Par
abouna Elias-patrick, Le
Seigneur soit avec vous Booz
salue les moissonneurs: le Seigneur soit avec vous,
ils lui répondent : le
Seigneur te bénisse
-Ruth
2,4-. Cette
salutation que nous rencontrons encore quelques fois dans l’Ecriture (1) est
utilisée en abondance dans la liturgie chrétienne particulièrement en occident
mais aussi en Orient, surtout dans la tradition alexandrine où elle ouvre
l'anaphore de saint Basile . Dans
Le
culte chrétien, à la suite des apôtres et surtout saint Paul qui utilise
abondamment le grec Kyrios, identifie ce Seigneur au
Christ. L’assemblée
liturgique présidée par l’évêque ou le prêtre envoyé par l’évêque manifeste la
plénitude de l’église catholique. Le salut de son président exprime la réalité
et l’accomplissement de la promesse du Sauveur : “Voici, moi, je suis avec vous”.
-Math.28,20- L’Orient
accentue encore plus le sens christologique, préférant depuis le IVème siècle la
formule "Paix à vous". Ce
sont les mots même par lesquels le Seigneur ressuscité salue ses apôtres
(2). Les
églises d’Espagne utilisaient indifféremment les deux formules jusqu’au concile
de Braga (Portugal) en 563 (3). Et
avec Ton Esprit L’assemblée
spontanément répond par l’acclamation
“et avec ton esprit”. A
ma connaissance, malgré sa tournure hébraïque attestée par son emploi chez Saint
Paul (4), l’expression “et avec ton
esprit” n’appartient pas au culte
de la synagogue. Elle semble être une création de la communauté chrétienne
apostolique. Saint
Hippolyte, au début du IIIème siècle, est le premier témoin de la tradition
écrite (5). Depuis toutes les liturgies d’orient et d’occident, quelque soit le
salut du président de la célébration connaissent le répons “et avec ton
esprit”. Le
sens obvie est bien entendu, “et avec toi”. Les
tournures sémites aiment employer une partie pour le tout. Jésus par exemple, à
la cène, dit “Prenez
et manger, ceci est mon corps”
pour
désigner sa personne entière, “ceci
est mon sang de l’Alliance”
pour indiquer sa vie offerte pour la vie du monde (6). "Ton
esprit" signifie donc en premier
lieu “ta personne, toi”. Ce
premier sens est satisfaisant et suffisant pour l’intelligence du
répons. Deux
représentants de l’école d’Antioche ont essayé d’aller un peu plus loin et
proposent une explication originale et inattendue qui n’exclut par la première
explication. La
grâce de l’Esprit Saint : Théodore
de Mopsueste (+428), l’ami fidèle de saint Jean Chrysostome (7) nous livre une
première réponse dans sa quinzième homélie catéchétique
(8). “(le
pontife) du mot de “paix” bénit les assistants, et en échange reçoit d’eux la
bénédiction du fait qu’ils disent “et avec ton esprit” (9) Or, ce n’est pas l’âme qu’ils veulent
dire par ce “et avec ton esprit”. Mais c’est la grâce de l’Esprit Saint par
laquelle le pontife a eu accès au sacerdoce, comme le croient ceux qui lui sont
confiés. Ainsi
dit le bienheureux Paul : Dieu que je sers en Esprit dans l’évangile de son Fils
(Rom.1,9) comme si l’on disait : Je sers par le don de la grâce de l’Esprit
Saint qui m’a été donnée pour que je remplisse le service de l’évangile et que
tous, vous vous réunissiez avec mon esprit à moi ; c’est à dire : j’ai reçu de
Dieu d’être en mesure de faire cela et d’autres choses semblables..."
