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Sur le paradis

Le Jardin d'Eden:

 

"Par sa croix et sa sainte résurrection l'homme (anthropos= l'humanité) a été ramené au paradis"  chante la liturgie copte orthodoxe. 

                                                               

                                                   

Sur la croix, notre Jésus sauveur affirme au bon larron, "aujourd'hui même, tu seras avec moi au paradis". Lc 23,42.

                                                                                                                                     

De quel paradis parlons-nous exactement?

 

Paradis nous renvoie à la Genèse dans ce temps primordial de la création de l'homme où Adam n'a pas gardé l'amitié de Dieu, cause de la perte pour l'homme de ce paradis.

Nous allons examiner, avec l'aide surtout de saint Ephrem, ce que la tradition dit de ce paradis perdu et retrouvé:

 

Notre français "paradis" provient du grec de la septante  "paradeisos" qui traduit l'hébreu "pardês" qui signifie "jardin". 

Il traduit aussi  le groupe de mot hébreu Gan-Eden, jardin d'Eden, qui apparaît cinq fois dans la Bible:

   " Adonaï Seigneur  prit l’homme et le plaça dans le jardin d’Eden pour le cultiver et pour le garder". Gn.2,15,

                                                     

   "Et Adonaï Seigneur le fit sortir du jardin d’Eden pour cultiver la terre d’où il avait été pris. Et il chassa l’homme, et il plaça à l’orient du jardin d’Eden les chérubins et la flamme de l’épée tournoyante pour garder le chemin de l’arbre de vie. Gn 3,23-24,

                                                     

   Et ils diront: Cette terre-là, qui était désolée, est devenue comme un jardin d’Eden, et les villes ruinées, désolées et renversées, sont habitées comme places fortes. Ez.36,35. 

   Devant lui le feu dévore, et derrière lui la flamme, brille. La terre est comme un jardin d’Eden devant lui, et derrière lui c’est un affreux désert; Joel 2,3.

Ce jardin est placé en Eden, comme l'indique Gn 2, 8: 

"Et Adonaï Seigneur Dieu planta un arbre en Eden, à l’orient, et il mit là l’homme qu’il avait formé".

                                                         

Nous ne savons pas quel vocable hébreu Jésus employa pour répondre au bon larron qui lui demandait "de se souvenir de lui dans son Royaume". Toujours est-il qu'il semble bien que la notion "Eden" l'emporte sur celle de  "paradis jardin".

La racine  'dn  exprime  l'abondance,  la fertilité, la joie, le bonheur, le plaisir, les délices.  Ce jardin est particulier car il est celui de la joie parfaite.

Notre liturgie copte orthodoxe selon saint Basile l'a très bien exprimé dans le memento des morts en disant:

 

"A ceux dont Tu as rappelé les âmes, Seigneur, donne le repos dans le Paradis de la joie, dans l'éternel séjour des vivants, dans la Jérusalem céleste, la cité bienheureuse". Notons d'ores et déjà que le paradis de la joie est associé avec la Jérusalem céleste.

 

Certains, en raison de la mention des quatre fleuves qui entourent le Gan-Eden de la Genèse ont recherché sa localisation sur la terre: en Mésopotamie, c'est tout juste si la question de savoir si le jardin est anglais ou à la française ne s'est pas posée!

 

Le récit de la création dans la Genèse n'est pas un traité de cosmologie ni de géographie, encore moins d'histoire; son but est de situer la création au regard de son Créateur et d'exposer la condition humaine. Aussi, il ne faut pas, quoi qu'en dise Augustin d'Hippone qui s'en prenait à ceux qui proposaient de ne pas s'accrocher à une localisation, ce Jardin de la joie n'est pas à rechercher sur une longitude et latitude de la terre.

Où se trouve donc le paradis? "Du côté de l'Orient" dit Gn 2,8.

