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Bible, Paroles de Vie

 

Malgré les encouragements des prêtres, les fidèles éprouvent des difficultés à lire la Bible.

Les professeurs d'Histoire de l'Art notamment, mais aussi tous les enseignants, sont catastrophés par l'ignorance des occidentaux des textes fondateurs de notre civilisation. Cette lacune les rend inaptes à la compréhension des œuvres d'art et à la réflexion sur les faits de société, si bien que l'école laïque s'interroge sur la nécessité d'introduire un cours d'initiation aux religions. Si cette initiative est louable et certainement utile, posons l'espoir que le scientisme ne soit pas encore plus néfaste à notre culture chrétienne. Quoi qu'il en soit, pour le chrétien orthodoxe l'histoire sainte n'est pas seulement une section de l'histoire des civilisation mais le livre de Vie.

 

Et la vie est communiquée dans l'Eglise. C'est l'Eglise qui à la suite de la synagogue, a établi le catalogue des Ecritures reconnues comme Parole de Dieu.  Nous l'appelons "Canon des Ecritures".

D'autres textes importants pour la connaissance de la foi, de l'espérance et l'organisation des croyants, parfois contaminés par des idées curieuses ou franchement hérétiques, mais pas toujours,  n'ont pas reçu cette dignité de Parole de Dieu, ils sont connus sous le nom d'apocryphes. 

 

La vie spirituelle a pour départ la Parole de Dieu qui appelle, et la foi par laquelle l'homme reconnaît et accepte cet appel.

Il faut bien savoir que notre Bible n'est pas un livre rédigé d'une traite par un écrivain, ni la dictée de Dieu pour exprimer à la virgule près la juste foi et sa volonté, mais une bibliothèque, "ta Biblia" signifie "Les Livres".

De cette bibliothèque nous devons connaître l'histoire de la rédaction, la chronologie, les difficultés historiques et le sujet de chaque livre. Alors selon les circonstances de notre propre histoire, de la mémoire liturgique, nous puisons dans cette bibliothèque ce qui nous est profitable.

Si nous ne pouvons pas pourtant éliminer ce qui nous parait inutile ou contraire à nos idées personnelles sur la religion, nous avons pourtant le droit de laisser de côté provisoirement pour y revenir plus tard, les livres qui ne nous parlent pas.

 

"Il faut recevoir, dit Origène, la Loi de Dieu dans l'esprit que l'Eglise nous enseigne, et ne pas faire comme les hérétiques , qui ne scrutent les Ecritures que pour y trouver de quoi confirmer leurs propres doctrines. La clef des Ecritures est le Christ Jésus, Logos incarné".    

                                                                                                                                                                                     Homélies sur le Lévitique

 

Tous les livres de notre Bible ont pour but de nous montrer les relations de Dieu avec l'Humanité: La patiente approche, pédagogie de Dieu, pour se révéler comme il est à la conscience de l'Homme, puis l'Alliance, la purification de la connaissance, les trahisons humaines et la miséricordieuse patience du créateur. Enfin en Christ, la pleine révélation de l'amour fou de Dieu pour sa créature, son plan divin de Vie éternelle en Lui, par Lui.

 

 Précisons une fois pour toutes, mais certainement pas la dernière, la juste terminologie: Il n'y a qu'une seule et unique Alliance, celle des noces mystiques du Créateur et de l'humanité, accomplies en Christ Jésus, à venir dans l'Eglise sainte.

 

Nous simplifions les données en parlant de la Première Alliance (et non d'Ancien Testament!) pour la révélation avant la venue du Messie, puis cette première Alliance trouve son accomplissement en Christ, nous disons Alliance éternelle (et non Nouveau Testament).

De même façon, par facilité et respect des pères grecs (qui d'ailleurs l'ont reçu de la traduction juive des Septante) nous utilisons le mot Loi, transcription de Torah, pour désigner les cinq premiers livres de la Bible. La traduction la plus exacte serait plutôt "enseignement" ou "Tradition" dans le sens "programme de vie".

 

Le Christianisme n'est pas exactement comme certains veuillent bien le dire, une religion du livre. Sa fondation, son programme, son achèvement, sont dans la  personne  du Logos incarné, Parole vivante.

L'Icône parfaite de Dieu et celle de l'Homme accompli sont dans la personne de Jésus, hier et aujourd'hui, demain et dans l'éternité.

