L'amour de Dieu veut conquérir l'amour de l'homme

 

Pendant les carêmes, notre Eglise célèbre le mystère du Salut avec la plus ancienne anaphore d'Egypte, celle attribuée à saint Marc.

La préface introduit directement le plan de notre Salut, établi par le Dieu bienfaiteur et miséricordieux:

Il est vraiment juste et bon, saint et convenable, utile à nos âmes, Maître et Seigneur, Dieu Père tout puissant, de te louer, de te célébrer, de te rendre grâces, de te confesser hautement de jour et de nuit, par des chants incessants, sans jamais laisser se fermer nos lèvres et se taire notre cœur. < > C’est toi qui as créé l’homme à ton image et à ta ressemblance, et lui as donné de jouir du paradis.

Après qu’il eut transgressé ton commandement, tu ne l’as pas méprisé et abandonné, mais dans ta bonté, tu l’as appelé à nouveau par ta Loi, tu l’as instruit par les prophètes, enfin tu l’as restauré et renouvelé par ce redoutable, vivifiant et céleste mystère.

Tout cela, tu l’as accompli par celui qui est ta sagesse et la vraie lumière, ton Fils unique, notre Seigneur et Sauveur Jésus Christ.

                                              

Dans ces quelques phrases se trouvent le résumé parfait de toute l'action de Dieu pour nous amener à son Royaume. Il n'y a pas de meilleurs commentaires que ceux que saint Irénée, l'évêque de Lyon, nous donne tout au long de son traité de la "réfutation de la fausse gnose", surnommé par les éditeurs "contre les hérésies" (Adversus Haereses AH).

 

Saint Irénée, comme Origène  incarnation du Logos selon Origene met en avant la bonté du Créateur comme moteur de tout ce qu'il fait pour nous.

Pour lui, il n'y a pas de Dieu où il n'y a pas de bonté (AH.III, 25,3). Toute l'évolution religieuse du monde est l'histoire des bienveillances divines pour la créature.

 

C'est l'amour de Dieu qui, par son Logos, achemine l'homme jusqu'à lui. Et, si tant de divine bonté doit aboutir "à la gloire de Dieu", ce n'est pas que Dieu ait besoin de nous. Mais l'homme a besoin de Dieu, et Dieu veut que l'homme se sauve en étant soumis à Dieu, reconnaissant et l'aimant, et en le glorifiant (AH.III, 20, 1-2).

 

Et d'abord, cette divine bonté se manifeste dans la création même de l'homme, dont l'aboutissement est notre déification.

Sous la récapitulation dans le Christ, "l'homme accompli est composé de chair, d'âme et de l'Esprit: de l'Esprit Saint qui sanctifie et informe". (AH 5,9.1)

 Si bien que "nous devons sans relâche travailler à nous déifier et à nous élever au-dessus de tout le créé". (Démonstration apostolique-DA.- 3) 

 

Toutefois, cela est le don gratuit du Père, par son Logos, dans l'Esprit-Saint.

Par nature, en effet, l'homme n'est pas dans la situation de perfection. C'est sa condition naturelle d'être mortel, libre sans doute, mais, par là même, capable de péché, et toujours fragile encore, au temps de l'épreuve, vu son imperfection essentielle de créature. 

Même dans son élévation par l'Esprit, il était conforme à sa condition de créature qu'il ne vînt que progressivement à sa perfection, par étapes, par progrès successifs et à travers l'exercice d'abord d'une liberté capable,  soit de défaillir soit de considérer le bien dans la Parole de Dieu.

Car Irénée ne regardait pas Dieu comme impuissant à nous parfaire dès l'abord, en nous confirmant en grâce, mais il veut que l'homme coopère librement à sa pleine gloire.

Aussi, dès que viendra la chute, la divine Bonté ne sera pas vaincue: elle deviendra l'infinie miséricorde. Quand, victime de son ignorance et de sa crédulité à la parole de l'ange trompeur, Adam tombera sous le coup de.la mort, pour s'être persuadé que la vie lui était naturelle, il verra "aussitôt son Créateur prendre parti pour lui contre son séducteur".

La première faute, Dieu en retournera l'effet d'inimitié contre le serpent trompeur. A lui seul la malédiction, tandis que la mort, dont l'homme est puni, est elle-même un acte de miséricorde envers lui. Car, en mettant fin à la vie d'Adam, la mort mettra fin à son péché, et rendra possible son retour à la vie de Dieu. Surtout, l'homme y apprendra que l'immortalité est une grâce, un don divin. Ainsi éclairé, mûri, il sera alors disposé à recevoir Dieu. (A.H 3,23,6 & 4,39,1 & 37,7)

L'état du paradis, c'était, avant tout, l'Esprit-Saint en nous, et la chute d'Adam en est la perte.

 

La chute considérée comme universelle déchéance, doit-elle nous priver définitivement de Dieu? Il n'en est rien. "Les mains de Dieu n'ont pas lâché Adam pécheur". Celui-ci est, lui-même, par avance "l'annonce et la figure" du Christ Sauveur.