Orient peut avoir un sens local comme l'a traduit la septante, mais aussi un sens temporel comme l'a compris la version grecque d'Aquila et celle araméenne de la  Peshitta. Orient aurait alors le sens d'antériorité dans le temps, que l'on pourrait traduire "en ce temps là" ou "au commencement", ou encore "dans le Principe" comme l'indique l'hébreu Béreshit? La mystique juive tend à pencher vers cette dernière opinion en suggérant la création "Olam, le monde" ayant aussi bien un sens local que temporel, "Olam" peut recevoir selon le contexte la traduction monde, cosmos, éon, qui est traduit par notre "siècle des siècles", une idée de plénitude.

Saint Ephrem, lecteur de la Peshitta, donne à cet Orient le sens de "au commencement, dans le Principe", ce qui donne à notre jardin d'Eden sa place dans la création du monde à la fois dans la période de sa formation "des mains divines" et comme projet du "monde à venir".

L'évocation des fleuves donne à saint Ephrem, bien qu'il connaisse  l'emplacement du Tigre et l'Euphrate, l'occasion d'en faire selon les noms des quatre fleuves une réalité spirituelle:

 

" - Cela coule comme Ghihon, Evangile à boire; - Par l'Euphrate est dessinée sa fertilité qui devient abondante par l'enseignement; - Par Pishon, son mystère est figuré: ne le scrutons pas; - Il nous passe au crible de sa parole, comme le Tigre; -Nageons et montons à la rencontre du paradis".

                                                                                                                          Hymne 48 sur la foi

 

Ephrem s'autorise de cette interprétation en jouant sur les mots: Ghihon est rapproché de Goh, couler, d'où "à boire", 'Frat de Froyô, fertilité, d'où "abondance de l'enseignement". Pishon, de fawson, arrêter, d'où "retenue devant le mystère", deglat (Tigre) de dgaltan "passer au crible".

Le paradis de la joie ne peut être localisé, pourtant, remarque le diacre syrien, on en parle comme d'un lieu: "un jardin avec une entrée et une sortie. Dieu y fait entrer Adam et l'en expulse après le péché. La porte est solidement gardée par le  chérubin. "Et il chassa l’homme, et il plaça à l’orient du jardin d’Eden les chérubins et la flamme de l’épée tournoyante pour garder le chemin de l’arbre de vie". Gn 3,24

 

Ephrem compare aussi le paradis avec le mont Sinaï.

 

"Adonaï donna la Torah à Moïse au Sinaï, comme il a donné au paradis son commandement à Adam.  Comme Israël devait garder les commandements pour plaire à Dieu et être digne de la présence de Dieu, Adam devait garder le commandement pour jouir de la présence divine. Au Sinaï, Israël reçoit la Torah du Livre, au paradis, l'homme reçoit la Loi de la nature: c'est la même Torah, toutes deux ont la même exigence et portent le même témoignage".

                                                                                              Hymne 28 contre les hérétiques.

 

Les deux lieux sont saints par la présence de Dieu. C'est cette présence qui donne le bonheur, et la paix profonde. Saint Ephrem nous invite à regarder le paradis avec les yeux de l'esprit et non  ceux de chair

 "car ceux de la chair voient le dehors des choses, non le dedans. Les yeux de l'esprit passent la porte et entrent à l'intérieur, le paradis est tout spirituel".   

                                                                                           Hymnes 1 & 6 sur le paradis.

Eglise paradis:

 

C'est ainsi aussi que nous devrions voir, sentir, aimer l'Eglise. Ephrem, la harpe de l'Esprit, compare l'Eglise au paradis, sacrement de la présence de Dieu;

 

" D'une part, [Dieu] planta le jardin splendide, de l'autre il bâtit l'Eglise pure. Dans l'arbre de la science, il plaça l'interdit, il répandit la joie, mais ils ne se réjouirent pas. <> Au-dedans de l'Eglise, il implanta le Logos qui dispense la joie à travers ses promesses. <> Image du paradis est l'assemblée des saints [sur terre]. On y peut chaque jour cueillir le fruit qui donne vie à tous".

                                                                                   Hymne 6 sur le paradis.

                                                       

Notre Eglise, comme le paradis, exprime une double réalité: le paradis a un visage terrestre et aussi un visage céleste, reflet de la gloire divine; l'Eglise est sur la terre, et aussi céleste, spirituelle, le Logos incarné a mis en elle les sources de vie et l'arbre de vie et de la connaissance.

