Salut de la création & liberté de personnes

 

 

Texte de la conférence donnée par abouna Elias-Patrick devant le groupe biblique œcuménique de Clermont l’Hérault le 4 avril 2005. Le conférencier avait reçu comme programme de traiter les  questions suivantes :

1. Salut par la Foi. 

2. Et les œuvres ?

3 Qu'est-ce que la Foi ? 

4. Foi et Croyance

5. Le Salut des non chrétiens 

6. Action salvifique du Logos "asarkos" (sans la chair)

 

1. Salut par la Foi. 

 

Le Salut offert par Dieu à tous les hommes dans la foi à l'Evangile est incontestablement le sujet de l'épître aux Romains. La difficulté réside dans l’expression "foi à l'Evangile " qui semble limiter  cette offre à quelques uns:

"L'évangile, puissance de Dieu, Salut de tous croyants en lui, justice de Dieu par la foi et pour la foi"   Rom 1,16 17.  

La Bonne Nouvelle, l'Evangile,  annoncée par Paul est comme le Christ lui-même "force divine procurant le Salut".                       

Ceci est  vrai si nous considérons que l'Evangile  est non seulement porteur de la doctrine du Christ, mais bien plus,  par anamnèse,  présence du Christ lui-même.

L'apôtre Paul a une claire compréhension de la personne du messie Jésus: C'est à cause du mystère de cette personne unique, que le Salut peut être offert sans limitation de lieux, de temps: "Jésus issu de David, établi Fils de Dieu avec puissance selon l'Esprit de Sainteté dès la résurrection des morts". Rom 1,4.  Ce Jésus, Fils d'homme,  Fils de Dieu, est le Théanthropos, le Dieu-Homme.

Celui qui sauve c'est Le Logos fait chair.

La Première Alliance annonce le Salut et laisse entendre la personne de son ministre:

Isaïe 40,8:  " Le Salut est suspendu à Parole éternelle, Dieu qui vient comme un berger".

Sagesse 16-,26: "Ta Parole fait subsister ceux qui croient en toi".

 

 L'Evangile c'est aussi "La justice de Dieu." 

Quelle est la signification de l'attribut divin de justice? La Première Alliance comme  Paul ici, associe deux termes qui à première vue paraissent antinomiques ou pire encore, le second comme la conséquence du premier: "Justice et Salut".

"Ma justice est proche, mon Salut ne sera plus retardé". Ïsaïe 46-,13.

En premier lieu l'attribut divin de justice exprime la volonté miséricordieuse de Dieu d'être fidèle à ses promesses de Salut. En second seulement, l'activité judiciaire  qui punit les infractions à l'Alliance. Il n'y a pas de droit sans sanction qui répare la rupture du contrat.

Ce vocable Réparation évoque rémission, rachat, goel.

 Isaïe 40 & 55 annonce que la Justice va descendre du ciel pour faire germer sur la terre l'harmonie céleste. Le Salut de l'humanité est aussi conçu comme la victoire du bien sur le mal.

Paul discerne dans la vie de Jésus, dans l'Evangile seul, la vraie justice, l'économie du  Messie qui vise à remettre en ordre le cosmos troublé par la chute et le péché.

Toute l'activité du Christ vise le Salut -Vie, Santé, Sainteté-, et elle est aussi gratuite que la création initiale. L'économie du Theanthropos est une Nouvelle création.

 

Ce qu'il faut savoir pour bien comprendre le verset 18 et bien d'autres, sur le péché des païens et leur sévère jugement,  c'est le fonctionnement rhétorique de Paul qui est le même que Jésus dans ses paraboles: il raisonne toujours par antithèse. Pour faire saisir dans toute sa force un thème positif, il lui oppose un thème négatif forcé. Mais la pointe du discours doit être cherchée dans le Kérygme de la Bonne Nouvelle. La situation lamentable de l'humanité appelle la "colère de Dieu". "Dieu rendra à chacun selon ses œuvres" Rom 2,7. "mais maintenant la Justice de Dieu s'est manifestée, c'est la justice par la foi en Jésus Christ, gratuitement, justifiés par la grâce par le moyen de la délivrance accomplie  en Jésus"  Rom 3,22 

Le mal n'a pas pris Dieu au dépourvu, là où le péché a abondé, la grâce a surabondée. Le péché aboutit à la mort, Dieu se sert du péché pour la réalisation de son Economie: la mort du Fils de l'Homme est source de vie pour le cosmos.