 

Pour être révélation, l'Ecriture doit révéler le Logos incarné, même la Première Alliance doit parler du Logos dans la chair: Jésus.

Le Christ est l'accomplissement des Ecritures: accomplissement de ce qui avait été préparé par la première Alliance.

La révélation de Dieu à l'Homme dans Sa parole est progressive parce que cette révélation n'est pas une collection de vérités abstraites à ordonnancer méthodiquement, une sorte de somme théologique, mais une succession d'expériences vivantes qui conduisent à la connaissance de Dieu pour aboutir par la grâce et une digne vie à la filiation divine. Dieu en nous parlant veut nous faire vivre et non pas donner un aliment à notre pensée ou amuser notre imagination.

 

Christ n'a pas remis le livre, un écrit aux apôtres, il leur a expliqué la Première Alliance dont toutes les Ecritures parlent de lui, prophétisent sa venue

 

Nous devons alors chercher dans la Bible l'aliment premier de notre vie spirituelle.  C'est dans l'Eglise, par la célébration liturgique que nous recevons la Parole vivante de Dieu, présente parmi nous  et toujours active pour nous.

C'est donc dans l'Eglise, vrai corps du Christ, qu'il faut s'insérer pour participer à l'Esprit du Christ et recevoir sa parole, non point comme une lettre morte mais comme les paroles toujours vivifiantes, parce que toujours vivantes.                               

 

 Le meilleur exemple de lecture de la Bible est proposé dans le lectionnaire de l'Office divin et des saintes Oblations: l'approfondissement des leçons de la Première Alliance dans l'expérience de l'Alliance éternelle.

L'Office synagogal  comportait déjà une série de lectures se complétant, s'achevant l'une par l'autre: Torah, prophéties, chants psalmiques. commentaire rabbinique.

Dans l'Eglise le commentaire rabbinique sera remplacé par l'enseignement oral des apôtres, puis à la fin de l'ère apostolique, la lecture de leurs écrits s'y substituera. Naturellement la lecture de l'Evangile la Bonne Nouvelle du Christ, indiquera comment les apôtres ont conservé et transmis les actions et les enseignements de Jésus. Si les épîtres sont parfois de circonstances et éclairent assurément la foi apostolique, elles ne sont pas absolument normatives de la vie ecclésiale comme l'Evangile, référence absolue.

 

Les sens de l'Ecriture

 

Les juifs voyaient déjà dans Ecritures le sens plénier (c'est à dire les commandements à accomplir) s'épanouir en sens moral intériorisé, et un sens apocalyptique ( la figure des choses à venir, l'ère messianique) qui peuvent se discerner dans les linéaments des évènements.

A la suite de l'apôtre Paul, avec l'école d'Alexandrie, les pères discernerons trois sens des Ecritures: littéral, moral, allégorique.

*Littéral: celui de l'exégèse moderne: comment s'est formé le texte, de quelle genre s'agit–il? que c'est-il vraiment passé? qu'à voulu dire exactement le rédacteur dans le contexte de son époque? Quel est le message de Dieu dans le contexte de la pédagogie divine progressive?

*Moral (ou tropologique): il peut s'agir bien sûr d'une morale générale, c'est surtout l'application éthique pour chacun d'entre nous à la mesure de notre foi en la vie divine en nous. Quelle leçon à tirer pour nous aujourd'hui?

*Allégorique (ou spirituel ou mystique): la plénitude du Christ. L'accession anticipée aux réalités célestes, au mystère de Dieu.

Le disciple parfait n'est pas autorisé à sélectionner une méthode parmi ces trois sens. Même s'il privilégie le sens spirituel qui permet une lecture savoureuse de l'ensemble des Ecritures, les deux autres procédés ne peuvent être laissés pour compte sans danger pour l'âme orthodoxe. "

Ces choses [les récits de la Première Alliance] assurément, se sont passés selon la chair et doivent être étudiées d'abord selon l'histoire, mais si nous voulons être chrétiens et disciple de Paul, nous ne devons pas nous arrêter avant de les avoir comprises selon l'Esprit". Origène, homélies sur l'Exode.

 

Le Grand Origène a toujours enseigné que l'esprit ne devait pas faire de tord à la lettre. "En son Ecriture comme en sa vie terrestre, le Logos a besoin d'un corps: le sens historique et le sens spirituel sont entre eux comme la chair et la divinité du Logos, Unité parfaite sans séparation".

