Marie-Madeleine, apôtre des apôtres
La piété provençale se joint aux Eglises d'Orient pour vénérer sainte Marie- Madeleine par un hommage des plus importants: "apôtre des apôtres", selon la belle formule de saint Hippolyte. Pour introduire l'étude du culte de notre sainte, je vous propose la lecture du synaxaire, puis pour justifier le récit, selon l'habitude des biographies des saints du sanctuaire du prophète Elie http://coptica.free.fr/hagiographie_901.htm, nous développerons les points de vue des Ecritures, des légendes, de l'histoire, de la piété.
Le synaxaire local: Au synaxaire à la date du 22 juillet: sainte Marie-Magdeleine, l'apôtre des Apôtres. Magdala (en araméen Dalmanoutha), petit village sur la rive occidentale du lac de Gennésareth, à cinq kilomètres de Tibériade, était la patrie de Marie-Magdeleine. Les Evangiles de Luc et Marc nous disent qu'elle fut délivrée par le Seigneur Jésus de sept démons. Un certain nombre de pères pensent que la pécheresse anonyme qui, dans l'évangile de Luc, au cours du repas chez le pharisien Simon, arrosa de ses larmes les pieds du Sauveur, serait la même personne que la galiléenne Marie de Magdala. Ce dont nous sommes certains, c'est que Marie-Magdeleine se joignit au groupe des saintes femmes qui suivirent Jésus jusqu'à la croix, et qu'elle fut la première à qui il se montra après la résurrection. L'Eglise, pour cette raison, aime appeler Marie de Magdala "l'apôtre des apôtres". On raconte qu'après la Pentecôte, Marie de Magdala entreprit le voyage à Rome pour demander justice à l'empereur Tibère de la condamnation inique prononcée par Pilate. Se présentant devant l'empereur avec un oeuf en main, symbole de la vie dans le tombeau, elle lui déclara qu'après sa passion: le Christ est ressuscité. Pour confirmer sa parole, l'œuf se teignit miraculeusement en rouge. Depuis, les Eglises orthodoxes bénissent à Pâques les œufs pour fêter la résurrection. La légende provençale relate que de retour en Palestine, Marie-Magdeleine, à cause de sa prédication , fut placée avec saint Maximin dans une barque sans rame et abandonnée à la mer, Lazare et les autres Marie dans une autre. L'embarcation fut guidée par la providence jusqu'à Marseille. Ainsi sainte Marie-Magdeleine porta l'Evangile dans la province des Gaules. On ajoute qu'après sa prédication, Marie Magdeleine vécut dans la solitude dans la grotte de la Sainte Baume, située entre les villes de Marseille et de Saint Maximin. Toutefois les synaxaires anciens nous informent que, quittant Marseille, sainte Marie-Magdeleine continua ses voyages missionnaires en Egypte, en Syrie et en Asie mineure, répandant en tous lieux la bonne odeur du Christ. Les historiens anciens de l'Eglise, Grégoire de Tours en Gaule et Nicéphore Calliste à Constantinople, s'accordent pour signaler son tombeau "à ciel ouvert" à Ephèse. On ignore dans quelles conditions ses précieuses reliques sont arrivées à saint Maximin puis à Vezelay, le grand sanctuaire français consacré à notre sainte Marie-Magdeleine.
Ce que disent les Ecritures:
L'Evangile selon saint Luc
Saint Luc nous dit que Jésus annonçait la Bonne Nouvelle, accompagné des douze et de quelques femmes: "Ensuite [Jésus] cheminait par les villes et par les bourgs, prêchant et annonçant la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu; et les Douze étaient avec lui, ainsi que quelques femmes, qui avaient été guéries d'esprits mauvais et de maladies: Marie, surnommée la Magdaléenne, de laquelle étaient sortis sept démons". -Luc 8,1-2- L'évangéliste ajoute que les femmes assistaient le groupe de leurs biens. Cette Marie est donc appelée Magdalena, (en français courant: Madeleine), il semble bien que ce nom provienne d'une ville de Galilée, proche de Nazareth, si on en croit le talmud. (il ne faut pas faire une confiance excessive à tout ce que dit le talmud!). "MaGDaL" en hébreu signifie "tour", ce qui ferait de notre Marie une sorte de châtelaine, si on ne craint pas l'anachronisme. Des pères se sont servis de cette étymologie pour comparer la sainte "à une tour symbolisant la foi et l'orthodoxie".
De ce que Marie-Madeleine avait été possédée de sept démons, il ne suit pas nécessairement qu'elle avait été pleine de vices, comme l'ont pensé certains à la suite du pape Grégoire 1er de Rome. La possession du démon peut s'expliquer par d'autres causes que le péché, bien souvent les Ecritures nomment démons certaines maladies, et d'autres causes qui gâchent la vie. Notons, pour le moment, que la première mention de Marie-Madeleine par Luc est précédée du récit de la pécheresse, qui répandit un parfum sur les pieds de Jésus, et qui reçut le pardon "de ses nombreux péchés puisqu'elle a beaucoup aimé". -Luc 7, 36-50-
Nous retrouvons en Luc notre Marie au sépulcre de Jésus, parmi les femmes qui reçurent de l'ange l'annonce de la résurrection:
Luc 23,55: Ayant suivi (Joseph d'Arimathie), les femmes qui étaient venues de la Galilée avec [Jésus], considérèrent le sépulcre et comment son corps avait été déposé. 56 S'en étant retournées, elles préparèrent des aromates et des parfums; et, pendant le sabbat, elles demeurèrent en repos, selon le précepte. Luc 24, 1-12: Mais le premier jour de la semaine, de grand matin, elles allèrent au sépulcre, portant les aromates qu'elles avaient préparés. Or elles trouvèrent la pierre roulée de devant le sépulcre; et, étant entrées, elles ne trouvèrent pas le corps du Seigneur Jésus. Tandis qu'elles étaient perplexes à ce sujet, voici que deux hommes, en vêtement éblouissant, se présentèrent à elles. Comme elles étaient prises de peur et inclinaient le visage vers la terre, ils leur dirent: " Pourquoi cherchez-vous parmi les morts celui qui est vivant? Il n'est point ici, mais il est ressuscité. Souvenez-vous de ce qu'il vous a dit, lorsqu'il était encore en Galilée, que "le Fils de l'homme devait être livré aux mains d'hommes pécheurs, être crucifié et ressusciter le troisième jour. " Et elles se ressouvinrent de ses paroles et, à leur retour du sépulcre, elles annoncèrent toutes ces choses aux Onze et à tous les autres. Or c'étaient la Magdaléenne Marie, Jeanne et Marie (mère) de Jacques; et les autres, leurs compagnes, en disaient autant aux apôtres. Et ces paroles leur parurent du radotage et ils ne les crurent point. Pierre partit et courut au sépulcre; et, se penchant, il vit les bandelettes seules; et il s'en retourna chez lui, étonné de ce qui s'était passé.
