Le Baptême du Seigneur

 

                                                              

Jusqu'au 4è siècle, les Eglises fêtaient le 6 janvier la manifestation de notre Seigneur. Cette solennité appelée Epiphanie regroupait la naissance dans la chair du Logos, l'adoration des mages, le baptême dans le Jourdain et la présence du Sauveur aux noces de Cana.

Puis progressivement à Rome, puis à Antioche en 326, ces fêtes se séparent.

A Alexandrie, la fête de la Nativité fut probablement introduite par saint Athanase dix ans plus tard. Ici la liturgie copte lie la naissance du Sauveur  et la venue des bergers à la vigile nocturne, et le jour l'adoration des mages.

L'ancienne liturgie romaine  de l'Epiphanie se souvenait à l'office de Laudes de l'unité des Manifestations du Seigneur:

 

"Aujourd'hui, l'Eglise s'unit à son époux céleste parce que  dans le Jourdain le Christ a lavé ses péchés; les mages courent avec des présents aux noces royales, et les convives se réjouissent de voir l'eau changée en bon vin".

 

Les événements du début du ministère de Jésus sont relatés simplement par les Evangiles; dans la liturgie des Eglises ils ont trouvé leur pleine signification et sont devenus ce qu'on appelle "des fêtes théologiques" dans le sens où le mystère se révèle à chaque célébration de plus en plus et pourtant il est entièrement contenu dans l'expression évangélique et les textes des Offices divin.

 

 La grande fête du baptême nommée Théophanie, "manifestation divine", est pour tout l'Orient "la fête des lumières".

Les orthodoxes posent leur regard sur les faits historiques, et s'attachent avec rigueur sur la réalité palpable à leur corps de chair et aussitôt "les yeux de l'esprit" élèvent leur regard vers une autre réalité, celle des mystères célestes, qui se découvrent par le don de Dieu.

 

Celui que nous avons vu enfant né de la Vierge, Celui qui tient dans ses mains tout l'univers est emmailloté dans les langes comme un mortel; il est Celui qui, dans le principe, affermit les cieux.

 

Dans la fête de la nativité, nous avons vu l'enfant et reconnu en lui, le Logos fait chair pour notre Salut. Nous avons discerné en lui, le mystère de l'unité de Dieu et de l'homme dans un seul être, nous l'appelons avec audace le Theanthropos le Dieu-Homme.

 

Dans la fête du baptême, nous le voyons homme accompli et nous apparaissant clairement comme Dieu parfait de Dieu parfait. L'Evangile de Marc ouvre son récit sur le baptême du Sauveur: "Et il arriva, en ces jours-là, que Jésus vint de Nazareth de Galilée, et fut baptisé par Jean au Jourdain. Et [s’éloignant] aussitôt de l’eau, il monta, et vit les cieux se déchirer, et l’Esprit à la manière d'une colombe descendre sur lui. Et il y eut une voix qui venait des cieux: "Tu es mon Fils bien-aimé; en toi j’ai mon allégresse." -Marc 1,9-11-

Pour les pères cette proclamation est sans aucun doute la proclamation par le Père céleste, le Dieu vivant, de l'éternelle génération  de son sein de Dieu le Logos, qui a revêtu pour nous la chair dans le temps, en ces jours là. Ainsi pour la tradition orthodoxe, ce jour est celui de la véritable fête de la Trinité; "la manifestation de la divinité du Christ par la voix du Père, la scène du baptême manifestent pour la première fois explicitement le mystère de la Trinité" nous dit le grand Origène.

                                                                              

 

Pendant ton baptême dans le Jourdain, ô Christ,  fut manifestée l'adoration due à la Trinité.  Car la voix du Père te rendit témoignage  en Te nommant le Fils bien aimé.  Et l'Esprit, sous forme de colombe  confirmait la vérité de cette parole. Christ Dieu, qui est apparu   et qui a illuminé le monde, gloire à Toi.

