Saint parmi les saints

Notre liturgie de saint Basile, comme d'ailleurs les rites d'occident, commence par une absolution des ministres et de tous les fidèles, le prêtre tourné vers les fidèles et s'inclinant vers eux.

L'originalité copte réside dans la formule d'absolution qui est donnée " par la parole de Dieu et celle de l'Eglise sainte, par la bouche des pères des trois conciles œcuméniques, des apôtres, des saints hiérarques, du patriarche, de l'évêque et celle du célébrant"...

Un autre ordo ancien raccourcit la formule par "Que nous soyons tous absous par la prière des saints de ce temple saint", les jours de fête on la remplace par "Vous tous les saints de ce sanctuaire, bénissez".

Les deux pratiques  rappellent ainsi que l'assemblée réunie, Eglise locale, est toute l'Eglise catholique, des cieux, des anges et saints, des vivants et des morts. Les saints ne sont pas seulement ici ceux qui sont honorés par le culte de l'Eglise, mais tous ceux qui vivent dans la foi et reçoivent le corps du Christ pour devenir eux-mêmes grand corps du Christ, communion des saints. 

 

Saint Nicétas, évêque de Rémesiana (aujourd'hui Bela Palanka, Serbie) à la fin du 4è siècle en est le témoin dans sa petite catéchèse à l'usage des futurs baptisés:

"Après la confession de la foi trinitaire, tu confesseras que tu crois à la sainte Eglise catholique. L'Eglise <> qu'est-ce sinon, l'assemblée de tous les saints. Car depuis les origines du monde, les patriarches, les prophètes, les apôtres, les martyrs et tout le reste des justes sont l'Eglise: sanctifiés par la foi et par leur vie, ils sont un corps dont le Christ est la tête. <> Crois que, dans cette Eglise une, tu obtiendras la communion des saints. Sache qu'il n'y a qu'une Eglise catholique établie par toute la terre, tu dois garder fermement sa communion".

Cet enseignement explicite la pensée de saint Irénée en une synthèse heureuse sur l'économie du Salut: chacun des fidèles est indissociablement lié à tous, récapitulés dans le Christ, tête du corps dont les baptisés sont les membres.

 

La communion des saints se rapporte à la notion d'Eglise, celle du ciel mais aussi celle qui est distribuée en ce temps aux quatre coins de la terre, celle pour laquelle Nicétas réclame aux catéchumènes la fermeté d'une obéissance fidèle.

 

En même temps, l'évêque de Rémesiana, qui associe à la théologie de l'Eglise les connotations pauliniennes du grand corps du Christ, présente la communion des saints comme l'espérance de la vie future, dans la communauté céleste des saints. L'anaphore de saint Jacques l'exprime très bien: "Souviens-toi, Seigneur, de tous ceux qui t'ont été agréables depuis toujours, des saints patriarches, des prophètes et des apôtres, des martyrs et de tous les saints. Unis-nous à cette bienheureuse assemblée, compte-nous dans cette Eglise. Souviens-toi, Seigneur, de tous ceux qui se sont endormis…"

C'est bien parce que nous communions au Corps du Christ que nous formons tous et chacun un seul corps avec lui. "Ce qui est Saint au saints", dit le diacre en présentant le calice de communion après que nous ayons dit:  "Rends-nous dignes, ô notre roi, de participer à ton saint corps et à ton précieux sang pour la pureté de notre âme, de notre corps et de notre esprit, et pour la rémission de notre péché et de nos fautes, afin que nous devenions un même corps et un même esprit avec Toi. Amen".

Ce Corps eucharistique du Christ est le principe dynamique qui forme l'Eglise, la communion des saints. "Par la communauté eucharistique, nous communions avec le Christ, explique Jean Damascène, et par elle aussi nous communions les uns avec les au­tres et sommes mutuellement unis".(De fide, 86, IV, 13)  (1)

L'expression "Communion des saints,  koinônia tôn hagiôn, communio sanctorum" apparaît dès le milieu du IVe siècle et, peut-être pour la première fois, dans la lettre de saint Athanase adressée en 354 ou 355 à Dra­contios, un abba qui hésitait à devenir évêque. L'évêque d'Alexandrie invite son correspondant à "suivre l'exemple des pères, à rester dans la communion des saints". Il évoque certainement la fidélité que le destinataire de la lettre doit manifester à l'égard d'une tradition spirituelle dont les protagonistes appartiennent au présent ou au passé. (Ep.,5; PG, 25, 528 B) .

Basile de Césarée un peu plus tard, dans son traité sur le baptême (1, 17), confesse "la communion des saints dans la vie éternelle (koinônia tôn hagiôn en tè aiôniô zôè)".

Une homélie latine anonyme précise "ceux qui croient à la sainte Eglise catholique ont la communion des saints, parce que là où est la foi sainte, là est aussi la communion sainte".  

Alcuin (804 †), Raban Maur (856 †), plus tardivement au début du XIIe siècle, Bruno le Chartreux considèrent que l'article du symbole des apôtres décrit une société unissant les fidèles de ce temps aux élus et aux anges. Le chrétien, explique l'un d'eux, est placé, dès son baptême, dans la plénitude des saints.

 

Les saints sont dans la communion parce qu'ils participent aux sancta- à Ce qui est Saint, c'est-à-dire la communion au corps et sang du sauveur ressuscité.

