Vous verrez demain matin éclater la gloire du Seigneur,

car vous saurez que le Seigneur va venir aujourd'hui même.

 

Habitants de la terre, enfants des hommes, écoutez: Vous qui dormez dans la poussière, éveillez-vous et chantez les louanges de Dieu, car un médecin va venir visiter ceux qui sont malades, un rédempteur, ceux qui sont vendus, ceux qui se sont égarés du droit chemin, ceux qui sont morts à la vie.

Oui, voici venir celui qui va jeter tous nos péchés au fond de l’abîme, guérir toutes nos infirmités, nous charger sur ses épaules et nous ramener à notre propre et originelle grandeur. Sa puissance est grande, mais sa miséricorde est plus admirable encore, puisque celui qui pouvait nous secourir a daigné venir comme il l'a fait. "Aujourd'hui, aujourd'hui même, le Seigneur va venir -Ex. 16, 6-. "

Ces paroles se trouvent à leur place et dans leur temps, dans la sainte Ecriture, mais l'Eglise notre mère les fait entendre [à l'office de] la veille de la naissance du Seigneur. L'Eglise, dis-je, que son époux et son Dieu assiste de ses conseils et de son Esprit, sur le sein de laquelle le Bien-aimé aime à se reposer, qu’il possède uniquement, et dont il s'est fait un trône pour son cœur. On peut dire, en effet, qu'elle l'a blessé au cœur, et qu'elle plonge l'œil de sa contemplation jusqu'au plus profond abîme des secrets de Dieu, en sorte qu'elle lui fait dans son propre cœur, et se prépare à elle-même, dans le cœur de son époux une demeure éternelle. Aussi, quand l'Eglise s'autorise de changer de place ou de contexte, les paroles de la Sainte Ecriture, l'emploi qu'elle en fait est préférable au sens et à l'ordre primitif du texte sacré. Peut-être même est-il permis de dire que son sens l'emporte sur le sens littéral, autant que la vérité l'emporte sur les figures, la lumière sur l'ombre, la maîtresse sur la servante.

 

"Vous saurez donc qu'aujourd'hui même le Seigneur va venir."

A mon avis ces paroles nous donnent bien clairement l'idée de deux sortes de jours:

    -le premier a commencé à la chute du premier homme et se continue jusqu'à la fin du monde; c'est le jour que les saints sont souvent chargé de leurs déprécations. C'est qu'en effet Adam a été chassé par ce jour, du jour de splendide lumière dans lequel il avait été créé, et, précipité dans le triste réduit des choses de ce monde, il s'est trouvé au milieu d'un jour ténébreux, et presque privé de tous les rayons de la vérité. Nous venons tous au monde dans ce jour-là, qui ne mériterait même point le nom de jour, mais plutôt de nuit, si l'infatigable miséricorde de Dieu ne nous avait point laissé la lumière de la raison comme une faible étincelle.

   -Le second jour sera celui des saints pendant d'interminables éternités, alors que se lèvera ce demain d'une infinie sérénité, ce demain qui n'est autre que la miséricorde qui nous a été promise, lorsque la mort sera vaincue, quand, à la place des ombres et des ténèbres, on ne verra plus partout, en haut et en bas, au dedans et au dehors, qu'une splendide et véritable lumière. Aussi le psalmiste a-t-il dit: " Fais-moi sentir ce matin même ta miséricorde -Ps. 143,8-, et, "Rassasie nous dès le matin de ta miséricorde" -Ps. 90,14-.

 

Mais revenons à notre jour à nous, à ce jour qui est comparé à une veille de la nuit, à cause de sa brièveté, et que la voix du Saint Esprit appelle un rien, un néant, quand il s'écrie: " Nos jours se sont évanouis- mes jours se sont évanouis comme la fumée dans l'air- nos jours ont passé comme une ombre -Ps. 102, 12-. <>  Or, dans ce jour, Dieu donne à l'homme la raison, il lui laisse l'intelligence, mais il faut qu'au sortir de ce monde, il l'illumine lui-même de la lumière de la science. <>

Voilà pourquoi le Fils unique de Dieu, le Soleil de justice, tel qu'un flambeau d'une lumière aussi répandue qu'éclatante, a été allumé et projette sa lumière dans la captivité de ce monde.

Maintenant, tous ceux qui veulent être éclairés doivent s'approcher de lui, se réunir à lui et ne permettre que rien ne se place entre eux et lui. Or ce qui peut nous séparer de Dieu, ce sont nos péchés, qu'ils disparaissent et nous sommes éclairés de la vraie Lumière, nous nous rapprochons tellement d'elle que nous ne devons plus faire qu'un corps avec elle. <>

 

Suivons donc le conseil du Prophète: "Il est temps de chercher le Seigneur, jusqu'à ce qu'il vienne" -Os. 10, 12-, allumons-nous, le flambeau de la science à cet astre si grand et si brillant, avant de sortir des ténèbres de ce monde, de peur que nous ne passions des ténèbres aux ténèbres, et à des ténèbres éternelles!