Les exégètes contemporains avancent que le récit de la "découverte du tombeau vide" par Luc est une réécriture des témoignages de Matthieu et Marc pour poser l'attention de l'Eglise, non pas justement sur le tombeau vide, mais sur la Parole de Jésus. Les deux "hommes" en vêtement éblouissant, après avoir dit aux femmes conduites par Marie de Magdala de "ne pas chercher le vivant parmi les morts", les invitent à se souvenir des paroles de Jésus. Ils ne leur demandent pas de transmettre la nouvelle, ce qu'elles se dépêcheront de faire, avec le résultat que vous avez lu: Les femmes radotent...c'est bien connu!
L' Evangile selon Mathieu:
Il n'en est pas de même dans les évangiles de Matthieu et de Marc. Saint Mathieu mentionne la présence de Marie la Magdaléenne, Marie, mère de Jacques et Joseph et la mère des Fils de Zébédée, au Golgotha -Math 27,55- Lors de la mise au tombeau par Joseph d'Arimathie, "elles étaient là, assises en face de la tombe, Marie La Magdaléenne et l'autre Marie. 27,55. Le fait de la résurrection du Sauveur est marqué d'abord par l'annonce de l'ange aux deux femmes, puis par la présence de Jésus lui-même. Après le sabbat, à l'aube du premier jour de la semaine, Marie la Magdaléenne et l'autre Marie allèrent voir le tombeau. Et voilà qu'il se fit un grand tremblement de terre, car un ange du Seigneur, étant descendu du ciel, s'approcha, roula la pierre, et s'assit dessus. Son aspect était comme l'éclair, et son vêtement blanc comme la neige. Dans l'effroi qu'ils en eurent, les gardes tremblèrent et devinrent comme morts. Et prenant la parole, l'ange dit aux femmes: "Vous, ne craignez pas; car je sais que vous cherchez Jésus le crucifié. Il n'est point ici, car il est ressuscité comme il l'avait dit. Venez et voyez la place où il était; et hâtez-vous d'aller dire à ses disciples: Il est ressuscité des morts, et voici qu'il vous précède en Galilée; c'est là que vous le verrez. Voici, je vous ai dit." Elles sortirent vite du sépulcre avec crainte et grande joie, et elles coururent porter la nouvelle à ses disciples. Et voilà que Jésus se présenta devant elles et leur dit: "Réjouissez-vous." Elles s'approchèrent, saisirent ses pieds et se prosternèrent devant lui. Alors Jésus leur dit: "Ne craignez point; allez annoncer à mes frères qu'ils ont à partir pour la Galilée; c'est là qu'ils me verront." -Mt 28, 1-10- Les Onze virent Jésus en Galilée et reçurent la mission d'enseigner et de "baptiser toutes les nations avec la certitude que le Ressuscité serait avec eux toujours, jusqu'à la fin de monde." -Mt 28,16-20- On voit bien la place centrale des deux Marie, elles viennent visiter le tombeau et rencontre un ange qui, après avoir montré la place vide où aurait du se trouver le corps de Jésus, les charge de porter la nouvelle de la résurrection aux disciples. Sur leur route, semble-t-il, Jésus se présenta devant elles. Auparavant, l'ange, ici aussi, demande l'attention sur l'essentiel: "Il est ressuscité, comme il l'a dit". C'est sur la parole de Jésus que repose l'annonce de la résurrection. La place vide ne fait que confirmer le message. Message qui ici fut entendu par les disciples. Nous aussi, nous partageons la grande joie des Marie, quand nous sommes attentifs aux Paroles de Jésus: lui-même ressuscité nous dit "Réjouissez-vous" en nous appelant ses "frères". Car il nous veut enfants du Père, par l'adoption reçue par le sang de la croix, et sa sainte résurrection. Les Marie sont en vérité les apôtres de cette Bonne Nouvelle.
L'Evangile selon saint Marc: L'évangéliste Marc, nous dit que les femmes, conduites par Marie de Magdala, se rendirent au tombeau pour embaumer le corps de Jésus et au lieu de trouver un cadavre, furent en présence de l'ange. Puis, il semblerait que l'apothéose des Evangiles, la résurrection, s'achève sur la peur et la désobéissance. Cela nous déconcerte. "Et le sabbat étant passé, Marie de Magdala, et Marie, la [mère] de Jacques, et Salomé, achetèrent des aromates pour venir l’embaumer. " Et de fort grand matin, le premier jour de la semaine, elles viennent au sépulcre, comme le soleil se levait. " Et elles se disaient : Qui nous roulera la pierre de devant l'entrée du sépulcre? " Et ayant regardé, elles voient que la pierre était roulée; car elle était fort grande. "Et étant entrées dans le sépulcre, elles virent un jeune homme assis du côté droit, vêtu d’une robe blanche, et elles furent saisies de frayeur. 6 Et lui leur dit : N'ayez pas peur. Vous cherchez Jésus le Nazarénien, le crucifié: il est ressuscité, il n’est pas ici; voici le lieu où on l’a mis. " Mais allez, dites à ses disciples et à Pierre: Il vous précède en Galilée; là vous le verrez, comme il vous l’a dit. " Et sortant, elles s’enfuirent du sépulcre. Et le tremblement et bouleversement les avaient saisies; et elles ne dirent rien à personne, car elles avaient peur. Marc 16,1-8
Des exégètes contournent la difficulté en invoquant la possibilité d'un texte tronqué et perdu. Hypothèse difficilement acceptable dans tous les manuscrits anciens. Marc, peut-être, veut montrer, par la frayeur des femmes, l'incapacité humaine, même en la présence des anges, à entendre et accueillir la révélation pascale…
Les versets suivants nous montrent Marie de Magada à qui, en premier, Jésus ressuscité se fit voir, annoncer aux disciples qu'il était vivant. Ils ne la crurent pas immédiatement, il fallut que le Ressuscité se montra lui-même aux onze.
