Oecuménisme pour le troisième millénaire

 

La question de la lisibilité de l'unité de l'Eglise reste posée devant la conscience des chrétiens.

Malgré plus de cinquante ans d'efforts pour promouvoir la communion entre les chrétiens héritiers de cultures issues de séparations de leur hiérarchie ecclésiastique, il semble bien que le dialogue oecuménique, malgré de réelles avancées, dues d'ailleurs surtout à la sécularisation, reste un sujet de discours de spécialistes.

 

Les fidèles sont peu motivés pour deux raisons apparemment contradictoires:

soit ils sont convaincus d'appartenir à la véritable Eglise du Christ et attendent sans impatience que les autres viennent les rejoindre, soit ils sont persuadés que la question ne se pose plus, que le dialogue est abouti et que de toute façon le christianisme s'accommode de diverses formes qui grosso modo se résument à la structure catholique romaine et à celles issues de la Réforme, les Eglises d'Orient étant le moyen terme avec le folklore en plus, et peu importe d'appartenir à l'une ou à l'autre.

 

Il va falloir  séparer  le vrai du  faux dans cette combinaison.

 

Heureusement, le dialogue continue, les hiérarchies n'osent plus, au moins ouvertement, se comporter comme des boutiquiers concurrents, elles se rencontrent dans des manifestions  extraordinaires et aussi par des réunions d'experts qualifiés et mandatés. Les résultats de leur travaux donnent à réfléchir, même si parfois les documents les plus récents évoquent "le pédalage dans la choucroute": générosité de principes vagues sans engagement concret, ouverture  libérale et aussi  coups de frein pusillanimes ou capitulation en rase campagne devant la pensée unique.

 

Un dernier document en date est caractéristique de cet état d'esprit. Il a été signé le 22 avril 2001, par un certain métropolite Jérémie, président de la K.E.K. (Konferenz europaeischer kirchen!) et le cardinal Vlk, président des Conférences épiscopales (catholiques romaines) Européennes.

Malgré une certaine  solennité de ton et la volonté de s'engager plus avant, ce document n'apporte rien de plus que les nombreuses et importantes déclarations antérieures et même paraît en deçà voulant embrasser trop et élargir la dimension oecuménique avec "d'autres religions et idéologie".

Nous n'avons rien, bien au contraire, contre le dialogue inter-religieux, mais il ne faut pas tout confondre.

L'oecuménisme chrétien a pour objet de faire une réalité des paroles de l'anaphore de saint Sérapion: "De même que ce pain disséminé sur les collines a été réuni pour devenir un, ainsi, daigne réunir ton Eglise sainte de toute race, de tout pays, de toute ville, village et maison, et fais d'elle l'Eglise une, vivante et catholique".

Bien que cela ne soit pas le sens premier de cette invocation, sans aucun doute les chrétiens se sont disséminés en bastions protégés par des murs d'incompréhension, il faut écouter la Parole de Christ et tout mettre en œuvre pour que chaque communauté puisse se reconnaître et reconnaître les autres comme l'Eglise du Christ dans l'unité préservant les diversités.

Aujourd'hui  nous avons absolument toute la réflexion nécessaire pour faire une certaine unité. Les textes signés par les experts dans des réunions bilatérales ou multilatérales sont suffisants pour établir une base de communion.

Le document le plus important au niveau multilatéral est certainement celui de la réunion à Lima du Conseil œcuménique des Eglises en 1985.

Ce texte appelé B.E.M. (baptême, eucharistie, ministère) représente un effort sérieux pour mettre au clair et exprimer la foi de l'Eglise à travers les âges. Il pose les bases d'un accord théologique sur les marques visibles de l'Eglise qui sont la doctrine du baptême, la foi en l'eucharistie et la permanence d'un ministère nécessaire à la cohésion des fidèles de chaque communauté.

Bien sûr, ce petit texte n'est pas un traité complet de théologie et n'a pas la précision d'une décision dogmatique, il appelle une réflexion dans chaque Eglise,  mais aussi il devrait être un engagement, pour ceux qui se reconnaissent sur ces bases, à briser les murs de séparation.

 

On doit aussi citer les nombreuses études du "groupe des Dombes", dialogue bilatéral entre les catholiques romains et les protestants qui tentent de mettre à plat leurs divergences depuis le XVIè siècle et retrouver un chemin commun.

 

Pour nous coptes orthodoxes, Sa Sainteté Shénouda III a signé au moins trois importants protocoles d'accord christologique:

- Le 10 mai 1973 avec S.S. le Pape Paul VI a été reconnu l'identité de la foi de l'Eglise copte orthodoxe et de l'Eglise catholique (romaine) dans le mystère du Logos incarné exprimé avec les termes du concile de Nicée. Cette déclaration a été réaffirmée en 1979 par S.S. Jean Paul II.

- Le 1er. octobre 1987, une déclaration identique fut signée avec sa grâce Robert Runcie, archevêque de Canterbury et président du Conseil consultatif anglican.

