"Recevez l'Esprit Saint"

L'envoi de l'Esprit par le Christ ressuscité

 

Le  soir de ce fameux matin où les femmes trouvèrent vide le tombeau du crucifié, qui cependant se fit voir à Marie de Magdala, Jésus vint dans la maison où se trouvaient les disciples, " et se tint au milieu d’eux. Et il leur dit: Paix à vous ! Et ayant dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent quand ils virent le Seigneur.  Jésus leur dit encore: Paix à vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie.  Et ayant dit cela, il souffla en eux, et leur dit : Recevez [l’]Esprit Saint.   À quiconque vous remettrez les péchés, ils sont remis, à quiconque vous les retiendrez, ils sont retenus. -Jean 20, 19-23-.

 

   La présence du Ressuscité parmi les disciples nous montre trois significations de la Pâque chrétienne:

 

                              - Désormais, Jésus est exalté comme Messie de Dieu et se manifeste où et quand il veut. Il donne sa paix, ainsi fait passer de l'enfermement et de la crainte à la joie. Jésus ressuscité confie aux disciples, et à nous, son ministère d'envoyé du Père pour témoigner du mystère du Dieu de vie parmi les hommes et de l'amour de Dieu le Père.

                              - Les disciples ne sont pas laissés à eux-mêmes, Jésus renouvelle son don de paix et souffle en eux et leur fait don de l'Esprit Saint. Nous remarquons en premier lieu que l'Esprit est envoyé et reçu après le don de la paix. Notre cœur doit se prédisposer à recevoir l'Esprit par la paix d'un esprit calme, sans passion ni crainte, exempt de vains désirs et de rancune.

En recevant librement la paix du Christ, l'Esprit vient et habite en nous, reprenant le projet divin suggéré dans Genèse 2,7 et bien expliqué par saint Irénée: l'Homme doté de simple souffle de vie (afflatus) reçoit le Souffle de Dieu (Spiritus) et entre dans l'intimité divine. 

                             - Les disciples revêtus de l'Esprit sont envoyés pour témoigner de la mort du péché qui voile la présence de Dieu en sa création. En remettant les péchés et manquements, l'homme ouvre la voie à la liberté. La liberté d'être vraiment soi et non pas l'objet de rancune et de frustration, qui emprisonnent la joie de se sentir enfant de Dieu.

"Retenir les péchés" n'est pas la même chose que le pouvoir de "lier et délier", compétence institutionnelle et disciplinaire de l'Eglise, "retenir les péchés" est  la seconde expression d'une proposition alternative du Christ, dont un seul terme est bon, mais hélas aussi une possibilité que la paix divine soit refusée, et qu'ainsi le refus du pardon enferme dans la culpabilité et le ressentiment. Les disciples, donc tous les fidèles, doivent être porteurs de la Parole de pardon et de liberté.

 

  

Les exégètes se sont souvent demandé comment articuler le don de l'Esprit le soir de la résurrection avec la descente de l'Esprit à la Pentecôte, cinquante jours plus tard.  –Actes 2,1-4.

 

Certains comme l'archimandrite Cassien Bésobrasoff (la pentecôte johannique, Valence sur Rhône 1939) torturent les textes pour démontrer que l'apparition décrite par Jean eut lieu non le soir de la résurrection mais après la Pentecôte. D'autres imaginent l'envoi de l'Esprit en deux temps. 

 

Notre Père saint Cyrille d'Alexandrie  se rapproche de saint Irénée et voit dans l'Esprit remis aux apôtres le soir de la résurrection la restitution de l'Esprit perdu lors de la chute, le commencement de la nouvelle création et le Salut universel par l'action de l'Esprit, dans lequel le Seigneur ressuscité est présent parmi les siens.

Les langues de feu et le souffle violent de la Pentecôte sont le signe pour le monde de la nouvelle création et l'inauguration de l'Eglise fondée sur la croix par l'effusion du sang et de l'eau, ce jour ouvre aussi le  temps messianique de l'apocalypse: la  Jérusalem céleste est présente sur terre, même si sa victoire définitive sur Babylone n'aura lieu qu'à la fin des temps.

 

Saint Pierre, dans son discours de la pentecôte, nous dit bien l'action commune des trois personnes de la trinité: " Ce Jésus [que vous avez livré et supprimé en le faisant crucifier] Dieu l'a ressuscité, nous en sommes témoins; exalté par la droite de Dieu, il a donc reçu du Père l'Esprit Saint promis et l'a répandu  comme vous le voyez et l'entendez;" -Actes 2, 32-.

C'est donc l'Esprit du Père que Jésus ne cesse de transmettre à ses disciples d'hier, d'aujourd'hui et de demain. C'est l'Esprit du Père qui nous fait voir et recevoir le Christ vivant.