Le Logos, qui venait déjà dès le paradis s'entretenir avec Adam, travaille sans cesse l'humanité à travers les siècles de son histoire, jusqu'à ce que, par la venue visible du Christ, elle progressât alors d'une étape décisive, marquée par le don plus complet, cette fois, de l'Esprit-Saint.

Et ceci même n'aura son achèvement définitif que par la possession de Dieu dans la gloire.

 

"Ainsi, après la transgression Dieu n'abandonne pas l'humanité, il lui donne la Loi, choisit des patriarches et des prophètes en vue du Salut <>, de façon à accoutumer l'homme à porter en lui son Esprit et à avoir communion avec Dieu. N'ayant besoin de rien, il offre, à ceux qui ont besoin de Lui, la communion avec Lui, et, comme un sage architecte, il dessinait d'avance les lignes constructrices de leur Salut, pour ceux en qui il se complaisait. Et, pour ceux qui tournent leur cœur vers le Père, il tuait le veau gras et leur donnait la première robe, adaptant ainsi de tant de lumières le genre humain pour qu'il fût en harmonie avec son Salut." (AH.IV, 11, 2 )

 

                          

 

La venue du Logos incarné comme docteur, comme sanctificateur et déificateur des hommes est "l'accomplissement de toute justice" -Mt 3,15- selon l'expression de Jésus à Jean Baptiste.

Par le mot "justice", qu'il entend aussi par "convenable" -en harmonie avec la raison-, saint Irénée ne lui donne pas le sens de principe moral impliquant la conformité de la rétribution avec le mérite ou la satisfaction de la peine réclamée par un délit, mais celui  de cohérence interne du dessein divin.

Le propre de cette justice éminente est de procurer une réalisation parfaite du plan divin.

 

"Comme, par notre premier père Adam, nous étions tous enveloppés et enchaînés dans la mort à cause de sa désobéissance, il était juste et nécessaire que pareillement le joug de la mort fût brisé par l'obéissance de celui qui s'est fait homme pour nous. Parce que la mort avait établi son empire sur le corps, il était juste et nécessaire qu'une fois abattue par le corps, l'homme fût désormais à l'abri de ses coups". (DA 31)

"Il était nécessaire que le Seigneur, venant vers la brebis perdue, récapitulant toute cette économie immense <> sauvât Adam, l'homme même qui avait été fait à son image et ressemblance, <> parce que toute l'économie du Salut de l'homme se réalisait selon le bon plaisir du Père, de telle façon que Dieu ne fût pas vaincu et que son art ne fût pas mis en défaut".

 

                             

 

Oui, la Rédemption était exigée "selon la raison" et "juste et nécessaire", mais en vertu précisément de l'économie que, de fait, Dieu avait librement choisie par bonté.

L'explication ultime pour l'économie providentielle de la Rédemption, c'est le "bon plaisir de Dieu" et son amour de sa création.

 

Ce bon plaisir a sa logique. Son dessein premier, initial, depuis le paradis, avant même la faute, était celui d'un progrès de spiritualisation de l'humanité, que le péché n'arrêterait pas, qui se poursuivrait à travers les économies qu'Irénée énumère, qui aurait son étape décisive avec le Christ, et par une forme nouvelle du don de l'Esprit, et qui s'achèverait enfin dans la gloire.

 

"Par l'obéissance que le Logos a pratiquée jusqu'à la mort en étant attaché sur le bois, il a réparé l'antique désobéissance occasionnée par le bois. Et comme il est lui le Logos du Dieu tout-puissant, dont la présence invisible est répandue en nous et remplit le monde entier, il continue encore [son influence sur le monde] dans toute sa longueur, sa largeur, sa hauteur et sa profondeur. Car, par le Logos de Dieu tout est sous l'influence de l'économie rédemptrice, et le Fils de Dieu a été crucifié pour tout, ayant tracé ce signe de croix sur toutes choses. Car il était juste et nécessaire que celui qui s'est rendu visible amenât toutes les choses visibles à participer à sa croix, et c'est ainsi que sous une forme sensible son influence propre s'est fait sentir dans les choses visibles elles-mêmes. Car c'est lui qui illumine les hauteurs, c'est-à-dire les cieux, c'est lui qui pénètre les profondeurs des enfers, lui qui parcourt la longue étendue de l'Orient à l'Occident, lui qui atteint l'immense espace du Nord au Midi, appelant à la connaissance de son Père les hommes dispersés en tous lieux". (DA 34).

 

            

 

La Rédemption est l'œuvre de l'amour de Dieu qui veut conquérir l'amour de l'homme. Et, par là, elle prépare la béatitude de l'homme et lui procure la gloire de Dieu.

"La gloire de Dieu, c'est l'homme vivant, et la vie de l'homme, c'est la vision de Dieu". (AH 4.20,7)

 

                                                                                                                    + E-P  

 

Lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie  N° 329        avril 2016                                                                                                  

                                                                              

 

Dieu bon selon saint Irénée