 

La description de l'humanité pécheresse dans l'épître aux Romains présente intérêt majeur: C'est l'erreur sur la connaissance de Dieu –idolâtrie- qui est la source des désordres moraux. "La colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes qui retiennent la Vérité captive <> Ils se sont fourvoyés dans leurs vains raisonnements et leurs cœurs insensés sont devenus proie des ténèbres <>c'est pourquoi Dieu les a livrés à des passions avilissantes…" Romains 1, 18sq.

 

2. Et les œuvres ?

 

Ce qui nous étonne après cette déclaration c'est d'entendre Paul nous dire que les païens qui font les œuvres de la Loi inscrite dans leur cœur, selon leur bonne conscience, seront aussi justifiés.  Rom.2, 12,16. Les exégètes ont remarqué la finale, "ce qui paraîtra au jour où, selon mon Evangile, Dieu jugera par Jésus Christ". 2,16. Notre liturgie copte de saint Marc dit au moment solennel de l’anamnèse " en attendant son second avènement où il viendra juger les vivants et les morts avec justice et rendre à chacun selon ses œuvres, nous plaçons devant toi ces dons qui viennent de toi ".

C'est bien à Christ que revient le jugement final, et ce jugement s'établira selon la folie de l'Evangile qui est bien plus grand que nos petits calculs : "ce ne seront pas ceux qui disent Seigneur, Seigneur qui entreront dans le Royaume de Dieu" et encore " Venez les bénis de mon Père, recevez en partage le Royaume <> j'ai eu faim et vous m'avez donné à manger, soif et vous m'avez donné à boire, j'étais un étranger et vous  m'avez recueilli <> chaque fois que vous l'avez fait à un de ces petits, qui sont mes frères, c'est à moi que vous l'avez fait." Mathieu 25, 31.46. Grandeur du Messie Roi qui accorde son Salut même à ceux qui ne sont pas des croyants explicites mais qui agissent avec humanité, c'est là la Loi de Dieu inscrite dans le cœur.

La loi de la conscience est au même titre que la Torah une première expression de la volonté du Logos incarné. En conséquence, justifiées, les nations ne l'auront pas été sans la grâce du Christ, même si elles  n'ont pas explicitement prononcé son Nom.

Tout va bien: voici une première réponse aux questions sur les œuvres et le Salut des non chrétiens.

 

Mais patatras la suite en Romains 3 21 sq vient semer le trouble: "Justice de Dieu par la foi en Jésus Christ".

Par la foi en Jésus Christ, des œuvres nullement? au nom de la foi! indépendamment des œuvres", oui "tous ont péché et tous gratuitement justifiés par sa grâce en vertu de la délivrance accomplie en Jésus Christ,  propitiatoire en le sang".

On peut donner  avec les pères l'explication suivante:  La justice intérieure  des hommes est gratuite (grâce) et partant de là, accessible à tous. La source initiale est la bonté –kariti- grâce- de Dieu le Père. L'agent est le Christ, instrument de propitiation. Jésus est le Lieu de la rencontre homme/Dieu.

Le Logos fait chair, Jésus a fait sienne la cause des pécheurs. Par la foi qui est don de toute leur personne au Sauveur, les fidèles se lient à lui, font un avec lui et s'approprient le fruit de son sacrifice.

 Malgré tout la justice demeure pur don de Dieu: La foi n'est pas la cause de la justice elle n'est que le moyen de nous l'approprier. Notre foi, si elle consiste à nous donner entièrement à Dieu et se soumettre à sa volonté, est agissante et inséparable de la charité, si nous voulons être fidèles à l'Evangile.