9 Et étant ressuscité le matin, le premier jour de la semaine, il apparut premièrement à Marie de Magdala, de laquelle il avait chassé sept démons. 10 Elle, s’en allant, l’annonça à ceux qui avaient été avec lui, qui étaient dans le deuil et pleuraient. 11 Et ceux-ci, apprenant qu’il était vivant et qu’il avait été vu d’elle, ne crurent point. Marc 16,9-10.
Signalons une finale courte de Marc selon un manuscrit alexandrin:
Ressuscité le matin du premier jour de la semaine, Jésus apparut d'abord à Marie de Magdala. Après cela, il se manifesta sous une autre forme à deux des disciples qui faisaient route pour se rendre à la campagne. Ensuite Jésus lui-même fit porter par eux, de l'Orient à l'Occident, l'annonce sacrée et incorruptible du Salut éternel.
L'Evangile selon saint Jean:
Avec le récit de l'évangile de saint Jean, nous sommes dans une perspective intimiste qui a marqué, semble-t-il, la ferveur provençale: Une douce piété dégagée de la gloire des anges en habits éclatants comme l'éclair, du tremblement de terre, des gardes abasourdis. Il fait encore nuit (le grec dit "obscur"), Marie de Magdala s'en vient se recueillir au tombeau, elle le trouve ouvert, aussi elle s'empresse de prévenir Pierre et le disciple que Jésus aimait. Ils trouvent les linges, pas Pierre, mais l'autre disciple vit et crut. Tous deux s'en retournent tranquillement chez eux! Marie-Madeleine en pleurs reste au sépulcre, deux anges l'interrogent sur ces pleurs, puis Jésus lui pose la même question. Elle, toute à sa déploration, ne le reconnait pas, elle répète la même plainte: "on a enlevé mon Seigneur". Jésus alors, bon pasteur des brebis qui les connait par leur nom, lui dit simplement "Marie", il lui confie la mission d'annoncer aux disciples qu'il monte vers le Père pour accomplir sa volonté et couronner l'œuvre commencée sur terre.
Jn 20, 1-18: Et le premier jour de la semaine, Marie de Magdala vint le matin au tombeau, comme il faisait encore nuit; et elle voit la pierre ôtée du sépulcre. Elle court donc, et vient vers Simon Pierre et vers l’autre disciple que Jésus aimait, et elle leur dit: On a enlevé le Seigneur du tombeau, et nous ne savons où on l’a mis. Pierre donc sortit, et l’autre disciple, et ils s’en allèrent au sépulcre. Et ils couraient les deux ensemble, et l’autre disciple courut en avant plus vite que Pierre, et arriva le premier au tombeau, et s’étant baissé, il voit les linges à terre, cependant il n’entra pas. Simon Pierre donc, qui le suivait, arrive, et il entra dans le sépulcre, et il voit le linceul aplati, et le suaire qui avait été sur sa tête, lequel n’était pas comme les linges, mais enroulé et aplati au bout. Alors l’autre disciple aussi, qui était arrivé le premier au sépulcre, entra, et il vit, et crut, car ils ne comprenaient pas encore l’Ecriture, qu’il devait ressusciter d’entre les morts. Les disciples s’en retournèrent donc chez eux. Mais Marie se tenait près du sépulcre, dehors, et pleurait. Comme elle pleurait donc, elle se baissa dans le sépulcre; et elle voit deux anges vêtus de blanc, assis, un à la tête, l'autre aux pieds, là où le corps de Jésus avait été couché. Et ils lui disent: Femme, pourquoi pleures-tu? Elle leur dit: Parce qu’on a enlevé mon Seigneur, et je ne sais où on l’a mis. Ayant dit cela, elle se tourna en arrière, et elle voit Jésus qui était là, et elle ne savait pas que c'était Jésus. Jésus lui dit : Femme, pourquoi pleures-tu? Qui cherches-tu? Elle, pensant que c’était le jardinier, lui dit: Seigneur, si toi tu l’as emporté, dis-moi où tu l’as mis, et moi je l'emporterai. Jésus lui dit: Marie ! Elle, s’étant retournée, lui dit en hébreu : Rabbouni (ce qui veut dire, maître). Jésus lui dit: Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers mon Père; mais va vers mes frères, et dis-leur: Je monte vers mon Père et votre Père, et vers mon Dieu et votre Dieu. Marie de Magdala vient rapporter aux disciples qu’elle a vu le Seigneur, et ce qu’il lui a dit.
Jean s'attache à montrer la transformation progressive de Marie. Il nous la présente d'abord endeuillée, fixée sur le Jésus d'avant sa Pâque, puis invitée à reconnaître le Vivant, elle en demeure au Jésus qu'elle a chéri sur terre, Jésus l'invite à saisir la présence nouvelle de sa condition de ressuscité: "Ne me touche pas". Certains hellénistes notent que l'expression "mè mou haptou" doit être traduite par "cesse de me toucher" et propose de lire "ne me retiens pas". Admettons. Ces mêmes savants expliquent que la raison de l'ordre de Jésus réside dans la mauvaise interprétation de Marie sur la nature vraie de sa nouvelle présence, faut voir. Avec Augustin d' Hippone, saint Ambroise de Milan et saint Jean Chrysostome, j'interprète le "cesse de me toucher" par la volonté du Ressuscité d'élever Marie à des pensées plus hautes, élever son regard vers le ciel, lieu de la majesté divine, l'élever à des dispositions plus parfaites que cet amour encore inquiet, dans lequel elle cherchait son Seigneur. Il monte vers le Père reprendre sa gloire, il l'a annoncé: " Vous me verrez, car je vis et vous vivrez". Jn 14,19
Quoi qu'il en soit, Jésus affirme qu'il doit remonter vers son Père. L'accent est donc mis sur la nouvelle relation entre le Père et les disciples, "mon Père et votre Père, mon Dieu et votre Dieu". Il pose l'unité parfaite en lui de ses disciples. La croix et la résurrection du Fils de l'Homme accomplissent la prière sacerdotale de la nuit de l'Alliance: "Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi; afin qu’eux aussi soient un en nous, afin que le monde croie que tu m’as envoyé. Et la gloire que tu m’as donnée, je la leur ai donnée, afin qu’ils soient un, comme nous, nous sommes un, moi en eux, et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l'unité, et que le monde connaisse que tu m’as envoyé, et que tu les as aimés comme tu m’as aimé. Père, je veux, que ceux que tu m’as donnés, que là où je suis, ils y soient aussi avec moi, afin qu’ils voient ma gloire, que tu m’as donnée, car tu m’as aimé avant la fondation du monde". -Jn 17, 21-24
Voici ce que les Evangiles nous disent de Marie-Madeleine. Il est vraisemblable qu'elle assista aux principales manifestations du Ressuscité et ensuite à son ascension. Rien n'empêche de croire qu'elle fut au nombre des femmes qui se trouvaient dans le cénacle ainsi que la Vierge Marie et qui reçurent le Saint-Esprit à la Pentecôte, mais rien dans les Ecritures canoniques ne l'affirme.
