http://coptica.free.fr

Un jeûne libre et pacifique

 

Le jeûne est un commandement divin (Genèse 2, 17). le Seigneur limite nos premiers pères dans leurs rapports avec la création. “Tu ne mangeras pas...”. Ce qui fait dire à saint Basile le grand: Le jeûne a le même âge que l’humanité, il ne peut être aboli, car il a été institué en paradis” (1)

 

                          

 

Dans la période vétéro-testamentaire, nous voyons le peuple juif ou certains de ses membres comme Daniel, David, Néhémie, s’infliger des jeûnes en dehors du jeûne de Kippur, fête des expiations, soit en signe de deuil, pour implorer la miséricorde divine, sa protection, soit pour s’approcher de la lumière divine (Daniel 10, 3).

 

Le jeûne pouvait être l’abstention totale de nourriture: David fit un vrai jeûne (2 Sam. 12,16) ou la privation de la nourriture agréable: la viande et le vin (Dan. 10, 2.3).

A ce jeûne corporel, les prophètes exigent aussi et en même temps la conversion du coeur, mais jamais les prophètes n’ont voulu substituer cette conversion intérieure aux mortifications corporelles. Ils luttaient simplement contre la tendance trop naturelle de la plupart des croyants à se tenir quitte de leurs obligations envers Dieu et la communauté, par des pratiques sans âme et la multiplication des gestes et des mortifications ostentatoires. Le coeur pouvait alors s’endurcir sans inquiétude.

La pensée hébraïque conçoit et traite l’homme tel qu’il est, corps animé et âme incarnée: en aucun cas les prophètes n’ont enseigné un jeûne “spirituel” qui ne soit pas aussi privation corporelle.

 

Dans le Nouveau Testament, le jeûne inaugure le repentir, l’élévation spirituelle.

Le Seigneur Jésus porte pour lui-même, à l’extrême, la rigueur du jeûne avant de commencer son ministère publique -Math. 4, 1-11, Marc 1, 12.13, Luc 4,1.3-.

 

            

Dans sa prédication, il demeure fidèle aux conceptions traditionnelles: aumône, prière, jeûne -Math. 6, 2-18-, pourtant ses disciples et lui même n’apparaissent pas aux yeux des pharisiens, comme des grands jeûneurs, on traitera même le Seigneur de glouton! ( Math. 11,18.19)

 

   

 

Les actes et les paroles du Seigneur nous montrent le chemin du pardon et de la déification. Christ apparaît comme le libérateur à l’égard du jeûne, comme d’autres pratiques pesantes de la Loi mosaïque. Mais, en vérité, il n'annule pas, il parfait.

 

Les disciples de Jésus reçoivent la loi transfigurée, leur jeûne désormais, à l’instar de tout rites et actes ascétiques, ne se conçoit qu’en relation au mystère de la Pâque du Seigneur. La prime tradition du jeûne chrétien aura une signification eschatologique (Math. 9, 15, Marc 11, 19.20).

 

La croix et la mort du Christ sont le centre et l’axe de la vie chrétienne.

 

                              

C’est à la lumière de la croix vivifiante que le jeûne trouve sa signification et toute sa valeur. Pas de résurrection sans le passage par la croix qui parmi d’autres choses signifie la réalité que l’homme doit accepter dans sa vie.

Les passions doivent être crucifiées par les divers moyens de sanctification avec deux instruments: la joie et la liberté.

 

Dieu aime qui donne joyeusement (Mat.6, 16.18, 2 Corint. 9,7).

La liberté ne doit pas être un prétexte pour vivre selon la chair.

La liberté exige du discernement -Rom. 12,3.4- et de la bienveillance à l’égard des plus faibles -Rom. 12, 2-4-. Aussi, en matière de jeûne, je me permettrai de dire: laissez vous guider spirituellement, ne faites rien par vous-mêmes.

Le vrai jeûne disent les pères, consiste à aliéner le mal (le péché) par la diminution de la nourriture qui nous aidera à “mourir au monde” et nous tourner vers Dieu.

