Conquérir la paix

Dieu merci, il y a des hommes de paix, il y a aussi des hommes qui parlent de paix, d'humanisme, de fraternité et de liberté, ils ont pourtant le cœur rempli de haine de l'autre quand il est dissemblable, beaucoup aussi dont le vouloir de paix se réduit au désir de confort et d'une certaine lâcheté.

L'homme veut la paix au plus profond de son être mais souvent il ignore la nature exacte du bien qui est la paix.

Au cours de son dernier repas avant sa pâque, le Seigneur Jésus promet que le Père enverra un autre Intercesseur, l'Esprit Saint, et il ajoute: "Je vous laisse la paix, je vous donne ma paix. Je ne vous la donne pas, moi, comme le monde la donne". Jean 14,27. Si nous sommes attentifs, nous comprenons donc que la paix que le Seigneur nous donne est liée au don de l'Esprit.

Ce n'est pas tout à fait la paix du monde qui souvent est le masque de l'égoïsme ou le drapeau de l'utopie. Jésus nous a prévenu: " Ne croyez pas que je sois venu apporter la paix sur la terre, je ne suis pas venu apporter la paix mais le glaive" Mathieu 10,34.

Il n'y a que deux espèces de gens qui soient en paix:  ceux qui n'ont rien compris au mystère de Dieu et qui croient l'avoir   compris, ceux qui mettent leur confiance en l'homme et ont accepté de ne rien savoir sur Dieu. Cette paix fantasmée est paresse de l'esprit. 

Au soir même de la découverte par les femmes du tombeau vide, le ressuscité se montre aux disciples: " Et il leur dit: Paix à vous ! Et ayant dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent quand ils virent le Seigneur.  Jésus leur dit encore: Paix à vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Et ayant dit cela, il souffla en eux, et leur dit : Recevez [l’]Esprit Saint". Jean 20,19-22.

Avant de commenter ce récit, nous allons nous demander en quoi consiste la paix véritable, ce mot hébreu shalom qui s'est affadit en devenant en hébreu moderne bonjour, quoique le" bon jour" ne soit pas rien!   

L'étymologie de shalom nous renvoie à l'idée "d'être intact, complet". Shalom  appelle le bien être de l'existence quotidienne, l'état de l'homme qui vit en harmonie avec lui-même, avec le Créateur et la nature du cosmos. La paix découle de la bénédiction, être en paix et être en bonne santé sont deux expressions parallèles, d'où le lien entre la Paix et le Salut, ce dernier mot évoquant l'action de Dieu pour nous, pour nous amener, ramener à lui, et nous donner le statut qu'il a désiré pour nous de toute éternité. Souvenons-nous que Jésus, signifie "Dieu Sauve".

Dans la Première Alliance, dans le livre des Juges, un des plus violents avec celui de Josué, nous entendons: "Adonaï Seigneur dit [à Gédéon]: "sois en paix et sans crainte, tu ne mourras pas". Gédéon bâtit un autel et lui donna pour nom "Adonaï Seigneur-Paix". Juges 6,24. C'est de Dieu que l'on attend la paix. Tout le livre des Juges montre que le don divin de la paix s'obtient, non seulement par la prière confiante, mais aussi par une activité de "justice". Dieu suscite "des Juges" comme libérateurs, chargés de rétablir la paix qu'a perdue Israël par ses fautes. Jérémie le prophète n'est pas complice des incantateurs de paix: "En plein état de péché, ils osent proclamer une paix durable!" Jr 14,13.  "Paix, paix, et pourtant il n'y a point de paix" Jr 6,14.

Isaïe découvre que la paix véritable n'appartient pas à ce monde mais aux temps eschatologiques, il présente "le prince de la Paix qui donnera la paix sans fin" Is 9,5-6, Michée 5,4 précisera " C'est lui qui sera la paix".