 

La sainteté est don de Dieu qui veut que les hommes soient saints -Lévitique, 9, 2- parce qu'Il est Saint.

L'usage de hagios dans le grec des premiers temps de l'Eglise ou de sanctus pour le latin, dans les Ecritures ou dans les premiers pères, atteste combien cette image de la sainteté s'enracine dans la conception même du Salut. La Bible des Septante a réservé pour traduire de l'hébreu qâdosh-saint, mais elle laisse hosios-pur-juste, lorsqu'il s'agit du peuple et hiéros-sacré, pour parler du temple de Jérusalem.

Les liturgies ont privilégié hagios pour les trois: Dieu, le sanctuaire, lieu de l'Assemblée, le peuple de Dieu.

Elles ont suivi en cela saint Paul: l'apôtre emploie généralement hagios-saint comme substantif et très souvent au pluriel: Romains 1, 7, il s'adresse aux saints appelés -I, 2, 6-, -Ephés., 1, 1- &, Philippiens 1, 1-, de Colosses -1, 1-. L'adresse revient souvent dans les lettres et désigne l'ensemble des baptisés qui participent à la sainteté de Dieu -I Cor., 6, 11-.  Ainsi les saints représentent l'ensemble des baptisés.

 

Parmi les témoignages anciens, nous devons considérer les épitaphes des cimetières anciens (je me limite en raison de ma documentation aux inscriptions latines relevées dans le Dictionnaire de liturgie et d'archéologie chrétienne et à l'édition par Ferrua des Inscriptions chrétiennes de la ville de Rome).

Le juste est établi inter sanctos-parmi les saints.

Il est demandé aussi pour le mort d'être placé parmi les saints: spiritus tuus cum sanctis-que ton esprit soit avec les saints. Une autre formule associe l'invocation de la paix et la communauté des saints: In pace cum sanctis-dans la paix avec les saints. Une expression analogue datée assurément de 391: pax tibi cum sanctis-Paix à toi avec les saints. La paix signifie "dans le Christ" selon la tradition liturgique qui dit indifféremment "la Paix soit avec vous" ou "le Seigneur soit avec vous"

Puisses-tu vivre dans le Christ, en Dieu, dans la paix. Etre parmi les saints équivaut à être dans le Christ. Ce parallèle semble suggérer que le formulaire évoque déjà une théologie implicite du corps mystique.

Un texte retrouvé à la catacombe de Domitille, s'achève sur une prière: anima innocens inter sanctis (sic)- que ton âme innocente soit parmi les saints, et l'inscription aujourd'hui lacunaire, poursuit en recommandant au mort "de prier pour les survivants".

"Prie dans tes prières pour nous", demande une  autre inscription romaine de la catacombe de Domitille, "car nous sommes sûrs que tu es dans le Christ": orationibus tuis roges pro nobis quia scimus te in XC (Christo).

D'autres épitaphes d'Italie empruntent au vocabulaire de l'épigraphie juive iustus-juste ou plutôt le pluriel iusti. Le mort, dit un texte romain, a obtenu le repos "au nombre des justes, in numerum iustorum". Les fidèles ne s'occupent pas d'imaginer l'au-delà; ils portent en eux l'espérance d'être après la mort avec les saints, dans la paix, ou dans le Christ.

 

Ils ne conçoivent pas que le mot saint évoque l'exercice individuel de talents ou de vertus exceptionnelles. Le saint est un fidèle qui a reçu de Dieu le don de l'Esprit Saint vivifiant et sanctifiant, le ramenant, en Christ, à lui le Père qui soutient toutes choses, dans l'appartenance à la communauté sainte,  maintenant, et toujours au-delà de la mort.

 

Le  mystère de l'Eglise unit l'Eglise visible dans le temps, et l'Eglise céleste dans l'éternité. C'est pourquoi quand le prêtre, avant de commencer l'Office demande la bénédiction des saints ou l'absolution au nom de toute l'Eglise,  il s'adresse non seulement aux saints représentés sur les icônes de l'église, mais aussi aux fidèles présents ainsi qu'aux morts qui ont reçu les mystères dans cette église particulière ou dont les noms figurent dans les diptyques.   

Par là, chaque assemblée réunie au nom du Christ, devient l'Eglise, une, unique, sainte et catholique.

Elle reçoit avec gratitude ce don de son Seigneur Jésus-Christ transmis par les apôtres   

                                                                                             ¥  E-P       

                                                                                               

1   Une inscription gravée sur un vase de terre cuite découvert à Belezma, près de Batna en Algérie, datée au plus tard du 5è siècle, porte "Ecce locus inquirendi Dominum ex toto corde-Voici le lieu où il faut chercher le Seigneur de tout son cœur".

  

 Et sur le couvercle:"In isto vaso s(an)c(t)o congregabuntur membra Chr(ist)i: "dans ce vase seront réunis les membres du Christ".

Ce réceptacle était certainement consacré pour la réserve eucharistique, son inscription évoque l'union de tous dans le Christ présent dans l'Eucharistie, cœur de l'Eglise.

Source:

Duval Yvette, Pietri Charles, Membra Christi, culte des martyrs ou théologie de l'eucharistie ? (A propos du vase de Belezma, en Algérie) . In: Christiana respublica. École Française de Rome, 1997.

 

lettre aux amis du prophète Elie N° 335 octobre 2016

 

 

Sancta sanctis