"Pourquoi Dieu est devenu chair"

selon saint Athanase  

 Je vous invite à relire l'article "Pourquoi Dieu c'est fait chair selon saint Irénée" pour vous remettre en mémoire la lumineuse doctrine de saint Irénée à propos de l'incarnation du Logos. L'œuvre de saint Irénée, bien que datée du 2è.siècle, est pour nous un pur diamant parfaitement taillé réfléchissant parfaitement le Mystère éternel, il n'y a rien à ajouter ni à retrancher.

Pourtant des esprits impudents se sont essayés à rationaliser le mystère en posant des questions certes légitimes mais aussi hélas en donnant des réponses définitives comme si le secret de Dieu devait se réduire  à ce que la logique intellectuelle puisse  accepter. Ainsi les ariens, à la suite des juifs et prédécesseurs de l'Islam, refusent que le Dieu vrai puisse avoir un véritable Fils et que ce véritable Fils, vrai Dieu, engendré du Père céleste  avant le temps, se soit fait chair dans le temps, c'est à dire homme parfait. 

Notre père parmi les saints, Athanase l'apostolique,  au 4è. siècle,  consacre toute sa vie à la confession de la foi orthodoxe sur la parfaite divinité et parfaite humanité de Jésus, notre sauveur.

 

Ce temps de Noël nous donne l'occasion de relire Athanase, Patriarche d'Alexandrie, à la lumière de son prédécesseur Irénée, évêque de Lyon.

En effet, au fondement de la lecture qu'Irénée fait de l'homme, il y a la conscience toujours présente et réaffirmée que l'homme n'a pas été créé accompli, parfait, mais que la liberté lui a été donnée de parcourir ce chemin de la perfection où Dieu l'appelle. Or, rendu incapable de le parcourir seul à cause du péché, le Fils unique a été envoyé pour le conduire vers son Père, pour le rendre capable de retrouver la ressemblance à Dieu qui lui avait été donnée et qu'il avait perdue lors de la chute.


C'est le Christ, Logos de Dieu, qui est au centre de ce mouvement, puisqu'il descend vers l'homme pour remonter vers son Père en entraînant l'homme avec lui. En lui, "la chair s'habitue à l'Esprit, et l'Esprit à la chair". Aussi ce même Esprit peut-il reposer sur l'homme qui veut bien l'accueillir, lorsque le Christ l'envoie sur tous les hommes après sa Résurrection. Alors l'homme devient, peu à peu et par la grâce du Père, capable d'incorruptibilité, "la chair se conforme à l'Esprit". Aussi, l'homme devient-il progressivement semblable au Fils, tout à l'écoute de l'Esprit du Père, et retrouve la ressemblance qu'il avait perdue.   Telle est selon la volonté du Père, la promotion de l'homme en Jésus-Christ.

 

Nous allons reprendre la question avec saint Athanase et retrouver avec quelques nuances les thèmes de l'évêque de Lyon. Malgré la distance géographique et temporelle des deux évêques, nous y découvrirons la même anthropologie spirituelle bien plus ouverte et radieuse que celle d'Augustin qui a encrassé la Bonne Nouvelle du christianisme.

 

Dieu est le créateur de toutes choses, des armées spirituelles et du cosmos. Dieu a créé Adam, l'Homme, par son Logos, à son image, de telle sorte qu'il puisse posséder la vie en plénitude comme lui-même la possède. La vie est un don que l'homme peut recevoir ou refuser. L'existence de l'Homme vient de cette grâce (don gratuit) et la seule chose qu'Athanase peut dire de la création, de l'homme,  c'est que, sans la grâce de Dieu, ce qu'elle détient en soi, par nature, c'est une tendance à l'entropie, à la mort, retourner au rien que seule l'intervention divine suspend. La différence essentielle entre la divinité et la création se situe dans l'immortalité souveraine pour la première et la possibilité de la mort pour la seconde. 

 

La mortalité pour saint Athanase, n'est pas une blessure due à un péché originel, elle est un état naturel à la condition de créature: L'être créé suppose nécessairement non seulement un commencement mais aussi, si rien n'intervient, un terme final, la créature est éphémère, l'immortalité est proprement et exclusivement divine. -Traité de l'Incarnation, (D.I.) ch.5-

 

C'est le Logos qui nous créant à son image, lui l'icône parfaite du Père, qui veut nous communiquer la vie incorruptible par la connaissance de Dieu. A cet effet l'homme reçoit le noùs, l'esprit humain qui fixé sur Dieu permet à l'homme de s'élever au dessus de sa condition par la contemplation, ainsi comme les esprits angéliques, nourri de la lumière divine, il est admis à vivre dans la familiarité du Dieu - Contre les Nations, (C.I.) chap. 2-

 