Avec Jésus notre Messie, s'ouvre le temps eschatologique, mais la paix demeure un bien à venir: Pourquoi? Saint Paul nous dit " Etant notre paix, le Christ a fait la paix, il a réconcilié tous les êtres pour lui, aussi bien sur la terre que dans les cieux, en faisant la paix par le sang de sa croix" Col 1,20. C'est parce que nous sommes rassemblés dans un même corps que la paix du Christ règne dans nos cœurs, grâce à l'Esprit qui tisse en nous un lien solide.  Eph 4,3.

Nous avons donc reçu avec notre baptême la plénitude du don de l'Esprit, tout nous est donné, mais tout doit être accepté et se développer à la dimension parfaite par l'adhésion de notre volonté à la volonté divine. Certes, ce n'est pas gagné une fois pour toutes.

En toute honnêteté nous savons bien qu'il y a dans notre vie des moments de grâce et de lumière et aussi des moments où nous ne correspondons pas à notre statut d'enfants de lumière, d'enfants de Dieu. Il ne suffit pas de s'époumoner à chanter "Christ est ressuscité" pour que nous soyons vraiment ressuscités avec lui, c'est-à-dire morts définitivement au péché. 

Chacun peut en prendre pour son compte, et hélas aussi, les Eglises, elles ne savent pas bien comment manifester l'unité du Corps du Christ, les clercs, mais aussi les fidèles, cèdent trop facilement à l'exclusion plutôt qu'au regard dans l'Esprit qui tisse le lien solide.

Certes, tout n'est pas égal ou indifférent dans les confessions de la foi et la manière d'être: il n'est pas interdit de hiérarchiser parmi les offres ecclésiales le degré d'orthodoxie et de catholicité de la fidélité à la foi des apôtres, mais cela doit se faire sans arrogance et avec bienveillance d'un cœur généreux. Dans la tribulation de désaccord de mots et de pratiques devrait subsister la charité, la joie et la paix, qui sont fruits de l'Esprit.

" Et [Jésus ressuscité] leur dit: Paix à vous ! Et ayant dit cela, il leur montra ses mains et son côté. Les disciples se réjouirent quand ils virent le Seigneur.  Jésus leur dit encore: Paix à vous ! Comme le Père m’a envoyé, moi aussi je vous envoie. Et ayant dit cela, il souffla en eux, et leur dit : Recevez l’Esprit Saint". Jean 20,19-22.

Dans l'Office divin, le prêtre offre à de nombreuses reprises la paix: "paix à tous", "Paix à vous". Cette paix est donnée par le Christ, notre vrai prêtre, elle est un état à défendre pour notre intériorité, notre âme; elle est à conquérir pour nos relations avec le monde. Elle est le bien absolu parce que signe de la présence du Christ. Pour exprimer cela, la liturgie emploie la salutation "Le Seigneur soit avec vous" équivalent à "La Paix soit avec vous".

Le Seigneur aussi dans son discours sur la montagne, dit: "Bienheureux les pacificateurs, car ils seront appelés Fils de Dieu"-Mathieu 59-. .C'est pourquoi le chrétien tient, de toutes ses forces, à établir ici et maintenant, la paix, la concorde et la tranquillité.

Rechercher la paix, c’est rechercher en nous-mêmes les causes de la guerre, et remédier aux causes qui font que nos esprits créent toutes souffrances et les imposent à autrui…et éviter qu’elles nous soient également imposées à nous-mêmes. En ce sens c'est un combat permanent de vigilance, une véritable guerre sainte.

Notre père abba Antoine a mené ce combat spirituel dans le désert, lieu de tous les dangers de l'âme, les moines le poursuivent dans les monastères et nous aussi nous n'en sommes pas dispensés. "Qui vit en paix avec lui-même vit en paix avec l'univers" conseille de Marc Aurèle. C'est une autre manière, peut-être, de dire:  "aimer son prochain comme soi-même".