L'exclusion des œuvres  dans le discours de l'apôtre Paul, ne concerne que la prétention des juifs à revendiquer des droits sur Dieu en raison de leur justice dans l'accomplissement des commandements.

 

3 & 4 Qu'est-ce que la Foi ?  Foi et Croyance

 

 

 Qu’est exactement la foi?

La foi est une réponse à Dieu, son point de départ est une rencontre.

La croyance est l'enfance de la foi. C'est la certitude sans ou avec raisonnement que la Vérité est là. Elle n'est pas garantie pourtant de fourvoiement. La croyance doit être passée au tamis de l'intelligence du cœur et aussi, osons le dire, de la raison, pas n'importe laquelle, celle du Logos.  Il ne suffit pas d'admettre un certain nombre de théories pour grandir  de la croyance jusqu'à la foi.

 

La foi de l'homme consiste à  mettre sa destinée dans les mains de Dieu, donner sa vie – emouna- faire confiance-. Amen.- trois expressions  équivalentes. Notre foi répond à la foi de Dieu  Rom 3,3. dont elle est le reflet, elle ne peut donc être que fidélité et bonté [ramanhim] . Tout le psautier résume l'Alliance par ces deux mots: Psaume. 25,10,* 40,12 * 57,4 * 61,8 * 85,11 * 89,15 * 92,3 * 108,5 * 115,1.

 

Clément d’Alexandrie cherche l’étymologie de la pistis  -foi- et propose stasis qui signifie repos, station. Clément nous dit que la foi n’est pas agitation de la pensée en réponse à l’anxiété sur la destinée et les fins dernières: "La foi est avant tout repos de l’esprit dans Ce Qui Est".  Stromates.3,22

 

Et les œuvres?

Les œuvres de la foi peuvent  se résumer à la tension vers la justice.

La justice, celle que l'on doit recevoir par la foi et que nous devons conquérir selon le principe "tout est accompli en Christ, tout est à venir dans le Corps mystique", est l'attribut divin de miséricorde et de fidélité. Notre vie de chrétiens ne consiste pas à acquérir une justice-justesse qui soit nôtre, mais à mettre notre conduite journalière en harmonie avec notre être renouvelé en Christ par le baptême. Augustin dit à celui qui reçoit l’Eucharistie: "Deviens ce que tu reçois."

C'est cette justice qui nous conduit à la sainteté et à la vie éternelle "comme des vivants revenus d'entre les morts" -Romains 6,13.- 

Paul et avec lui les pères apostoliques ne rattachent pas l'immortalité bienheureuse à une doctrine métaphysique abstraite de l'immortalité de l'âme mais à la victoire eschatologique du Messie sur le péché et sur la mort, victoire à laquelle participe en puissance le baptisé en Christ.

Le Salut que nous recevons par la foi va jusqu'à cette victoire, les pères orientaux parlent de déification. Le Salut ne se limite pas seulement à la bonne santé selon la définition de l'Organisation Mondiale de la Santé (bien-être physique, psychique et social), il est don de la Vie éternelle.

 

5. Le Salut des non chrétiens 

 

Cela nous ramène à la question du Salut des non chrétiens:

Le Salut est en Jésus Christ. Le baptême est le commencement de notre libération en Jésus Christ, il faut lutter pour conserver et faire grandir en nous jusqu'à la dimension d'homme parfait en Christ la grâce du baptême. Le baptême lui-même n'est certainement pas suffisant pour être sauvé, il faut porter les fruits du baptême. 

 

S'il en est ainsi pour le Chrétien qu'en est-il des non chrétiens? Cette question est scandaleuse à notre conscience moderne, pourtant… pour y répondre sereinement il faut remonter à la source de notre théologie. Que savons-nous  du Logos, de la création, du péché, de la liberté, et quelle image construisons –nous du Dieu vivant?