La Torah et les commandements sont imposés à l'homme comme une limitation à sa liberté, croit-on. Non, la vie en esprit que nous montrent la Torah et les commandements sont plutôt une porte qui ouvre vers la vie, tandis qu'elle peut se fermer dans la diabolique autonomie. Dieu voulut, au commencement, qu'Adam méritât le paradis en toute justice, et non par la seule bonté divine, d'où le commandement: aujourd'hui, il ne veut pas imposer le paradis à l'homme par la violence, il veut le lui offrir comme une réponse à son libre choix.

 

"Le [Dieu] juste aurait pu par violence nous rendre beaux et bons, mais il fit effort pour que nous soyons beaux et bons par notre volonté, pour que nous dessinions nous-mêmes notre beauté avec les couleurs que notre liberté assemble. Et quand il nous ornera, nous ressemblerons alors à l'image qu'un Autre [le Logos fait chair] formera et ornera par ses couleurs.

                                                                                        Hymne 31 sur la foi

 

En Christ Jésus, les dons du paradis sont instaurés: Le croyant reçoit "la nourriture de vie" Jn 6,35, "l'eau vive" Jn 4,14, "la vie éternelle" Jn 5, 24. Jésus est le véritable grand prêtre chanté dans le Testament de Lévi (écrit vers 200 avant J.C ):

 

"Le Seigneur suscitera un Prêtre nouveau à qui les paroles du Seigneur seront révélées. C'est lui qui  exercera un jugement de vérité sur la terre. Son astre se lèvera dans le ciel comme  celui d'un roi resplendissant de la lumière de la connaissance.<> Les cieux s'ouvriront et du temple de gloire viendra sur lui la sanctification en même temps qu'une voix paternelle.<> La gloire du Très-Haut sera proclamée sur lui, et l'esprit d'intelligence et de sanctification reposera sur lui par l'eau. Car c'est  lui qui donnera la magnificence à ses fils dans la vérité à jamais. Sous son sacerdoce, les nations augmenteront dans la connaissance [de Dieu] sur la terre et seront illuminées par la grâce du Seigneur. <> C'est lui qui ouvrira les portes du paradis et qui écartera l'épée qui menace Adam. Il donnera aux saints à manger du fruit de l'arbre de vie et l'Esprit de sainteté sera sur eux".

 

Paradis, royaume:

 

Nous allons délaisser pour un moment la chronologie de l'histoire de la foi, et aussi laisser de côté  provisoirement la notion d'Eglise paradis, pour nos ancrer dans le mystère de la Pâque du Sauveur et approfondir son lien avec le paradis céleste.

 

L'invocation récurrente de notre liturgie copte-orthodoxe pendant le carême

"Souviens-toi de moi,  O Dieu –Seigneur –O Roi, quand je viendrai dans ton Royaume" puis celle de la grande semaine sainte, "souviens-toi de moi,  O Dieu –Seigneur –O Roi, quand tu entreras dans ton Royaume",

nous invite à saisir la véritable portée des paroles du bon larron et la réponse du roi crucifié. "[l'un des malfaiteurs crucifié] dit à Jésus: Souviens-toi de moi, quand tu viendras dans ton royaume. Jésus lui répondit: Amen, je te dis, aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis" Luc 23,42.

Signalons au passage une variante intéressante du texte occidental (codex Bezae) qui fait dire au larron " souviens-toi de moi au jour de ta venue", et au Christ, "Aie confiance, aujourd'hui tu seras avec moi au paradis".

"Le jour de ta venue" ou le "royaume" est certainement dans la bouche du malfaiteur tourné vers un avenir indéfini, celui de l'inauguration des temps messianiques. Au point de vue de la foi juive ordinaire, c'était un paradoxe. Malgré la prophétie du serviteur souffrant d'Isaïe, le thème de la mort du messie était complètement absent du savoir traditionnel. L'espérance du larron est pourtant celle de la foi, la confiance en celui qui partageait, bien qu'innocent, la condamnation à la croix. La perspective du larron se situe dans le monde à venir où le messie triomphant libère son peuple, provoque le jugement de Dieu et assure la résurrection des justes dans un univers transfiguré. A l'eschatologie futuriste du larron, Jésus substitue une espérance immédiate: "aujourd'hui même".