Mais de quelle science parlais-je? De celle qui consiste à savoir que le Seigneur viendra, quoique nous ne puissions pas savoir quand il viendra. Voilà tout ce qui nous est demandé. Vous me direz peut-être que tout le monde aujourd'hui a cette science-là; quel homme, en effet, ne fut-il même chrétien que de nom, ignore que le Seigneur doit venir un jour et qu'il viendra en effet, pour juger les vivants et les morts, et rendre à chacun selon ses œuvres? Non, mes frères, tout le monde ne sait point cela.<>

 

Or, cette science, au premier degré, opère dans l'âme un sentiment de conversion.

Alors, [l'homme] commence à respirer un peu des tribulations et de la douleur que les péchés lui ont causées, une joie spirituelle tempère l'excès de sa crainte, et l'empêche de succomber à la tristesse, à la pensée de l'énormité de ses fautes. Aussi, d'un coté, s'il craint son Juge, de l'autre il espère en son Sauveur, et lorsque la crainte et la joie marchent au-devant l'une de l'autre dans son cœur, elles finissent par se rencontrer. S'il arrive encore que la crainte soit plus forte que la joie, souvent aussi la joie triomphe de la crainte, et l'enferme dans ses prisons secrètes. Heureuse la conscience où ces deux sentiments se livrent sans relâche cette sorte de combat, jusqu'à ce que ce qui est mortel soit absorbé par la vie, que ce qui reste de crainte s'évanouisse et cède la place à la joie, ce qui est la perfection même; car sa crainte ne saurait être éternelle tandis que sa joie le sera. <>

 

Voilà pourquoi je vous dis que nous devons protéger notre âme, des deux mains de notre cœur et de notre corps, de peur que le flambeau, qui y est enfin allumé, ne vienne à s'éteindre; il ne faut ni céder à la tempête, ni reculer devant elle, quand le souffle des passions ébranle trop violemment le double état de l'homme, mais il faut nous écrier: " Mon âme est toujours entre tes mains -Ps. 119, 109 selon version des septante-. <>

Quand nos reins seront ceints et que nous aurons en main nos lampes allumées, il nous faudra veiller sur la troupe de nos pensées et de nos actions, afin que le Seigneur nous trouve prêts, qu'il vienne à la première, à la seconde ou à la troisième veille de la nuit.

    -La première veille n'est autre chose que la régularité de nos actions, et consiste, par conséquent, dans les efforts que nous devons faire pour régler notre vie tout entière selon la règle que nous avons fait vœu de suivre, et de ne point franchir les limites que nos pères ont tracées pour tous les exercices de ce genre de vie, sans incliner ni à droite ni à gauche.

    -La seconde consiste dans la pureté d'intention, si notre œil est sain tout notre corps sera éclairé; par conséquent, il faut que nous fassions toutes nos actions pour Dieu, et que la grâce que nous recevons retourne à sa source pour en revenir de nouveau.

    -Enfin, la troisième veille consiste à conserver l'union et à nous faire préférer quand nous sommes dans une Assemblée ecclésiale, la volonté des autres à la nôtre, en sorte que nous vivions avec tous nos frères, non-seulement sans divisions, mais encore en bonne intelligence, nous supportant tous mutuellement et priant les uns pour les autres, de façon qu'on puisse dire de chacun de nous "C'est un véritable ami de ses frères et du peuple d'Israël, c'en est un qui prie beaucoup pour son peuple et pour toute la cité sainte." (II Macchab. 15, 14).

 

 Voilà donc comment ce jour-là la venue du Fils unique de Dieu allume en nous le flambeau de la véritable science, de ce savoir qui nous apprend que le Seigneur doit venir, et qui est le fondement inébranlable et perpétuel de nos mœurs.

 

"Et demain matin, dit l'écrivain sacré, vous verrez sa gloire."

 

O quel matin! ô jour meilleur dans les parvis du Seigneur que mille autres passés ailleurs! Quand verrons-nous ce mois succéder au mois, ce sabbat succéder au sabbat, la splendeur de la lumière et l'ardeur de la charité éclairer les habitants de la terre jusque dans ces sublimes merveilles. <>

 

Mais en attendant, mes frères, édifions notre foi de manière à pouvoir du moins contempler quelque peu les merveilles qui s'accomplissent pour nous sur la terre,  s'il ne doit pas nous être donné de voir dès maintenant celles qui nous sont réservées dans les cieux.

 

                        X Bernard de Claivaux, abbé cistercien,   3è sermon pour la vigile de Noël

vigile de noël, homélie