La liberté:

Par elle commence les difficultés. Il ne faut pas confondre la liberté des enfants de Dieu avec l'auto détermination ou l'autonomie égotiste. Là est certainement le péché.

Toute l'histoire du Peuple de Dieu tend à expliquer que la liberté, n'est pas la simple faculté de choisir indifféremment entre le bien et le mal, mais bien plutôt un pouvoir orienté, celui d'achever en nous l'œuvre divine.

"Dieu seul est la liberté de l'homme" (Berdiaev)  dans le sens où la nature est déterminisme, donc impossible de trouver la liberté dans ma propre nature. La Vérité  rend libre, la liberté est d’ordre spirituelle: L'esprit de Dieu en nous. "Là où est l'Esprit, Là est la liberté". -2 Corinthiens 3,17-

La liberté est une pénétration dans un autre ordre que celui de la nature, celui de l'Esprit.

La liberté ne peut être le résultat d'une contrainte même divine! La grâce ne vient pas s'opposer à la liberté, mais à la nécessité ou  au déterminisme si nous nous enfermons dans notre nature.

La liberté de l'homme suppose la déification et aussi son contraire, la possibilité d'anéantir  en lui l'image divine qui pourtant n'a pas été effacée par la chute. "Pas de contrainte en religion", jamais Dieu ne contraint, le Salut est à porté de mains, il est nécessaire pourtant de tendre la main! Le Salut est offert à tout homme, gloire, honneur et paix sont assurés à quiconque fait le bien  -Romains 2,10-, Dieu ne fait acception de personne, il est le Dieu de tous.

 

6.1.  Action salvifique du Logos "asarkos" (sans la chair)

Le mystère de l’origine de la création ouvre des perspectives sur l’eschatologie.

Les pères orientaux à la suite de saint Irénée disent "Dieu créé du néant (ou plutôt du non–être). Dieu n’a besoin de rien pour amener à l’existence C’est par son Logos et son Esprit qu’il fait tout, qu’il organise qu’il gouverne, lui-même et de lui-même. C’est par sa Sagesse qu’il a tout adapté et disposé et qu’il contient tout."

Ce non–être métaphysique n’est pas exactement le rien. La mystique juive pose l’acte créateur dans un retrait du Dieu qui est partout présent: théorie du Tsim Tsoum. Dieu laisse une place à ce qui n’est pas lui. Mais il n’est pas pourtant absent de sa création.

Tout a été fait par le Logos, en lui, pour lui.  La création, tous les êtres ne tiennent dans l’existence et s’y maintiennent que dans la mesure où ils reposent sur la puissance du Logos.  "En lui est la vie de tout ce qui a été fait" -Jean 1,4-  Il n’y a pas de possibilité d’autonomie de la créature, sa vie c’est celle de Dieu. Qui se coupe de sa source, retourne vers le non être, perd son âme, son hypostase. Pour les pères apostoliques, la notion d’immortalité intrinsèque de l’âme n'est pas juste et est étrangère à la Révélation.

 

Le péché, la chute sont  justement à rechercher dans l’autonomie de la créature. L’Homme qui se coupe de Dieu, la source de vie, perd sa vie. Mais Dieu ne se satisfait pas à l’échec de sa créature: La sainte Anaphore copte de saint Marc synthétise toute la théologie du Salut en quelques phrases:

"C’est toi qui a créé l’homme à ton image et à ta ressemblance, et lui a donné de jouir du paradis.

Après qu’il eut transgressé ton commandement, tu ne l’as pas méprisé et abandonné, mais dans ta bonté, tu l’a appelé à nouveau par ta Loi, tu l’as instruit par les prophètes, enfin tu l’as restauré et renouvelé par ce redoutable, vivifiant et céleste mystère."

L'anaphore copte de saint Basile est encore plus précise:

"Saint, saint, saint es-tu en vérité, Seigneur notre Dieu. 

Tu nous a créés et nous as placés dans le jardin des délices.