                                                                                     Elias-Patrick                                   

 

Bibliographie:

Louis Bouyer, introduction à la vie spirituelle, Desclée 1960

Henri de Lubac, Histoire et Esprit, Théologie 16, Aubier 1981

Origène, Homélies sur l'Exode, SC n° 321, 1985

Origène, Homélies sur le Lévitique, SC n° 286, 1981

                                                                                                                                        lettre de saint Elie N° 183, février 2004

 

 

 

la lecture chrétienne de la Première Alliance

 

La lecture des livres de la Première Alliance pose un certain nombre de difficultés. Comment accepter comme Parole de Dieu des récits manifestement contraires à l'enseignement scientifique ou des chroniques relevant plus de la propagande que de l'histoire?

Le Dieu d'amour révélé par Jésus est-il bien le même qui sévit, se met en colère, se repent, juge, condamne, entraîne son Lpeuple dans la conquête d'un territoire par la traîtrise et la violence criminelle? Il y a comme un malaise. 

 

Pourtant, oui, il faut confesser avec saint Irénée qu'il y a continuité entre Israël et l'Eglise, identité du Dieu d'Abraham, d'Isaac et de Jacob avec le Père céleste de Christ.

Encore avec saint Irénée, il ne faut pas se voiler la face, oui, il y des choses pénibles dans les Ecritures, ce serait tordre le principe de réalité que d'y voir que des allégories, il y a bien eu dans l'histoire du peuple de Dieu des violences que notre bonne conscience affinée condamne un peu trop rapidement.

 

Les livres de la Première Alliance reflètent une évolution morale du peuple de Dieu considérable qui trouve son aboutissement dans la Bonne Nouvelle des Evangiles.

Si la Bible nous donne souvent une image indigne de Dieu et une illustration antipathique de son peuple, nous devons nous souvenir que ces réductions sont surtout celles de l'humanité en devenir. Dieu s'adapte aux capacités mentales de l'homme et l'amène progressivement à la conscience de son humanité. Les théologiens parlent de condescendance divine: Dieu s'adapte à l'homme pour que l'homme s'adapte à lui jusqu'à la plénitude parfaite de la grâce.

 

Le sens littéral:

Il nous est nécessaire un discernement qui tienne compte du progrès de la conscience morale de l'humanité. Ainsi les écrits de la Première Alliance contiennent à la lumière de l'Evangile des éléments imparfaits et caduques que la pédagogie divine ne pouvait éliminer sans attendre une certaine maturité.

" Moïse se mettait un voile sur le visage pour éviter que les fils d'Israël ne fixent leur regard sur un état temporaire comme s'il s'agissait de la fin. <> Jusqu'à ce jour , lorsqu'on lit l'ancienne Alliance, ce même voile demeure. Il n'est pas levé, c'est en Christ qu'il disparaît. <> C'est seulement par la conversion au Seigneur  que le voile tombe. Car le Seigneur est l'Esprit, et là où est l'Esprit est la liberté".  2 Corinthiens, 3,13.  C'est toute la question de la loi et de la grâce. Désormais les chrétiens relèvent du régime de la grâce, de la liberté spirituelle, mais s'ils manquent à leur dignité et devoirs d'Enfants du Royaume, d'Enfants de Lumière, ils retombent sous le gouvernement de la loi. Nous devons prendre conscience de cela, nous ne sommes pas meilleurs ni différents de nos pères. Si nous sommes capables de Dieu, nous sommes aussi capables du pire. Tout la pédagogie de la Première Alliance consiste à éliminer du cœur de l'homme progressivement, de lumière en lumière,  tout esprit d'idolâtrie. L'histoire nous montre que toute victoire de la civilisation n'est pas définitive, il faut veiller sans cesse pour ne pas retomber dans la sauvagerie de la violence égoïste ou communautaire. L'extirpation du cœur de l'homme de l'esprit d'idolâtrie et de violence est lente et ne va pas sans souffrance, mais Dieu est patient.

L'Ecriture est ainsi le signe qui révèle la qualité de l'âme, la connaissance de soi.

"L'Ecriture me fait pénétrer dans le sens intime de mon être". Origène, sur Jean 5, 7

 

Le sens spirituel:

Après cette première exégèse littérale, nous devons rechercher une exégèse spirituelle qui nourrisse notre âme. C'est à dire aller plus en avant.