La science juive de l'outre-tombe est bouleversée. La tradition juive ne connaissait qu’un seul lieu pour les âmes après la mort et elle les a placées sous la terre au schéol, nos enfers. Toutefois, les justes ne partagent pas le même sort que les méchants dans cette vallée de ténèbres, car leurs corps entrent en paix et reposent sur leurs couches Is 57, 2, alors que leurs âmes sont liées dans le faisceau des vivants Is.57, 2 et 1 S 25, 29. Hénoch lors de son assomption vit "le lieu où vivent les premiers pères, les élus et les justes, les saints que Dieu tient en réserve en vue de la vie éternelle". Ce lieu merveilleux s'appelle "jardin de vie". 1 Hénoch chap 70 & 71. Mais  la récompense complète est repoussée au temps qui suivra leur surgissement/résurrection du shéol.

On peut supposer que la réponse du Seigneur signifie que, lorsqu'il remettra son esprit au Père, il entrainera le larron avec lui au paradis, jardin de vie. Descendre aux enfers, au shéol, c'est faire l'expérience de la mort, aller au paradis, c'est, au-delà de cette expérience, connaître le sort des patriarches et des justes dans l'attente joyeuse de la résurrection universelle.

 

Paradis, communion, union au Christ:

 

Mais Jésus n'est pas seulement "le prophète", "le messie" "le juste qui porte nos souffrances", il est le Logos de vie fait chair, Dieu de Dieu. Dans le contexte de la Pâque, la réponse du Christ donnée au bon Larron : Aujourd’hui tu seras avec moi dans le paradis résonne d’une façon intrigante. Etre au paradis c'est être avec le Christ pour qui ce paradis s’ouvre d’abord,  être avec le Christ mort et ressuscité, être avec le Christ glorifié et élevé jusqu’à la gloire de Dieu.

Il s'agit d'une relation personnelle avec Jésus Logos de vie. La préposition grec du NT pour dire "avec" ici n'est pas "sun" qui évoque l'accompagnement, mais "meta" qui indique une association étroite, une vie partagée. Emmanuel Dieu avec nous et nous en Dieu.

                                                            

La mort n’est pas le dernier mot dit par Dieu, puisqu’elle sera brisée par la résurrection. Le mystère du Salut est la victoire du Christ qui se renouvelle à présent au sein de l’Eglise dans sa célébration liturgique.

La nuit pascale du Christ devient la nuit lumineuse de son Corps mystique. L’entrée du bon Larron au paradis devient réelle aussi pour tous ceux qui sont baptisés, pâque personnelle.

Une nouvelle humanité naît dans l’Eglise et avec elle se manifeste le monde nouveau. Les dons de Dieu, et l’immortalité, sont donnés à l’humanité sous la forme des sacrements.

La préface à la confession de foi de notre office de l'encens quotidien implore le Christ:

 

"Dieu qui, sur la précieuse croix,  a reçu la confession du larron, reçois la confession de ton peuple et pardonne-lui tous ses péchés à cause de ton saint Nom qui a été invoqué sur nous. Selon ta miséricorde, Seigneur, et non selon nos iniquités".

 

Elle nous invite à imiter la confiance, la foi, le discernement du larron, à nous détourner de l'iniquité pour regarder les entrailles de miséricorde du Sauveur. Par sa mort il a vaincu la mort, la résurrection bouleverse la marche de l'histoire, la création est dans les douleurs de l'enfantement de la nouveauté, car l'homme est bien souvent insensible à la miséricorde divine, l'ingratitude règne encore.

 

Paradis, création transfigurée:

 

L’obéissance ou la soumission à l’Esprit de Dieu n’exclut pas la matérialité en tant que telle. Dès le commencement, c'est-à-dire dès la création du cosmos, l’Esprit plonge dans la création entière pour la transformer et cette transformation, à terme, appelle déification. L’avenir du monde est l’avenir de l’homme, de même que la spiritualisation du corps humain lors de la résurrection annonce et est avant-gout de la sanctification du cosmos entier: Comme le chante l'anaphore de saint Athanase, "tu as fait de la terre un ciel".