Alors que nous avions transgressé ton précepte par la tromperie du serpent, que nous avions été déchus de la vie éternelle et exclus du jardin des délices, tu ne nous as pas rejetés pour toujours, mais tu nous as visités continuellement par tes saints prophètes.

Et en ces derniers jours, tu t’es manifesté à nous, qui étions plongés dans les ténèbres et l’ombre de la mort, par ton Fils unique Jésus Christ, notre Seigneur, Dieu et Sauveur.

Il s’est fait homme de l’Esprit Saint et de la sainte Vierge Marie.

Il nous montra les voies du salut, Il nous a accordés la grâce

de  la naissance céleste par l’eau et  l’Esprit ;

il fit de nous son peuple  d’élection et nous sanctifia par ton Esprit Saint.

Lui qui aimait les siens qui étaient dans le monde,  Il se donna lui-même, pour notre rédemption, à la mort  qui régnait sur nous et nous détenait comme esclaves à cause de nos péchés. Il descendit aux enfers  par la Croix.

Il est ressuscité le troisième jour d’entre les morts; il monta aux cieux et s’assit à ta droite, Père, en fixant le jour de la rétribution où il se manifestera pour juger le monde avec justice et rendre à chacun  selon ses œuvres".

 

6.2.  Action salvifique du Logos fait chair (ou jamais sans la chair!)

 

Le Logos, Vie de tout ce qui a été fait,  s’est fait chair.

Dieu envoie son Fils unique vers la créature pour la ramener à lui.

"Ne trouvant pas Adam sur terre, par le sang de la croix, il descend dans les enfers". nous dit un tropaire du Samedi de la Joie, reprenant le texte d'une homélie du grand Origène.

Pâque est précédée de ce séjour mystérieux dans les enfers, où le messie apporte aux morts la Bonne Nouvelle de sa venue et du Salut pour ceux qui croient en lui.

 

La descente du Logos incarné dans la chair aux enfers  est d’une portée universelle, elle concerne tous les morts d'Adam jusqu'à ce jour et ceux de demain. Défunts de tous les temps, de toutes origines qui découvrent la présence salvatrice du Sauveur, Lumière qui brille dans les ténèbres, les ténèbres mêmes de la mort.

Saint Irénée parle avec insistance de la portée universelle de l’offre du Salut dans la tombe par la descente du Christ dans les enfers:

"Les justes de l’Ancien Testament ne sont que les premiers bénéficiaires de la longue série des défunts de tous les temps: Le Logos incarné est le Sauveur de tous les hommes sans exception qui depuis le commencement, selon leur capacités et leurs coutumes ancestrales ont craint et aimé Dieu, ont pratiqué la justice et la bonté envers le prochain" -IV,22,2.- 

Irénée insiste dans la "prédication apostolique":

"Le Sauveur s’est manifesté une première fois aux morts dans sa passion, il continue toujours à offrir sa présence à ceux qui n’ont pas eu le bonheur de le rencontrer personnellement sur terre. –56-.

La manifestation personnelle du Christ à tous les hommes n’est pas réduite aux seuls vivants, elle s’étend aussi aux morts. Il n'y a pas de limite à l'offre du Salut.

 

Il n'y a pas de limite à l'offre du Salut.

 

"Le logos est de tout temps présent à l’humanité, quoique par des économies diverses et des opérations multiformes, sauvant dès le commencement ceux qui sont sauvés".

                                                                                 Saint Irénée IV,28,2

On ne peut pas isoler les non chrétiens des traditions religieuses auxquels ils appartiennent.

Les pères alexandrins parlent à propos des philosophies  des  semences du Logos. C’est à dire de la présence universelle du Logos en tant que principe universel de la manifestation du divin ou du désir de la connaissance de Dieu dans toutes les religions.

