres à Jérusalem est bien une suspension de certaines prescriptions de la Première Alliance, et c'est certain que les juifs fidèles à la Torah y ont vu une rupture avec ce qu'ils considéraient l'essence de la "Loi de Moïse".

Cet abandon des prescriptions de la Torah au profit de la foi en Christ montre bien que l'homme ne peut pas être sauvé par ses seules forces, mais qu'il est sauvé, gratuitement, par Dieu en Jésus-Christ. La vraie question est ainsi posée: L'Homme peut-il par ses propres forces, ses mérites, conquérir sa liberté du péché et accéder au Salut, à la Vie éternelle? Paul pose cette question avec le vocabulaire de sa génération: la justification.                                               

En bon pharisien, Paul pose la seule question qui vaille pour un juif qui ignore la question métaphysique de l'existence ou non de Dieu : "Comment devenir un juste?". (Tsadiq). Par la Torah? Est-elle la cause, la condition essentielle de la justification?

Pour répondre à cette question, Paul, en bon talmudiste, va chercher des arguments qui répandent encore un peu plus d'obscurité sur la question:  Abraham, sa foi, sa circoncision, ses femmes, Sara, Agar,  ses deux fils Israël et Ismaël, les droits de l'héritier enfant. Tout ce débat fait la joie des théologiens et des savants, je vous renvoie aux joyeux commentaires de l'épître aux Galates.

 

L'Evangile est simple pour les simples, aussi Paul est aussi capable d'aller à l'essentiel, la vie, la preuve par l'expérience. Une simple question apporte la lumière: D'où vient l'Esprit Saint que nous avons reçu au baptême? De la foi ou de l'accomplissement de la Torah? Du don gratuit (grâce) de Dieu ou de nos mérites? "Est-ce pour les œuvres de la Loi que vous avez reçu l'Esprit? ou pour votre assentiment à la foi? Galates 3,2.3  "Dieu a envoyé en vos cœurs l'Esprit de son Fils qui crie: Abba, Père!" Galates 4, 6

L'homme croit (emouna en hébreu = mettre sa confiance) ou mieux se repose en Dieu et Dieu le "justifie", c'est à dire lui assure le Salut par la foi et l'union avec son Fils, le Christ Jésus. "Tous en effet vous êtes fils de Dieu par la foi (emouna) au Christ Jésus. Car vous tous qui êtes baptisés en Christ, vous avez revêtus le Christ". Galates 3,27. Nous voici bien en rupture avec la doctrine des juifs pharisiens. Pour eux le tsadiq, le juste, est celui qui pratique l'observance intégrale et minutieuse de la Torah, et cela représente un titre à faire valoir en justice devant Dieu. Là encore, il y a divergence entre leur doctrine et celle de Paul. Mais qui donc est dans la tradition? Inutile de relire tous les livres de la Première Alliance. "Ne dis pas en ton cœur <> c'est à cause de ma justice que le Seigneur m'a fait venir prendre possession de ce pays". Deutéronome 9, 4sq. "N'entre pas en jugement avec ton serviteur, car nul vivant  n'est juste  devant toi". Ps. 143. On ne peut donc pas ici accuser Paul d'avoir inventé une nouvelle religion, il est bien en continuité avec la Révélation de la Première Alliance. Encore une citation et arrêtons-nous là sur cette importante question de la justification. "Nous savons cependant que l'homme n'est pas justifié par les œuvres de la Loi, mais seulement par la foi en Jésus Christ ; nous avons cru, nous aussi, en Jésus Christ, afin d'être justifiés par la foi en Christ et non par les œuvres de la Loi, parce que par les œuvres de la Loi personne n'est justifié." Galates. 2, 16).

Personne n'est juste sinon Dieu seul. Lui seul, en effet, peut demeurer fidèle à lui-même. Sa volonté de toute éternité et pour toute éternité, c'est le Salut de l'homme bien que celui-ci est raté sa cible, sa vocation (c'est là le sens du mot péché).

 

La justice de Dieu, la grâce:

 

La justice de Dieu s'est manifestée d'une manière particulière dans le Christ Jésus: le Fils de Dieu, le seul Juste, toujours tourné vers Dieu pour faire sa volonté, est mort pour les pécheurs, pour les injustes. Il a montré à l'homme que la fidélité  (emouna) doit s'accomplir jusqu'à la mort. Il a aussi donné son sang, sa vie, à Dieu son Père, pour qu'ils deviennent notre propre sang, notre propre vie. Et la justice de Dieu, qui n'est pas à la mesure humaine, c'est d'accorder gratuitement sa grâce: le don de Dieu est toujours premier, l'homme le reçoit mais il ne le mérite jamais. Pour recevoir le Salut, il faut et il suffit d'accepter de le recevoir : toute autre condition est superflue.

 

Ainsi, dès les débuts de la prédication de Paul, dès les débuts de la prédication de l'Eglise, la foi en Christ Jésus n'est jamais autre chose qu'une réponse de l'homme à l'invitation divine.

 

Sur la route de Damas, Paul a compris, comme les autres apôtres lors des apparitions du Ressuscité,  que le Christ ne cesse d'être le Vivant, et qu'à travers les temps il est vivant dans la vie de chacun de ses fidèles: Je suis Jésus que tu persécutes. Actes 9, 5.