Les Ecritures lient sans les confondre les images de paradis, ciel, royaume, Jérusalem céleste. Jésus dit "je dispose pour vous du Royaume comme mon Père en a disposé pour moi, vous mangerez et boirez à ma table dans mon Royaume". Luc 22, 28-30. Ici aussi, il entend la communion personnelle avec lui. Etre avec lui c'est être dans le Royaume, habitant du paradis, participant de la gloire de la Jérusalem céleste, citoyen du ciel,

Il est certes impossible de donner plus de détails concernant la physique  de ce lieu. L’histoire montre que toute la description peut être fallacieuse à cause de l’influence de telle ou telle cosmologie. Nous pouvons être sûrs que la béatitude commence en cette création, qu’elle y demeure et qu’elle appartient à l’ensemble de cette création. "la vie, c'est d'être avec le Christ, car là où est le Christ est le Royaume". (Saint Ambroise, commentaires sur saint Luc). Ainsi il écarte définitivement et instinctivement le faux problème de la localisation du paradis

 

La pâque du Christ, qui est le passage le plus fondamental de Dieu en ce monde, a bel et bien laissé ses effets dans la vie de l’homme et du monde matériel. Ce qui était depuis toujours, et ce qui façonne aujourd’hui l’espérance en une réalité meilleure, est déjà devenu présent, déjà entré dans l’histoire du monde.

Ce monde a été rénové par Dieu, ce monde-ci a été sauvé par lui. Mais en même temps, ce monde aussi attend le triomphe du Christ, ainsi que sa purification et celle de l’homme, jusqu’à ce que vienne le jour où "Dieu sera tout en tous".

 

Paradis, maison du Père:

 

Augustin d'Hippone admet le retour au paradis à la fin des temps, mais ce n’est pas simplement le paradis. Il suffit de contempler le Christ qui est monté aux cieux. Le ciel est sa patrie :

 

"Que la Pâque du Christ devienne le sujet de notre joie ! C'est pour nous, en effet, qu'il naît, qu'il meurt dans les souffrances et qu'il ressuscite; c'est afin que, par lui, nous renaissions à la vie au milieu des tribulations, et qu'avec lui nous ressuscitions dans la pratique de la vertu. N'a-t-il pas, dans cette nuit, opéré la restauration de toutes choses? Il y est ressuscité en qualité de prémices, afin que nous ressuscitions tous après lui: il y brise les chaînes de notre esclavage, il nous rend la vie que nous avons perdue en Adam.

Celui qui nous a formés à l'origine des temps, revient, après son voyage sur cette terre, à sa patrie, au paradis, de la porte duquel il écarte le chérubin. A partir de cette nuit où s'est opérée la résurrection du Seigneur, le paradis est ouvert. Il n'est fermé que pour ceux qui se le ferment, mais il n'est ouvert que par la puissance du Christ. Qu'il revienne donc au ciel, et nous devons le croire; qu'il revienne au ciel Celui qui ne l'a jamais quitté! Qu'il monte à côté du Père, Celui qui y est toujours resté. De fait, ne croyons-nous pas que la vie est morte pour nous? Nous croyons que le Christ, qui est mort, qui a été enseveli, qui est ressuscité et monté au ciel, n'a jamais, pour cela, quitté le Père et le Saint-Esprit".  Sermon 53, 2 Pour la veillée pascale

 

Voici donc le nouveau paradis: être avec le Christ, être avec lui dans la maison du Père, participer au royaume des cieux. Le paradis devient dans le Christ le ciel, mais aussi, le ciel dans le Christ devient le paradis. Tel est le mystère du Christ qui ouvre de nouveau l’homme à Dieu et communique à celui-là l’amour de celui-ci.

"Ceux qui meurent dans le Seigneur" sont avec le Christ dès le moment de leur mort sans que l'on puisse dire, ni où, ni comment, ni sous quelle forme. La communion qui commence ici ne cessera jamais.