Cependant la chute est intervenue dans l'histoire. Le péché depuis Adam fait une belle carrière jusqu'à la fin des temps: Athanase le définit comme le refus de l'Homme, non pas même une action opposée à Dieu, mais le fait d'une paresse mortelle: L'Homme veut s'arrêter à lui-même, il n'éprouve pas le besoin de s'engager dans cette aventure extraordinaire et divine que Dieu lui propose, il se cantonne à sa nature. En se limitant à sa vie biologique, l'Homme blesse sa propre unité, le noùs, l'esprit, qui n'a d'autre fonction que de tourner la personne humaine vers Dieu, entre dans le sommeil mortifère et laisse échapper avec la connaissance de Dieu la vie divine, alors comme dit l'Ecriture, "ils virent qu'ils étaient nus", dépouillés de la contemplation des choses divines. L'humanité conquiert son autonomie par rapport à Dieu et étant placée en dehors de Dieu récolte la mort. - C.N. chap.3 & 4-

 

Si l'Homme va vers la mort, la Vie va à la rencontre de la mort, comme le chante un tropaire de l'Avent. Dieu ne se décourage pas, il met en œuvre son Economie, ce mot signifie pour les théologiens notamment de l'école d'Alexandrie, toutes les actions de Dieu pour accomplir son projet de toute éternité de conduire l'Homme à travers les vicissitudes de l'histoire universelle et personnelle à sa promotion dans la vie divine. Le Logos va pénétrer notre nature pour réparer l'Homme dispersé  et lui rendre son unité intérieure et sa communion avec son créateur.

 

La personne du Logos, par son incarnation, devenant homme complet, corps, âme, noùs-esprit, nous donne de pouvoir triompher de la mortalité, en rétablissant en nous l'image divine, maltraitée par notre autonomie. Cet homme Jésus, réalise d'abord en lui notre Salut. Le Logos devenu Homme, le Théanthropos, éloigne la corruption des hommes, la mort, par le fait qu'il la laisse venir dans son corps et dans ce corps particulier il la domine. - D.I. chap.9-  A l'objection  de savoir s'il était vraiment nécessaire que le Logos s'incarnat et subisse la mort pour la vaincre et en quoi cette mort "divine" nous concerne-t-elle? saint Athanase revient à son anthropologie:

 

Il est nécessaire que le logos devienne homme pour nous sauver parce que la mortalité n'est pas extérieure à notre nature, la mort définitive est inévitable dans la mesure où nous nous sommes voulus en dehors de Dieu. Le Salut, comme la corruption, doit pour être effectif venir du dedans. La mort de tous s'est accomplie dans le Corps du Seigneur et à cause du Logos de Vie qui y était uni sans mélange ni séparation, la corruption et la mort s'y sont évanouies  dans la glorieuse résurrection. La mort de tous que Jésus, le Theanthropos, a accepté n'est pas simplement une mort semblable à la nôtre, de même la mort pour tous n'est pas une mort à la place de tous, mais la mort librement consenti qui délivre l'humanité de la puissance que la mortalité avait sur eux. -D.I. chap. 20 & 44-

La mort de tous, pour tous, pour donner la vie est préparée de toute éternité dans la personne du Logos. Comment? Nous sommes préfigurés en lui, dit saint Athanase, parce que avant les siècles , il a reçu la charge de l'Economie qui nous concerne. Bien que créés dans le temps, nous sommes inclus dans le Logos dans l'éternelle volonté divine: "L'espérance de la vie et du Salut est préparée de toute éternité dans le Christ <> dans le Logos lui-même nous recevons élection, vie, bénédiction spirituelle. De cette manière, nous pouvons avoir la vie non seulement pour un temps, mais demeurer vivants dans le Christ après que la terre, les collines, la figure des réalités actuelles <> soient consommées dans le siècle présent, puisque avant elles notre vie a été fondée et préparée dans le Christ Jésus".- 2è traité Contre les Ariens ( C.A.) chap. 76 –

 

Ainsi si toute l'humanité est préparée de toute éternité dans la personne du Logos, quand il devient homme, il est entraîné dans la fragilité par la chair, mais nous, nous  sommes assimilés à son éternité, par là nous sommes libérés du péché et de la mortalité.