Deux, trois Marie, ou une seule personne?
Les pères occidentaux considérèrent, à partir de la 25è homélie sur les évangiles du pape de Rome Grégoire Ier (540-604) , que Marie de Magdala ne faisait qu'une avec Marie de Béthanie, sœur de Marthe et Lazare (Mt 26, 6+ ; Mc 14, 3+ ; Jn 12, 1+ ; Lc 10, 38+ ; Jn 11) ainsi qu'avec la pécheresse qui oignit le Christ de parfum (Luc 7, 36-50). C'est pour cette raison que la liturgie romaine avant Vatican II commémorait Marie-Madeleine le 22 juillet en qualité de "pénitente". L'art occidental a produit une riche iconographie plus ou moins sensuelle sur la pénitente, souvent en s'inspirant des icônes de sainte Marie l'Egyptienne. Depuis 1969, le missel romain qualifie la Madeleine de "disciple du Seigneur".
Les Eglises d'Orient, suivant en cela les pères les plus anciens, Clément d'Alexandrie, (Pœdag., ii, 8, et Origène, ln Matth. Xxxv), voient, de la pécheresse de saint Luc, de Marie sœur de Marthe et de Marie-Madeleine, trois personnes différentes. Ils sont suivis par saint Sévère, saint Jean Chrysostome, et saint Hilaire, et même Jérôme, (Interpret. in Matth., iv, 26, 7). D'ailleurs les synaxaires font mémoire de Marthe et Marie ensemble le 4 juin. La pécheresse de Luc 7,36-50 ne figure pas dans les synaxaires, aussi il est possible d'envisager, en tenant compte de la succession des épisodes de l'onction de Jésus par la pécheresse chez Simon le pharisien, et celui de Marie-Madeleine dans le groupe des disciples, de l'identité des deux femmes. La discussion est libre. Cela semble pourtant peu plausible: Luc rassemble souvent à la suite les épisodes comparables, il n'y a pas de lien obligatoire entre Marie de Magdala et la pécheresse.
Ce que dit la tradition provençale:
Certains mettent en avant un document attribué à Raban Maur, évêque de Mayence au 9è siècle, je préfère citer le travail de Jacques de Voragine qui, au milieu du 13è siècle, a recueilli les vies de saints dans son" histoire à lire", "la légende dorée". Bien entendu, il est fidèle à l'usage occidental d'identification des trois Marie:
"Après l'ascension du Seigneur, <> Maximin, Marie-Madeleine, Lazare, Marthe, Marcelle, et avec eux saint Cédon, l'aveugle-né guéri par Jésus, ainsi que d'autres chrétiens encore, furent jetés par les infidèles sur un bateau et lancés à la mer, sans personne pour diriger le bateau. Les infidèles espéraient que, de cette façon, ils seraient tous noyés à la fois. Mais le bateau, conduit par la grâce divine, arriva heureusement dans le port de Marseille. Là, personne ne voulut recevoir les nouveaux venus, qui s'abritèrent sous le portique d'un temple. Et, lorsque Marie-Madeleine vit les païens se rendre dans leur temple pour sacrifier aux idoles, elle se leva, le visage calme, se mit à les détourner du culte des idoles et à leur prêcher le Christ. Et tous l'admirèrent, autant pour son éloquence que pour sa beauté. <> [ après un miracle éclatant dû à la prière de Marie-Madeleine: la conception d'un enfant par un couple stérile, puis son sauvetage d'une tempête], les habitants de Marseille détruisirent tous les temples des idoles, qu'ils remplacèrent par des églises chrétiennes; et, d'un consentement unanime, ils reçurent Lazare évêque de Marseille. Puis Marie-Madeleine et ses disciples se rendirent à Aix, où, par de nombreux miracles, ils convertirent le peuple à la foi du Christ; et saint Maximin y fut installé évêque. Cependant sainte Marie-Madeleine, désireuse de contempler les choses célestes, se retira dans une grotte de la montagne, que lui avait préparée la main des anges, et pendant trente ans elle y resta à l'insu de tous. Il n'y avait là ni cours d'eau, ni herbe, ni arbre; ce qui signifiait que Jésus voulait nourrir la sainte des seuls mets célestes, sans lui accorder aucun des plaisirs terrestres. Mais, tous les jours, les anges l’élevaient dans les airs, où, pendant une heure, elle entendait leur musique; après quoi, rassasiée de repas délicieux, elle redescendait dans sa grotte, sans avoir le moindre besoin d'aliments corporels. Or, certain prêtre, voulant mener une vie solitaire, s'était aménagé une cellule à douze stades de la grotte de Madeleine. Et, un jour, le Seigneur lui ouvrit les yeux, de telle sorte qu’il vit les anges entrer dans la grotte, prendre la sainte, la soulever dans les airs et la ramener à terre une heure après. Sur quoi le prêtre, afin de mieux constater la réalité de sa vision, se mit à courir vers l'endroit où elle lui était apparue; mais, lorsqu'il fut arrivé à une portée de pierre de cet endroit, tous ses membres furent paralysés; il en retrouvait l'usage pour s'en éloigner, mais, dès qu’il voulait se rapprocher, ses jambes lui refusaient leur service. Il comprit alors qu'il y avait là un mystère sacré, supérieur à l'expérience humaine. Et, invoquant le Christ, il s’écria: "Je t'en adjure par le Seigneur! si tu es une personne humaine, toi qui habites cette grotte, réponds-moi et dis-moi la vérité" Et, après qu'il eut répété trois fois cette adjuration, sainte Marie-Madeleine lui répondit: "Approche-toi davantage, et tu sauras tout ce que tu désires savoir." Puis, lorsque la grâce du ciel eut permis au prêtre de faire encore quelques pas en avant, la sainte lui dit "Te souviens-tu d'avoir lu, dans l'évangile, l'histoire de Marie, cette fameuse pécheresse qui lava les pieds du Sauveur, les essuya de ses cheveux, et obtint le pardon de tous ses péchés?" Et le prêtre "Oui, je m'en souviens; et, depuis trente ans déjà, notre sainte Église célèbre ce souvenir." Alors la sainte: "Je suis cette pécheresse. Depuis trente ans, je vis ici à l'insu de tous; et, tous les jours, les anges m'emmènent au ciel, où j'ai le bonheur d'entendre de mes propres oreilles les chants de la troupe céleste. Or, voici que le moment est prochain où je dois quitter cette terre pour toujours. Va donc trouver l'évêque Maximin, et dis-lui que, le jour de Pâques, dès qu'il a levé, il se rende dans son oratoire: il m'y trouvera, amenée par les anges". <> Le prêtre courut aussitôt vers saint Maximin, à qui il rendit compte de ce qu'il avait vu et entendu, et, le dimanche suivant, à la première heure du matin, le saint évêque entrant dans son oratoire, aperçut Marie-Madeleine encore entourée des anges qui l'avaient amenée.<> Et Maximin raconte lui-même, dans ses écrits, que le visage de la sainte, accoutumé à une longue vision des anges, était devenu si radieux, qu'on aurait pu plus facilement regarder en face les rayons du soleil que ceux de ce visage. Alors l'évêque, ayant rassemblé son clergé, donna à sainte Marie-Madeleine le corps et le sang du Seigneur; et, aussitôt qu'elle eut reçu la communion son corps s'affaissa devant l'autel et son âme s'envola vers le Seigneur".