 

La chute primitive a pour conséquence d'éloigner l'homme du paradis. Sans qu'elle soit essentiellement morale, la chute est la conséquence du détournement de l'homme du projet de Dieu: l'accomplissement libre de l'humanité par progrès successifs en recevant les rayons lumineux de la grâce, acquérant ainsi la ressemblance divine.

 

Le témoignage des pères:

 

     Philon, le philosophe juif d'Alexandrie (1er siècle avant la naissance du sauveur †), développe l’idée du paradis comme un jardin des vertus :

 

"La vertu a été appelée par figure jardin [paradis], et le lieu propre au jardin c’est Eden, c'est-à-dire la vie délicate; ce qui convient à la vertu, c’est la paix, la félicité et la joie, en quoi consiste véritablement la vie délicate". Legum allegoriae I, 45-46

 

Pour Philon, le paradis n’a pas été matériel et caractérise un état. L’homme y a été placé pour cheminer vers la sagesse, c'est-à-dire vers Dieu.

 

"La crainte du Seigneur est un paradis de bénédiction; mieux que toute gloire elle protège" -Sir 40, 27- Le "paradis de bénédiction" est bien l'état de joie engendrée par la proximité de Dieu. "Dieu qui bénit" ou "Dieu de bénédiction" exprime l'abondance de grâces pour l’homme, sa vie remplie de prospérité par la bienveillance de Dieu. Le Siracide, comme Philon, déplace l’accent du paradis terrestre au paradis de vertus. L’homme qui aime et qui garde la crainte du Seigneur vit comme dans un certain paradis rempli de toutes sortes de grâces. Le détournement du commandement divin pourrait être conçu comme un refroidissement de l'amour de l'homme envers son créateur. Ecoutant le satan, maître du soupçon, il a ébranlé sa confiance en la générosité divine, ce qui a provoqué la perte de la crainte.

 

Saint Théophile d'Antioche (vers 170†) considère le paradis comme un état intermédiaire où se joue le destin de l'humanité:

 

"Dieu transporta [l'homme] de la terre, dont il était fait, dans le paradis et lui donna un principe de progrès suivant lequel il pût se développer et arriver à la perfection, voire même être proclamé dieu et ainsi monter au ciel - en effet l’homme fut établi dans une situation intermédiaire, ni complètement mortel ni absolument immortel, mais capable des deux ; de même cette région du paradis, par sa beauté, était intermédiaire entre le monde et le ciel-, monter au ciel, dis-je, en possession de l’immortalité". Trois livres à Autolycus II, 24.

 

Saint Théophile ajoute: "Dieu lui-même est le lieu de toutes choses". Ibid., II, 3

 

L'Eglise sur la terre est la voie qui mène au paradis, elle peut être comprise aussi comme le paradis lui-même en vertu de son union avec le Christ dans ses sacrements, le baptême et l’eucharistie.

L’entrée au paradis céleste n’est pas possible sans le Christ. Le thème de la plantation de l'arbre de vie désigne l’Eglise et évoque celui du paradis. On y entre par le baptême et on l’embellit par de bonnes œuvres.

 

Saint Justin (vers 160 †) dans l'épitre à Diognète écrit que

 

les chrétiens "deviennent un jardin de délices. Un arbre chargé de fruits, à la sève vigoureuse, grandit en eux et ils sont ornés des plus riches fruits. Car c’est là, le terrain où ont été plantés l’arbre de la science et l’arbre de la vie, mais ce n’est pas l’arbre de la science qui tue, non, c’est la désobéissance qui tue. Car ce n’est pas sans raison qu’il a été écrit que Dieu, au commencement, planta au milieu du jardin l’arbre de la science et l’arbre de la vie, nous montrant dans la science l’accès à la vie. Les premiers hommes qui ne surent pas bien en user, furent mis à nu par l’imposture du serpent. Car il n’y a pas de vie sans la science, ni de science sûre sans la véritable vie: c’est pourquoi les deux arbres ont été plantés l’un près de l’autre ".