Mais qu'en est-il de la guerre furieuse des hommes entre eux. Elle est la conséquence de la non évangélisation des esprits et des peuples.

Augustin d'Hippone a développé un concept de guerre sainte (devenue avec Thomas d'Aquin guerre juste): "Si nous voulons donc être dans le vrai, disons que la persécution exercée par les impies contre l'Église du Christ est injuste, tandis qu'il y a justice dans la persécution infligée aux impies par l'Église de Jésus-Christ. <> L'Église persécute pour retirer de l'erreur, les impies pour y précipiter".

 Il n'en faut rien croire: jamais l'Eglise ne peut s'autoriser à justifier pour elle la guerre. Jésus avait dit à ses disciples qu'il pourrait faire appel à des légions d’anges pour se sauver de la mort  mais il ne le fit pas, et son Église ne doit pas plus le faire sous aucun motif.

La guerre est toujours illégitime, quand elle est faite au nom d'idéologies. Nul n'a le droit d'imposer ses idées par la force. Les guerres de conquête sont parfois entachées d'impureté, mais pas toujours si on considère la conquête de la terre sainte par le peuple hébreu, même si ce n'est pas nos pages préférées de la Bible. Que dire de la lutte à mort contre Amalec qui est le type du tueur lâche et déterminé?

En occident, au moyen-âge, Thomas d'Aquin a posé les conditions de la "guerre juste": "a) la guerre ne peut relever que de la puissance publique sinon elle est un crime,

b) la cause juste, - notion la plus aléatoire et contestable -,

c) l'intention ne doit pas être entachée de causes cachées mais uniquement orientée vers le triomphe du bien commun."

Les gouvernements ont le devoir de protéger leurs populations. Pour cela, il y a des gens d'armes.

 Sun Tzu le sage chinois, dit: "l’art de la guerre est vital pour l’Etat.

C’est une question de vie ou de mort, la route vers la sécurité ou la ruine".

L'Orient chrétien ne s'est pas privé de faire la guerre mais n'a jamais cherché à la justifier. Les premiers chrétiens refusaient le baptême aux soldats, surtout en raison des cultes païens de la victoire, puis avec la conversion de l'empereur, la discipline fut abandonnée. Toutefois saint Basile, déclare que les soldats qui ont tué dans la bataille doivent  être interdits de communion pour trois ans.

La raison est que la guerre est un mal absolu, les plus grandes valeurs, celle de l’amour du prochain, celle du respect absolu de la vie, sont inversées: le militaire a pour mission de vaincre et le devoir de tuer si nécessaire, en contrepartie aussi, il risque sa vie pour la patrie et le prochain. Enfin, il y a aussi certainement péché dans le combat, il s’apparente inconsciemment à la chasse. D’où la sévérité de saint Basile. Aujourd'hui, le code d'honneur  de la Légion Etrangère dit: "Au combat tu agis sans passion et sans haine".

La paix profonde est un don individuel donné par le Christ ressuscité qui se lève du tombeau de la mort, qui se lève du tombeau de notre cœur déchiré par le péché. Notre cœur peut être le lieu du péché et de la mort par la séparation avec Dieu et le combat que s'y livrent les pensées adverses; il peut aussi être unifié par l'ouverture à la présence du Christ et de son Esprit.

Pour chaque vivant, comme dit Spinoza, "la paix n'est pas l'absence de guerre, c'est une vertu, un état d'esprit, une volonté de bienveillance, de confiance, de justice". Elle est liée à la communion de l'Esprit Saint pour que chaque chrétien soit un envoyé, un apôtre, témoin d'abord par sa vie, puis en paroles, de la vie du Christ, hier et aujourd'hui, demain et dans l'éternité dans son corps qui est l'Eglise sainte.

 + E-P 

(contribution au thème de la journée œcuménique régionale du Languedoc Roussillon du 14 mai 2011)

lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie     N°270,  mai 2011