Et, pour lui-même, il réalise que ce n'est plus lui qui vit, mais que c'est le Christ en personne qui continue son action à travers lui. La manifestation du Christ ressuscité à Paul, la Parole reçue, lui a montré à quel point la vie des disciples est unie à celle de leur maître; ils participent effectivement à la vie de leur Seigneur Jésus Christ.

Paul estime alors ne plus rien pouvoir sans la grâce de Dieu; il doit toute son existence au Christ qui s'est révélé à lui. Le Christ l'a aimé personnellement, "dès le sein maternel". La certitude fondamentale de Paul repose dans la réalité presque physique de l'union au Christ,   de partager la condition de Jésus, à tel point qu'il n'hésite pas à dire qu'il est crucifié avec le Christ pour vivre de sa vie. Ce n'est pas la Torah qui a donné l'Esprit et la Vie de Dieu aux croyants, mais bien l'annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, crucifié pour le Salut des hommes.

 

Paul et le judaïsme

 

Regardons maintenant les relations entre Paul et les juifs. A l'instant où Paul rédige ses épîtres, notamment celle aux romains, il lui faut bien constater que la masse des juifs, résistent à donner foi au message de Jésus et de le reconnaître Messie d'Israël. Les héritiers de la promesse faite à Abraham refusent l'Evangile alors que les enfants des nations païennes forment le gros des Eglises. Troublante énigme, véritable question angoissante: Dieu peut-il être infidèle à sa promesse? "En Christ, je dis la vérité, je ne mens pas, par l'Esprit Saint ma conscience m'en rend témoignage, j'ai au cœur une grande tristesse et une douleur incessante. Oui, je souhaiterais être anathème, être moi-même séparé du Christ, pour mes frères, ceux de ma race selon la chair, eux qui sont les israélites <> eux de qui, selon la chair, est issu le Christ qui est au-dessus de tout, Dieu béni pour les siècles. Amen <>. Non que la Parole de Dieu ait été mis en échec <> Le vœu de mon cœur et ma prière à Dieu pour eux, c'est qu'ils parviennent au Salut… Dieu aurait-il rejeté son peuple? Certes non" Romains 9,1-11,1. C'est que, toujours avec cette idée que l'accomplissement des commandements donne des droits sur Dieu, les juifs, voulant conquérir la justice par leurs propres  moyens se sont heurtés "à la pierre d'achoppement". Dieu a permis leur chute, pour amener les non-juifs à la foi en allant à l'essentiel, la Torah spirituelle, et non les petites pratiques aliénantes.

Mais cette déchéance du peuple élu n'est pas définitive. "Grâce à leur faute, les nations ont accédé au Salut <>  l'endurcissement d'une partie d'Israël durera jusqu'à ce que soit entré l'ensemble des nations. Et ainsi tout Israël sera sauvé <> Par rapport à l'Evangile, les voilà ennemis, et c'est en votre faveur; mais du point de vue de l'élection, ils sont aimés, et c'est à cause des pères. Les dons et l'appel de Dieu sont irrévocables". Romains 11, 11. 30.

Paul enseigne donc que le rejet de l'Alliance nouvelle par les juifs est momentané et providentiel au bénéfice des nations païennes. Aucune condamnation dans sa bouche et soupçon d'antisémitisme dans sa pensée. Il vrai que les exégètes juifs sont chagrinés par l'affirmation de Paul, que les païens deviennent aussi héritiers de la promesse, avec l'image de la greffe, il ne faut pas en conclure que la greffe élimine le porte greffe et accuser le christianisme de "captation d'héritage" comme je l'ai entendu. Pour parler comme les pères, le nouvel Israël –l'Eglise- n'exclut pas l'ancien Israël -le peuple juif-. "Si toi, l'olivier sauvage, tu as été greffé à leur place, et si tu as participé à la racine et à la sève de l'olivier, ne te glorifie pas <> ce n'est pas toi qui porte la racine, mais c'est la racine qui te porte <> Eux–mêmes, s'ils ne demeurent pas dans l'incrédulité, ils seront greffés; car Dieu est puissant pour les greffer de nouveau <> selon leur nature sur leur propre olivier". Romains 11, 17.24

 

Le christianisme, un mythe paulinien?

 

Terminons, hélas un peu court, sur l'accusation sommaire de l'invention par Paul d'une nouvelle religion qui ne serait ni celle d'Israël, ni celle de Jésus  et des autres apôtres.

Disons-le tout net: à la lecture des témoignages de l'Eglise apostolique, nous pouvons certainement discerner un conflit au sujet des prescriptions de la Torah entre Paul, Pierre et Jacques, mais certainement pas la divergence d'un iota sur la confession de la foi, même si nous pouvons parler de judéo-christianisme pour une tendance théologique, et de christianisme hellénistique, pour une autre.

A la question fondamentale "Qui est Jésus?"  Paul, Pierre et les autres confessent d'une seule voix "Le Fils de Dieu". Le nom de "Fils" est un éclair sur le secret de l'identité de Jésus. 

Le Fils de Dieu est celui qui reçoit une mission de la part de Dieu qui l'envoie, c'est un homme réel qui est la tête, le chef de file de l'ensemble de l'humanité. Il n'est pas un homme comme tous les autres, il est le propre Fils du Père, celui que l'évangéliste Jean identifie au Logos de Dieu qui s'est incarné.