 

Cette manière de voir est complétée par le Psaume 14,2 de Salomon:

 

"Les saints du Seigneur vivront par [la loi] pour l'éternité. Le paradis du Seigneur, les arbres de vie, ce sont ses saints. Leur plantation est enracinée pour l’éternité, on ne l’arrachera pas tant qu’il y aura des cieux, car le lot et l’héritage de Dieu, c’est Israël"

 

C'est à saint Hippolyte de Rome (vers 235 †) que nous devons le lien entre l'Eglise et le paradis. Il part de l'affirmation que le Christ est l'arbre de vie par qui sont assemblés les prophètes, les martyrs, les apôtres, les saints qui reçoivent la couronne céleste. De antichristo 31,59 PG 10.

 

"Le Christ est l'arbre de vie ; ceux qui désirent goûter cette vie, en jouiront éternellement devant la face de Dieu, avec Adam et tous les justes". Fragmenta in Proverbia; Il y discerne l'Eglise céleste qui n'est pas disjointe de l'Eglise terrestre. L’Eglise étend et actualise l’œuvre du Christ et devient une assemblée des saints. Car elle n’est ni un lieu ni une maison terrestre, mais "une communauté, jardin spirituel de Dieu planté sur le Christ où on voit toutes sortes d’arbres ".

 

L’Eglise est pour Hippolyte le paradis, le véritable jardin de Dieu dont l’annonce et la figure se trouvent dans le livre de la Genèse :

 

"Le jardin qui avait été planté en Eden est la figure et, d’une certaine manière, le modèle du jardin véritable. <> Du jardin terrestre nous devons élever nos regards vers le jardin céleste, partir de la figure pour comprendre le spirituel, et du temps limité élever nos espérances jusqu’à l’éternité, comme Moïse, qui reçut du Seigneur l’ordre de construire un tabernacle qui lui avait été montré sur la Montagne. Que vit-il, sinon la représentation de la magnificence céleste, à l’imitation de laquelle avait été organisé le charnel, c'est-à-dire le tabernacle bâti de bois imputrescible, pour que celui qui réfléchit ne voie dans le charnel que le terrestre. Car Eden est le nom du nouveau "Jardin de délices "planté à l’Orient, orné de toutes sortes de bons arbres, ce qu’il faut comprendre de la réunion des justes et du lieu saint sur lequel est bâtie l’Eglise. Car l’Eglise n’est pas appelée "lieu " ni "maison bâtie de pierre ou d’argile ", et l’Eglise ne peut pas non plus être appelée "homme isolé. Car les maisons sont détruites et les hommes meurent. Qu’est-ce donc que l’Eglise? La sainte réunion de ceux qui vivent dans la justice. La concorde, qui est le chemin des saints vers la communauté, voilà ce qu’est l’Eglise, jardin spirituel de Dieu, planté sur le Christ, comme à l’Orient, où l’on voit toutes sortes d’arbres: la lignée des patriarches qui sont morts dans le commencement, les œuvres des prophètes accomplies après la Loi, le chœur des Apôtres, qui tenaient leur sagesse du Logos, le chœur des Martyrs, sauvés par le sang du Christ, la théorie des Vierges sanctifiées par l’eau, le chœur des Docteurs, l’ordre des Evêques, des Prêtres et des Lévites. Dans un ordre parfait, tous ces saints fleurissent au milieu de l’Eglise, et ne peuvent se faner. Si nous cueillons leurs fruits, nous obtenons une juste vue des choses, en mangeant les mets spirituels et célestes qui viennent d’eux.

Car les bienheureux patriarches nous ont transmis les ordres de Dieu, comme un arbre planté dans le jardin et produisant toujours du bon fruit, pour que nous reconnaissions aujourd’hui le doux fruit du Christ annoncé par eux, le fruit de la vie qui nous est donné.

