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La Source de Vie

 

La liturgie de notre Eglise ouvre la grande semaine de la Pâque du Seigneur par le samedi de Lazare. Ainsi cette semaine où domine le signe de la croix au Golgotha commence par une résurrection d'un homme et termine par La Résurrection universelle en Christ. " Et une fois arrivé à la tombe dit l’Évangéliste, Jésus pleura"  -Jean 11,35-.

Pourquoi pleure-t-il puisqu’il sait que dans un instant il ressuscitera Lazare à la vie ?

                                  

 

Les hymnographes byzantins n’ont pas toujours su parfaitement prendre toute la pleine mesure de ces larmes, les attribuant à sa nature humaine, alors que de sa nature divine il tiendrait le pouvoir de ressusciter les morts. Ce n'est pas entièrement inexact. Et pourtant toutes les Églises orthodoxes enseignent clairement que toutes les actions du Christ sont théandriques, c’est-à-dire, à la fois divines et humaines, étant les actions du seul et même Dieu-Homme, le Fils de Dieu incarné. C’est l’Homme-Dieu que nous voyons pleurer, c’est l’Homme-Dieu qui fera sortir Lazare de son tombeau.

Il pleure et ce sont des larmes divines  il pleure parce qu’il contemple le triomphe de la mort et la destruction de la création sortie des mains de Dieu. <> Au tombeau de Lazare, Dieu rencontre la mort, cette réalité destructrice de vie et spectre de désespoir. Il se trouve face à face avec l’ennemi qui lui a ravi la Création, son bien propre, pour en devenir le Prince.

 

                     

 

Nous qui suivons Jésus qui s’approche de la tombe, nous entrons avec lui, dans "son heure" celle qu’il a annoncée si souvent comme l’apogée et l’accomplissement de toute son œuvre". -1-

 

Toute l'Economie de la Première Alliance, les prodiges réalisés par le Dieu vivant n'étaient que des ombres et des images. Mêmes les signes du Sauveur durant son ministère en Terre Sainte n'étaient que des signes précurseurs du Grand Œuvre: Par sa mort, sauver l'Homme, donner la vie en plénitude.

Mais qu'est-ce au juste ce Salut? Le Logos incarné est-il venu faire une leçon de théologie? Donner une loi morale? Proposer une nouvelle structure sociale et politique? Expliquer une parfaite doctrine et fonder une religion de plus, nous n'en manquons pas et après? Après la sagesse, l'organisation des sociétés, la connaissance scientifique et l'illumination religieuse, une vie juste ou indigne, reste une question fondamentale: L'Homme existe mais existe pour la mort, celle de chaque jour et celle du dernier instant.

 

"Et Jésus pleura", au tombeau de Lazare, Dieu rencontre la mort et perçoit la croix. L'incarnation de Dieu dans l'homme n'aurait aucune profondeur, aucun impact réel s'il n'atteignait pas l'horreur de la mort, bien concrète, "il sent déjà".

Pour Christ, donner sa vie pour le Salut du monde, c'est entrer dans la mort pour la détruire de l'intérieur. Non pas la supprimer physiologiquement mais ruiner sa puissance, en faire une Pâque, un passage vers le Royaume radieux.

                                            

Jésus est l'événement de Dieu pour l'humanité parce qu'il est l'avènement de Dieu avec l'Homme, dans l'Homme. Pas seulement en nous prêchant une Heureuse Nouvelle, un Evangile merveilleux, mais en buvant la coupe de notre mort.

Jésus mort pour la résurrection de tous, est au milieu de notre histoire et le commencement d'une nouvelle création. La croix et la résurrection ne sont pas deux événements mais deux moments du même mystère: Une vie nouvelle apparaît dans notre monde ancien et nous est proposée.

                                     

D'anciens synaxaires faisaient coïncider le jour de l'annonciation avec celui du Vendredi Saint, l'heure de la croix. En effet il y a une profonde harmonie entre ces deux gestes de Dieu:

 

-la kénose du Logos (Il dépose sa puissance divine, il voile sa gloire pour se laisser atteindre par la mort). Dans l'annonciation, la conception de Jésus par Marie sa mère est virginale, tout rayonne de grâce et de liberté, aucun vouloir d'homme et aucun déterminisme autre que l'accomplissement du temps et la couronnement de la Première Alliance. Le Logos reçoit de sa mère sa condition d'homme et accueille volontairement en lui le poids du péché et de la mort de tous les hommes.

            

-Dans sa Pâque, pour des yeux inattentifs, tout pourrait s'expliquer par un simple enchaînement de causes extérieures:  le dogmatisme et l'intolérance des prêtres et des docteurs de la Loi, l'ambition et la lâcheté du peuple, la trahison de Judas, la peur des gouvernants, la passivité d'une majorité silencieuse et la démagogie des agitateurs, le désespoir des déçus. Bref, que les causalités humaines ne soient pas absentes dans l'explication de la mort de Jésus, c'est évident. Mais ici aussi, tout est nouveau, vierge.  Jésus s'avance librement vers la croix. Saint Jean écrit "il endurcit sa face et monte à Jérusalem", Jésus prend résolument le chemin de la mort, il n'est pas surpris, ni ne la subit comme une fatalité, il y va souverainement avec toute sa santé physique, psychique et spirituelle.

