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                                            La question de Job

avertissement: le texte ci dessous est en forme orale et manque de la rigueur technique de l'écrit. Il s'agit d'une transcription d'une conférence du père Elias-Patrick devant le groupe biblique oecuménique de Clermont l'Hérault en 2009

 

Préliminaire:

Il ne faut pas manquer d'air pour commenter Job. Dieu lui-même dit à propos du bavardage des amis de Job: "je ne vous traiterai point selon votre folie; car vous n'avez pas parlé de moi avec justesse" .

Priez donc…pour que je n'entende pas le même reproche. Ou pire encore celui de Voltaire. "Mon ami Job, tu es un grand bavard, tes amis encore plus. Dieu les a condamné pour leur bavardage, moi parce qu'ils ne sont pas venu à ton aide".

Oui les bavards ont conduit Job jusqu'à la limite du blasphème. Prenons garde à l'esprit de  paroles faciles…Que notre charité soit agissante et non sentencieuse.

Plan:

0. Le livre de Job, introduction

1. L'énigme du mal et l'apport du livre de Job

2. La conversion de Job:

3. la Providence

4. La providence dans le livre de Job

 

0. Le livre de Job, introduction

Conte oriental. Selon une tradition talmudique, c'est une parabole:

Le livre de Job raconte l’histoire d’un homme intègre qui "craint Dieu " (1,1) et qui est mis à l’épreuve pour vérifier si son attitude est vraiment désintéressée (1,1 – 2,10). Apprenant les malheurs de Job, trois amis, Éliphaz, Bildad, et Çofar, viennent le consoler; un dialogue à caractère poétique s’engage, au cours duquel chacun offre son explication des souffrances de Job (2,11 – 31,40).  Job, cerné par des théories qui n'ont rien à voir avec la réalité tente d'y répondre. Vient ensuite un quatrième personnage, Elihu, qui propose sa propre interprétation (32,1 – 37,24). Enfin, Dieu lui-même se manifeste et amène Job à situer son malheur sur l’horizon plus large de l’action divine dans la nature (38,1 - 42,6). L’histoire se termine par un bref récit qui décrit la réhabilitation de Job (42,7-17).

1 L'énigme du mal et de la souffrance gratuite et l'apport du livre de Job

 

La mentalité de l'homme primitif l'amenait à penser que la fidélité aux dieux garantissait le bonheur. À l'inverse la souffrance et le malheur devaient s'interpréter comme des punitions pour des fautes et des négligences commises. Les dieux en personne amenaient le châtiment sur l'individu, ou encore le dieu personnel suspendait sa protection, laissant aux démons le champ libre.

Mais dès l'époque de la IIIème dynastie d'Ur (2100-2000) on s'avisa que les faits souvent démentaient le principe. L'énigme du juste souffrant commença d'affleurer dans les textes. On remarqua de plus en plus que les dieux parfois rompaient leur contrat avec les hommes, et l'on tenta plusieurs explications pour rendre raison de cette injustice. Tout en implorant des dieux sa délivrance, le juste insiste sur son innocence et même sur l'incapacité, pour les mortels, de connaître "la voie du dieu". L'homme au savoir limité ne peut distinguer le bien du mal. Il est laissé sans remède dans son ignorance, et par ailleurs les critères humains de la justice n'ont pas cours dans le monde des dieux.

 

La première Alliance doit aussi répondre à cette question du mal:

1°      Rien n'échappe au pouvoir d'Adonaï:. La responsabilité de l'homme n'est pas niée pour autant; elle est même partout implicite, dès lors que l'homme est partenaire de l'Alliance. Mais la Première Alliance philosophe rarement et va à l'essentiel avec son langage sans s'arrêter aux questions secondes, (Nous devons avoir la même attitude à l'écoute des paraboles du Seigneur sous peine de confondre l'accessoire pour la pointe) si bien que certaines expressions, qui allaient de soi dans l'ancien Israël, peuvent heurter le lecteur moderne. Ainsi lorsque Amos, au VIIIème siècle, écrit sans sourciller: "Arrive-t-il un malheur dans une ville sans que le Seigneur en soit l'auteur?" (Am 3,6), il ne cherche pas à insinuer que Dieu agit selon un dessein arbitraire ou sadique, mais veut simplement affirmer qu'il est vain d'en appeler à de faux dieux, puisque le Seigneur, à lui seul, contrôle toutes les choses humaines: le malheur n'arrive pas sans une cause, que Dieu connaît toujours.