- En novembre 1987, avec les patriarches orthodoxes byzantins du Moyen Orient, la reconnaissance que "fondamentalement et essentiellement les Eglises non chalcédoniennes et chalcédoniennes ont gardé de part et d'autre la même foi en notre Seigneur Jésus Christ malgré la diversité des formulations et les controverses qui en ont résulté".

- En Juin 1989, encore plus largement, la réunion plénière de la commission mixte de dialogue théologique entre toutes les Eglises orthodoxes byzantines et Eglises orientales orthodoxes a étendu cet accord christologique sur la formule de saint Cyrille "une seule nature (= hypostase) du Logos de Dieu incarné" à l'ensemble de la foi de ces deux expressions de l'Eglise: "Nous reconnaissons les uns chez les autres l'unique foi orthodoxe de l'Eglise. Quinze siècles de discordes ne nous ont pas égarés de la foi de nos pères. Sur l'essentiel du dogme christologique, nous nous sommes trouvés en plein accord. A travers les terminologies différentes utilisées par chacune des parties, nous avons aperçu l'expression de la même vérité". "Notre accord mutuel n'est pas limité à la christologie, mais embrasse toute la foi de l'Eglise une et indivisible des premiers siècles".

 

Je reste stupéfait que tous ces actes qui posent  des principes pour l'unité et corrigent des erreurs d'appréciation du passé n'aient pas été reçus, non seulement  dans la conscience des fidèles mais encore dans l'enseignement des savants.

Je renvoie le lecteur aux encyclopédies papier ou internet qui osent encore présenter des dissertations erronées sur ce que les Eglises disent d'elles-mêmes et de leur foi.

Il manque aux chrétiens l'audace de la liberté des enfants de Dieu pour se mettre d'accord sur une confession de foi essentielle, celle de Nicée par exemple, et ainsi reconnaître l'ecclésialité d'une communauté et par là son appartenance à l'Eglise, une-unique.

 

Car la recherche de l'unité perdue doit absolument être la recherche de la Vérité.

La Vérité n'est pas un ensemble de discours dogmatiques mais une personne vivante, Jésus-Christ. Il nous faut aller vers Christ, notre source de vie, lui la Vérité qui dilate le coeur. Le coeur grand, large, n'a pas d'étroitesse d'esprit, de calcul mesquin, de désir de puissance, il sait que la vérité ne s'impose pas par violence physique ou morale mais par l'amour.

L'amour est le fruit de la foi c'est à dire la confiance inébranlable en Dieu.

Nous pouvons être des théologiens orthodoxes sourcilleux sur la Tradition, mais sans l'amour qui respecte ceux qui ne connaissent ou supportent pas encore la nourriture trop solide de l'orthodoxie, nous ne serions que des scribes au cœur dur.

                                 

Certainement la foi définie et vécue dans notre Eglise orthodoxe est parfaite. Toutefois au nom de cette perfection ne séparons pas du Christ ceux qui veulent lui être unis. Gardons comme règle d'or la position d'Augustin d'Hippone envers les donatistes: "L'unité dans les choses importantes, la diversité dans les secondaires, l'amour en toutes circonstances".

Comme saint Basile et saint Grégoire à propos pourtant d'un dogme important, la parfaite divinité du Saint Esprit, sachons être patients et ne pas imposer des charges trop lourdes sur des membres non aguerris de l'Eglise.

 

L'unité de l'Eglise est déjà là quand on place le Christ au milieu de l'Eglise et que nous lui faisons confiance pour réaliser en nous sa volonté.

Pour cette raison, abouna Matta el Meskîn proposait de travailler sur les définitions dogmatiques et aussi de laisser le Christ travailler en nous en ne fermant pas la communion eucharistique. Cette proposition audacieuse et respectueuse de l'ecclésialité de chacun est jugée par beaucoup trop généreuse et en désaccord avec les canons et pratiques des pères.

Nos pères ont probablement eu raison dans les circonstances qui furent les leurs de pratiquer l'excommunion (héritage de la synagogue et non de l'Evangile) mais aujourd'hui dans les circonstances qui sont les nôtres, nous avons le droit le plus absolu d'agir différemment.

Nier cette possibilité revient à nier l'action du Saint Esprit dans l'Eglise ou à limiter cette action à l'Eglise antique!  Pour notre grand saint Basile, il est parfaitement clair que les différentes Eglises peuvent coexister à différents stades de développement théologique:

"Le bienfait sera l'union de ce qui jusqu'alors était divisé; et l'union se fera si nous voulons bien nous mettre au niveau des plus faibles sur les points qui ne causent aucun mal à nos âmes".

                                                                                                 +E-P                                             

                                       

 

Si l'amour chasse parfaitement la crainte, et si la crainte se transforme en amour, alors on découvre que l'unité consiste en cet aboutissement du Salut: tous sont unis entre eux par l'adhésion à l'Unique Bien. "Que tous, dit Jésus, soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi; qu'eux-mêmes soient un en nous".

Que les disciples ne soient plus divisés par leur préférence dans le jugement du bien, mais qu'ils soient tous un par leur union au Seul et Unique Bien, le Dieu en trois personnes.

                                      

              + saint Grégoire de Nysse.

 


Lettre de saint Elie N°159           février 2002

 

 

Oecuménisme