Fils unique et Logos de Dieu

 

Fils unique et Verbe (Logos) de Dieu, toi qui es immortel et qui daignas pour notre Salut, t'incarner de la sainte Mère de Dieu et toujours vierge Marie,  et qui sans changement te fis homme, et fus crucifié, ô Christ Dieu, par la mort ayant vaincu la mort, étant l'un de la Sainte Trinité,  glorifié avec le Père et le Saint Esprit, sauve-nous.

 

Cette pièce liturgique très ancienne fait partie de l'avant-messe dans les liturgies byzantine, syriaque et arménienne.

En Egypte, les manuscrits  les plus anciens de la liturgie de saint Marc la place aussi au début de la célébration de l'Eucharistie.

 

Il s'agit sans aucun doute d'un chant d'entrée adapté à l'Office du dimanche en résumant l'œuvre du Salut opérée par le Theanthropos: l'incarnation, la croix, la victoire sur la mort.

 

La liturgie copte a transféré le tropaire "Fils unique" à la 6è heure (prière de midi) de l'Office divin du vendredi saint. Le typikon du sanctuaire du prophète Elie lui a rendu sa place originelle de la liturgie de saint Marc pour les dimanches du temps de l'ordo du Saint Esprit (temps en vert, appelé en Occident "dimanches après Epiphanie, après Pentecôte, ou temps ordinaire).

 

Quel est l'auteur de ce tropaire?

 

Au témoignage de l'historien Théophane (758- 817) dans sa chronographie, les livres liturgiques byzantins attribuent l'hymne "O Fils unique" à l'empereur Justinien (483-565). Un savant bénédictin, dom Puyade, avance: "cette attribution d'un his­torien déjà éloigné des faits comme  sujette à caution, tout comme les explications byzantines touchant l'origine du Trisagion".

 

Les livres liturgiques syriaques attribuent le tropaire à saint Sévère, patriarche d'Antioche ( 465-538).

Le célèbre patriarche d'Antioche, scrupuleux disciple de saint Cyrille d'Alexandrie, est bien connu pour ses homélies liturgiques, sa contribution à l'établissement des ordres liturgiques et l'hymnographie.  Il n'est pas étonnant que notre tropaire lui soit attribué, notamment en référence à son choix théologique et vocabulaire liturgique.

Nous essayerons, un peu plus loin, en reprenant le travail de dom Puyade de montrer que la courte formule "o Monogenes, O Fils unique", constitue un abrégé de la théologie de Sévère fidèle à la christologie cyrillienne.

 

Il faut ajouter, qu'en réponse à l'étude de dom Puyade, un autre savant Venance Grumel, dit "tout à fait vraisemblable l'attribution du tropaire à l'empereur Justinien". Les expressions de l'hymne rendant compte des préoccupations théologiques de l'empereur et de certains de ses écrits.

 

Malgré ce travail, aujourd'hui les savants liturgistes s'accordent pour avancer que l'hymne "o Monogenes " appartient bien à saint Sévère et au milieu non chalcédonien et fut introduit dans la liturgie impériale et byzantine par l'empereur Justinien, par conviction théologique et par souci de rapprochement avec les non-chalcédoniens. A moins qu'il ne voulût point leur laisser l'exclusivité de la formule "un de la Trinité". 

 

Car la confession "toi qui es un de la sainte Trinité" a été soupçonnée d'être de caractère anti-chalcédonien pour le moins, et monophysite pour le plus: Le pape de Rome Hormidas (514-523) interdit aux moines siciliens (de rite oriental) d'en employer l'expression qu'il juge hérétique. Un autre pape romain Jean II en 543, à la demande pressante de Justinien, donna son accord pour la formule "l'un de la Trinité crucifié pour nous" malgré les relents de théopassisme pour les partisans d'un chalcédonisme pur et dur.

 

Le tropaire n'est pas éloigné du Trisagion  Saint Dieu, Saint Fort, Saint Immortel ,chanté à la manière orientale, c'est-à-dire attribué au Logos fait chair, avec les adjonctions

"qui es né de la vierge, aie pitié de nous

qui as été crucifié pour nous, aie pitié de nous

qui es ressuscité et monté au ciel", aie pitié de nous

                                                               il fut aussi accusé bien à tord de théopassisme.

Le déplacement copte de l'hymne "Fils unique" au vendredi saint a toute cohérence.