 

Mais aussi grandiose que soit cette proclamation, le signe du baptême ne cache pas l'humilité de Celui qui descend dans les eaux. Le Fils bien aimé se fait serviteur. L'humilité de l'enfance était de faiblesse et de dépendance, celle du baptême est encore plus profonde, non seulement le Fils de Dieu est devenu semblable à nous dans la chair mais en ce jour, il montre qu'il prend sur lui la conséquence de la chute, il appartient par sa chair au monde du péché.

 

En ce jour, le créateur du ciel et de la terre s'approche du Jourdain en sa chair  pour demander le baptême, lui sans péché afin de purifier l'univers de la séduction de l'ennemi. Il est baptisé par un esclave, le maître de toutes choses,  et il donne à l'humanité d'être purifiée par l'eau, lui, le Christ notre Dieu et notre Sauveur.

 

Il porte le péché du monde et par là, comme le dit saint Jean Baptiste, il ôte le péché du monde. Le texte grec de l'Evangile dit "Voici l’Agneau de Dieu qui ôte le péché du monde!" Jean 1, 29,  un exégète nous explique aussi qu'en araméen le mot désignant agneau possède aussi le sens de serviteur, et que le verbe rendu par "ôter" peut aussi recevoir le sens de "porter". Nous pouvons donc aussi traduire l'exclamation de Jean Baptiste par "Voici le Serviteur de Dieu qui porte le péché du monde". Il y a ainsi un lien à établir entre Jésus et le Serviteur d'Isaïe.

Le baptême de Christ est bien l'événement initial de notre Salut. Il préfigure le mystère pascal. Jésus Logos Incarné porte en lui toute l'humanité: dans le fleuve du Jourdain récapitulant mystiquement toutes les eaux, c'est pour nous qu'il se fait baptiser, qu'il purifie les eaux pour qu'elle soit l'instrument de notre baptême, et que en lui, le messie, nous soyons vraiment purifiés, sanctifiés, oints de l'Esprit Saint.

 

Celui qui se revêt de lumière comme d'un vêtement, a daigné, pour nous, devenir semblable à nous.  Il se couvre aujourd'hui des flots du Jourdain, non qu'il en ait besoin pour se purifier, mais pour en sa personne pourvoir à notre renaissance.  Il sauve ceux qui sont illuminés en Lui, le Christ notre Dieu, Sauveur.

 

                                                             

 

En venant vers le baptême, c'est vers la croix, que le Christ se hâtait, il inaugurait sa Pâque. Quelque temps plus tard, annonçant aux disciples son passage de ce monde à son Père, il l'appellera "baptême". Car en ces jours là, il va plonger dans le monde de la mort, dans les enfers pour renverser le cours de  notre histoire de péché, d'ingratitude, d'égotisme mortifère. En descendant aux enfers, Christ rompt les portes, les verrous de la mort et renverse la puissance du mauvais. Déjà, descendant dans les eaux, Jésus rend la liberté à la nature et donne à l'élément des eaux la puissance de réaliser en nous le mystère pascal. En préfigurant par son baptême dans les eaux, son baptême dans la mort et sa remontée glorieuse, Christ a rendu le baptême d'eau capable de nous unir à son mystère pascal.

 

La voix du Seigneur clame sur les eaux. Venez, dit-elle, recevez tous l'Esprit de sagesse, l'Esprit d'intelligence, l'Esprit de crainte de Dieu:  Le Christ révélé.

En ce jour, l'élément des eaux est sanctifié et le Jourdain se partage et de ses eaux, il fait revenir les flots,  voyant baptiser le Seigneur.

Dans les eaux, tu es venu, ô Roi Jésus, de la main du précurseur, tu reçois un baptême d'esclave, pour nos péchés, toi l'ami de l'homme.

                                    

Ainsi Christ nous transmet par son baptême, dans notre baptême, le mystère de sa mort et de sa résurrection. Il s'est fait semblable à nous, nous devenons semblable à lui.  Par la chute, nous avions perdu l'Esprit Saint. Ce jour du baptême, l'humanité récapitulée en Christ retrouve la mystérieuse communion de l'Esprit.