Comme il nous l'a montré en pleurant sur Lazare, il l'a en horreur, mais la volonté du Père est qu'il entre dans la mort et l'affronte dans un combat sans merci. "C’est pourquoi le Père m’aime, parce que moi je dépose ma vie, afin que je la reprenne.  Personne ne me l’ôte, mais moi, je la dépose de moi-même. J’ai le pouvoir de la laisser, et j’ai le pouvoir de la reprendre: Tel est le commandement  reçu de mon Père". –Jean 10, 17-18-

 

La kénose de l'incarnation est l'aurore du Salut, de la vie éternelle, celle de la croix en est le resplendissement au plus épais des ténèbres; une ancienne anaphore chante: "Pour racheter ses serviteurs, il s’offre, lui la vie, pour être mis à mort. Bienheureuse mort qui dénoue les liens de la mort. Voici que par la croix, nous sommes relevés de notre profonde chute, et que nous montons au céleste Royaume, unis à notre grand prêtre du bonheur qui vient".

 

                   

 

Que ce soit par sa mort que la mort soit détruite, voilà la folie par excellence dont nous parle saint Paul. "Alors que les hommes veulent détruire l'arbre dans sa vigueur et l'arracher de la terre des vivants"  -Jéremie 11, 19- en fait ils élèvent l'Arbre de vie dont le feuillage sert à la guérison des nations." Apocalypse 22, 2. Ces images qui se rapportent à la croix et au Logos incarné sont des symboles dont la réalité est encore plus bouleversante.

 

Jésus, Théanthropos Dieu-homme, en qui la mort n'a pas de complicité et aucun pouvoir, entre dans la nuit de la mort, la Lumière se plonge au milieu des ténèbres, il se fait mortel par amour. Il livre sa vie pour la vie du monde.

Et alors, sur terre,  pas d'apothéose hollywoodienne, pas d'aurore romantique: le tombeau et la descente au schéol. Là, il arrive quelque chose à la mort!

La Vérité éclate, l'enfer est dépouillé de ses prisonniers, ses portes sont brisées et incapables de retenir ceux que l'amour appelle.

Le mensonge de la mort est confondu et sa maîtrise sur ceux qui sont appelés à la vie est dissipée comme la nuit devant le Jour levant. La mort n'est plus, par sa mort, il a vaincu la mort.

 

La résurrection n'est pas la seule manifestation de la puissance divine, mais surtout du pouvoir de l'amour.

Dans le silence du grand Sabbat du tombeau où tout semble s'arrêter, le Père ne cesse de travailler: "Mon Père est à l'œuvre jusqu’à maintenant, et moi je suis à l'œuvre. <> Amen, Amen, je vous dis: Le Fils ne peut rien faire de lui-même, mais seulement ce qu'il voit faire au Père, car ce que fait le Père, le Fils  le fait pareillement. Car le Père aime le Fils, et lui montre tout ce qu’il fait lui-même, il lui montrera des œuvres plus grandes encore, de sorte que vous serez dans l'étonnement. Car comme le Père réveille les morts et les vivifie, de même aussi le Fils vivifie ceux qu’il veut. -Jean 5, 17-21-  

 

Pour mettre le comble à son mystère de l'Economie, le Père pénètre de son Esprit le corps de son Fils unique qui a porté le péché de tous et assumé leur mort; il le fait surgir vivant, spirituel et incorruptible. Nul ne peut décrire cet événement qui marque le temps. L'iconographie qui s'y risque est réductrice de la réalité, les témoins et les évangélistes nous disent le mystère par ces mots qui la voilent: "Le Seigneur s'est fait voir, Vivant".

                                     

La résurrection est le mystère du Royaume qui vient. Jésus ressuscité se laisse voir, il ne change pas de forme pour apparaître aux yeux des disciples, se sont eux qui à mesure de la grâce et de leur foi, le reconnaissent, car le corps ressuscité du Logos est maintenant et pour toujours celui de la Source de vie sortie de son côté sur la croix – Jean 19, 34-.

 

C'est cette source de vie, que le Seigneur nous offre à sa Sainte Cène et à chaque Oblation eucharistique.

Notre liturgie jaillit de la Résurrection. En ce jour, le fleuve de Vie s'épanche de la croix jusqu'à nous, dans un Corps incorruptible, celui du Grand Christ, il devient liturgie vivante, œuvre de Dieu avec les hommes, immense Assemblée des premiers-nés, Jérusalem céleste, icône du Royaume.

 

                           

 

Le Fils de Dieu est devenu homme, pour que l'Homme devienne Fils de Dieu répète à l'envie les pères depuis saint Irénée.

Les étapes par lesquels le Fils est venu à nous et s'est uni à nous jusqu'à mourir de notre mort pour nous donner sa Vie, son Esprit de Vie, gage de notre déification, sont les mêmes étapes par lesquels il nous unit à lui et nous conduit au Père des lumières.

 

Dans nos anaphores nous faisons mémoire de son incarnation, de sa mort de sa résurrection, de sa venue en gloire: la geste de Dieu se grave dans nos cœurs pour toujours. L'Esprit Saint déverse pour nous en nous, l'énergie du Royaume.

 

                                                                          + Elias-Patrick                                                  

 Bibliographie:

 

1. père Alexandre Schmemann, le mystère pascal, Bellefontaine 1975

2. cette monographie doit beaucoup au travail de Jean Corbon, Liturgie de source, Cerf, 1983

Lettre de saint Elie N° 221 avril  2007

Lazare & la Pâque du Seigneur