Aux sources de la laïcité

 

 

 

Il ne faut pas confondre laïcisme et laïcité.

   Le laïcisme a pour ambition de réduire l’expression religieuse des citoyens à la seule vie privée hors de toute manifestation publique ou sociale en limitant le plus possible tous signes d’appartenance religieuse.

   La laïcité, le terme est apparu au XIXè siècle, désigne le principe de séparation de l’Eglise et de l’Etat comme il a été défini en France par la loi du 9 décembre 1905: " La république assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes".  Il est fort dommage que la suite du texte soit empreint de l'esprit du laïcisme et organise une spoliation des biens ecclésiastiques sous prétexte d'organisation et de démocratie. 

                                                   

Il n'est pas nécessaire d'appeler à la rescousse les philosophes des lumières ou les penseurs athées du XIXè. pour justifier la laïcité.

   Je propose de regarder la fin des grandes persécutions contre les chrétiens pour prendre date sur l'affirmation de liberté de conscience. Les empereurs romains ont vu, on se demande bien pourquoi, un danger dans la manière de vivre des chrétiens; ils ont édicté des "lois de protection de l'empire" qui sont en fait des lois de persécution.

 

   La première grande persécution systématique  eut lieu sous Néron, en 64. Elle est suivie de celle de Trajan, en 107.

"Il ne faut pas rechercher les chrétiens, mais si on les dénonce et qu'ils soient convaincus, il faut les punir. Mais celui qui nie être chrétien et qui le prouve par des actes, c'est à dire en adressant des supplications à nos dieux, doit être pardonné".

 

 Marc-Aurèle qui se voulait philosophe, poursuivit la même politique de 177 à 180. L'empereur Dèce, de 249 à 251, publia un édit obligeant tous les habitants de l'Empire à comparaître devant les magistrats pour y offrir un sacrifice aux dieux. S'ils y consentaient, on leur délivrait un certificat de fidélité à l'empereur. L'empereur Valérien, de 257 à 259 se limita à traduire devant les tribunaux les chefs des communautés chrétiennes. Dioclétien de 303 à 305 est le conducteur de la grande persécution: destruction des lieux de cultes et des livres sacrés, obligation de sacrifier aux dieux de l'empire. Elle est poursuivie par ses successeurs jusqu'en 311. 

Le 30 avril 311, l'empereur Galère constate "l'inutilité des persécutions contre les chrétiens"  et publie un édit à Nicomédie dans lequel "il accorde aux chrétiens le droit d'exister et de tenir des assemblées de culte, à condition qu'ils ne troublent pas l'ordre public".

 

Le 13 juin 313, à Milan, l'empereur Constantin et son collègue Licinius, avec lequel il dirige l'empire romain, octroient aux chrétiens la liberté de pratiquer leur religion. Ils leur restituent les biens confisqués et mettent un terme définitif aux persécutions.

                                              

   Cette décision, connue sous le nom d'édit de Milan , complète et confirme l'édit octroyé deux ans plus tôt par l'empereur Galère: 

"Moi, Constantin Auguste, ainsi que moi, Licinius Auguste, réunis heureusement à Milan, pour discuter de tous les problèmes relatifs à la sécurité et au bien public, nous avons cru devoir régler en tout premier lieu, entre autres dispositions de nature à assurer selon nous le bien de la majorité, celle sur laquelle repose le respect de la divinité, c'est-à-dire donner aux chrétiens, comme à tous, la liberté et la possibilité de suivre la religion de leur choix, afin que tout ce qu'il y a de divin au céleste séjour puisse être bienveillant et propice à nous-mêmes et à tous ceux qui se trouvent sous notre autorité. C'est pourquoi nous avons cru, dans un dessein salutaire et très droit, devoir prendre la décision de ne refuser cette possibilité à quiconque, qu'il ait attaché son âme à la religion des chrétiens ou à celle qu'il croit lui convenir le mieux, afin que la divinité suprême à qui nous rendons un hommage spontané puisse nous témoigner en toutes choses sa faveur et sa bienveillance coutumières. Il convient donc que ton Excellence sache que nous avons décidé, supprimant complètement les restrictions contenues dans les écrits envoyés antérieurement à tes bureaux concernant le nom des chrétiens, d'abolir les stipulations qui nous paraissaient tout à fait malencontreuses et étrangères à notre mansuétude, et de permettre dorénavant à tous ceux qui ont la détermination d'observer la religion des chrétiens, de le faire librement et complètement sans être inquiétés ni molestés. Nous avons cru devoir porter à la connaissance de ta sollicitude ces décisions dans toute leur étendue, pour que tu saches bien que nous avons accordé auxdits chrétiens la permission pleine et entière de pratiquer leur religion. Ton dévouement se rendant exactement compte que nous leur accordons ce droit, que la même possibilité d'observer leur religion et leur culte est concédée aux autres citoyens ouvertement et librement, ainsi qu'il convient à notre époque de paix, afin que chacun ait la libre faculté de pratiquer le culte de son choix. Ce qui a dicté notre action, c'est la volonté de ne point paraître avoir apporté la moindre restriction à aucun culte ni à aucune religion…. ".