 

La christologie de Paul:

 

Pour savoir qu'elle est l'influence de saint Paul sur l'origine du christianisme, c'est à dire sur la doctrine qui fera des disciples autre chose que des juifs messianiques, il nous faut examiner ce que les théologiens appellent sa christologie. Comment saint Paul concevait la position de Jésus de Nazareth par rapport au Dieu d'Israël et à l'humanité? Pouvons-nous dire qu'il est le fondateur du christianisme?

Saint Marc s'interroge sur l'identité de Jésus, il ne la dévoile à ses lecteurs qu'au pied de la croix, dans la bouche d'un païen, un centurion romain : Vraiment, cet homme était le Fils de Dieu.  Marc. 15, 39.

Ce Fils de Dieu est "né d'une femme" précise Paul. (Il convient de se souvenir que les lettres de Paul sont antérieures aux évangiles canoniques)  Le "être né d'une femme" est une expression biblique courante pour marquer la pauvreté de la condition humaine, son impuissance radicale et parfois même son impureté. Paul souligne, de la sorte, que le Christ est véritablement, parfaitement un homme, qu'il s'est inséré dans la condition humaine jusque dans sa déchéance la plus extrême: la mort

Ce Christ Jésus pourtant préexistait en Dieu, il est de condition divine. Il s'est plié à la même servitude, au même esclavage que tous les autres hommes dont il a voulu partager la condition. C'est ce que les théologiens appellent la kénose, du verbe grec ekenosen, il s'est dépouillé, ou encore il s'est vidé.  Philippiens 2, 7.

 

Comportez-vous ainsi entre vous, comme on le fait en Jésus Christ.

lui qui est de condition divine n'a pas considéré comme une proie

à saisir d'être l'égal de Dieu

mais il s'est dépouillé, prenant la condition de serviteur,

devenant semblable aux hommes et,

par son aspect, il était reconnu comme un homme

il s'est abaissé, devenant obéissant jusqu'à la mort, à la mort sur une croix

C'est pourquoi Dieu l'a souverainement élevé

et lui a conféré le nom qui est au-dessus de tout nom

afin qu'au nom de Jésus tout genou fléchisse

dans les cieux, sur la terre et sous la terre

et que toute langue confesse que le Seigneur, c'est Jésus Christ,

à la gloire de Dieu, le Père.    Philippiens. 2, 5-11

 

Cette kénose, cet assujettissement au dénuement des hommes n'implique pas que le Christ cesse d'être l'égal de Dieu, l'icône du Père. C'est dans son anéantissement même qu'il manifesta le plus l'amour que Dieu porte à son Fils comme à tous les hommes. Comme il se soumet à la condition des hommes, le Christ Jésus manifeste une manière divine de vivre l'humanité.

La construction de l'hymne aux Philippiens permet de saisir immédiatement que le cœur de théologie de Paul: la croix même du Christ. La croix apparaît comme le résultat ultime du dépouillement du Fils, mais elle apparaît également comme la condition qui permet au Père d'élever son Fils, jusqu'à lui donner le nom qui est supérieur à tous les noms humains, c'est-à-dire le Nom même de Dieu, puisque le Fils "n'avait pas considéré comme une proie à saisir ou à revendiquer d'être traité comme égal à Dieu".

 

Le Christ Jésus a vécu une solidarité radicale avec les hommes avec leur chair, avec leur destin, il a tout connu de la condition de l'homme, tout "sauf le péché" soulignera la lettre aux Hébreux  4, 15. Sauf le péché car Jésus le Logos incarné est toujours tourné vers Dieu son Père, mais non pas sans l'expérience de tout ce qui accompagne la conséquence de la chute, la fragilité du corps, la mort de la chair.

Le Christ est de condition divine. Son droit le plus strict aurait été de revendiquer une condition humaine glorieuse, telle qu'il la possédera après sa résurrection. Mais il n'a pas revendiqué cette égalité. Il a renoncé au rayonnement de la gloire divine, et il s'est volontairement anéanti, à l'opposé d'Adam, dont parle la Genèse, qui avait tenté de s'égaler à Dieu. Au lieu de faire éclater dans son humanité sa gloire divine, il a pris la condition de l'esclave de la mort inéluctable à l'humanité déchue. Et si l'Incarnation se présente comme le premier aspect de la kénose, l'obéissance jusqu'à la mort en sera la deuxième manifestation.

 

Pour Paul, la question de l'identité du Christ Jésus, Fils unique de Dieu, était une question primordiale. Sans le Christ, mort sur la croix et ressuscité d'entre les morts, la foi chrétienne devenait sans fondement; sans la mort, la condition humaine n'était pas assumée jusqu'au bout - et ce qui n'est pas assumé ne peut pas être sauvé - sans la résurrection du Christ, le Salut n'est pas donné par Dieu à tous les hommes.

Le Christ est le seul qui puisse opérer la libération de l'homme  puisqu'il est le Fils et que la liberté lui appartient du fait de sa condition divine; il communie à la servitude des hommes pour les faire communier à sa liberté. Ce qui n'est pas évident, mais qui permet la liberté individuelle devant l'économie divine, c'est que la libération offerte par Christ est autre que la fin de la servitude au péché et à la mort.