Par exemple, s'il est certain que les hébreux exilés appelaient victoire sur leurs ennemis, nous ne pouvons avec eux souhaiter aux nôtres avec le psaume 137 " Fille de Babylone, ô dévastatrice, heureux celui qui te rendra le mal , le mal que tu nous as fait. heureux qui saisira et brisera tes petits enfants contre le roc".  Le grand Origène nous conseille la lecture morale chrétienne suivante: Babylone, c'est notre cœur envahi par les passions, les enfants de Babylone c'est le péché engendré par les passions,  nous devons briser les péchés contre le Roc de la Parole de Dieu. Cette lecture est certainement artificielle dans le sens où le rédacteur des "psaume des montées" n'envisageait pas du tout les choses comme cela! Pourtant c'est la seule aujourd'hui qui peut répondre à la question d'Origène lisant les Ecritures: "et maintenant, aujourd'hui en quoi cette lecture me concerne-t-elle?" Elle garantit aussi l'adage du grand philosophe juif Philon repris bien souvent par Origène: "Dans l'actualisation des Ecritures, nous devons trouver que des choses dignes de Dieu". Ainsi toute la lecture de la Première Alliance doit se faire à la lumière de la Nouvelle, éternelle Alliance: En Christ et l'Esprit.

 

le sens typologique:

Les pères proposent aussi pour cela un autre modèle d'exégèse: la typologie

Le Christ est l'accomplissement des Ecritures, il y donc un rapport de continuité et de conformité entre la Première Alliance et l'Evangile mais aussi un passage à un niveau supérieur de réalité. Tout se rapporte à Christ. Les personnages et événements de la Première Alliance  sont des figures ou annoncent de Christ. Adam est l'image du Logos incarné qui contient tout; Abel, l'innocent immolé; le déluge, le bain du baptême qui noie l'homme ancien; la traversée de la mer rouge, la Pâque du Seigneur qui traverse les portes de la mort.

 

Jésus  a une exégèse  personnelle originale parfois différente de celle des scribes et dans pharisiens, la primauté est donnée à la volonté de Dieu, Mat 5,20, il exerce une liberté souveraine  pour relativiser certains préceptes ou plutôt leur rendre leur véritable sens. 

 

Les pères de l'Eglise pensaient que leur exégèse des textes était complète seulement s'ils en faisaient émerger un sens pour les chrétiens de leur temps dans le contexte de leur époque. Pour cette raison, la lecture des Ecritures était essentiellement pratiquée dans l'Office divin et un choix s'est exercé pour découper le texte biblique en séquence (que nous appelons  péricope) de façon à faire émerger une cohérence selon le sens typologique et ou spirituel en relation avec la fête ou le temps de l'année liturgique.

 

Dans le lieu habituel de la lecture biblique, l'Assemblée liturgique, se réalise l'actualisation parfaite de la Parole de Dieu. Le texte biblique par la plénitude de son sens  a valeur pour toute les époques et toutes les cultures. Quand les chrétiens sont réunis en Eglise, le Christ, logos/Parole de Dieu, est mystérieusement présent et préside l'Assemblée, ainsi les Ecrits deviennent Parole vivante.

Il est intéressant de remarquer que les lectionnaires les plus aboutis (syriaque, Jérusalem, post Vatican II) mettent en relation la péricope de la première Alliance avec celle de l'Evangile selon la méthode typologique. A l'homélie d'établir le sens moral et spirituel. (On peut regretter que la lecture des épîtres se fasse souvent selon le principe de la lecture continue. Bien que traditionnelle certes dans les Eglises, cette lecture du commencement à la fin d'un texte, répartie sur plusieurs jours ou dimanches, a l'inconvénient  la perte du fil des idées de l'écrivain pour des fidèles irréguliers; elle semble mieux adaptée à la lecture individuelle.)