Il coule dans ce jardin un fleuve d’une eau intarissable. Quatre fleuves en découlent, arrosant toute la terre. Il en est de même dans l’Eglise: le Christ, qui est le fleuve, est annoncé dans le monde entier par le quadruple évangile. Il arrose toute la terre et sanctifie tous ceux qui croient en lui, selon la parole du prophète : Des fleuves sortent de son corps. Dans le paradis se trouvaient l’arbre de la connaissance et l’arbre de la vie, de même aujourd’hui deux arbres sont plantés dans l’Eglise : la Loi et le Logos. Car par la loi vient la connaissance du péché, mais par le Logos est donnée la vie et accordé le pardon des péchés. Autrefois Adam, pour avoir désobéi à Dieu et goûté l’arbre de la connaissance, fut chassé du paradis; tiré de la terre, il retourna à la terre. De même le croyant qui n’observe pas les commandements, est privé du Saint-Esprit, puisqu’il est chassé de l’Eglise ; il n’est plus à Dieu, mais il redevient terre et retourne au vieil homme qu’il était"

                                                                                            Commentaire sur Daniel 1,17

Paradis, ciel et Jérusalem céleste:

 

Si les textes de la Première Alliance réservent le ciel, les cieux (shamayim) à Dieu et ses messagers, serviteurs angéliques, ceux de la nouvelle Alliance semblent donner, sans toujours les confondre, une même signification aux mots "paradis", "Ciel", "royaume des cieux" et "Jérusalem céleste".

 

Saint Cyprien de Carthage (258 †) ne cesse de rappeler, dans les sombres jours de la persécution, les rayonnantes espérances d'outre-tombe. "Que la mort nous ravisse à la terre, à ce monde décevant, aussitôt nous serons transportés aux royaumes du ciel, dans le paradis". Epist. ad Fortunat.

                                                  

Dans son ascension, le Christ nous montre la voie, il nous mène avec lui au ciel, et non seulement les martyrs, mais tous ceux qui suivront le Seigneur jusqu'au bout.

Le théologien Joseph Ratzinger, (devenu Benoit XVI, pape de Rome) explique

dans le vocabulaire de Théologie: LThK 5: "le ciel est le mot-image théologique par lequel s’exprime l’union définitive, que le Christ obtient auprès de Dieu le Père, pour tous les hommes unis et sauvés à jamais. Le ciel n’est pas à proprement dit un lieu où l’homme peut entrer, mais désigne l’union entre l’homme et Dieu: cette union qui se produit avec le Christ et son corps. Etre avec le Christ, c’est adorer Dieu et lui rendre le culte dû, c’est participer à la construction du temple de Dieu et de sa ville, la Jérusalem nouvelle, c’est finalement voir Dieu face à face.

Le ciel désigne également la communion de tous en un seul corps de Christ, le nouvel Adam. Cette humanité renouvelée et unie se dévoile communion des saints qui commence en ce monde. Les relations humaines doivent être gardées et transformées en l’union au corps mystique du Christ, et elles ne se prolongent seules au-delà de la parousie, mais également dans ce milieu où elles existent, à savoir le cosmos. L’ascension du Christ n’est pas son absence de ce monde et l’arrivée dans un espace supra-céleste, mais sa nouvelle façon d’être, glorifié à la droite du Père. C’est de là que le Christ participe au pouvoir de Dieu sur l’histoire et sur la création et il n’est pas ôté de la relation avec ce monde. Dans l’unité de son corps, qui devient aussi un nouvel espace, il crée des liens plus forts que ceux physiques du monde présent et de ce fait, la nouvelle création eschatologique est au-dessus de celle qui existe aujourd’hui. Le paradis, ce n’est pas le cosmos qui était différent, mais les relations de l'homme avec Dieu, illuminées par la grâce divine".

 

J. Ratzinger rejoint saint Grégoire de Naziance (390 †)

"Celui qui est en Dieu possède tout du fait qu’il possède Dieu. Et personne ne peut être uni à Dieu sinon en devenant un seul corps avec lui".

 

La liturgie wisigothique pour la recommandation des défunts dit:"

Reçois-le, Seigneur, dans le repos de l'éternité et donne-lui la grâce de te voir et le royaume éternel, c'est-à-dire la Jérusalem céleste... (Dom Pérotin, Liber ordinum)

C'est l'écho du Testament de Dan:

"Les saints se reposeront en Eden, et, dans la Nouvelle Jérusalem, les justes se réjouiront, elle qui est l’éternelle gloire de Dieu".

Testament de Dan V, 12,

 

 

                                                                                                                      +E-P

    Lettre aux amis du sanctuaire de saint Elie, 2012


 

Paradis