L'Esprit de la prophétie

 

 

Au regard des Ecritures nous allons nous poser la question de la permanence ou non de l'esprit de la prophétie après la venue du Messie et sa présence ininterrompue dans l'Ecclésia.

Pour cela nous examinerons la fonction prophétique dans la première Alliance, ce qu'elle est devenue dans la primitive Eglise et la pertinence  de sa continuité jusqu'à la fin de l'histoire.

 

Confusion entre prophétie, oracles et devins ou voyance.

 

Tous les peuples ont eu des oracles et des devins. Il s'agit de connaître l'avenir proche pour des circonstances privées ou nationales.

Des voyants ou voyantes pratiquent l'art divinatoire. D'autres ont des visions sans désir de favoriser cette faculté

Je n'ai pas de compétence pour porter une évaluation de ces deux pratiques sauf de dire que les Ecritures condamnent fermement l'art divinatoire sous quelques formes que se soient par la peine de mort. C'est dire le danger que représente cette recherche de connaissance de l'avenir pour l'équilibre psychique et spirituel. Pour les visions mystiques, les pères du désert mettent en garde contre le danger d'illusion.

 

Le prophète se réfère toujours à la Torah. Le prophète annonce la victoire de la Torah et de la volonté de Dieu en dépit de toutes les velléités politiques, sociales, et résistances de la créature.

 

Le prophète, la Torah devant les yeux, apprécie et juge le présent à la lumière de la fin. L'objectif de son intervention est d'appeler à la parfaite réalisation de la Torah et pour cela il présente aussi l'eschatologie sous l'angle particulier des circonstances présentes.

Le prophète biblique rappelle les exigences morales pour que s'accomplissent les promesses de Dieu.

Si son message est sévère pour la génération perverse, il contribue aussi à entretenir l'espérance et la confiance du croyant: Aucune catastrophe nationale, cosmique, ni même morale n'a le pouvoir d'étouffer la lumière, le projet divin. Les menaces, les encouragements, les visions apocalyptiques sont des ponts jetés entre le présent peu glorieux d'Israël et son avenir: l'accomplissement des promesses divines.

Au delà du petit peuple d'Israël, la prophétie de la Première Alliance a une portée universelle. "La postérité de la femme écrasera la tête du serpent".

 

Opposition entre prêtres et prophètes

 

Une lecture superficielle oppose les prophètes au sacerdoce juif, comme certains voudraient dans les Ecritures de la Nouvelle Alliance construire un fossé entre la Torah et la Grâce, le culte et la Parole.

Prêtres et prophètes sont les adorateurs du même Dieu, ils rencontraient le peuple à l'occasion des mêmes rendez-vous liturgiques exigés par la Torah. Les prophètes (et Jésus) ne reprochent pas aux prêtres d'être prêtres mais de ne l'être pas assez ou pire d'omettre la justice et de négliger  "de transmettre la connaissance de Dieu" qui est leur première fonction. Osée 4,6. Jamais les prophètes ne se sont désolidarisés du sacerdoce et ont appelé à l'individualisme de la prière, de la foi et du culte.

 

C'est une erreur de présenter "la religion des prêtres comme une religion du sacrifice, des Offrandes des hommes d'en bas vers le Dieu d'en Haut en opposition à la religion des prophètes, religion de la Parole du Dieu d'en haut qui s'adresse aux hommes d'en bas".

Il n'y a qu'un seul Dieu, une seule Torah, une seule promesse, une seule Economie divine. Le sacerdoce et le prophétisme de la Première Alliance participent chacun à sa manière à cette seule Economie. La différence entre les deux fonctions se situe au niveau de la transmission du sacerdoce confié à travers les temps à une seule famille, et la vocation particulière du prophète qui à l'appel de Dieu se lève pour faire revenir les cœurs à la Torah. Il n'y a jamais de concurrence entre les deux fonctions mais complémentarité. Jérémie d'ailleurs appartenait à une famille sacerdotale.

 

Les livres prophétiques bibliques ont-ils le monopole de l'Esprit de prophétie?

 

Les Ecritures proposent à notre lecture cinq grands prophètes et douze petits. Les petits le sont non par le moindre intérêt de leur ministère mais en raison de la moindre importance du nombre de pages dans le Livre; aussi certainement en raison de leur moindre usage dans la haftara, la lecture liturgique de la synagogue. Les personnages de ces livres ne sont pas les seuls vrais prophètes du vrai Dieu. (car Israël connaît aussi des faux prophètes, des devins, promis à la mort).

 

Est prophète celui qui ramène le cœur des hommes vers Dieu ou qui en écoutant la parole de Dieu prend l'initiative de la téchouva: le retour à Dieu. Ainsi Abraham est appelé prophète par Adonaï lui-même  s'adressant à  Abimélek "C'est un prophète qui intercédera en ta faveur" Génese 20,7. Moïse aussi est appelé prophète par Adonaï Deut. 18,15. Il n'est pas utile d'insister sur Samuel, Elie, Elisée et tous les "fils de prophètes " des Livres dits historiques. Bref, Israël n'a jamais manqué " d'Hommes de Dieu" pour rappeler au peuple la Sainteté. "Soyez saints car je Suis Saint! 

 

Il est courant de dire ou de lire que saint Jean Baptiste est le dernier des prophètes "car il a baptisé dans les eaux Celui qu'ils avaient seulement annoncé". Oui Jean selon la Parole du Seigneur est le plus grand parmi les enfants de la femme, il est le pont entre la première et la seconde Alliance, il appartient aux deux. En un certain sens, le temps messianique est arrivé, dans un autre, il ne fait que commencer, la plénitude du Royaume est encore à venir. Et jusqu'à la fin, le sacerdoce et le prophétisme doivent aider les hommes à se tourner vers Dieu et rappeler l'exigence de la Sainteté.