La liberté en Christ établit le croyant dans la position d'enfant de Dieu. Tout le peuple peut accéder à ce partage de la condition de Jésus, en devenant lui aussi fils, par la grâce de l'adoption. L'homme devient fils de Dieu, dans et avec le Fils unique par l'Esprit Saint.

 

Partager la condition de Fils:

 

La liturgie égyptienne du baptême selon saint Sérapion exprime parfaitement cette donnée essentielle à la compréhension du mystère de la vie en Christ. Je vous invite à  lire la catéchèse du baptême selon ce rit      qui dans une expression hiératique résume parfaitement notre programme de vie en Christ comme l'entend l'apôtre Paul: Avec la mort et la résurrection du Christ, la libération est entièrement achevée; tout est donné au disciple, il ne lui reste plus qu'à participer à l'œuvre de grâce. Tout est donné, mais tout reste à faire; il ne tient qu'à l'homme de devenir réellement fils de Dieu, en se donnant totalement à son Sauveur par la foi et par la reconnaissance de Dieu comme son Père. Le chrétien devient ainsi le fils adoptif du Père céleste par l'Esprit. L'Esprit, envoyé par le Père, confirme, en chaque croyant qu'il participe à une vie nouvelle, puisqu'il lui permet de nommer Dieu "Père". 

 

Le Seigneur est l'Esprit, et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté 2 Corinthiens 3, 17.  L'affirmation que le Christ est Esprit est une sorte de formule abrégée pour signifier que le Christ est entièrement pénétré par l'Esprit. Ainsi doit-il en être du fidèle baptisé en Christ. Vous n'avez pas reçu un esprit qui vous rende esclaves et vous ramène à la peur, mais un Esprit qui fait de vous des fils adoptifs, et par lequel nous crions : Abba ! Père ! Cet Esprit lui-même atteste à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu Romains 8 15 16.

 

Ce que dit notre liturgie du baptême, c'est la foi des apôtres exprimée magnifiquement par saint Paul.

Ses épîtres contiennent la véritable théologie de l'Eglise d'hier et d'aujourd'hui, elles n'en gardent pas moins un caractère adapté à la situation de chacun de ses destinataires; il ne s'agit pas, à proprement parler, de traités dogmatiques, mais d'une correspondance, plus ou moins longue, motivée par les circonstances de  la vie des communautés ou des individus auxquels l'apôtre est amené à s'adresser. Il nous faut aussi conformer à la vie réelle en prenant l'exemple de Paul.

L'importance de ses lettres est telle que, dès le premier siècle, les chrétiens en faisaient des copies qu'ils lisaient déjà dans leurs assemblées preuve s'il en est du caractère universel que les premières générations chrétiennes leur attribuaient comme l'expression même de l'orthodoxie et de l'orthopraxie  de l'Eglise catholique.

 

Paul, visionnaire ou apôtre?

 

Renan  ne peut cacher dans son étude sur l'apôtre daté de 1869, et son parti-pris méprisant sur le théologien, et son admiration pour l'homme. Influencé certainement par les abus dogmatiques d'un certain catholicisme romain et la réduction protestante, Renan veut absolument dénier l'importance de Paul:

"Paul a beau dire, il est inférieur aux autres apôtres. Il n'a pas vu Jésus, il n'a pas entendu sa parole. Les divins logia, les paraboles, il les connaît à peine. Le Christ qui lui a fait des révélations personnelles est son propre fantôme; c'est lui-même qu'il écoute, en croyant entendre Jésus"

Non, Paul n'est pas un illuminé isolé du collège des apôtres, toute sa vie et son enseignement le montre, il est toujours en communion avec les douze et il  porte bien haut la confession de Pierre "Christ, le Fils du Dieu Vivant". C'est ce cher monsieur Renan pourtant qui apporte la contestation de l'axiome "Paul fondateur du christianisme":

"Un homme a contribué plus qu'aucun autre à cette rapide extension du christianisme; cet homme a déchiré l'espèce de maillot serré et prodigieusement dangereux dont l'enfant fut entouré à sa naissance; il a proclamé que le christianisme n'était pas une simple réforme du judaïsme, mais qu'il était une religion complète, existant par elle-même. Dire que cet  homme – Paul – mérite d'être placé à un rang élevé dans l'histoire, c'est dire une chose évidente, mais il ne faut pas l'appeler fondateur. <> Ce qui fait vivre le christianisme, c'est le peu que nous avons de la parole et de la personne de Jésus. <> Seul il est assis à la droite de Dieu le Père pour l'éternité".

 

Je me permets d'ajouter: ce que nous savons de la personne de Jésus, Dieu vrai, homme véritable, nous le savons par les écrits Paul avant même ceux de Jean. 

                                                                                                                    

                                                                                                                     E-P. 

Eté 2004, N° 187,188, 189 de la lettre de saint Elie.

 

3. Le Mysterion selon saint Paul

 

" Jésus <> interrogeait ainsi ses disciples :" Qui, dit-on, est le Fils de l’homme ? " <> « Il leur dit : Et vous, qui dites-vous que je suis ? " -Mt.16, 13 à 16-.