“...
c’est ainsi que disent au pontife ceux qui sont rassemblés dans l’Eglise "Et à
ton Esprit" selon les canons
(règles) posés dès le commencement de l’Eglise ... Tous prient que, dans la
paix, il ait la grâce de l’Esprit Saint, pour qu’il puisse prendre soin de ce
qu’il faut et accomplir comme il convient la liturgie.” L’exégète
Théodore rapproche le répons "et avec ton esprit", du mot esprit (pneuma)
employé par l’apôtre Paul pour désigner la grâce spéciale qu’il a reçue pour le
service (diakonia) de l’Evangile. La
formule “et avec ton esprit”
signifie donc "avec le don de l’Esprit que tu as reçu pour accomplir ton
ministère". Dans
la même homélie, un peu plus haut, Théodore précise la nature de ce don
spirituel (ou d’esprit) : “(ceux
qui accomplissent l’Eucharistie sont) ceux que la grâce divine a élu prêtres de
Dans
l’homélie suivante, Théodore, décrit la communion aux Saints Mystères et précise
avec quels sentiments, ils doivent être reçus : “Quand
tu vois le pontife, à cause de la grâce de l’esprit qui est en lui en vue du
ministère, te donner ce don avec une grande assurance, te faut-il, toi, avoir
confiance, et le recevoir avec grande espérance.” La
grâce de l’Esprit Saint couvre tout de ses ailes : Saint
Jean Chrysostome (+407) alors prêtre à Antioche, dans une homélie pour la fête
de “S’il
n’y avait pas d’Esprit Saint dans le père et docteur commun que voici,
(l’évêque) lorsque, il y a un instant, quand il est monté au saint autel et
qu’il vous a donné à tous la paix, vous ne lui auriez pas tous répondu et avec
ton esprit ... Il ne porte la main aux oblats qu’après avoir demandé pour vous
la grâce du Seigneur, et que vous lui
avez répondu : Et avec ton Esprit. Par
cette réponse vous vous remettez en mémoire que celui qui est visiblement
présent ne produit rien ; que les dons qui sont là, ne sont pas l’oeuvre de
l’homme, mais que c’est la grâce de l’Esprit survenant et couvrant tout de ses
ailes qui accomplit le sacrifice mystique”. (11) L’esprit
est donné aux pasteurs par l’imposition des mains et c’est à cette présence
permanente de l’Esprit que s’adresse l’acclamation et avec ton
Esprit. L’esprit
du souverain sacerdoce : La
prière d’ordination de l’évêque de Les
explications de la formule et avec ton esprit par Théodore de Mopsueste et saint
Jean Chrysostome nous mettent sur la piste d’une interprétation de la nature de
l’esprit du souverain sacerdoce. L’onction
de l’Esprit, aussi mystérieuse et impalpable que celle reçue par Jésus le Christ
(oint) fait participer les prêtres à l’onction du Christ. La
chirotonie (imposition des mains) imprime un sceau (sphragis) (13) sur la
personne ordonnée et la rend conforme au Christ pour exercer le ministère
(diakonia) du Christ, unique prêtre (12). Le
sceau est un don vivant du Saint Esprit qui donne à certains hommes le service
(diakonia) de Le communiquer aux autres. Le prêtre devient icône, sa personne
liturgique renvoie au prototype, le Christ.
“Celui
qui sanctifie et qui transforme c’est lui, le Christ. Il n’est pas vrai qu’ici
ce soit un homme qui fasse tout, tandis qu’à la cène c’était le Christ. C’est ce
dernier qui agit dans les deux cas. Aussi, lorsque tu vois le prêtre qui te
présente l’oblation, ne juge pas
que c’est lui qui opère et étend la main. De même, lorsque le prêtre baptise, ce
n’est pas lui qui te baptise, mais c’est Dieu qui de sa main invisible te touche
la tête, ici de même.” (14) La
puissance vient de Dieu même, c’est l’Esprit souverain qui repose, sur le Fils
bien aimé Jésus Christ (15). Le Christ à son tour a donné cet Esprit aux Saints
Apôtres et c’est ainsi que l’Esprit du Christ se propage, Tradition divine, à
travers les siècles pour la louange incessante. Le
sacerdoce royal des fidèles Ceux
qui n’ont pas reçu la chirotonie ne sont pourtant pas privés de l’esprit du
sacerdoce. S’il est abusif, voire erroné de faire dériver le sacerdoce
ministériel du sacerdoce royal des fidèles, il est tout aussi abusif de dire que
le sacerdoce des baptisés est moindre ou dérivé du sacerdoce hiérarchique. Il
est d’une autre nature. “Mais
vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple
qu’il s’est acquis pour annoncer les vertus de celui qui vous a appelé des
ténèbres à sa merveilleuse lumière -1 Pierre
2,9-.