 

En ce jour, l'élément des eaux est sanctifié et c'est pour nous que le Christ est baptisé; il remplit notre baptême de lumière, de vie, de sainteté. Il s'est fait la route de l'Esprit Saint sur nous, car l'Esprit est venu vers lui comme sur les prémices de notre race, afin de passer aussi sur ceux dont il partage l' humanité, lorsqu'ils sont rendus parfaits par le baptême. Vous tous qui avez été baptisés en Christ, vous avez revêtu le Christ. A lui, gloire et puissance dans les siècles. Amen.                         (Saint Sévère d'Antioche)

 

Le Christ, en son baptême renouvelle l'humanité pour sceller le mystère de l'union. Dans le Jourdain, l'Eglise a été fiancée au céleste époux. Il a imprimé sur elle l'adorable nom de la Tri-unité. Elle attend qu'il achève en elle sa promesse: revenir et la faire entrer dans la chambre nuptiale de lumière. La présence de Christ aux noces de Cana annonce la grande joie.     

                                                 

                        

                                                                                                                                               E-P

 

Lettre de saint Elie N° 218                                                                                                                          janvier 2007

                C’est lui, le Fils bien aimé

 

“Seigneur, dans la fête qui vient de se terminer, nous t’avons vu enfant, et dans celle d’aujourd’hui, nous te voyons homme parfait nous apparaissant Dieu parfait de Dieu parfait”

                                (.bénédiction des eaux au rite byzantin attribuée au patriarche de Jérusalem Sophrone. )

           

Jésus, le Seigneur, dont la conception est due à l’Esprit divin, vient vers Jean pour se soumettre à un rite de purification destiné à des pécheurs qui reconnaissent eux mêmes leur condition.

La  réalité de la condition humaine assumée par le Logos divin fait que jusqu’à son baptême, et en son baptême même, dans son comportement extérieur, Jésus ne s’est pas distingué de ses frères de race.

L’humilité de l’enfance était de faiblesse et de dépendance, il doit fuir l’assassin des Innocents, se soumettre à Joseph le juste et Marie sa mère, à douze ans accomplir le pèlerinage à Jérusalem et y répondre aux questions des prêtres, même si ses réponses les émerveillent.

 

                                               

L’humilité de Jésus lors de son baptême est encore plus surprenante: Non seulement il est véritablement l’un de nous selon la chair, mais aujourd’hui, il veut encore se faire semblable à nous et recevoir “un baptême de repentir pour la rémission des péchés” (Marc 1, 4). Dans les eaux du Jourdain, Jésus commence à porter les péchés du monde.

                                                                                     

Or donc, une fois que tout le peuple fut baptisé, et au moment où Jésus, baptisé lui aussi se trouvait en prière, le ciel s’ouvrit, et l’Esprit, l’Esprit Saint, descendit sur lui sous une forme corporelle, comme une colombe. Et une voix partit du ciel: C’est toi mon fils, le bien aimé, en qui je me complais” (Luc 3, 21-22) 

       

Sous la forme rapporté par l’évangéliste Luc, le logion “Tu es mon fils bien aimé, en qui je me complais fusionne trois textes de la première Alliance référant à la condition du messie.

 

1. “Voici mon serviteur que je soutiens, mon élu en qui je me complais, je lui ai donné  mon esprit, il fera sortir le jugement des nations.” (Isaïe 42, 1)

Dans ce passage,  Adonaï présente la personne et l’œuvre de son serviteur qui avec douceur mais sans faiblesse, exposera aux nations la bonne nouvelle du salut, il est ” destiné à être l’Alliance du peuple et la lumière des nations” . ( v. 6) Jésus, dès le début de son ministère est présenté en sa qualité de messie, non comme un roi puissant mais à la façon du Serviteur.