On trouve encore après l'exil des expressions de même tonalité; par exemple en Is 45,7: "Je façonne et je crée les ténèbres, je fais le bonheur et je crée le malheur; c'est moi, Adonaï, qui fais tout cela". À quoi fait écho Ben Sira' au IIème siècle: "Bonheur et malheur, vie et mort, pauvreté et richesse, tout vient du Seigneur" (Si 11,14).

2°      On relève souvent dans la Bible, spécialement dans le Pentateuque, des traces de la vieille mentalité clanique: les fautes commises par l'individu sont volontiers reportées sur sa famille, sa tribu ou sa descendance (Ex 20,5; Dt 5,19; 7,10). Il faudra attendre la période de l'exil pour voir les prophètes soutenir vigoureusement la thèse de la responsabilité individuelle (Jr 31,29s; Ez 14,12-20; 18; 33,10-20; cf. Dt 24,16).

 3°      C'est seulement dans le courant du IIème siècle av.J.-C. que s'est imposée progressivement l'idée d'un au-delà bienheureux et d'une revivification des corps. Jusqu'à cette période tardive, le croyant confronté à la mort n'avait d'autre certitude que la perspective désolante du Sheol.

Non pas le néant absolu, mais une demi-existence malheureuse et terne, sans relations, sans projets, sans lumière, dans le monde souterrain des trépassés. Il est vrai que dès le Vème siècle cette conception du Sheol laissait les esprits insatisfaits. Job, par exemple,: "L'homme qui est mort, où donc est-il?" (Jb 14,10.

4°      Pour les hommes de l'Ancien Testament, la rétribution du bon et du méchant ne pouvait avoir lieu que sur terre. Au moins jusqu'au retour de l'exil la sagesse traditionnelle ira répétant avec force la même thèse: la rétribution temporelle est infaillible et contrôlable. Si l'impie n'est pas puni dans sa propre existence, il le sera à coup sûr dans ses enfants. En durcissant ce principe, on en tirait deux corollaires désespérants: le bonheur et la réussite manifestent toujours la bénédiction de Dieu; la souffrance et l'échec sont toujours signes d'une culpabilité.

On peut s'étonner que des thèses aussi rigides aient résisté si longtemps aux nombreux démentis de l'expérience. Seuls le traumatisme collectif de l'exil et la véhémente contestation du livre de Job parviendront à ébranler  (peut-être) les vieux postulats qui ont la vie longue.

 

2. La conversion de Job:

La conversion de Job nous concerne tous. Nous devons changer d'état d'esprit et abandonner l'idolâtrie. L'idolâtrie consiste à réduire la divinité aux dimensions de notre intelligence ou encore à considérer nos rapports avec le Dieu vivant comme si nous avions des droits et des devoirs, et Dieu aussi dans les mêmes conditions.

Conversion à un nouveau type de rapport à Dieu. Alors que Job vit au départ dans un contexte où la relation à Dieu se situe sur le registre du donnant-donnant, Job sera amené découvrir le visage « du Dieu saint Haqqadosh avec lequel la relation se vit dans la gratuité.

 

Un Dieu saint, différent de ce qu’il avait imaginé, différent de ce qu’enseignait la théologie de la rétribution de son temps. Un Dieu d’amour, qui s’offre à la liberté humaine et qui libère l’humain de l’exigence de se justifier lui-même devant Dieu.  Ce long et douloureux processus de conversion sera rendu possible pour Job en passant par une grave épreuve et à travers une expérience de rencontre de Dieu.

 

C'est désolent de le constater, mais aujourd'hui encore, nous sommes prisonniers, nous chrétiens, les philosophes et mêmes les théologiens,  de conceptions archaïques réductrices qui en posant mal les questions,  donnent une réponse médiocre.

Et enfin, les épreuves de la vie nous rendent parfois, avec la grâce de Dieu, plus circonspects dans nos certitudes, puis ouvrent notre cœur à la foi, la vraie, l'emouna.

La fine pointe du livre de Job se trouve dans  la confiance inébranlable au Dieu vivant.