Saint Paul fut un des plus ardents annonceur de la Bonne Nouvelle dans la première Eglise lui qui, venu de judaïsme et persécutant d'abord la communauté chrétienne, est celui qui a commencé à exposer la doctrine révélée par Jésus Christ: « L’importance des Lettres (Epîtres) de Paul est telle que, dès le premier siècle, les chrétiens en faisaient des copies qu’ils lisaient déjà dans leurs assemblées, preuve s’il en est du caractère universel que dès les premières générations chrétiennes leur attribuaient comme l’expression même de l’orthodoxie et de l’orthopraxie  de l’Eglise catholique " (Higoumène Elias-Patrick Leroy, Lettre aux amis du sanctuaire de saint Elie n° 189) [1].

                                      

La christologie de Paul

 

Pour saint Paul, croire en Jésus de Nazareth, celui qui est appelé le Christ (Mt. 1, 16), c’est reconnaître en Lui, le Fils unique de Dieu le Père, envoyé par Lui lorsque les temps furent accomplis pour nous sauver et nous libérer de la servitude du péché et de la mort (Ga. 4, 4 ; Rm. 5, 8 à 15 ; Eph.1, 9 & 10 ; 3, 5 & 6). Qui pour assurer notre salut a pris chair d’une femme (Ga. 4, 4), assumant totalement la condition humaine, sauf le péché (He. 4, 15), acceptant de plein gré de mourir pour nous sur la croix (Rm. 5, 8 ; Ph. 2, 8).

Paul montre ainsi que le Christ tout en étant véritablement et parfaitement homme « parce que né d’une femme » préexistait en Dieu de toute éternité, qu’Il est de condition divine. Homme véritable, Dieu parfait, Il s'est plié à la même servitude, au même esclavage que tous les hommes dont il a voulu partager la condition (Ph. 2, 5 à 11). Cet « abaissement » que les théologiens appellent la kénose (il s'est dépouillé, vidé dit littéralement saint Paul en Philippiens 2, 7), cet assujettissement au dénuement des hommes n'implique pas pour  saint Paul que le Christ cesse d'être l'égal de Dieu, l'icône du Père, mais qu’au contraire, c'est dans son anéantissement même qu'il manifeste le plus l'amour que Dieu porte à son Fils comme à tous les hommes.

En se soumettant, par obéissance à son Père, à la condition des hommes, le Christ Jésus manifeste une manière divine de vivre l'humanité (Ph. 2, 5 à 11), car étant de condition divine, le Seigneur Jésus était en droit de revendiquer une condition humaine glorieuse telle qu'il la possédera après sa résurrection. Mais à l'opposé d'Adam, dont parle la Genèse, qui avait tenté de s'égaler à Dieu, Jésus notre Seigneur et Sauveur ne revendique pas cette égalité, au contraire, plutôt que de faire éclater dans son humanité sa gloire divine, Il renonce au rayonnement de cette gloire en s'anéantissant volontairement, prenant la condition de l'esclave, et donc de la mort inéluctable à l'humanité déchue. Et si l'Incarnation se présente comme le premier aspect de la kénose, l'obéissance jusqu'à la mort de la Croix en est la deuxième manifestation (Ph. 2, 8).

 

Si pour saint Paul le Mystère chrétien du Logos éternel de Dieu fait chair (Jn. 1, 14), dévoilé en la personne de Jésus, qui a souffert, est mort et a été enseveli, qui est ressuscité par amour de l’homme en vue de son Salut est incompatible avec la raison (1Co.1, 12 à 34 ; 1Co. 2, 7 à 16 ; Eph. 3, 4 à 6 ; Col. 1, 26 & 27), la question de l'identité du Christ Jésus, Fils unique de Dieu est, pour lui une question primordiale.

Car si le Christ Jésus n’est pas homme véritablement, s’Il n’est pas Dieu parfaitement, nous ne sommes pas participants à l’immortalité et à l’incorruptibilité de Dieu. S’Il n’est pas mort réellement sur la croix et s’Il n’est pas ressuscité d'entre les morts la foi chrétienne est sans fondement, car sans la mort la condition humaine n'était pas assumée jusqu'au bout. Et ce qui n'est pas assumé ne peut pas être sauvé. Sans la résurrection des enfers du Christ, le Salut n'est pas donné par Dieu à tous les hommes.

 

Le libérateur & l'adoption divine:

 

Le Christ est le seul qui puisse opérer la libération de l'homme puisque étant le Fils unique du Père, la liberté lui appartient du fait de sa condition divine: il communie à la servitude des hommes pour les faire communier à sa liberté, tout en respectant la  liberté individuelle des hommes devant l'économie divine, car Dieu ne contraint pas l’homme, il l’appelle comme un père appel son fils.

La libération qu’offre le Christ  à l’humanité ne se limite pas à mettre fin à la servitude au péché et à la mort, mais à établir celui qui croit que Jésus est Seigneur et Sauveur dans la position d'enfant de Dieu. Ce partage de la condition de Jésus le Christ en devenant fils par la grâce de l'adoption, permet à l’homme de devenir fils de Dieu dans et avec le Fils unique par l'Esprit Saint (Ga. 4, 5 ; Eph. 1, 5).

Le chrétien devient ainsi fils adoptif du Père céleste par l'Esprit. L'Esprit, envoyé par le Père, confirme, en chaque croyant qu'il participe à une vie nouvelle, puisqu'il lui permet de nommer "Dieu Père ", son père (Rm. 8, 15). Le Seigneur est l'Esprit, et là où est l'Esprit du Seigneur, là est la liberté (2 Co. 3, 17).