Ce qui ne veut pas dire nécessairement  que les religions soient toutes à mettre sur le même plan, ni même qu’elles portent dans leurs théories et doctrines une part de la Vérité révélée, mais que l’expérience mystique, le désir et la tension vers Dieu  appartiennent au monde spirituel qui est celui du Logos et de l'Esprit. La conscience de l’homme  est aussi un temple.

 

La philosophie est le pédagogue des païens, comme la Torah/Loi le fut pour les juifs.

Toutes vraie philosophie ou religiosité  puisent leur origine dans la Sagesse divine, non pas par essence mais parce que la Raison est un don de Dieu aux hommes enseigne saint Clément d'Alexandrie.

 

"Dieu est le principe de toutes choses bonnes, les unes immédiatement comme l'Ancien et le Nouveau Testament, des autres comme secondairement comme la philosophie. Peut-être même, la philosophie a-t-elle été donnée aux grecs au même titre de l'Ecriture, avant que le Seigneur les appelât. <> la philosophie est donc une étude préparatoire, c'est elle qui ouvre la route à celui que Jésus-Christ mène à la perfection. <> Sans doute la Vérité n'a qu'une voie; mais d'autres ruisseaux lui arrivent de divers côtés, et se jettent dans son lit comme dans un fleuve éternel. Aussi l'Ecriture nous dit: "Ecoute mon fils, et reçois mes paroles, afin que de nombreuses routes s'ouvrent devant toi dans la vie car je te montre les voies de la Sagesse, afin que les sources ne tarissent pas". Stromates 1, 5

 

Mais attention, Clément ne met pas tout sur le même pied, s'il admet que les non chrétiens qui cherchent la Vérité sont plus ou moins illuminés par le Logos source de la vérité, il pose aussi que ces parcelles de vérité sont insuffisantes à la pleine connaissance de Dieu tant qu'elles ne seront pas réunies dans la vraie théologie du Logos éternel.

 

"Tous ceux qui ont recherché la Vérité ont été illuminés plus ou moins par le Logos, source de la vérité. Si l'éternité résume en elle-même l'avenir, le présent et aussi le passé, la vérité beaucoup mieux que l'éternité, peut rassembler ses propres semences [logoï], bien qu'elles soient tombées sur des terres étrangères. On retrouve aussi ces parcelles de vérité dans les hérésies, bien qu'elles aient mis en pièces le Christ et sa doctrine. <> Bien qu'elles soient si différentes entre-elles et qu'elles soient à si grande distance de ce qui forme l'ensemble de la vérité, elles s'y rattachent par quelque côté et <> peuvent recomposer le corps. <> Or celui qui réunira de nouveau en un seul tout ces fragments épars, sachez qu'il contemplera, sans danger d'erreur, le Logos parfait, la vérité". Stromates 1, 13

 

Si les voies de la sagesse sont diverses pour arriver sur la route qui conduit à la Vérité, c'est par la foi seule que l'on peut arriver à la connaissance de Dieu. "Sans la foi, il est impossible de plaire à Dieu". Strom.2,2

 

Le Logos est unique, pourtant chacun participe à ce Logos unique d’une manière personnelle, unique, différente et irremplaçable sans que cette participation personnelle de chacun morcelle le Logos.

 

Comme dans notre Eucharistie partagée mais non divisée, mangée mais jamais consommée, le Logos se communique sans rien perdre de sa puissance, ce qui est donné à l'un ne manquera pas à l'autre.

Le Logos demeure immuable et indivisible et simultanément il est participable par tous d’une manière unique.

 

Nous ne pouvons pas ne pas prendre au sérieux le mystère de l’incarnation: Dieu le Logos s’est fait chair pour nous.

Irénée, Athanase, ne cessent de répéter: "Dieu s’est fait homme pour que l’homme devienne Dieu"

 

. Depuis le jour où Marie a dit "qu’il me soit fait selon ta Parole," et cela est révélé par la glorieuse résurrection et la mystérieuse ascension, il n’y a plus de Logos asarkos [sans la chair] mais le Théanthropos [Le Dieu-Homme]. Jésus théanthropos est le premier né de la création à entrer et ouvrir le Royaume à venir selon le dessein du Père.