 

Avant d'en arriver là, examinons donc ce que nous enseigne le livre de Job sur

 

3. la Providence

3.1 L'Eglise orthodoxe dit plutôt oeconomia: gouvernement divin. Ce gouvernement divin est le projet de Dieu sur sa création. Il consiste à accompagner la liberté humaine pour le réaliser dans l'histoire. Ce gouvernement s'exerce avec la même fermeté et affection  que celui de la bonne gestion de la maison. Pour l'hébreu, l'Economie se rapproche de la vigilance bienveillante (hachgahah) qui est le concept selon lequel Dieu a la connaissance et la maîtrise de toute existence dont il est le Créateur. Ainsi non seulement connaît-il et contrôle-t-il toute chose, mais de plus il aime toutes ses créatures, se préoccupe de leur sort, étendant sa hachgahah, sa "surveillance" au-dessus d’elles. (nous comprenons mieux ainsi la fonction apostolique de "surveillant", traduction littérale de  épiscopos évêque)

3.2. La chute est venue imprimer un cours nouveau à l'Economie.

Au lieu d'un placide progrès vers la plénitude de la gloire des Enfants de Dieu, la création toute entière gémit dans l'attente de l'enfantement des jours nouveaux. L'Economie se place sous le signe de la rédemption, de la réparation de ce qui fut brisé par la chute: la relation simple et confiante entre la création et son Créateur. La chute est caractérisée par le manque de confiance en la Parole divine.

 

3.3. Le Théanthropos par son union hypostatique se subordonne (récapitule) toute la création et rétablit la communion.

 

3.4. L'Economie c'est aussi "la création permanente". En Dieu nous avons la vie, le mouvement et l'être. "La main d'Adonaï a fait toute choses, il tient dans sa main l'âme de tout ce qui vit et le souffle de tous les hommes" Job 12, 9-10.   Nous pouvons appliquer cette création permanente à la synergie: Dieu coopère à toute activité humaine. "C'est Dieu qui opère en vous le vouloir et le faire selon qu'il lui plait". Philipp. 2,13

 

3.5 Dieu intervient aussi directement dans le cours des choses. Il donne la Torah, établi l'Alliance, envoie son Messie comme rédempteur. Il juge les choses et les êtres. Ses interventions dans l'histoire sont appelées par les Ecritures: les jugements de Dieu.

 

3.6   Il n'est pas étonnant qu'à partir de ces principes, du jugement de Dieu, de la justice divine, de la rétribution,  se soit posée la question de la puissance du mal et celle de la souffrance du juste. Nous revoici à Job.

 

4. La providence dans le livre de Job

La tradition juive est riche d'enseignements sur le sujet mais pas toujours en cohérence, pour résumer le talmud, nous nous arrêterons à Maïmonide, qui ouvre le débat avec les philosophes et discute de la providence dans son Guide des égarés, écrit au 12e siècle, en Égypte. Au chapitre III:17-18, il résume cinq théories sur la providence proposées avant lui, puis donne son opinion.

  1. Épicure. Il n'y a aucune providence parce qu'il n'y a aucun Dieu.
  2. Aristote. Dieu exerce la providence, mais seulement en ce qui concerne les choses stables et permanentes. Il y a une providence générale qui s'applique aux diverses espèces, mais pas à leurs membres individuels, qui ne sont pas à l'abri des événements nocifs ou des effets du hasard.
  3. École Ash'arite de la théologie islamique. La providence consiste en l'exercice de la volonté de Dieu, qui ne peut pas être comprise ni remise en question. Par conséquent, Dieu peut faire souffrir le juste et faire prospérer le méchant sans que nous ne puissions discerner les raisons pour lesquelles il agit ainsi.
  4. École Mu'tazilite. Toutes les actions de Dieu dans le monde sont dictées par la sagesse. Si le juste souffre, c'est parce que Dieu l'éprouve afin de lui donner l'occasion d'obtenir une plus grande récompense dans le monde à venir.
  5. Notre Torah. Le principe qui sous-tend le rapport de Dieu avec le monde est celui de la justice. La providence, donc est "le résultat des mérites de l'individu, selon ses actions." Ceci implique que la bonne fortune de certaines personnes est toujours une récompense pour leurs bonnes actions. Leur souffrance est toujours punition pour le péché.

Le point de vue personnel de Maïmonide combine l'opinion d'Aristote avec celle de la loi juive. Aristote à raison en ce qui concerne l'ensemble des créatures à l'exception de l'être humain, qui est régi par la providence de la manière dont la loi le précise. 