 

La polysémie des Ecritures:

Enfin, il faut savoir que les sciences du langage affirment la polysémie des Ecritures. Aucune interprétation ne peut épuiser le sens des Ecritures et ne doit se présenter comme exclusive. C'est le corps entier de l'Eglise qui exerce un travail de vérification et de sélection dans la continuité de la tradition et rejette les interprétations  en rupture avec  le cœur de la tradition: l'Evangile. Le gardien de la Tradition, plus que l'appareil ecclésiastique est l'Esprit Saint qui ne cesse d'agir dans l'Eglise. C'est lui qui donne aux fidèles "le sens de l'Eglise" Origène,  de principiis 2,7,2

 

L'usage des métaphores:

Pour terminer par le commencement, il n'est pas suffisant de traduire mot à mot le texte de la Parole pour obtenir le véritable sens littéral, même pour les Evangiles, à plus fortes raisons pour la première Alliance. Il est nécessaire de comprendre selon les conventions littéraires de l'époque, sans cela on risque certainement de tomber dans une lecture fondamentaliste. Quand le style est métaphorique, le sens littéral n'est pas celui qui résulte immédiatement de texte, par exemple "attache ma loi sur ton front et ton bras" ne veut pas nécessairement rendre obligatoire les téphilims (étuis de cuir contenant des versets de l'Ecriture liés par le juifs pieux au front et au bras gauche) mais "que tes pensées et tes actions  soient en harmonie avec la Loi". De Même, "ayez la ceinture aux reins"  Luc 12, 35, sera interprété par le fondamentaliste comme le commandement de porter constamment une ceinture, alors que le sens littéral mais métaphorique demande de comprendre "soyez toujours disponibles". De même un récit n'est pas obligatoirement un fait historique mais peut correspondre à un fruit de l'imagination ou une parabole pour donner à comprendre simplement. La langue sémitique use volontiers, d'approximations, d'hyperboles, de paradoxes, il faut bien en tenir compte.           

                                                                                                                                                                         E-P

 

 

Lettre de saint Elie  N° 184                                                                                                       mars 2004

 

 

L'Esprit de la prophétie

 

 

 

Au regard des Ecritures nous allons nous poser la question de la permanence ou non de l'esprit de la prophétie après la venue du Messie et sa présence ininterrompue dans l'ecclésia.

Pour cela nous examinerons la fonction prophétique dans la première Alliance, ce qu'elle est devenue dans la primitive Eglise et la pertinence  de sa continuité jusqu'à la fin de l'histoire.

 

Confusion entre prophétie, oracles et devins ou voyance.

 

Tous les peuples ont eu des oracles et des devins. Il s'agit de connaître l'avenir proche pour des circonstances privées ou nationales.

Des voyants ou voyantes pratiquent l'art divinatoire. D'autres ont des visions sans désir de favoriser cette faculté

Je n'ai pas de compétence pour porter une évaluation de ces deux pratiques sauf de dire que les Ecritures condamnent fermement l'art divinatoire sous quelques formes que se soient par la peine de mort. C'est dire le danger pour l'équilibre psychique et spirituel. Pour les visions mystiques, les pères du désert mettent en garde contre le danger d'illusion.

 

Le prophète se réfère toujours à la Torah. Le prophète annonce la victoire de la Torah et de la volonté de Dieu en dépit de toutes les velléités politiques, sociales, et résistances de la créature.

Le prophète, la Torah devant les yeux, apprécie et juge le présent à la lumière de la fin. L'objectif de son intervention est d'appeler à la parfaite réalisation de la Torah et pour cela il présente aussi l'eschatologie sous l'angle particulier des circonstances présentes.

 

Le prophète biblique rappelle les exigences morales pour que s'accomplissent les promesses de Dieu.

Si son message est sévère pour la génération perverse, il contribue aussi à entretenir l'espérance et la confiance du croyant: Aucune catastrophe nationale, cosmique, ni même morale n'a le pouvoir d'étouffer la lumière, le projet divin. Les menaces, les encouragements, les visions apocalyptiques sont des ponts jetés entre le présent peu glorieux d'Israël et son avenir: l'accomplissement des promesses divines.

Au delà du petit peuple d'Israël, la prophétie de la Première Alliance a une portée universelle. "La postérité de la femme écrasera la tête du serpent".

 

Opposition entre prêtres et prophètes

 

Une lecture superficielle oppose les prophètes au sacerdoce juif, comme certains voudraient dans les Ecritures de la Nouvelle Alliance construire un fossé entre la Torah et la Grâce, le culte et la Parole. Prêtres et prophètes sont les adorateurs du même Dieu, ils rencontraient le peuple à l'occasion des mêmes rendez-vous liturgiques exigés par la Torah. Les prophètes (et Jésus) ne reprochent pas aux prêtres d'être prêtres mais de ne l'être pas assez ou mieux en omettant la justice et "de transmettre la connaissance de Dieu" qui est leur première fonction. Osée 4,6. Jamais les prophètes ne se sont désolidarisés du sacerdoce et ont appelé à l'individualisme de la prière, de la foi et du culte.