Le jeûne sans repentir n'a aucune valeur, lance saint Basile.(2)

Toutefois, l’Eglise, en Mère attentive n’impose pas ce qui ne peut être supporté par ses enfants. Avec un des tous premiers écrits chrétiens, la Didaché, elle conseille “ Si tu peux supporter le joug du Seigneur dans sa totalité, tu seras parfait, si tu ne peux pas, fais ce dont tu es capable. En ce qui concerne le jeûne, supporte selon ta force.” (3)

 

Jean Cassien insiste sur l’impossibilité de fixer à tous la même règle, le grand Antoine mettra en exergue la vertu de discrétion:

                  “ la voracité comme les jeûnes excessifs font le même mal...”

 

Les pères du désert éviteront de fixer des règles, laissant chacun à sa propre conscience et au discernement du père spirituel. Ils se méfient de la forfanterie et de la vaine gloire et précisent que sans l’aide de Dieu, l’homme ne saurait triompher.

“ Ne pensez pas que votre entrée et votre progrès dans le service de Dieu soit votre oeuvre, ils le sont d’une puissance divine qui vous assiste toujours” -saint Antoine, à ses disciples.- (4)

 

Pourtant, pas de victoire sans violence spirituelle, et cette tension ne doit pas être relâchée, notre grand Antoine dit: “rien n’est jamais acquis”.

 

Le jeûne a pour premier but d’éviter la perte de la conscience de notre état de pécheur et de s’illusionner sur notre avancement spirituel. Il est une limitation volontaire des besoins qui dispose le corps à la lutte spirituelle.

Isaac le syrien conseille:

          “si tu as le ventre plein, ne t’occupes pas des affaires du Seigneur”.(5)

 

La nourriture est notre communion à la chair du monde écrit le père Serge Boulgakof. Aux premiers temps l’homme était végétarien (Gen. 1,29), en transgressant l’interdit divin et en ne limitant pas ses désirs, il est chassé de l’Eden. Le monde s’emplit de violence, le Seigneur doit se résoudre à utiliser aussi la violence du déluge. Après cet épisode, il concède à Noé et ses descendants de se nourrir de la chair des animaux. (Gen. 9, 4) Isaïe verra la fin de cette concession aux temps messianiques: “Le lion comme le buffle mangera du foin” -6, 7-.

La Torah mettra des garde-fou à la concession: l’interdiction de manger la viande avec son sang (Gen. 9,4,), la protection de l’animal contre la brutalité de l’abattage, la condamnation de la chasse, l’extension du repos du sabbat à l’animal domestique.

 

Toute la tradition orthodoxe, depuis toujours, n’envisage pas le jeûne seul, comme un absolu en lui-même.

S’abstenir de la nourriture des animaux limite nos rapports de mort avec la nature et anticipe le retour à l’état édénique, selon le mot du patriarche byzantin d’Antioche Ignace IV, c’est véritablement passer d’un rapport de vampirisation de la nature à un rapport eucharistique. (6)7

 

                                       + père Patrick-Georges Bernardin  (2011)

 

Bibliographie: 

1. “sur l’origine de l’homme, hom. 11 sur l’hexameron, S.C. n° 26 bis

2. homélie sur le jeûne

3. in les Pères apostoliques. Point sagesse 22, Seuil 1980

4. les citations de saint Antoine sont tirées des ouvrages suivants:

-Bouyer L., vie de saint Antoine, spiritualité orientale 22, Bellefontaine 1977

.- saint Athanase, Antoine le Gd. père des moines, foi vivante 1989

.- Deseille Placide., l’Evangile au désert, YMCA press 1985

5. Isaac le Syrien, Recueil de Sentences,1949

6. Sauvegarder la création, mieux l’embellir, la spiritualiser, la transfigurer. SOP n° 137 ou  supplément lettre de saint Elie n° S 5. avril 1989

 

© lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie N°64     Mars 1994

 

jeûne libre