(16) Par
le baptême et le sceau du Saint Esprit (chrismation) tous les chrétiens
reçoivent le sceau du Christ. Ils ont donc part, selon leur condition, au
sacerdoce du Christ. “Dans
l’unité de la foi et du baptême, nous formons une société sans discrimination ;
et commune est notre dignité selon le témoignage du bienheureux Pierre. Tous
ceux qui sont renés dans le Christ,le signe de croix les fait rois, et l’onction
du Saint Esprit les consacre prêtres, afin qu’en dehors de la servitude spéciale
de notre ministère, tous les chrétiens spirituels et raisonnables se
reconnaissent participants d’une race royale et d’une fonction sacerdotale.”
(17) C’est
tout le peuple chrétien qui est véritablement roi et
prêtre. Mais
comment s’exerce concrètement cette condition sacerdotale
? La
consécration sacerdotale, nous l’avons lu plus haut est liée au baptême et à
l’onction, c’est à toute l’Eglise et à tout le peuple qu’est confié le
sacerdoce. “Le
prêtre souverain, dit
Saint Hippolyte (18) revêtu
de la tunique sacerdotale nous a porté tous car lui même était le corps parfait
et nous ses membres, qui ne faisons qu’un avec son corps parfait, nous sommes
portés par le Logos lui-même”. La
condition sacerdotale du chrétien : Les
prêtres de la première Alliance appartiennent exclusivement à la tribu d’Aaron,
eux seuls offrent le sacrifice et consomment les victimes. Seul le grand prêtre
entre dans le Saint des Saints. Le sacerdoce est monopolisé par une
famille. Christ
a établi Tel
est l’honneur du sacerdoce royal des fidèles selon la déclaration de l'apôtre
Pierre. Les
fidèles reçoivent la paix comme le dit plus haut Théodore, et aussi échangent le
baiser de paix, car l’esprit du sacerdoce du Christ repose en plénitude sur tout
le corps de l’Eglise et sur chacun. Le
sacerdoce ne s’exprime pas seulement dans le culte
liturgique. Le
“royaume de prêtres, la race sainte”
-Exode 19,6-
conforme sa vie à sa foi. La
loi (Thora) du Seigneur fait les délices du fidèle. Le disciple du Christ offre
ainsi un véritable sacrifice spirituel sur l’autel de son
coeur. L’ode
20 de Salomon (19) décrit merveilleusement ce sacrifice en Esprit
: “Je
suis prêtre du Seigneur, pour lui j’exerce mon sacerdoce. Je
lui offre le sacrifice de ma pensée. Car
sa pensée n’est pas comme celle du monde, ni
comme celle de la chair, ni comme celle de ceux qui agissent
charnellement. Le
sacrifice du Seigneur, c’est la justice, ainsi que la pureté du coeur et des
lèvres. Offre
tes reins sans reproche, que ton coeur n’opprime aucun coeur, que ton âme
n’opprime aucune âme ! N’acquiers
pas l’étranger au prix de ton âme, ne cherche pas à dévorer le prochain, et ne
lui vole pas la couverture de sa nudité. Revêts
abondamment la grâce du Seigneur, reviens au Paradis, dresse-toi une couronne de
son arbre et pose-la sur ta tête. Sois
heureux et repose en sa suavité. Et
la gloire marchera devant toi, tu recevras de sa douceur et de sa grâce, et tu
t’engraisseras dans la vérité, par la louange de sa
sainteté. Gloire
et honneur à son nom ! Alleluia
!
