La fraction du pain, signe de la Résurrection

 

 

Cette veille de la pâque qui tombait cette année un sabbat, une exécution de peine de mort a été accomplie à Jérusalem, celle d'un rabbi qui laissait entendre qu'il était le Fils de l'Homme, le messie, Fils de Dieu.

Le troisième jour après, des femmes qui s'étaient rendues au tombeau prétendaient qu'elles l'avaient vu vivant!

"Or, ce même jour, deux des disciples se rendaient à un bourg, nommé Emmaüs, et ils causaient entre eux de tous ces événements. Tandis qu'ils causaient et discutaient, Jésus lui-même, s'étant approché, se mit à faire route avec eux; mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître. Ils lui dirent : " Ce qui concerne Jésus de Nazareth, qui fut un prophète puissant en œuvres et en parole devant Dieu et tout le peuple; et comment nos grands prêtres et nos chefs l'ont livré pour être condamné à mort et l'ont crucifié. Quant à nous, nous espérions que ce serait lui qui délivrerait Israël; mais, en plus de tout cela, on est au troisième jour depuis que cela s'est passé. Aussi bien, quelques femmes, des nôtres, nous ont jetés dans la stupeur: étant allées de grand matin au sépulcre, et n'ayant pas trouvé son corps, elles sont venues dire même qu'elles avaient vu une apparition d'anges qui disaient qu'il est vivant. Quelques-uns de nos compagnons s'en sont allés au sépulcre et ont bien trouvé (toutes choses) comme les femmes avaient dit : mais lui, ils ne l'ont point vu. " Et lui leur dit : " O [hommes] sans intelligence et lents de cœur pour croire à tout ce qu'ont dit les prophètes ! Ne fallait-il pas que le Christ souffrit cela pour entrer dans sa gloire? "  Et commençant par Moïse et (continuant) par tous les prophètes, il leur expliqua, dans toutes les Ecritures, ce qui le concernait. Ils approchèrent du bourg où ils se rendaient, et lui feignit de se rendre plus loin. Mais ils le contraignirent, disant: " Reste avec nous, car on est au soir et déjà le jour est sur son déclin. " Et il entra pour rester avec eux. Or, quand il se fut mis à table avec eux, il prit le pain, dit la bénédiction, puis le rompit et le leur donna. Alors leurs yeux s'ouvrirent, et ils le reconnurent; et il disparut de leur vue. Et ils se dirent l'un à l'autre: "Est-ce que notre cœur n'était pas brûlant en nous, lorsqu'il nous parlait sur le chemin, tandis qu'il nous dévoilait les Ecritures? "  Sur l'heure même, ils partirent et retournèrent à Jérusalem; et ils trouvèrent réunis les Onze et leurs compagnons, qui disaient :"En vérité, le Seigneur est ressuscité, et il est apparu à Simon. " Luc 24.13-35

                                                                      

Parmi les récits de la résurrection, je pense que celui des pèlerins d'Emmaüs est le plus important pour notre vie spirituelle de chrétiens, car, outre qu'il est une des plus belles pages des Ecritures, il a une portée théologique impressionnante par la multiplicité de ses thèmes:

-le cheminement de la foi,

- l'enseignement des Ecritures

- la rencontre du ressuscité,

- la liberté de l'homme,

- la fraction du pain, signe de la présence mystérieuse du ressuscité,

- la joie chrétienne.

 

La localité d'Emmaüs n'a pas été identifiée avec certitude. Il y a différentes hypothèses, et ceci n'est pas dépourvu de signification, parce que cela nous fait penser qu'Emmaüs représente en réalité chaque lieu:

le chemin qui y conduit est le chemin de chaque chrétien, bien plus encore, de chaque homme.

Sur ce chemin les deux disciples parlent de Jésus, ils sont désemparés par sa mort. Ils ont bien enregistré le message de celles qui l'ont vu vivant et le témoignage des apôtres que les choses étaient bien comme l'avaient dit les femmes… mais eux, ils n'ont pas vu!

 

Dans le dialogue avec les disciples avec ce promeneur inconnu, l'expression que l'évangéliste Luc met sur les lèvres de l'un d'entre eux, nous frappe: "Nous espérions… " Ce verbe au passé dit tout : Nous avons cru, nous avons suivi, nous avons espéré, mais maintenant nous ne savons pas quoi penser, tout ce que nous ressentons est de la tristesse, les choses ne se passent pas comme nous l'espérions.

 

Nous saisissons ici toute la différence entre savoir et croire.  Cléophas, un des disciples sur le chemin, prononce avec justesse l'énoncé de la foi, il est bien renseigné, il sait tout, mais tout lui reste obscur, nous aussi, souvent, nous sommes bien informés des Ecritures, de  l'enseignement de la tradition apostolique, des mystères de l'Eglise, et pourtant cela reste étranger à notre cœur et bien fragile devant les soucis de ce monde. Sur le chemin de la vie spirituelle, la distance la plus difficile à franchir est celle entre notre cerveau et notre cœur.

                                               

Sur nos chemins, Jésus ressuscité se fait compagnon de voyage, pour allumer dans nos cœurs, la chaleur de la foi et de l'espérance, et rompre le pain de la vie éternelle. Mais dans tous les récits de la résurrection comme dans notre vie, c’est le même problème: quand Jésus ressuscité vient à la rencontre de ceux qui le connaissent par l'intelligence de l'intellect ou la catéchèse d'école, eh bien ils ne savent pas que c’est lui, ils ne le reconnaissent pas par leur cœur.