Jacques de Voragine semble avoir puisé à plusieurs sources, il met au premier plan la tradition de "la sainte Baume", grotte du massif montagneux entre Marseille et Toulon. Pour le lieu de la mort de la sainte, il semble faire allusion à l'oratoire de Saint Maximin, cité varoise qui abrite aujourd'hui la basilique de sainte Marie-Madeleine.
Ce que dit la tradition des Eglises orthodoxes:
Le synaxaire copte en langue arabe au 28 abib (22 juillet) se contente de paraphraser les évangiles de Luc et Jean et signaler que "Marie-Madeleine était diaconesse, qu'elle mourût au service des disciples après avoir subi des affronts de la part des juifs". Il ne mentionne pas le lieu de son trépas, ni où reposent ses saintes reliques.
Syméon Métaphraste († 987), est l'auteur de la plus grande compilation de récits hagiographiques. Son œuvre a reçu une autorité officielle par son usage liturgique:
"De retour à Jérusalem, Marie Madeleine suivit l'enseignement de saint Pierre. Quatre ans s'étant écoulés depuis la résurrection, et les apôtres s'étant dispersés dans diverses régions du monde, elle se joignit à saint Maxime, l'un des soixante-dix disciples, pour aller prêcher la Bonne Nouvelle. Ils furent bientôt arrêtés par les juifs et abandonnés, avec d'autres chrétiens, en pleine mer, sans nourriture, dans un bateau dépourvu de voile et de rames. L'embarcation fut cependant guidée par le Christ, le Pilote de notre Salut, jusqu'à Marseille, en Gaule. Ayant débarqué sains et saufs, les saints apôtres eurent à subir la faim, la soif et le mépris des habitants de l'endroit, païens forcenés qui ne leur procuraient aucun secours. Un jour que ces derniers s'étaient réunis pour un de leurs sacrifices impies, sainte Marie Madeleine se mêla courageusement à l'assemblée et les exhorta à reconnaître le seul Dieu, créateur du ciel et de la terre. Émerveillés par son assurance et par l'éclat de son visage, les païens prêtèrent attention à ses paroles. Elle réitéra son discours devant le gouverneur romain de la province, Hypatios, qui était venu en compagnie de son épouse apporter une offrande aux idoles afin d'obtenir une progéniture. D'abord réticent, Hypatios, à la suite de trois apparitions de la sainte, accueillit Marie et ses compagnons en son palais et demanda à être instruit de leur doctrine. Grâce à l'intercession de Marie, il obtint un enfant, mais sa femme mourut en le mettant au monde. Après un court séjour à Rome, Hypatios entreprit un pèlerinage à Jérusalem; mais changeant soudain d'avis, il décida de retourner à l'endroit où il avait enseveli son épouse et l'enfant. Quelle ne fut pas sa stupeur de les retrouver vivants et d'apprendre qu'ils avaient survécu grâce aux prières et aux soins de sainte Marie Madeleine. Rendant grâces à Dieu, le magistrat et toute sa maison se firent alors baptiser et devinrent de fervents proclamateurs de la Vérité. Quittant la Gaule, Sainte Marie Madeleine continua ses périples missionnaires en Égypte, Phénicie, Syrie, Pamphylie et autres lieux, répandant partout la bonne odeur du Christ. Elle passa quelque temps à Jérusalem, puis partit pour Éphèse, où elle retrouva saint Jean le Théologien, partageant ses épreuves et jouissant de ses enseignements inspirés. Ayant rempli la mission que le Seigneur lui avait confiée, elle remit là son âme à Dieu, après une brève maladie, et fut ensevelie à l'entrée de la grotte, où s'endormirent ensuite les sept enfants [les sept dormants d'Ephèse au synaxaire du 12 juillet]. De nombreux miracles se produisirent en cet endroit, jusqu'au jour où, presque dix siècles plus tard (899), le pieux empereur Léon VI le Sage ordonna de transférer les reliques de la sainte "égale-aux-apôtres à Constantinople. Il les reçut avec une grande dévotion, en présence de tout le peuple, et les portant sur ses épaules, aidé de son frère Alexandre, il alla les déposer dans la partie gauche du sanctuaire du monastère de saint Lazare, qu'il avait fondé".
Ce récit de la mission de sainte Marie Madeleine en Gaule, rapporté par Syméon Métaphraste, fait écho aux diverses traditions répandues en Provence. Il s'en écarte toutefois nous montrant la sainte quitter Marseille pour des voyages apostoliques, et terminer sa course à Ephèse, où elle s'endormit dans la paix du Seigneur et fut ensevelie. Les historiens byzantins Cédrénos (11è S.) , et Zonaras (1159 †), assurent que les reliques de sainte Madeleine, étant à Ephèse avec celles de saint Lazare, furent transportées à Constantinople en 886, sur l'ordre de l'empereur Léon VI. Saint Grégoire de Tours (594 †) dit aussi au livre des Miracles, livre 1 chapitre 30, que, en son temps, elles "étaient à Éphèse, dans un sanctuaire n'ayant point de couverture an dessus". La date du 22 juillet qui fête Marie-Madeleine correspond à celle du transfert des reliques à Constantinople. Elle est adoptée par l'Occident chrétien.