 

Saint Paul centrera donc sa prédication sur le mystère du Christ Ressuscité qu’il place au cœur du message chrétien : « Si le Christ n’est pas ressuscité, vaine est notre foi» (1Co.15, 4).  A partir de là, il ébauche une théologie de l’histoire qu’il amplifiera dans l’épître aux Romains (8, 1 à 38) : l’humanité entière en marche derrière le Christ est appelée à se libérer peu à peu de toutes les aliénations de ce monde. Par Lui la justice de Dieu s’est manifestée et par son obéissance absolue au Père, Il a accompli Sa volonté en mourant pour les pécheurs et les injustes, Lui le seul sans péché et le seul juste (Rm. Chap. 1 à 5 ent. & 10, 3) [2].

Avec la mort et la résurrection du Christ, la libération est entièrement achevée, désormais le Christ Jésus est assis à la droite de Dieu le Père pour l’éternité (He. 1, 3 ; 8, 1 ; 10, 12 ; 12, 2).

 

Justice, grâce & connaissance (gnosis):

 

Pour Paul la justice de Dieu consiste donc désormais à accorder gratuitement sa grâce à l’homme, car elle n’est pas à la mesure de l’homme et ne saurait dépendre d’éventuels mérites ou œuvres que l’homme serait susceptible d’accomplir (Rm. 3, 28 ; Ga. 2, 16 ; Eph. 2, 4 à 8 ; Ti. 3, 4 à 7).

Saint Paul enseigne également que les mystères sont vie du Christ dans l’Esprit : mystères de foi. Aussi le Salut de l'homme consiste à entrer en communion de vie avec " Dieu notre Sauveur qui veut que tous les hommes soient sauvés et parviennent à la connaissance de la vérité " (Tm. 2, 4). Cette connaissance de Dieu, pour Paul, est donnée par l’Esprit de Dieu, qui seul permet de connaître les dons que Dieu faits, et cette connaissance est reçue par la prédication de l’Evangile, la réception du baptême et l’onction du Chrême. Mystères par lesquels le Christ rend à l’homme la puissance d’agir, d’être pleinement roi, prêtre et prophète (Tt. 3, 4 à 7 ; lire Rm. chap. 6 en entier).

 

La doctrine de Paul est donc bien plus qu’un enseignement, mais une invitation pour tout homme à changer d’état d’esprit, car désormais tous les hommes sans distinction de race sont invités à entrer en relation avec Dieu, non pas par un enseignement, mais par une filiation par le moyen de la foi en Jésus-Christ, le Fils unique de Dieu le Père, qui envoie dans le cœur du croyant l’Esprit de son Fils, et ainsi le libère et le fait cohéritier du Christ Jésus (Rm. 8, 14 à 17 ; 10, 9 à 13 ; Ga. 3, 26 ; 4, 1 à 7 ; Eph. 1, 5).

          

Pour Paul, toute confession de foi en Jésus Christ est produite en l’homme qui s’ouvre aux mystères par l’Esprit de Dieu, manifestant ainsi publiquement l’action de Dieu en lui et devenant par la foi participant des mystères : « C'est pourquoi je vous déclare que nul, personne, s'il parle par l'Esprit de Dieu ne dit: Jésus est anathème ! Et nul ne peut dire: Jésus est le Seigneur  si ce n'est par le Saint-Esprit.» « Si tu confesses de ta bouche le Seigneur Jésus, et si tu crois dans ton cœur que Dieu l'a ressuscité des morts, tu seras sauvé » (1Co.12, 3 ; Rm. 10, 9).

 

Avec Christ, en Christ:

 

Le Christ Jésus, enseigne l’Apôtre Paul, est le nouvel Adam, l’icône du Dieu invisible (1Co. 15, 45 ; Col. 1, 15) qui inaugure une nouvelle humanité dont le corollaire serait : Si quelqu’un est dans le Christ, c’est une nouvelle humanité, une nouvelle création. La foi conduit l’homme au baptême, et c’est par le baptême que l’homme scelle sa foi en Jésus Christ, Seigneur et Sauveur, qu’il s’unit à Sa mort, à Son ensevelissement et à Sa Résurrection et qu’il participe à cette nouvelle création qui est vie pour Dieu dans le Christ, (Rm. 6, 1 à 11 ; Col. 2, 12 ; 3, 10). L’être ancien (le vieil homme) disparaît, meurt dans les eaux du baptême en tant qu’instrument du péché pour ressusciter uni au Christ. A la sortie des eaux : un être nouveau est là. Renouvelé intérieurement par le baptême à l’image de notre créateur,  le baptisé devenant dans le Christ une nouvelle créature uni au mystère de la mort du Christ qui l’a réconcilié dans son corps de chair, le livrant à la mort (2Co. 5, 17 ; Ga. 6, 15 ; Col. 1, 23 ; Col. 3, 5 à 10 ; Ga. 6, 15 ; 2Co. 5, 17).

Mais avec le vieil homme, c’est aussi les pratiques anciennes qui doivent également être mises à mort (Ga. 5, 24), car il ne peut être question de rester dans le péché pour que la grâce se multiplie (Rm. 6, 1). En mourant au péché par le baptême le chrétien devient un même être avec le Christ, comment le péché pourrait-il continuer à vivre en lui (Rm. 6 ent.), alors qu’uni au Christ il vit désormais sous le régime nouveau de l’Esprit et non plus sous le régime périmé de la lettre de la Loi (Rm. 7 ent.).

