icone du sanctuaire du prophète Elie.     

                                                                                                                                                         Geneviève Leroy scripta

Le juste Guilhem de Gellone

 

 

La petite commune voisine de Montpeyroux, Saint-Guilhem-le-désert, fête cette année 2004 le douzième centenaire de la fondation du monastère de Gellone qui prit ultérieurement le nom de son fondateur: l'abbé Guilhem.

                                         

C'est pour nous l'occasion de faire plus ample connaissance avec ce personnage de légende qui appartient pourtant bien à l'histoire de notre Languedoc, alors Septimanie.

 

Ce que dit l'histoire:

 

Guilhem est la forme romane du nom franc Whilhelm, composé de Whil (volonté) et de helm (tête casquée). En langue d'oil, on dira Guillaume.

Petit fils de Charles Martel, fils du comte Théodoric II (francisé en Thierry), comte d'Autun et de d'Aude son épouse, fille de Charles Martel, il est neveu de Charlemagne.

En l’an 790, Guilhem, est nommé comte de Toulouse et duc d’Aquitaine auprès de Louis le Pieux.

Ce sera le point de départ de la vie publique de Guilhem, qui consacrera les treize années suivantes à conforter les frontières du royaume de Charlemagne. Guilhem s’imposera comme l’un des plus valeureux guerriers de son temps.

                                               

Il mène surtout campagne contre les sarrasins qui menaçaient la Catalogne et la Narbonnaise. Après une cuisante défaite "où il fut glorieusement vaincu" en 793 sur les bords de l'Orbieu près de Lagrasse, Guilhem en 803 reprit Barcelone et chassa les maures de son comté. Cette campagne militaire difficile et victorieuse le fit couronner de gloire. Le courage dans la défaite, puis la victoire s’inscrivent comme le plus important épisode de sa carrière militaire, il fut aussi le dernier car, à son issue, Guilhem choisira de déposer l'épée pour s'armer de la croix.

 

Il avait auparavant vécu dans le mariage, marié en premier avec une princesse wisigothe Khaunagunda puis avec Guibourc dont nous reparlerons à propos de la légende. De ces deux unions il eut au moins dix enfants dont le plus célèbre fut Bernard de Septimanie, comte de Toulouse, marquis de Gothie, époux de Dhuoda. (1)

 

C'est probablement pendant sa vie maritale que le comte Guilhem avait fondé et doté deux  maisons monastiques, simples succursales de l'abbaye d'Aniane, peuplées de quelques moines: Notre-Dame de Casenove à Goudargues au diocèse d'Uzès dans le Gard, et Saint-Sauveur de Gellone au diocèse de Lodève dans l'Hérault.

 

Après un pèlerinage à Saint-Julien de Brioude où il laisse ses armes, imitant l'exemple de son ami Witiza, il renonce au monde pour recevoir la tonsure et l'habit monastique à Aniane.

Il se retire dans les gorges de l'Hérault, puis finit par s'installer dans la solitude du val de Gellone, en 804 au monastère Saint-Sauveur de Gellone. Il est guidé dans sa voie monastique par l'abbé d'Aniane, Benoit de Nursie qui n'est d'autre que l'ami Witiza.(2)

 

 

                                                            

                          Guihem & Benoit d'Aniane, peinture murale de l'Ev. Jean Kovaleski

En se retirant à Gellone, Guilhem apporte l'insigne relique de la vraie Croix, don de Charlemagne à son ancien compagnon d'armes. (un fragment de cette relique recueilli lors de la restauration du reliquaire est déposé au sanctuaire du prophète Elie)

                                                              

Guilhem meurt le 28 mai 812 en réputation de sainteté. Il fut inhumé très simplement dans un oratoire qu'il avait fait construire près de sa cellule, dans un angle du cloître, et dédié à saint Michel.

 

La biographie de Guilhem jusqu'à sa retraite à Gellone nous est connue par les chroniques et annales carolingiennes (3), l'épisode monastique par "la vie de saint Benoît d'Aniane" rédigée par Ardon vers 822, donc dix ans après sa mort. (4). Ce dernier texte  ne nous apprend pas grand chose si ce n'est qu'il mena une vie d'austérité sous le signe de la pénitence et de l'humilité.

                                                      

Ce grand capitaine, devenu moine, restera dans la légende surtout comme le pourfendeur des Sarrasins, sous le nom de Guilhem comte de Toulouse, duc d'Aquitaine, et que la légende appellera Guillaume d'Orange, Guillaume au Courb-Nez, ou Guillaume Fiérebrace. C'est d'ailleurs ce qu'en retiendra l'iconographie la plus ancienne qui représente essentiellement Guilhem sous l'image d'un cavalier armé portant un écu avec un lion héraldique rampant et couronné, et assez souvent un cor, s'y ajoute parfois un étendard fleurdelisé avec le croissant de l'islam.(5) Les chansons de geste du moyen-âge contribueront à sa renommée et à la réputation de son pèlerinage.

 

Ce que dit la légende:

 

Transmise par "la Geste de Guillaume d'Orange", elle est  aussi séduisante que romanesque.  Ce serait à Gellone même, étape importante sur le chemin de Compostelle, que les jongleurs et les trouvères de la France du Nord auraient connu, à travers les récits de moines, l'histoire extraordinaire de ce grand seigneur, vainqueur des Sarrasins, qui a fini ses jours sous l'habit monastique. Séduits par le personnage ils ont chanté à l'envi ses exploits, brodant et ajoutant sans cesse des épisodes fabuleux à la vie guerrière et amoureuse de leur héros; l'épisode monastique est beaucoup moins exploité.