Ce que peut nous dire l'histoire:
On voit bien que l'on ne peut se fier totalement aux légendes pour atteindre la vérité historique avec toute sa rigueur. Pourtant, elles sont bien un écho de faits qui dépassent l'examen scientifique. Deux éminents historiens de l'antiquité chrétienne, l'un au 19è siècle, monseigneur Louis Duchesne, membre de l'Institut, directeur de l'Ecole française de Rome, l'autre au 20è, l'abbé Victor Saxer, président du Comité pontifical des sciences historiques au Vatican, se sont, parmi d'autres, évertués à abattre les fondements du culte de la Madeleine en Provence. Je ne m'inscris pas dans leur lignée. Car, comme l'explique l'évêque aux armées au sujet de la naissance de la France: " A force de douter de tout, on finit par ne plus croire en rien. <> Il convient d’abord de redire simplement ce qui est et ce qui fut. <> Nous ne renoncerons jamais à la rigueur. J’en appelle à la rigueur la plus stricte. J’oserai même dire: s’il y a doute, affirmons le minimum. <> Par exemple, pour ce qui fut : la rigueur historique écrème l’histoire en la décontaminant des excès «légendaires». Nous les abandonnons volontiers, même si leur fausseté n’est pas toujours assurée. Encore une fois: dans le doute et face à des idéologies qui ne nous passeront rien, nous abandonnons les faits mal attestés, nous renonçons par avance aux approximations. Mais ce qui reste suffit amplement. Surabondamment". http://www.dioceseauxarmees.catholique.fr/texte-et-homelie-de-mgr-ravel/1445-dire-la-naissance-de-la-france.html
Pour notre Marie de Magdala, l'écho des légendes renvoie à une tradition solide. La piété populaire (et peut-être aussi quelques artifices ecclésiastiques) a certes enjolivé l'histoire. Gardons donc, certes avec raison, mais avec affection et piété, nos légendes, car, disait le poète spirituel Patrice de la Tour du Pin, "tous les pays qui n'ont plus de légendes seront condamnés à mourir de froid".
Les historiens s'empaillassent sur le culte de sainte Marie-Madeleine, qui, tenant de la tradition orale, prennent à la lettre chaque détail des légendes, qui, scientifiques, ne veulent que des témoignages archéologiques, épigraphiques et sources littéraires anciennes. Ils se sont focalisés sur la question des reliques, sans se soucier d'un culte précédant la translation des reliques.
La transmission des reliques: Nous avons lu que les reliques ont quitté Ephèse pour Constantinople en 886. Puis nous en perdons la trace. Peut-être une des premières a-t-elle été apportée en Saxe en 972 lors du mariage d'Otton II avec Théophania, nièce de l'empereur byzantin Nicéphore Phocas. Elle était cousine par alliance d'Hugues Capet. Puis nous trouvons des mentions attestées de présence de reliques à Verdun en 1024, Vézelay 1037, Aix en Provence 1102, Saint Maximin en 1279. Le pèlerinage à la Sainte Baume où on montre son ermitage est bien établi en 1273. Il faut bien reconnaître que le récit des découvertes des reliques, de leur transfert puis de leur redécouverte est assez rocambolesque: Pour faire court, les moines de Vézelay présentent des reliques à vénérer aux environs de 1050, mais sont d'abord incapables d'expliquer leur présence à l'abbatiale (primitivement sous le patronage du Christ Sauveur et Notre Dame en 859 selon le vœu de son fondateur l'ancien gouverneur de Provence Girart de Roussillon et son épouse Berthe, puis celui de Marie-Madeleine au milieu de l'an mil). Puis circule un récit, qui explique que Girart aurait fait enlevé de Provence le corps de Marie pour le préserver des incursions sarrasines et le transporter en Bourgogne. En 1279, coup de théâtre, on découvre dans un lieu secret de la crypte de Saint Maximin un sépulcre de marbre, dans lequel le corps de sainte Marie-Madeleine aurait été caché, de peur que les sarrasins ne le détruisent. Une inscription authentifiait la relique: " L’an de la Nativité du Seigneur 710, le sixième jour de décembre, dans la nuit et très secrètement, sous le règne du très pieux Eudes, roi des Francs, au temps des ravages de la perfide nation des sarrasins, ce corps de la très chère et vénérable sainte Marie-Madeleine a été, par crainte de la dite perfide nation, transféré de son tombeau d’albâtre dans ce tombeau de marbre, après avoir enlevé le corps de Sidoine, parce qu’il y était mieux caché." Les envoyés de Girart n'auraient donc pas soustrait la bonne relique mais celle de Sidoine ou Marcelle? Vézelay ne s'émeut pas de cette découverte et continue de faire vénérer sa relique comme celle de Marie-Madeleine. Les historiens de l'antiquité chrétienne ne sont pas restés aussi imperturbables: les uns y voient une preuve irréfutable de la fin de la sainte en Provence, les autres clament à l'imposture, faux et usage de faux. Bien malin qui saura démêler le vrai du faux, le document ayant été détruit. Aussi je ne m'attache pas aux vicissitudes des reliques pour attester, avec notre synaxaire, la venue de Marie de Magada en Provence, mais plutôt sur les vestiges présents sur le sol de Provence.
Le culte provençal:
Il nous faut remarquer que le culte provençal de la sainte s'est développé sur des dépendances de l'abbaye de saint Jean Cassien à Marseille: Saint Maximin était desservi par les moines de saint Victor, de même le massif de la Sainte Baume possédait des ermitages à l'usage des cassianites. Bien entendu, excepté les lieux et toponymies, un grand hiatus s'étend entre les dates supposées de la vie de Marie-Madeleine, celle de saint Jean-Cassien (vers 435 †) et les premiers documents du 9è/10è siècle. On peut l'expliquer par les troubles et invasions, toutefois la mémoire est bien conservée, notamment à la Sainte Baume par la présence d'ermitages consacrés à Marie-Madeleine et aux sept dormants d'Ephèse. Le lien avec la ville d'Ephèse est révélateur: alors que les récits provençaux ne font aucune mention du passage de la sainte dans cette ville, ni de son tombeau, le synaxaire de Siméon Métaphraste place son tombeau à l'entrée de la grotte des dormants. La crypte de la basilique de Saint Maximin est probablement, à l'origine, le lieu de sépulture paléochrétienne d'une famille du 4è siècle. Elle renferme quatre très beaux sarcophages portant des scènes de la vie du Christ. Ils furent tardivement attribués, sur la paroi sud, à Marie-Madeleine, deux sur la paroi est à sainte Marcelle et aux saints innocents, et le dernier sur la paroi ouest à saint Sidoine. https://fr.wikipedia.org/wiki/Basilique_Sainte-Marie-Madeleine_de_Saint-Maximin-la-Sainte-Baume Des fouilles archéologiques réalisées en 1993-1994 au sud immédiat de la basilique ont mis au jour un complexe religieux datant du début du VIe siècle, composé d'une église à laquelle était accolé un baptistère. Le lieu est donc une église de la bourgade gallo-romaine de Villa-Latta qui s'est mise très tôt sous le patronage de saint Maximin.