Il est d'ailleurs immédiatement suivi ce jour de la commémoration des "saintes souffrances du Seigneur" par un trisagion spécifique pour ce jour:

"Saint Dieu qui t'es incarné sans hésitation pour nous, toi qui es Dieu, aie pitié de nous;

Saint Fort, qui es apparu faible, Toi qui es Puissant, aie pitié de nous

Saint Immortel, toi qui as été crucifié pour nous et a supporté dans ta chair la mort sur la croix, toi l'Eternel qui ne peux mourir, aie pitié de nous. "

 

La place du "o monogenes" dans le rite eucharistique est en accord par sa confession de la foi pendant la liturgie des catéchumènes, en parallélisme avec celle de Nicée pour celle des fidèles.

 

Revenons aux sources du tropaire dans l'œuvre de saint Sévère.

 

Nous pouvons analyser  le o Monogenes en trois parties.

 

           1. Le Fils unique du Père: "Fils unique et Verbe (Logos) de Dieu, toi qui es immortel".  

"Je te loue, Seigneur Roi, unique Fils du Père céleste, qui es immortel, de sa nature. Tu as accepté et es venu pour la vie et la rédemption du genre humain".

On remar­quera seulement la qualité de " immortel "formant antithèse avec celle de mortel que revêt le Christ dans son Incarnation

                 2. Le Fils de la Vierge: "qui daignas pour notre Salut, t'incarner de la sainte Mère de Dieu et toujours vierge Marie," s'est incorporé de la sainte et hono­rée Vierge très pure Mère de Dieu Marie". Le motif de l'Incarnation est aussi mis en relief: la vie et le Salut du genre humain.

Depuis saint Cyrille, les théologiens des Eglises d'Orient associent nécessairement l'Incarnation avec la Rédemption; ils semblent ne pouvoir dire "il s'est fait homme"  sans ajouter immédiatement "pour notre Salut".

              3. Christologie: "et qui sans changement te fis homme, et fus crucifié, ô Christ Dieu, par la mort ayant vaincu la mort, étant l'un de la sainte Trinité,  glorifié avec le Père et le Saint Esprit, sauve-nous. "  "II s'est fait homme sans changement et il a été crucifié pour nous... et il est un de la Sainte Trinité, et est adoré et loué également avec son Père et le Saint Esprit: aie pitié de nous tous".

Le Logos incarné est véritablement homme et il est aussi véritablement Dieu, tels sont les deux bouts de la chaîne que notre tropaire tient avec force. "Et ainsi, dit Sévère dans une de ses hymnes, il s'est incarné de Marie sans changement, et il est complètement homme en restant le Dieu qu'il est."   

     

C'est tout d'abord la profession de foi de saint Sévère:

 

 " Un  donc de cette essence sublime, un de la Trinité, le Logos de Dieu, Dieu de Dieu est descendu du ciel et... pour notre Salut il est entré et il a habité dans le sein de la chair, dans la Vierge Marie <> Il s'est fait homme, lui qui est Dieu : il est devenu ce qu'il n'était pas, sans aucun changement de ce qu'il était."

 

Nous pouvons aussi rapprocher notre tropaire d'un texte de saint Dioscore, le patriarche d'Alexandrie, injustement mis à l'écart du concile de Chalcédoine:

 

" Pour nous, laissant l'abomination de ceux qui pensent autrement, nous confessons un seul et même Rédempteur et Seigneur Dieu. <> devenu sans changement à la fin des temps pour notre Rédemption consubstantiel aux hommes dans la chair,  tout en restant ce qu'il  était".

 

Cette pièce liturgique est véritablement une doxologie, dans le sens où elle allie une parfaite confession de foi et une action de grâce. En quelques lignes, elle exprime tout le mystère du Dieu fait homme pour notre Salut.

Elle a toute sa place dans la première partie de l'action de grâce par excellence: la divine Eucharistie du dimanche.

Elle est aussi le témoin du nécessaire équilibrage des formules de Chalcédoine, établi par le deuxième concile de Constantinople 2 en 553.

Toutes les Eglises, sauf celles d'occident, l'ont adopté à bon escient.

                                                                                                                     +  E-P

Bibliographie:

- Dom Julien Puyade, o ?????e??? , in Revue de l'Orient chrétien, 1912,

- Venance Grumel, L'auteur et la date de composition du tropaire o ?????e???   in  Échos d'Orient, tome 22, N°132, 1923.

- Henryk Paprocki, le mystère de l'Eucharistie, Paris Cerf 1993

Lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie N° 315 - Février  2015                                                                                 

 

 

 

 

 

tropaire o monogénos, Fils unique