 

Jésus prend la parole, et n'ajoute rien au compte rendu du témoignage de Cléophas, il reproche simplement le manque d'intelligence (d'Esprit?) et le cœur lent (froid, raisonnable?), il rétablit le lien entre sa mort et la glorification. Les disciples ont certainement porté attention aux paroles de l'Inconnu, ils ont même du apprécier la qualité  du conférencier!

Jésus, est là, il s'est fait voyageur sur la route avec eux, il leur parle, et eux ne le reconnaissent pas. Jésus est prêt à continuer la route, il est prêt à les laisser là, il est en attente. Il attend de leur part la décision d'aller plus loin avec eux.

 

"Reste avec nous, car on est au soir et déjà le jour est sur son déclin. ". Et Jésus accepte d'entrer pour partager le repas. L'initiative des disciples évite à la rencontre de tourner court, Jésus ne s’est pas imposé, il respecte la liberté de l'homme, la liberté de le retenir, la liberté de l'accueillir.

Alors, Jésus prend l'initiative de présider le repas et accomplit la bénédiction initiale de tous repas juifs. Certainement, il ne s'agit pas de la simple bénédiction du repas, Luc nous parle de la Fraction du pain, formule qu'il utilise dans les Actes pour nommer le rite eucharistique.

Bien que tous les exégètes ne soient pas d'accord sur ce point pour des raisons hors contexte comme le fait que l'Eucharistie n'aurait pas été célébrée avant la Pentecôte, ou que les paroles de l'institution n'ont pas été prononcées (!), pour les lecteurs de Luc, l'expression "fraction du pain" ne pouvait avoir d'autre signification que celui d'Eucharistie. C'est d'ailleurs toute la pointe théologique du récit: il converge tout entier à la scène finale de la reconnaissance du ressuscité dans le geste liturgique.

Je ne vois pas ce qui pourrait empêcher le Seigneur d'être souverain dans le temps, les lieux et les gestes du don de sa personne toute entière dans l'Eucharistie. Nous ne sommes pas encore dans la forme codifiée par l'Eglise. Jésus rompt le pain, alors ils le reconnurent! Leurs yeux s'ouvrent au mystère, non  pas, ils le virent, cela faisait un bon moment qu'ils le voyaient, ils le reconnurent, et "il disparut à leurs yeux".

Maintenant, les disciples passent de la connaissance extérieure à la foi salvatrice.  Ils adhèrent à la réalité invisible de la présence du Ressuscité, présence bien réelle et non pas morale, ils le reconnaissent dans le signe palpable de sa présence qu'il nous a laissé: l'Eucharistie.

 

Dans toutes nos églises, quand nous nous réunissons de part tous les chemins pour ensemble rencontrer le Seigneur, c'est lui qui prend l'initiative de présider notre office, il en est le véritable célébrant. Une ancienne prière de fraction nous  remet en mémoire la célébration inouïe d'Emmaüs, prototype de la notre:

 

"Ils reconnurent le Seigneur, dans la fraction du pain,

Le pain que nous rompons est le Corps du Seigneur.

La coupe que nous bénissons est le Sang du Seigneur:

un seul et unique mystère. Ils reconnurent le Seigneur, alléluia, dans la fraction du pain, alléluia"

 

Les Ecritures rendent témoignage de l'Economie du Dieu vivant pour que nous soyons des vivants, elles montrent à nos yeux le Christ ressuscité, mais en toute vérité, c'est la célébration de l'Eucharistie qui donne aux croyants le Christ vivant et présent, elle nous unit à lui.

La séparation des éléments du corps et du sang, ne doit plus être interprétés comme un signe de mort: manger, boire sont associés pour signifier la totalité du repas de la communion comme corps et sang sont associés pour évoquer la totalité de la personne, ils ne sauraient plus être séparés dans le Christ ressuscité qui a franchi le seuil de la mort pour entrer dans sa gloire.

                                                 

"Le corps livré" et "le sang répandu" sur la croix et offerts à la cène mystique sont transfigurés par la résurrection et l'entrée dans la gloire. C'est pourquoi celui qui mange le pain consacré et boit au calice vivifié entre dans un rapport d'intimité ineffable avec toute  la personne une du Seigneur ressuscité qui nous livre par là l'Esprit.

Le cœur rempli de l'Esprit est alors tout brûlant. Avec l'Esprit, entre en nous la joie parfaite que rien ni personne ne peut nous ravir.

Jésus nous appelle doucement, comme il appela Marie la Magdaléenne, alors seulement, " elle se retourna ", (son cœur se retourna) le reconnut. Et c'est au moment où il rompt le pain, que les pèlerins d'Emmaüs le reconnaissent  et qu'il disparaît, désormais présent dans l'eucharistie, dans l'Esprit, dans les mystères  de l'Église pour nous source de Vie.

Pourquoi donc  la résurrection reste-t-elle comme secrète? Par respect pour notre liberté. Le Ressuscité ne s'impose pas. Il ne se montre pas aux puissants de ce monde, il se révèle seulement à ceux qui l'accueillent dans la foi et l'amour. Emmaüs nous enseigne que ce n'est pas la résurrection qui provoque la foi, c'est la foi qui permet à la résurrection de se manifester.  

 

 

 

                                                                                                                                   X  E-P                                                   

 

 

 

Bibliographie:

1. dom Jacques Dupont, le repas d'Emmaüs, Lumière & Vie N°31, février 1957

2. Xavier Leon-Dufour, Résurrection du Christ et message pascal, Paris 1971

3. Denis Marion, le repas d'Emmaûs, Esprit & Vie, janvier 1999

Lettre aux amis du sanctuaire du prophète Elie N° 257                                                                                           avril  2010

 

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