Le patronage aux "amis du Seigneur" n’est pas limité à un seul lieu, mais à six lieux au moins, dont l’ensemble forme la tradition provençale des saints fondateurs: saint Lazare à Marseille, saint Trophime en Arles, saint Maximin également à Aix, sainte Marthe à Tarascon, sainte Marie-Madeleine à Saint- Maximin et à la Sainte-Baume, et les saintes Marie-Jacobé et Salomé aux Saintes-Maries-de-la-Mer, sans oublier Marcelle, servante avec Sarah, que l’on disait être d’origine égyptienne.
Il est impossible dans l'état actuel des choses, de savoir comment et par quel moyen les reliques des "amis du Seigneur" sont arrivées en France. Le moyen-âge fut friand de reliques et nous savons qu'elles ont rudement circulées par dons, achats, échanges et même "pieux larçins", et toutes sortes de trafics. Toutefois un faisceau d'indices laissent à penser que le culte de Marie-Madeleine est antérieur à leur arrivée. Pourquoi pas en raison de la mémoire locale du passage de la sainte myrophore en Gaule méridionale?
Nous pouvons faire confiance aux synaxaires d'Orient malgré leur goût excessif pour les prodiges, les rédacteurs ont puisé aux meilleures sources.
Les fantasmes autour de Marie de Magdala
La figure de Marie de Magdala exerce un attrait fertile, qui est à l'origine du meilleur et du pire. Le meilleur réside dans les pieuses méditations des pères et des prédicateurs telles celles de saint Grégoire de Nysse et saint Ambroise de Milan. Le pire n'étant pas dans les apocryphes anciens et dans les textes gnostiques, mais dans leur mauvaise interprétation par des auteurs contemporains, dont la bouche et la plume démangent bien plus que l'oreille. Le dernier épisode en date est la présentation en 2012 d'un papyrus copte de 3,8 cm sur 7,6, daté entre le 6è et 9è S. et qui porte ces mots: "Jésus leur a dit: "Ma femme" <> "elle pourra être ma disciple". Les éditorialistes se sont empressés de gloser sur "la femme de Jésus", certains faisant le lien avec les élucubrations sur Marie-Madeleine dans le "da Vinci code", comme s'il ne s'agissait pas d'un roman, mais d'une révélation historique. (demander la lettre de saint Elie N°203/204, 2005). Un autre auteur, le portugais José Saramago, prix Nobel de littérature, dans un roman "L’évangile selon Jésus-Christ" (1991) écrit péremptoire: "Marie-Madeleine est une prostituée de luxe: elle devient amoureuse de Jésus, qui vit chez elle pendant son ministère en Galilée".
L'obsession érotique de notre monde contemporain est relayé par quelques théologiens (hum), qui, s'appuyant sur le dogme de Chalcédoine (?) argumentent que "Jésus est véritablement homme. Or un homme doit avoir une vie sexuelle active…" Voilà une pétition de principe qui, tout au moins, doit nous ébahir. On en conclut hâtivement que Jésus devait avoir une vie sexuelle active, et on la met en relation avec Marie-Madeleine. Nous voici en pleins fantasmes, il nous faut pour les dissiper revisiter les textes apocryphes.
Les apocryphes autour de Marie-Madeleine:
Dans l’évangile de Thomas, rien ne distingue Marie-Madeleine des autres disciples. L’originalité est de lui donner une part entière dans l’assemblée des disciples; elle intervient à égalité avec les autres apôtres. Il est dit qu’elle est devenue un être mâle. "Simon Pierre leur dit : " Que Marie nous quitte, car les femmes ne sont pas dignes de la Vie ". Jésus dit : « Voici que moi je l’attirerai pour la rendre mâle, de façon à ce qu’elle aussi devienne un esprit vivant semblable à vous, mâles. Car toute femme qui se fera mâle entrera dans le Royaume des cieux ". (Evangile selon Thomas, n° 114)
Dans la Pistis Sophia, Marie-Madeleine est l’interlocutrice privilégiée de Jésus : sur cent quinze questions posées par les disciples, soixante sept sont posées par elle et Jésus lui déclare "Marie tu seras heureuse entre toutes les femmes puisque c’est toi qui seras le Plérôme de tous les plérômes et la Perfection de toutes les perfections ". Ceci excite la jalousie des autres disciples.
Dans l’évangile de Marie, on lit : Les disciples étaient affligés : ils pleurèrent abondamment et dirent: "Comment irons-nous vers les païens et comment proclamerons-nous l’évangile du Royaume du Fils de l’Homme? Ils ne l’ont pas épargné, comment nous épargneront-ils? " Alors Marie se leva, elle les embrassa tous et dit à ses frères: "Ne pleurez pas et ne soyez pas dans la peine ni le doute, car sa grâce nous accompagnera tous et nous protègera: louons plutôt sa grandeur, car il nous a préparés et faits hommes." Par ces paroles, Marie retourna leurs cœurs vers le Bien. Ils se mirent à commenter les paroles du Sauveur. Jésus aurait accordé à Marie-Madeleine une vision secrète, grâce à laquelle Marie-Madeleine serait devenue porte-parole de Jésus. Elle exhorte ses compagnons à l’unité, puis elle fait un récit de l’ascension de l’âme qui va jusqu’à Dieu. Pierre est présenté comme un cynique irascible, qui refuse de recevoir la parole d’une femme. "Après qu’elle eut dit cela, Marie garda le silence, de sorte que le Sauveur s’entretint avec elle jusqu’à ce moment-là. Mais André prit la parole et dit à ses frères: "Dites, que pensez-vous de ce qu’elle a dit? Quant à moi, je ne crois pas que le Sauveur ait dit cela. Car, semble-t-il, ces enseignements diffèrent par la pensée". Pierre prit la parole et discutant sur des questions du même ordre, il les interrogea sur le Sauveur: "Est-il possible qu’il se soit entretenu avec une femme à notre insu, et non ouvertement, si bien que nous devions nous retourner tous pour l’écouter ? L’a-t-il choisie plutôt que nous? " Alors Marie pleura et dit à Pierre: "Pierre, mon frère, que penses-tu donc ? Crois-tu que c’est moi qui aie imaginé cela toute seule dans mon cœur ou que je mente à propos du Sauveur ? " Lévi répondit et dit à Pierre "Pierre, depuis toujours tu as un caractère irascible. Je te vois maintenant contre la femme, comme le font les adversaires. Pourtant, si le Sauveur l’a rendue digne, qui es-tu donc, toi, pour la rejeter ? En tout cas, le Sauveur la connaît très bien. C’est pourquoi il l’a aimée plus que nous".