 

Dans l'une des chansons de geste, "le Couronnement de Louis", Guillaume, qui a eu le nez coupé dans son combat contre le géant sarrasin Corsolt, prend la défense du faible Louis contre les traîtres qui prétendent usurper l'héritage de Charlemagne, et assure son couronnement à Aix-la-Chapelle. L'ingratitude de Louis (Louis le Pieux) envers son loyal compagnon est le sujet du "Charroi de Nîmes", où Guillaume, préférant renoncer aux domaines qu'on lui offre de mauvaise grâce, décide de conquérir lui-même par la force et par la ruse ses fiefs sur les Sarrasins, et s'empare de Nîmes.                                             

Dans "la Prise d'Orange", épris d'Oriabel, la belle épouse du roi sarrasin Thiébaut l'Esclavon, il fait non seulement la conquête de la ville d'Orange, mais aussi celle  du cœur d'Oriabel.

Selon un des plus célèbres récits, "le moniage Guillaume", Guilhem aurait épousé par grande passion la sarrasine Oriabel, qui devint la comtesse Guibourc. Un amour merveilleux les unit cinquante ans, et lorsque sa "dame au clair visage" mourut, Guillaume, ne pouvant plus trouver de joie parmi les hommes, vint se réfugier dans une solitude sauvage avec ses souvenirs et son espoir de rejoindre bientôt en paradis celle avec qui "maintes fois il a ri et pleuré". C'est ainsi qu'aurait été fondé Gellone, "reliquaire du plus bel amour conjugal".

 

Parmi les autres chansons, qui toutes ont trait aux combats livrés contre les Sarrasins, citons encore

Aymeri de Narbonne, les Enfances Guillaume, les Alyscans. Toutes ces chansons de gestes datent des XIIè & XIIIè siècle.

 

La Geste de Guillaume d'Orange, écrite en langue d'oïl et diffusée par les trouvères dans tout l'Occident chrétien, connaîtra un tel succès au Moyen Age, que l'imagination populaire confondra vite le saint authentique de l'histoire avec le héros de la légende.

 

Ce que nous devons en retenir:

 

Le juste Guilhem est la figure idéale du saint guerrier combattant les infidèles pour l'amour de la patrie et de la foi. Sa mission chevaleresque accomplie, le guerrier se retire pour lutter contre ses propres passions et conquérir la liberté et la paix du cœur. 

 

En cette année de commémorations patriotiques, nous devons éviter d'oublier que si la guerre est un mal, elle s'impose par la nécessité de ne pas succomber aux comportements nuisibles. Le militaire se caractérise par l'acceptation de sacrifier sa propre vie au service de ceux dont il a accepté d'assurer la défense. Pour imposer la paix, il est souvent nécessaire de livrer bataille.

 

Le chrétien doit aussi livrer bataille avec, selon la recommandation de saint Paul, les armes de lumière pour conquérir la liberté intérieure. Il se met ainsi à l'école de saint Georges, de saint Mercure (abou Seifen) aux deux épées, du juste Guilhem, et de bien d'autres.

+ E-P.

 

Notes et bibliographie:

 

1.Dhuoda est particulièrement connue pour son petit ouvrage d'éducation qu'elle rédigea après l'exécution de son époux: "Manuel pour mon Fils". SC N° 225

 

2. Ce Benoît n'est pas non plus une petite pointure: Encore jeune homme, Witiza, seigneur wisigoth,  au cours d'une campagne en Italie, sauva son frère de la noyade en plongeant dans le Tessin à son secours. Depuis ce jour, il décida d'embrasser la vie monastique. Il devint moine  sous le nom de Benoît en Bourgogne à l'abbaye de Saint Seine. Elu abbé, il fuit cette charge vers le Languedoc et se bâtit un ermitage à l'endroit où le ruisseau Aniane se jette dans l'Hérault. Sa sainteté attire de nombreux disciples, il faut édifier un monastère pour vivre selon la règle de travail, prière, solitude. Benoît collige toutes les règles monastiques et propose aux communautés de se réformer selon la tradition. Il parcourt les Gaules pour encourager les moines, combattre les désordres par la charité et la parole. C'est au cours d'une mission qu'il part vers le Royaume à Aix la Chapelle en 821.

Certains historiens avancent que beaucoup de textes liturgiques gallo-wisigothiques introduits dans la liturgie romaine sont à son initiative bien que cette acclimatation soit attribuée généralement à Alcuin, conseiller de l'empereur.  

 

3. rassemblées par les bénédictins de saint Maur: Scriptores rerum germanicorum, monumentz Germaniae historica, vita Caroli magni de Eginhard

 

4. Vie de saint Benoît d'Aniane rédigé par saint Ardon, son disciple, traduite par l'abbé Cassan, réédition Lacour/rediviva, Nimes 1998

 

5. Jean Nougaret, De Guillaume d'Orange à saint Guilhem de Gellone: essai sur une iconographie à définir. à paraître dans "études sur l'Hérault"

lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie N°190       Septembre 2004 

 

 

 

 

 

Guilhem