 

Maintenant nous pouvons explorer ce que l'Assemblée de Dieu attend et reçoit du prophète.

 

 Nabî en hébreu a donné le mot prophète. Les exégètes chrétiens tirent son  étymologie de l'adjectif "appelé". Il s'agit bien donc d'une vocation particulière  fulgurante  différente du sacerdoce institué et permanent. La tradition rabbinique traduit littéralement nabî par "Celui qui bouge les lèvres". Le prophète est donc un porte parole. Il porte la Parole de Dieu, la transmet. Les prophètes sont à la fois des oreilles qui entendent et bouche qui prononce la Parole.

 

Nous devons ajouter que l'action prophétique est un ministère extraordinaire donné directement à un homme par Dieu pour mettre l'accent sur une crise quand le ministère ordinaire, sacerdotal, n'est plus en mesure de faire entendre la parole de Dieu. Cette défaillance n'est pas obligatoirement due à une trahison des clercs ou à une carence, elle est certainement la conséquence de l'usure des mots qui ne sont plus pris au sérieux par les clercs et le peuple.

Ainsi disparaît la justice au profit de rites. De tous temps, les rites doivent être évangélisés pour demeurer un simple outil, outil merveilleux, d'équilibre de la vie spirituelle et sociale. Le rite est l'instrument essentiel de la communication entre l'homme et Dieu pourvu qu'il soit accompagné de la largeur du cœur qu'il doit aider.

Les prêtres participent normalement à l'enseignement de la Parole. Ils doivent par leur vie et leur verbe être nabî.

Hélas généralement l'institution ne favorise pas une hardiesse excessive à bousculer les mentalités usées. Alors se lève le prophète.

 

 Message du prophète

 

Le message du prophète est centré sur la Torah.

La Loi divine, c'est à dire l'Enseignement de vie,  qui est donnée une fois pour toutes. Par le Logos, elle transcende même les clivages peuples, nations, cultures. La Torah doit être reçue dans les cœurs et l'Enseignement doit s'épanouir dans un juste comportement.

Le prophète est donné quand dans la communauté, dans l'homme, quelque chose cloche entre le dire et le faire, quand la justice est tordue ou refusée. Il dévoile le point secret, conscient ou non, où la Lumière de la Torah est scandaleusement repoussée ou mise au service d'intérêts ignobles.  

 

Le message immédiat du prophète est d'essence morale. Il évalue la distance entre le discours, la régularité du culte, la pompe des cérémonies et l'éloignement du cœur et le manque de vraie dévotion à la Parole. Il revient à l'essentiel des commandements: la piété et la justice. Il n'hésite pas aux anthropomorphismes en annonçant la colère de Dieu et le châtiment.

Au-delà des catastrophes, le prophète  insiste sur l'Alliance éternelle et la fidélité de Dieu. Même si, à la suite du jugement, elle concerne un petit nombre, le germe saint.

 

Le sujet de la prophétie est l'Economie divine. Le prophète en posant le diagnostic d'infidélité du peuple ne peut que prévoir les conséquences: le malheur, car la Torah est donnée "pour l'homme". Mais toujours, il console en montrant la fidélité de Dieu à son plan. La fin sera conforme à la volonté de Dieu qui veut le bonheur de sa créature.

 

La prophétie dans la seconde Alliance

 

La lecture des Evangiles et des actes des apôtres montre que  pour les disciples toute la première Alliance est une prophétie de l'Alliance nouvelle et éternelle.

La prophétie commence avec la Genèse, "la postérité de la femme écrasera la tête du serpent", passe par les psaumes et bien sûr les prophètes et se terminera avec le Christ vainqueur de l'Apocalypse.

 

"Celui qui prophétise parle aux hommes, il édifie, exhorte, réconforte".1 Corint. 14;3:  Il s'agit certainement du discernement des esprits.  "les prophéties disparaîtront, la charité jamais" 13,8

 

Trois ministères se dégagent: apôtre, prophète, docteurs. Eph. 4, 11; Romains 12,6.  Tous sont en rapport avec la Parole.

La Didaché établit le ministère des évêques en rapport avec celui des prophètes. En rapport avec la Parole et Action symbolique, fondement du sacrement.

Nous n'oublions pas les prophétesses…Elles ont probablement disparues à cause du montanisme.

 

La vie monastique est dans une certaine mesure la continuité de l'esprit de la prophétie.

 

Les béné néviim, les fils de prophètes, c'est à dire les disciples des prophètes, s'écartaient de la société, se mettaient à quelques distances des hommes, non pour oublier les hommes mais pour mieux recevoir la Parole de Dieu et ensuite la transmettre.  Les moines se retirent au désert pour s'exercer à la vie contemplative. "Fuis, demeure silencieux, demeure dans la paix profonde" dit abba Arsène. Les pélerins et les disciples s'approchent des pères et demandent "abba, dis-moi une parole". Tous les moines et moniales ne sont certainement pas "pères, prophètes", mais Dieu suscite parmi eux des maîtres de vie, plus par leur exemple que par leur discours.

 

*Permanence de l'Esprit de la prophétie

Tous chrétien orthodoxe par la consécration du saint Chrême est roi, prêtre, prophète. C'est à dire qu'il doit consacrer sa vie à la construction du Royaume.

Le début de toute démarche est une juste confession de la foi. "Le témoignage de Jésus est l'esprit de la prophétie"; Apoc. 19,10

                                                                                                     + Elias-Patrick

 

Conférence donnée le 16 janvier 2002 devant le groupe biblique de Lodève.

 

Lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie N° 171, Février  2003

 

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