Notes
et bibliographie : (1)
Juges 6, 12 . - 2 Thessaloniciens
3,16 . - Luc 1,28 (2)
Math 24,36 . - Jean 20,19+21+26 (3)
“Les évêques, de même que les prêtres, salueront le peuple en disant: le
Seigneur soit avec vous, à quoi le peuple répondra : Et avec ton Esprit, selon
la pratique de tout l’Orient (sic), fondée sur la tradition apostolique.”
Héfélé, histoire des conciles, T.3, Paris 1869. (4)
Galates 6,18. “La grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre
esprit”. (5)
Hippolyte, L’évêque
débute l’anaphore par le dialogue avec le peuple “le Seigneur soit avec vous, Et
avec ton Esprit”. (6)
Les pères sont unanimes pour préciser que le corps et le sang de l’eucharistie
ne sont pas matière morte d’un sacrifice, mais le Christ vivant, chair
ressuscitée, âme et divinité du messie, un et non divisé, qui s’offre en
nourriture et breuvage de vie à ses fidèles. (7)
Théodore, comme Jean Chrysostome fut l’élève de Diodore de Tarse. Il devient
évêque de Mopsueste en 392 après avoir été prêtre à Antioche. A l’opposé de
saint Jean Chrysostome, il eut un épiscopat tranquille et fut considéré pendant
sa vie comme orthodoxe. Sa vie posthume fut plus mouvementée : embarqué dans la
lutte engagée contre Nestorius, il fut condamné en même temps que les ‘trois
chapitres”, 125 ans après sa mort ! (8)
Théodore de Mopsueste homélies catéchétiques, Traduction (légèrement modifiée)
R.Tonneau. Studi e testi 145, città del Vaticano 1949. p.519 sq. Ces homélies
reflètent une belle théologie, certes archaïque, mais pure de toutes
hérésies. (9)
Saint Germain de Paris émet la même idée dans sa première lettre au sujet de la
messe : “(le prêtre) est béni lui-même par tous en ces termes : Et avec ton
Esprit, de sorte qu’il est d’autant plus digne de bénir le peuple que lui-même
reçoit, par la grâce de Dieu, la bénédiction de tous”. Traduction
T. de Foucauld & A. Darmar, in
Présence orthodoxe n°20,21, Paris 1973 (10)
Cette formule évoque la première prière de l’ordination : “la
grâce divine qui guérit les faiblesses et supplée aux défaillances élit (ou
ordonne) le prêtre très aimé de Dieu, N, à l’épiscopat, prions donc afin que
descende sur lui la grâce du Très Saint Esprit”. (11)
Homélie 1 sur (12)
La manière dont l’ordination affecte un homme ne peut se concevoir, ni en termes
ontologiques, ni en termes fonctionnels mais en termes personnels. Jean
Zizioulas, l’ordination est-elle un sacrement ? in Concilium
n°74,1972. (13)
saint Grégoire de Nazianze compare l’action du prêtre “marqué au chiffre du
Christ à un anneau servant à imprimer un sceau dans la cire : que cet anneau
soit d’or ou de fer, l’empreinte dans la cire est la même. homélie 40, sur le
baptême, S.C. n°358, Paris 1990, p.259 (14)
Saint Jean Chrysostome, hom. 82 sur saint Mathieu P.G. 57 (15)
Le Logos n’est jamais sans l’Esprit, l’Esprit sans le Christ, les deux mains du
Père dit saint Irénée. (16)
L’exégèse de cette citation montre que saint Pierre n’avait pas en vue le
ministère sacerdotal ; elle ne peut donc être un argument à la rescousse des
partisans de l’accès des femmes à la prêtrise. (17)
Léon le Grand, P.L. 54 (18)
Commentaire sur Daniel S.C. n°14, 1947 (19)
Ode 20 de Salomon (anonyme de la première moitié du IIème siècle). Pierre
Batifoll, in Revue Biblique 1911.
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Esprit du sacerdoce |