                                                Constantin, sol invictus

   Les chrétiens auront donc une liberté complète, et une liberté pareille sera accordée aux non-chrétiens. Il n'y a plus de cultes illicites, il n'y a plus de cultes obligatoires. L'édit de Milan ne donne pas aux chrétiens un privilège, il leur accorde la liberté de l'organisation et de l'exercice du culte. L'Etat implicitement n'entend pas s'en mêler.

 

   Hélas, Constantin, bien que même pas catéchumène, entend bien ne pas être rien dans l'organisation de l'Eglise. Les schismes et hérésies sont à ses yeux cause de désordres.

Pour juger les donatistes, il convoque en 314  motu proprio, de sa propre initiative, une réunion d'évêques en Arles et met à leur disposition la poste impériale pour s'y rendre.

Le concile d'Arles définit l'orthodoxie et expulse de la communion les donatistes. L'empereur dans un premier temps accepte les décisions du concile, puis par une volte face tient le jugement d'Arles  comme nul et non avenu. Il convoque à nouveau les donatistes et les "catholiques" à Rome où il prétend les juger lui-même.

Avec la querelle de l'arianisme, Constantin intervient de plus en plus dans les affaires de l'Eglise. Il convoqua le concile de Nicée en 314 et y assista avec toute la pompe de son rang. Après le concile de Nicée le parti arien garda une certaine puissance et gagna plusieurs fois la confiance de Constantin, qui exila à plusieurs reprises les évêques orthodoxes les plus en vue, dont saint Athanase et saint Hilaire de Poitiers.

Constantin se posa comme "l'évêque du dehors". Avec l'édification de la ville impériale de Constantinople, nouvelle Rome, les interventions de Constantin et de ses successeurs se firent de plus en plus pressantes, d'autant mieux que les évêques de ces contrées se conduisaient bien souvent comme des évêques de cour.

                                              

   Pour revenir à notre sujet, le conflit entre saint Athanase et l'empereur Constance II, qui soutenait le parti arien, nous offre une magnifique déclaration de laïcité sous la plume de saint Osius de Cordoue, que l'empereur tentait de séduire par des cajoleries et des menaces pour condamner Athanase et le concile de Nicée. Saint Athanase l'a insérée dans son histoire des ariens:

"… Souvenez-vous que vous êtes un homme mortel <> ne vous ingérez point dans les affaires ecclésiastiques. Ne prescrivez rien la dessus. <> Dieu vous a donné le gouvernement de l'empire, et à nous celui de l'Eglise. Quiconque ose attenter à votre autorité, s'oppose à l'ordre de Dieu. Prenez garde de vous rendre coupable d'un grand crime en usurpant l'autorité de l'Eglise. Il nous est ordonné de rendre à César ce qui appartient à César, et à Dieu ce qui appartient à Dieu. Il ne nous est pas permis de nous attribuer l'autorité impériale. Vous n'avez, non plus, aucun pouvoir dans le ministère des choses saintes".

 

Saint Athanase commente cette lettre en posant la question de la légitimité de Constance, qui prétendait le poursuivre en exécution d'une sentence d'évêques réunis à Nicée en 360.

 " Si c'est une sentence d'évêques, quel intérêt y a l'empereur? <> Depuis quand une sentence d'Eglise reçoit-elle de l'empereur son autorité? Il y a eu bien des synodes jusqu'ici, mais ni les pères n'en avaient jusqu'ici saisi l'empereur, ni l'empereur ne se mêlait des choses d'Eglise".

 

   Plût au ciel que les attendus de saint Athanase fussent  historiquement incontestables, du moins posent-ils bien la question des relations de l'Eglise et de l'Etat.

 

    La suite de l'histoire nous montrera que la sagesse de l'édit de Milan, d'Osius de Cordoue et de saint Athanase n'a pas prévalu. L'Eglise d'Egypte, à partir de saint Dioscore, a essayé de sauvegarder le principe de séparation de l'Eglise du pouvoir politique.   

 

                                                                                                          +E-P, 2011          

Laïcité