 

2. “Je publierai la Thora (loi) du Seigneur. Le Seigneur m’a dit tu es mon fils, moi, aujourd’hui je t’ai engendré. (psaume 2)

Ici le ton se fait intime, affectueux, le titre de fils se substitue à celui de serviteur. Dans la première alliance, on pressent un mystère; à la théophanie du Jourdain, se dévoile la relation unique d’appartenance et d’intimité entre Jésus et le Dieu qui siège dans les cieux.

 

3. “ Adonaï dit à Abraham: prends ton Fils,  ton unique, ton bien aimé, et vas au pays de moriyya, là offre le en holocauste...( Genèse 22, 2)

Pour montrer l’ampleur du sacrifice demandé et consenti, Adonaï souligne la tendre dilection du patriarche pour son enfant très aimé.  Au baptême de Jésus, l’insistance porte d’abord sur l’affection du Père pour son Fils bien aimé, mais dans l’ombre apparaît le sacrifice mystérieux du “grand prêtre selon l’ordre de Melchisédech, engendré  du sein d’Adonaï, avant l’aurore de la création “. (ps. 11O, septante:1O9)

 

"Le seigneur suscitera un prêtre nouveau à qui toutes les paroles du Seigneur seront révélées: C’est lui qui exercera le jugement de vérité sur la terre durant la multitude des jours. Son astre se lèvera dans le ciel comme celui d’un roi, resplendissant de la lumière de la connaissance; comme le soleil brille en plein jour, il sera magnifié dans le monde entier. Il resplendira comme le soleil sur la terre, il supprimera toutes ténèbres de dessous le ciel, et la paix régnera sur toute la terre.(...) la connaissance du Seigneur se répandra sur la terre comme l’eau des mers, et les anges de gloire de la face du Seigneur seront dans l’allégresse à cause de lui. Les cieux s’ouvriront et du Temple de gloire viendra sur lui la sanctification, en même temps qu’une voix paternelle comme celle d’Abraham à Isaac.

La gloire du Très Haut sera proclamée sur lui, et l’Esprit d’intelligence et de sanctification reposera sur lui par l’eau. Car c’est lui qui donnera la magnificence du Seigneur à ses fils dans la vérité à jamais, et nul ne lui succédera de génération en génération à jamais. (...) Sous son sacerdoce, le péché disparaîtra, les impies cesseront de faire le mal, et les justes reposeront sur lui.

C’est lui qui ouvrira les portes du paradis, et qui écartera l’épée qui menace Adam. Il donnera aux saints à manger du fruit de l’arbre de vie, et l’Esprit de sainteté sera sur eux.”

( Testament de Lévi, in testaments des douze patriarches, traduit par M. Philonenko, La Bible, écrits intertestamentaires, La pléiade 1987)

 

Comme l’ancienne fête chrétienne de l’épiphanie qui regroupait en une seule solennité les manifestations du Seigneur - l’étoile conduisant les mages, le baptême, le miracle de Cana - ce document de la seconde moitié du 1er. siècle avant la naissance du Sauveur, dont on a retrouvé des fragments araméen dans une guéniza du Caire, puis aussi en hébreu à Qumrân, nous livre l’intelligence de la relation unique du messie, lumière des hommes avec le Très Haut et l’annonce de la manifestation de son ministère de Salut.

 

Saint Luc nous dévoile l’intimité de la filiation divine dans le ton de la prière du christ à Dieu: “Abba, Père”. (14, 36). Dans le récit du baptême, il précise même que l’esprit descendit “alors que Jésus se trouvait en prière”.

                                     

La venue de l’Esprit coïncide avec la prière du Christ, première épiclèse: prière de Jésus et intervention de l’Esprit en réponse. C’est d’ailleurs dans Luc que nous trouvons dans certains manuscrits la variante du notre Père “Vienne ton Esprit” au lieu de “ton règne vienne

                                                                                         E-P.   lettre de saint Elie, janvier 1993   

 

Fête de la Théophanie