 " Car si celui qui subsiste comme Logos en figure de Dieu a pris la forme de serviteur, l'assomption de la chair n'a pas asservi le Logos qui est Seigneur par nature, mais c'est plutôt la libération de toute l'humanité qui a commencé par le Logos. Celui qui est par nature Seigneur et Logos, par le fait qu'il prend la figure de serviteur, est fait Seigneur de tous et Christ, c'est à dire celui qui doit les sanctifier tous par l'Esprit". -2 C.A. chapitre 14-18-

 

L'action du Logos incarné ne se limite pas à nous libérer puis nous laisser en rase campagne sans savoir que faire de cette liberté, il nous invite à entrer en relation par une participation à une communion d'amour qui constitue le mode d'existence de Dieu. Saint Athanase nous offre alors une paraphrase de la prière sacerdotale du Seigneur en Jean  17:. Ecoutons d'abord l'évangile: "Père glorifie ton Fils afin que ton Fils te glorifie et que selon le pouvoir sur toute chair que tu lui as donné, il donne la vie éternelle à tous ceux que tu lui as donnés. <> Consacre-les dans la Vérité, Ta Parole/Logos est Vérité.<> Que tous soient un comme toi, Père, tu es en moi et que je suis en toi, qu'ils soient en nous, eux aussi. <> Et moi je leur ai donné la gloire  que tu m'as donnée pour qu'ils soient un  comme nous sommes un, moi en eux comme toi en moi, pour qu'ils soient parfaits dans l'Un. <> Que l'amour dont tu m'as aimé soit en eux et moi en eux". 

Athanase l'apostolique remarque  bien sûr, que notre union avec le Père  n'est pas de même nature, sur le même plan,  que celle  du Logos, mais d'une manière analogue. Mais ce n'est pas non plus une union morale plus ou moins vague comme dans les sociétés humaines ou associations fraternelles. Voici la paraphrase:

 

"Le Logos, réellement et véritablement  possède l'unité de nature avec le Père, il convient que nous l'imitions. Dans sa Parole "Moi en eux, et toi en moi afin qu'ils soient parfaits en l'un" le Seigneur demande pour nous quelque chose de meilleur et de plus parfait que ce que nous avions évidemment lorsque le Logos est venu parmi nous et a revêtu notre corps. [Et toi en moi, Père, car Je Suis ton Logos et c'est à cause de cela que tu es en moi: parce que je suis ton Logos, mais moi en eux à cause du corps, de sorte que par toi le Salut des hommes s'accomplisse en moi. Je demande qu'ils deviennent un, selon le corps qui est en moi et selon sa perfection, afin qu' eux aussi deviennent parfaits, ayant avec lui l'unité et étant devenus un en lui, afin que de même que je les porte tous, ils soient tous un corps et un esprit et se rencontrent en un homme parfait]. Car tous participant du même, nous devenons un corps, ayant le même Seigneur en nous". -3 C.A.22-

 

Nous reconnaissons, et l'esprit,  et les mots,  de notre anaphore copte de saint Basile. La communion eucharistique est une véritable participation dans le Corps du Christ de l'humanité à l'unité divine. Cette union n'est certainement pas individuelle mais en communion avec les membres de la Communauté, pour tous et pour tout, avec tout le cosmos.

L'Eglise n'est ni une institution religieuse, ni une hiérarchie administrative, ni même la réunion d'adeptes autour de quelques principes ou valeurs théoriques, c'est le rassemblement autour du Repas eucharistique pour la Fraction du Pain et la bénédiction du saint Calice. Le pain et le vin sanctifiés ne sont plus des objets neutres destinés à la nutrition et à la survie de l'individualité mortelle mais ils sont  "selon le Corps du Logos" relation vivifiante avec le Père dans le Saint Esprit. Avec nos frères, Dieu nous fait partager sa vie et nous acceptons d'exister comme des êtres aimants et aimés.

 

L'objet donc de notre fête de la nativité est le mystère de l'incarnation. Notre chair assumée par le Logos, la chair du Logos, devient un instrument pour l'Economie divine, pour que nous soyons conduits dans les cieux par le Logos étant unis à lui.

"car de même qu'étant de la terre, nous mourrons tous en Adam, nés de nouveau d'eau et d'Esprit, nous sommes tous vivifiés dans le Christ, la chair n'étant plus terrestre mais capable du Logos à cause du Logos de Dieu qui est devenu chair pour nous". -3 C.A. chap.33- 

Noël est le commencement de notre Salut, processus de déification de l'humanité par l'union en Jésus de la divinité avec l'humanité

 

                                                             

 

                                          Elias-Patrick   Noël 2004

 

Bibliographie des ouvrages d'Athanase selon l'ordre des citations:

* Traité (ou discours)de l'Incarnation, (D.I.), S.C. Paris, Cerf, 1973

* Traité contre les nations,(ou les païens) (C.N.), S.C. Paris, Cerf, 1947

* Trois discours contre les Ariens,( C.A.), Migne, P.G. tome 26

 

Cette monographie est fondée sur le travail de Louis Bouyer, l'Incarnation et l'Eglise-Corps du Christ dans la théologie de saint Athanase, Unam sanctam N° 11, Paris, Cerf 1943

 

incarnation du Logos selon saint Athanase