 

 L’Economie du Logos éternel passe par l’incarnation. Une des fonctions du Logos avant la création du monde est certainement de réunir en lui toute création et la déifier par participation.

On peut dire que le mystère de l'incarnation est fondé de toute éternité sans même poser la question de la chute ou non (puisque chute il y a) comme nécessité à l'incarnation. 

 

Maintenant que le Logos est devenu chair, il n’est pas bon ni juste d’introduire une séparation entre le Logos asarkos et Jésus le Messie.

Les Pères orthodoxes à la suite de saint Cyrille entendent l’expression "une seule nature du Logos fait chair" dans le sens où la personne du Logos fait chair est une. En conséquence l'unique sujet agissant des deux natures, divine et humaine, est cette personne unique, Jésus le Théanthopos.

Vous reconnaîtrez  ici la doctrine de la "Communication des idiomes". 

 

Je n’entre pas dans la querelle ultérieure des volontés....C'est une question philosophique: soit on affirme que la volonté est issue de la nature (?) et il y aurait donc deux volontés en Jésus-Christ, soit on pense plus simplement que la volonté a pour origine la personne [l'Hypostase] et alors il n'y a qu'une seule volonté en Jésus Christ.

 

Des théologiens du dialogue inter-religieux (Panikkar, Dupuis) certainement généreux mais surtout angéliques s’imaginent que pour entrer en dialogue vraiment sincère sur un pied d’égalité entre partenaires, il est nécessaire de mettre son drapeau dans la poche. Ils proposent que les chrétiens "laissent de côté le préjugé concernant Jésus Christ Sauveur universel de l'humanité".

 

Pour qu’il reste tout de même un sujet de discussion avec les non chrétiens, Dupuis avec une certaine finesse propose de noyer "l’économie du Verbe incarné comme sacrement d'une économie plus vaste, celle du Logos éternel".  In "Nouvelle Revue de Théologie" 120, 1998. Et par là laisser de côté l'unique Seigneur et Sauveur de tous, Jésus, pour n'en faire qu'un épiphénomène sans importance capitale puisque sacrement se rapportant à une réalité plus grande.

 

J’espère vous avoir montré que la démarche  de considérer le Logos asarkos n’est pas aberrante et contient une part de vérité mais elle est largement insuffisante. "pour contempler sans danger le mystère du Logos parfait", elle diminue le mystère.

 

Il y a certainement une économie du Logos asarkos en qualité de créateur et maintien de la création; néanmoins, de toute éternité, le Logos Sauveur, Lumière et Vérité, a vocation à devenir Théanthropos. Ce qui a été fait une fois pour toutes dans le sein de la vierge Marie et révélé pour nous dans la sainte résurrection et la glorieuse ascension.

C'est la participation du Logos à notre chair qui permet la communion de notre chair, de tout notre être, au Dieu trois fois saint. Que serait le christianisme sans la réalité de l'incarnation du Logos?

 

Je considère qu'un chrétien ne peut faire abstraction de l’Incarnation, pierre de faîte de l’Economie divine et qu’en matière de dialogue, il doit être possible sans être arrogant ni condescendant de dire sa foi sans esprit de supériorité.

 

Notre vie spirituelle souvent bien indigente, nous ramènera à l'humilité devant ceux qui ne savent pas certainement nommer convenablement le Nom de Dieu mais qui vivent avec droiture. 

Par l’écoute de ce que les autres ont à nous dire nous pourrons aussi en enrichir la compréhension et l'expression des mystères en revenant bien souvent à l'essentiel du kérygme:

 

Jésus-Christ est le même, hier, aujourd'hui, demain et dans l'éternité; Dieu de Dieu, homme véritable, il s'est offert pour nous, en Lui est notre Salut.

                                                                                        

 

 

 

 

 

Lettre de saint Elie N° N° 199  & 200, 201   Juin -août 2005

2005

 

Salut et Liberté