Avant de poser un regard sur l'Evangile de Philippe, rappelons qu'il appartient à la mouvance encratique pour qui tout ce qui est charnel est mauvais: Le mariage est fait pour les êtres englués dans la chair et prisonniers de l’esprit du monde. En effet, dans la philosophie gnostique, Dieu est au-delà de tout. Il unit en lui le féminin et le masculin. La chute originelle a séparé cette richesse qui vient de l’androgynie. Aussi le Salut consiste à revenir à l’androgynie. Il y a en tout être une part féminine et une part masculine, il faut les assumer dans un processus d’initiation, qui suppose l’abstinence sexuelle, sinon on se situe en mâle ou en femelle et on tombe dans l’animalité du corps. La première référence présente Marie sous divers aspects. Elle est tout à la fois la "mère, la compagne et la sœur de Jésus", à partir d’une glose de l’évangile où Jésus dit "Quiconque fait la volonté de Dieu, voilà mon frère, ma sœur et ma mère " -Mc 3, 35- Cette phrase dit la perfection de la foi qui transcende les liens charnels et familiaux. L’union (koinonia communion) entre le Logos et Marie-Madeleine est signifiée par l’échange du souffle. Le texte qui sert à le dire est conjectural à cause des nombreuses lacunes. On lit en effet: "Et le compagnon des […] Marie de Magdala. […] elle plus que [….] les disciples […] l’embrasse [….] sur sa [….] " Cette phrase a été reconstituée ainsi par les spécialistes: "La Sagesse, qui est appelée stérile, est la Mère des anges. Et la compagne (koinonos) du Fils est Marie-Madeleine. Le Seigneur aimait Marie plus que tous les disciples et il l’embrassait souvent sur la bouche". Il y aurait eu baisers de bouche! Dans le contexte des communautés gnostiques, le baiser de bouche est un rituel d’initiation, il consiste en une fusion des souffles et donc des âmes. Nous sommes bien loin de manifestation de la libido matrimoniale ou fornicatoire. On ne peut donc pas appeler l'évangile de Philippe à la rescousse des spéculations sur la relation charnelle entre Jésus et Marie-Madeleine. Ainsi, l'interprétation moderne érotique est à contre-sens de la lettre et de l'esprit des textes gnostiques qui d'ailleurs, expriment un courant de pensée déviant de l'orthodoxie et ne sont pas reçus dans les Eglises.
Ce que nous devons en retenir:
L’amour du Christ L’amour d’amitié qui lie Marie-Madeleine à Jésus a été vécu dans une fidélité et une affection uniques dans les évangiles. La profondeur et l’originalité de cette amitié dans le plan divin apparaissent bien lorsque l’on met en regard deux trios de personnages, présents lors des moments cruciaux du ministère de Jésus. Le récit de l'institution de l'Alliance et des jours de la Pâque fonctionne autour de Jean, le disciple fidèle parfait, Pierre celui qui a chuté dans sa fidélité, et Judas, qui a renié sa fidélité au Christ. Au matin de la résurrection, devant le tombeau vide, le trio se ré-agence. Pierre reste le centre de gravité: il voit, et il est surpris. De part et d’autre, Jean et Marie-Madeleine ont deux réactions de foi différentes. Jean voit et croit. Marie-Madeleine voit et s’afflige pour l’ami disparu. Et c’est à elle, la femme affligée, que Jésus va se manifester dans la gloire de la résurrection. "Ne me touche pas" -Jean 20, 11-18-: trois mots qui auront fait couler beaucoup d’encre, alimentant aussi les récits les plus fumeux sur les relations entre Jésus et Marie-Madeleine. Commençons par rappeler qu’en grec, ces mots que Jésus adresse à la sainte dans le jardin de la résurrection signifiaient probablement "ne me retiens pas". Le Christ signifie d’abord à Marie-Madeleine qu’un corps ressuscité est radicalement différent d’un corps mortel. Il lui révèle que, si sa mission à lui est de retourner vers le Père dans son corps glorieux, la sienne est de s’en aller vers les hommes. Marie est chargée d'annoncer la résurrection. C'est pour tous les temps la mission de l'Eglise et de ses enfants. N’évacuons cependant pas la dimension charnelle de ces mots. Le geste de Marie-Madeleine que le Christ arrête est bien une tentative pour toucher son corps. Pourquoi l’amitié si forte qui unissait le Christ et la disciple ne passerait-elle pas par des démonstrations d’affection corporelle, consubstantielles à l’amitié humaine ? Un ami disparu de longue date, que l’on retrouve, ne le serre-t-on pas dans ses bras, sans que le geste ne soit sexualisé d’une quelconque manière ? Le toucher de Marie-Madeleine n’est pas le signe d’un trouble érotisme, mais le jaillissement d’une affection brûlante pour Jésus. Quatre versets plus haut, Jean notait la détermination de la sainte à retrouver le corps du Christ. "On a enlevé mon seigneur et je ne sais pas où on l’a déposé ". Les pleurs de la sainte dans le jardin de la résurrection sont la réaction humaine d’un deuil qui ne peut plus se faire dans l’absence du corps mort. Et voilà que le corps de son sauveur lui apparait, vivant. Le désespoir se convertit en débordement d’affection. Ce geste est un modèle d’amitié personnelle avec le Christ. En ce sens, pour nous, Marie de Magdala est vraiment l'apôtre des apôtres: elle est le signe du fidèle qui répond personnellement à l'amour de Dieu. La foi est la Rencontre unique entre le Sauveur et la personne du croyant. Souvenons-nous de la légende provençale: Marie meurt d'amour en recevant de l'évêque Maximin, le corps et le sang du Fils de Dieu. Dans notre eucharistie, nous ne touchons pas le corps du Christ, il vient en nous pour nous faire don de sa divinité.
Lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie N° 320 et suivant, juillet 2015
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Marie de magdala, témoin de la résurrection |