 

   L'icône la plus parfaite du mystère de la présence du Christ et de l'Esprit est celle du portail intérieur de la basilique de Marie-Madeleine de Vézelay. Cette œuvre fut édifiée dans la première moitié du XIIè siècle.

 

Le second portail, qui mène du narthex des catéchumènes et pénitents  à la nef des fidèles, représente la pentecôte et la catholicité de l'Eglise. Cette thématique est tout à fait unique dans l'art roman.

 

 

Toute la scène est organisée autour du Christ en gloire.   

  

Le visage impassible du Christ contraste avec sa position en forme d'éclair et le mouvement

tourbillonnant de ses vêtements, rappel du déplacement incandescent de la résurrection.

Des rayons, symbolisant le don de l'Esprit partent latéralement de ses grandes mains en direction des apôtres et reposent sur leur tête. 

 

Le Christ est assis sur un trône dont les arcades évoquent l'Eglise et la Jérusalem céleste.

A ses pieds, un fleuve d'eau vive se répand jusqu'aux pieds des apôtres. Le fleuve d'eau vive est le symbole  du Saint-Esprit, dont la venue fut annoncée par le Christ et qui procède du Père.    

Au-dessus de la main droite du Christ, nous retrouvons ces eaux vives de la nouvelle création dans l'Esprit. A celle de gauche, apparaissent des  feuilles de l'arbre de vie de l'Apocalypse 22,2

 

Dans la deuxième voussure entourant ce tympan, les signes du zodiaque alternent avec les travaux des mois. Nous restons dans l'évocation de l'apocalypse: en effet, il y est dit que l'arbre de vie fructifie douze fois, pour que chaque mois il donne son fruit". Il n'est pas impossible qu'il s'agisse là d'une façon d'exprimer l'éternité. Les médaillons du zodiaque et les travaux des mois seraient donc la représentation de la continuité de la vie reçue de l'arbre planté au milieu de la Jérusalem céleste; nous savons que cet arbre de vie est celui de la croix.

 

Sur la voussure la plus proche du Christ, les peuples seront guéris de l'infirmité de leur corps et de leur âme par les feuilles de l'arbre, dont la fructification perpétuelle est suggérée par le zodiaque et les travaux des mois.

Les nations, en particulier, représentées notamment par le paralytique et d'autres éclopés, après avoir été guéries par l'eau du baptême, s'apprêtent à entrer dans l'Église.

 

Au linteau, les peuples connus à gauche et inconnus à droite marchent vers le centre, c'est-à-dire l'Église du Christ. Peuples connus et inconnus se dirigent ainsi vers deux personnages de haute taille placés aux pieds du Christ et qui doivent amener ces peuples à ce dernier: nous y reconnaissons l'embrassement des saints Pierre et Paul, vers eux s'avance une procession dans laquelle chacun viendrait apporter les fruits de leur travail, un taureau,  des armes…

Le geste du guerrier situé face à saint Pierre est, à cet égard, particulièrement éloquent: il pointe son épée vers le bas, indiquant peut-être, par ce geste, qu'il renonce à s'en servir ou qu'il met cette arme au service de la justice.

Certains participants semblent encourager leurs voisins à se hâter, leur indiquant, de l'index, le Christ du tympan. Il n'est pas interdit de considérer que toutes ces figures évoquent les nations et peut-être les rois, marchant dans la lumière du Christ et apportant gloire et honneur dans la Cité sainte. 

Au trumeau central se dresse Jean le Baptiste, Précurseur du Christ. Il montre de la main droite "l'agneau de Dieu" avec sa croix. Il se tient sous le fleuve pour indiquer qu'il invite encore aujourd'hui les vivants et les morts à la conversion, dans l'attente du baptême de feu de l'Esprit.

                                                

   Le tympan de Vézelay nous rapporte cette parfaite réciprocité de l'action du Fils et de l'Esprit, "les deux mains du Père" comme dit saint Irénée: le Fils envoie l'Esprit du Père et l'Esprit rend le Fils présent. Selon sa promesse, le Seigneur est "avec nous tous les jours jusqu'à l'achèvement  du temps"Mt 28,20- C'est lui qui nous envoie l'Esprit Saint, c'est l'Esprit qui nous le fait voir Vivant au milieu de nous: C'est vérité lors de la Sainte Oblation et les mystères, l'Esprit rend active sa Parole entendue dans les Ecritures, c'est aussi vrai, dans une autre mesure, du Christ caché dans  le prochain quel qu'il soit. 

                                                                                                                                                              +E-P

Bibliographie:

Marcel Angheben, apocalypse et l'iconographie du portail central de la nef de Vézelay, in Cahiers de civilisation médiévale, N° 163, 1998

 

Lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie,  N° 295 Juin  2013

Recevez l'Esprit