 

Les œuvres de la foi:

 

La Foi dans le Christ n’est pas un "programme" mais réponse libre de l'homme à l'invitation divine au Don surabondant de Vie venant de Dieu, quand l’homme confesse Jésus comme son Seigneur et son Roi, son Sauveur et son  Rédempteur.

Tout est donné au disciple à qui il ne reste plus qu'à participer à l'œuvre de la grâce. Toutefois cela ne signifie pas que le Salut soit un dû mais une grâce de Dieu qui doit être accueillie par une foi active dans la docilité à l’Esprit reçu lors du baptême (Rm. 4, 4 à 8 ; 6 ent. ; 8, 1 à 13 ; Ga. 5, 6 à 26).

L'homme doit œuvrer avec le concours de la Grâce divine pour devenir réellement fils de Dieu (1Co. 3, 9).  Pour cela, celui qui croit que Jésus est Seigneur doit mourir sans cesse au vieil homme et à ses œuvres, et mettre le Christ au centre de toutes choses, car pour saint Paul la Vérité n’est pas un concept mais une personne, celle de Jésus Christ le logos-Parole de Dieu, le Fils unique du Père, Dieu véritable et homme parfait, en qui repose le souffle de Dieu le Père : le Saint Esprit: " Ainsi donc, vous n'êtes plus des étrangers, ni des gens du dehors; mais vous êtes concitoyens des saints, gens de la maison de Dieu. Vous avez été édifiés sur le fondement des apôtres et des prophètes, Jésus-Christ lui-même étant la pierre angulaire. En lui tout l'édifice, bien coordonné, s'élève pour être un temple saint dans le Seigneur. En lui vous êtes aussi édifiés pour être une habitation de Dieu en Esprit " (Eph. 2, 19 à 22).

 

L'homme intérieur:

 

Pour cela le chrétien doit mener le bon combat, en vu de la conquête du Royaume, en travaillant à la construction de l’homme intérieur, qui est le projet Divin de vie de  Dieu pour l’homme: " si chez nous l'homme extérieur s'en va en ruine, l'homme intérieur se renouvelle de jours en jours." (2 Co. 4, 16).

Pour construire cet homme intérieur, Paul propose de commencer là où Adam a échoué, c’est à dire en construisant notre intériorité en nous tournant vers Dieu par l'action de grâces : Dieu n'ayant pas dédaigné de se faire homme, aucun des aspects de notre vie n'est méprisable. Dieu nous a ressemblé en tout sauf le péché, nous pouvons donc lui ressembler en tout.

Car agir « pour sa gloire » comme dit saint Paul (1Co. 10, 31), cela veut dire que chacun de nos gestes, même les plus ordinaires, peut être un point de ressemblance avec Dieu. Cela signifie que nous ne pourrons plus jamais dire qu’un quelconque de nos gestes du quotidien : manger, boire, ou n'importe quoi d'autre, serait  "bassement ordinaire ". Plus rien n'est méprisable ou indigne. Bien plus, chacune de nos actions peut être digne de Dieu. Depuis que le Logos de Dieu s'est fait chair, nous savons que toute notre vie dans la chair peut être révélation de Dieu. Voilà une grande nouvelle que Paul explicite à partir de la Bonne Nouvelle : Il n'y a plus pour le chrétien de sacré et de profane, nos gestes les plus ordinaires peuvent être religieux, vécus avec Dieu. Tout est grâce et l’homme par la foi au Christ est devenu temple du Saint Esprit, qui est pour Paul à la fois l’âme des communautés chrétienne et la clé de la Vie de celui qui par le baptême devient un nouveau Christ par l’Esprit (1Co. 3, 17 & 17 ; 6, 19 ; 2Co. 6, 16).

Cependant Paul nous met en garde, car les mêmes gestes peuvent aussi devenir des obstacles pour les autres et une atteinte à la charité: "Tout ce que vous faites: manger, boire, ou n'importe quoi d'autre, faites-le pour la gloire de Dieu. Ne soyez un obstacle pour personne, ni pour les Juifs, ni pour les païens, ni pour l'Eglise de Dieu. Faites comme moi : en toutes circonstances je tâche de m'adapter à tout le monde ; je ne cherche pas mon intérêt personnel, mais celui de la multitude des hommes, pour qu'ils soient sauvés : Prenez-moi pour modèle ; mon modèle à moi, c'est le Christ ". (1Co. 10, 31 à 11, 1).

 

Vivre selon l'Esprit:

 

Si Paul attache tant d’importance à la vie morale des chrétiens, c’est parce que l’Esprit qui œuvre en l’homme est aussi en lui un germe de vie qui l’achemine à la suite du Christ vers la résurrection du corps de gloire (Rm. 8, 11). Le Salut pour Paul est autant individuel que communautaire, bien que pour lui l’Esprit répande ses dons au sein de la communauté (1Co. 12, chap. 12 à 14). Les chrétiens doivent vivre, nous dit-il, selon l’Esprit, en constituant un corps uni au Christ dans l’amour fraternel. C’est à eux qu’il appartient de préparer cette nouvelle création, le baptême les associant à la domination cosmique du Christ (Col. 2, 9), car le baptême n’ôte pas les Chrétiens du monde mais les y insère comme un ferment de vie. C’est pourquoi  ils doivent  réaliser dans l’histoire cette prise de possession de l’univers par le Christ en transformant le monde qui aspire nous dit Paul à la « révélation des fils de Dieu » (Rm. 8, 19) : « Il n’y a ici ni Grec ni Juif, ni circoncis ni incirconcis, ni barbare ni Scythe, ni esclave ni libre ; Christ est tout et en tous. » (Col. 3, 11 ; Ga. 3, 28).  « Tout est à vous, mais vous vous êtes à Christ et le Christ est à Dieu » (1Co. 3, 23).