C'est une erreur de présenter "la religion des prêtres comme une religion du sacrifice, des Offrandes des hommes d'en bas vers le Dieu d'en Haut en opposition à la religion des prophètes, religion de la Parole du Dieu d'en haut qui s'adresse aux hommes d'en bas".

Il n'y a qu'un seul Dieu, une seule Torah, une seule promesse, une seule Economie divine. Le sacerdoce et le prophétisme de la Première Alliance participent chacun à sa manière à cette seule Economie. La différence entre les deux fonctions se situe au niveau de la transmission du sacerdoce confié à travers les temps à une seule famille, et la vocation particulière du prophète qui à l'appel de Dieu se lève pour faire revenir les cœurs à la Torah. Il n'y a jamais de concurrence entre les deux fonctions mais complémentarité. Jérémie d'ailleurs appartenait à une famille sacerdotale.

 

Les livres prophétiques bibliques ont-ils le monopole de l'Esprit de prophétie?

 

Les Ecritures proposent à notre lecture cinq grands prophètes et douze petits. Les petits le sont non par le moindre intérêt de leur ministère mais en raison de la moindre importance du nombre de pages dans le Livre; aussi certainement en raison de leur moindre usage dans la haftara, la lecture liturgique.

Les personnages de ces livres ne sont pas les seuls vrais prophètes du vrai Dieu. (car Israël connaît aussi des faux prophètes, des devins, promis à la mort).

Est prophète celui qui ramène le cœur des hommes vers Dieu ou qui en écoutant la parole de Dieu prend l'initiative de la téchouva le retour à Dieu. Ainsi Abraham est appelé par Adonaï lui-même  s'adressant à  Abimélek "C'est un prophète qui intercédera en ta faveur" Génese 20,7.

Moïse aussi est appelé prophète par Adonaï Deut. 18,15. Il n'est pas utile d'insister sur Samuel, Elie, Elisée et tous les "fils de prophètes " des Livres dits historiques. Bref, Israël n'a jamais manqué " d'Hommes de Dieu" pour rappeler au peuple la Sainteté. "Soyez saints car je Suis Saint! 

 

Il est courant de dire ou de lire que saint Jean Baptiste est le dernier des prophètes "car il a baptisé dans les eaux Celui qu'ils avaient seulement annoncé". Oui Jean selon la Parole du Seigneur est le plus grand parmi les enfants de la femme, il est le pont entre la première et la seconde Alliance, il appartient aux deux. En un certain sens, le temps messianique est arrivé, dans un autre, il ne fait que commencer et la plénitude du Royaume est encore à venir. Et jusqu'à la fin, le sacerdoce et le prophétisme doivent aider les hommes à se tourner vers Dieu et rappeler l'exigence de la Sainteté.

 

Maintenant nous pouvons explorer ce que l'Assemblée de Dieu attend et reçoit du prophète.

 

* Nabî en hébreu a donné le mot prophète. Les exégètes chrétiens tirent son  étymologie de l'adjectif "appelé". Il s'agit bien donc d'une vocation particulière  fulgurante  différente du sacerdoce institué et permanent. La tradition rabbinique traduit littéralement nabî par "Celui qui bouge les lèvres". Le prophète est donc un porte parole. Il porte la Parole de Dieu, la transmet. Les prophètes sont à la fois des oreilles qui entendent et bouche qui prononce la Parole.

 

Nous devons ajouter que l'action prophétique est un ministère extraordinaire donné directement à un homme par Dieu pour mettre l'accent sur une crise quand le ministère ordinaire, sacerdotal, n'est plus en mesure de faire entendre la parole de Dieu. Cette défaillance n'est pas obligatoirement due à une trahison des clercs ou à une défaillance, elle est certainement la conséquence de l'usure des mots qui ne sont plus pris au sérieux par les clercs et le peuple.