Pour Maïmonide, il y a deux catégories hiérarchisées de justes: l'homme intègre et droit, craignant Dieu, et se détournant du mal" tel Job au début du livre et celui qui connaît Dieu et s'abandonne dans sa main tel Job après sa conversion .

 

Maïmonide s'explique un peu plus lorsqu'il commente le dialogue de Job avec ses amis.

Job représente le point de vue d'Aristote, qui dit que la providence concerne les espèces en général, mais pas les individus. 9,22-24 & 30,22,24 &

Eliphaz représente l'opinion de "notre loi," qui indiquerait que Job est puni pour ses péchés. 4, 7-8 & 4,17-19 & 4, 17 & 15,16 &

Bildad représente la perspective des Mu'tazilites qui interprètent la souffrance dont Job est affligé comme une épreuve qui lui donne l'occasion de gagner une plus grande récompense dans le monde à venir.

Tzophar après s'être rangé à l'opinion commune, celle l'Eliphaz,  prend la position de l'Ash'arites, pour lesquels la douleur du Job est due à la volonté arbitraire de Dieu, ce qui rend futile toute tentative d'en saisir la signification. 11,10-11 &

Elihu donne un avis correct sur la providence, 33, 14-18 & 33, 26-28, 34, 10 & 35, & 37,23

 tout comme Dieu lui-même. 38,

Maïmonide parle ici de l'intervention d'un ange, un événement qui peut arriver seulement deux ou trois fois dans la vie d'une personne; mais il est possible que cet ange ne soit qu'une force naturelle.

Dieu enseigne à Job les limites de la connaissance humaine au sujet de la providence divine: "Où étais-tu quand je fondais la terre? Dis-le, si tu as de l'intelligence. Qui en a fixé les dimensions, le sais-tu? Ou qui a étendu sur elle le cordeau?" (38,4-5).

Job admet alors qu'il ne savait rien de Dieu, mais qu'il en a maintenant une nouvelle compréhension intellectuelle : "Mon oreille avait entendu parler de toi; mais maintenant mon oeil t'a vu. C'est pourquoi je me rétracte et je me repens sur la poussière et sur la cendre" (42,5-6).

Au début du livre, Job commence donc par s'exprimer avec un point de vue traditionnel sur la providence; mais il découvre ensuite que "le bonheur vrai" réside dans "la connaissance de la divinité" et qu'on ne peut "être troublé de nulle façon par aucun de tous les malheurs" qu'il a éprouvé. Ainsi Job se repend de s'être attaché aux choses matérielles et d'avoir pleuré leur perte. Maintenant il sait mieux.

 

Le rabbin Solomon Freehof (1958) suggère que l'auteur de Job n'a aucune solution à offrir au problème amer de souffrance des justes. Il veut simplement nous guérir de notre assurance qu'il existe une solution automatique à ce problème, quelle qu'elle soit. Nous devrions garder un esprit ouvert sur ce problème.

 

La liturgie orthodoxe utilise avec prudence le livre de Job.  Pour la question du juste souffrant, l'Eglise orthodoxe garde la retenue de Jean 9, au sujet de l’aveugle né: " Qui a péché? Ni lui ni ses parents, mais afin que les œuvres de Dieu soient manifestées ".

Et Luc 13, 1-4. les galiléens dont le sang dut mêlé avec celui des sacrifices et les 18 de la tour de Siloé, grands pécheurs? Non mais si vous ne changez pas d'état d'esprit, vous périrez tous de même.

 

Elle voit donc dans le livre de Job un appel urgent à la conversion et à se tourner vers Dieu  Téchouva = conversion,  avec confiance. Un verset de l'office du carême dit:

"Si l'homme juste et sans reproche, tel Job, ne put éviter les atteintes et les pièges du tentateur, que sera-ce de moi, infirme, triste jouet du péché, si tu ne viens à mon secours, ô Sauveur de la création".

 

Job est l'icône du juste qui dans les épreuves de la vie, n'accuse pas Dieu et refuse aussi une conception archaïque de la souffrance comme punition des fautes.

Nous ne pouvons nous prévaloir de la justice de Job, mais comme lui, dans les épreuves de la vie, nous confessons: "qu'importent la douleur, la dureté du malheur qui nous éprouve, Dieu ne nous abandonne pas".



Job, le mal, la providence