Si le Salut, pour Paul, est autant individuel que communautaire, l’homme peut se perdre seul. Pour accomplir son salut le chrétien doit travailler avec crainte et tremblement (Ph. 2, 12). Et cela, l’apôtre ne le sous-estime pas, suppose un exercice constant des vertus salutaires (1Th. 5, 8). Aucune négligence n’est permise dit-il, c’est maintenant le jour du Salut (2Co. 6, 2), nous n’avons plus d’autre choix que le Salut ou la perte (2Th. 2, 10 ; 2Co. 2, 15).

 

Père Patrick-Georges (Bernardin) - LETTRE DE L’ASSOCIATION ORTHODOXE CEVENOLE –

30440 - SAINT LAURENT LE MINIER - N° 4  - 2008 -

 

 

Bibliographie :

Lucien Cerfaux, Le Christ dans la théologie de saint Paul, les Editions du Cerf, collection Lectio Divina n° 6, Paris, 1951 ;

Bernard Rey, Créés dans le Christ Jésus, la création nouvelle selon saint Paul. Les Editions du Cerf, collection Lectio Divina n° 42, Paris, 1966.

RP Eliyâs-Patrick Leroy, Lettres aux amis du sanctuaire de saint Elie n° 187, 188 et 189, 2004, « Paul l’apôtre des nations 1, 2 et 3 ».

RP Jean-Marie Berland, Lettre aux amis du sanctuaire de saint Elie n° 9 août 1989, « Lire saint Paul, hier et aujourd’hui ».

Sous la direction de Xavier Léon-Dufour, Vocabulaire de Théologie Biblique (VTB), Editions du Cerf, Paris, 1981.

Notes:

1. Saint Paul apparaît dans le Livre des Actes à partir du chapitre 7, lors de la lapidation du proto-martyr Etienne, et devient à partir du chapitre 13, le héros principal de ce récit écrit par l’évangéliste Luc, qui, selon certains auteurs, fut rédigé grande partie pour défendre la mémoire de Paul. Le Livre des Actes peut être considéré comme le premier Livre de l’histoire de l’Eglise. On pourra lire avec profit les notices introduisant la lecture des Actes et des Epîtres Pauliniennes des Bibles actuelles. Pour beaucoup de spécialistes, l’influence providentielle de saint Paul sur la doctrine chrétienne a sans doute permis aux disciples d’être autre chose que des juifs messianiques. Mais accuser Paul d’être à l’origine d’une nouvelle religion est absurde, il y a eu conflit entre Paul, Pierre et Jacques quant aux prescriptions de la Torah mais ils parlaient d’une seule bouche quant à la confession de la foi (Actes chap. 15). Ce que nous nommons judéo-christianisme et helléno-christianisme peuvent être défini comme des tendances théologiques, la foi est la même.

                                                           

 

2. Le mot justice a connu une évolution sémantique importante aux cours des siècles et comprend encore diverses acceptions. En premier lieu la justice désignait l’observance intégrale des préceptes divins, et donc une conduite conforme à la Loi, puis l’influence grecque lui donnera un contenu nouveau qui fera de la justice, la sagesse mise en pratique. Dans une dernière évolution sémantique, la justice en arrivera à désigner l’aumône, le juste devenant un homme bon et charitable, un philanthrope.

Identifier la justice et l’observance extérieure de la Torah sans y apporter la générosité du cœur  (la Loi donnée au Sinaï et dite de Moïse) c’est le principe même du légalisme. La Bonne Nouvelle de l’Evangile libère la justice véritable d’une conception étroite et littérale des préceptes de la Loi mosaïque. [NDLR de la lettre Elie: Les chrétiens ne sont pas à l'abri de la même dureté du cœur qui fait choisir le sacrifice et non la miséricorde, le règlement plutôt que la charité] Le Seigneur Jésus Christ qui vient accomplir l’Ecriture et l’œuvre de son Père dénonce et s’oppose au formalisme et à l’hypocrisie d’une religion humaine et orgueilleuse qui prive Dieu de son droit. Le Seigneur pour parler de la manifestation de la justice de Dieu recourt à l’expression équivalente de Royaume des cieux. Pour Paul ce n'est pas la Torah qui est source de l'Esprit et la Vie de Dieu aux croyants, mais bien l'annonce de la Bonne Nouvelle de Jésus Christ, crucifié pour le Salut des hommes. Pour lui la justice de Dieu, qui n'est pas à la mesure humaine, est la grâce divine accordée gratuitement et qui est fondée sur Sa miséricorde. Si pour saint Paul la grâce divine est de soi eschatologique, elle est réellement anticipée dès maintenant dans la vie chrétienne.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Année Saint Paul