Ainsi disparaît la justice au profit de rites. De tous temps, les rites doivent être évangélisés pour demeurer un simple outil, outil merveilleux, d'équilibre de la vie spirituelle et sociale. Le rite est l'instrument essentiel de la communication entre l'homme et Dieu pourvu qu'il soit accompagné de la largeur du cœur qu'il doit aider.

Les prêtres participent normalement à l'enseignement de la Parole. Ils doivent par leur vie et leur verbe être nabî. Mais généralement l'institution ne favorise pas une hardiesse excessive à bousculer les mentalités usées. Alors se lève le prophète.

 

Message du prophète

Le message du prophète est centré sur la Torah. La Loi divine, c'est à dire l'Enseignement de vie, est donnée une fois pour toutes. Par le Logos, elle transcende même les clivages peuples, nations, cultures.

La Torah doit être reçue dans les cœurs et l'Enseignement doit s'épanouir dans un juste comportement. Le prophète est donné quand dans la communauté, dans l'homme, quelque chose cloche entre le dire et le faire, quand la justice est tordue ou refusée. Il dévoile le point secret, conscient ou non, où la Lumière de la Torah est scandaleusement repoussée ou mise au service d'intérêts ignobles.  

 

Le message immédiat du prophète est d'essence morale. Il évalue la distance entre le discours, la régularité du culte, la pompe des cérémonies et l'éloignement du cœur et le manque de vraie dévotion à la Parole. Il revient à l'essentiel des commandements: la piété et la justice. Il n'hésite pas aux anthropomorphismes en annonçant la colère de Dieu et le châtiment.

Au-delà des catastrophes, le prophète  insiste sur l'Alliance éternelle et la fidélité de Dieu. Même si, à la suite du jugement, elle concerne un petit nombre, le germe saint.

Le sujet de la prophétie est l'Economie divine. Le prophète en posant le diagnostic d'infidélité du peuple ne peut que prévoir les conséquences: le malheur, car la Torah est donnée "pour l'homme". Mais toujours, le prophète console en montrant la fidélité de Dieu à son plan. La fin sera conforme à la volonté de Dieu qui veut le bonheur de sa créature.

 

La lecture des Evangiles et des actes des apôtres montre que  pour les disciples toute la première Alliance est une prophétie de l'Alliance nouvelle et éternelle. La prophétie commence avec la Genèse, "la postérité de la femme écrasera la tête du serpent", passe par les psaumes et bien sûr les prophètes et se terminera avec le Christ vainqueur de l'Apocalypse.

"Celui qui prophétise parle aux hommes, il édifie, exhorte, réconforte".1 Corint. 14;3:  Il s'agit certainement du discernement des esprits

"les prophéties disparaîtront, la charité jamais" 13,8

 

Trois ministères se dégagent: apôtre, prophète, docteurs. Eph. 4, 11; Romains 12,6. Tous sont en rapport avec la Parole

La Didaché établit le ministère des évêques en rapport avec celui des prophètes. En rapport avec la Parole et Action symbolique, fondement du sacrement.

 

Nous n'oublions pas les prophétesses…Elles ont probablement disparues à cause du montanisme.

La vie monastique est certainement la continuité de l'esprit de la prophétie.

Les béné néviim, les fils de prophètes, c'est à dire les disciples des prophètes, s'écartaient de la société, se mettaient à quelques distances des hommes, non pour oublier les hommes mais pour mieux recevoir la Parole de Dieu et ensuite la transmettre.  Les moines se retirent au désert pour s'exercer à la vie contemplative. "Fuis, demeure silencieux, demeure dans l'hésychia"  (paix profonde) dit abba Arsène. Les pélerins et les disciples s'approchent des pères et demandent "abba, dis-moi une parole". Tous les moines et moniales ne sont certainement pas "pères, prophètes", mais Dieu suscite parmi eux des maîtres de vie, autant par leur exemple que par leur discours.

 

Permanence de l'Esprit de la prophétie

Tout chrétien orthodoxe par la consécration du saint Chrême est roi, prêtre, prophète. C'est à dire qu'il doit consacrer sa vie à la construction du Royaume.

Le début de toute démarche est une juste confession de la foi. "Le témoignage de Jésus est l'esprit de la prophétie"; Apoc. 19,10

                                                                                                      E-P

 

Conférence donnée le 16 janvier 2002 devant le groupe biblique de Lodève.

lettre de saint Elie N°171 février 2003

 

 

 

 

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