http://coptica.free.fr

Dieu dans la chair!

 

 

‘Comment la divinité peut-elle habiter la chair?’ s’émerveille saint Basile dans son homélie de la nuit de Noël.

 

Car il s’agit bien de cela, noël, la naissance de Jésus, c’est la venue du Dieu vivant dans la chair de l’Homme.

L’enfant de la vierge Marie est le Dieu qui tient dans ses mains tout l’univers.

 

Pour répondre à la question de saint Basile, nous lisons aussi aux vigiles de la fête de la Nativité le prologue de l’évangile de saint Jean. Le rythme liturgique nous entraîne dans le mystère bien souvent sans que notre intelligence en saisisse toute la portée.

 

Saint Jean en ouvrant la Bonne Nouvelle, enjambe les siècles de l’histoire et nous ramène avant le temps des hommes, dans ce “Commencement” ou “Principe” où il n’y avait que Dieu. C’est dans ce climat d’éternité qu’il nous parle du Père et du Fils unique-engendré. Mais il ne le nomme pas tout de suite Fils, ni Jésus, et préfère parler longuement du Logos.

 

Au premier siècle, beaucoup de gens cultivés, dans les pays riverains de la Méditerranée, connaissaient la philosophie stoïcienne qui désignait par le mot Logos une sorte de raison cachée au coeur du monde, un principe insaisissable qui assurait la cohérence de l’univers et qui, de plus, habitait l’homme doué d’intelligence, elle pouvait réguler sa conduite.

 

Au premier siècle également, à Alexandrie, un contemporain de Jésus, le juif Philon réservait au Logos une place centrale dans sa théologie.

 

Parole personnifiée, “premier-né de Dieu’, “image de Dieu”, le Logos de Philon est le médiateur entre Dieu et le monde créé. Il remplissait aussi un rôle médiateur entre Dieu et l’âme humaine, car il était l’agent de la communication de Dieu à l’homme surtout à travers Moïse et la Torah/Loi. Il enseignait à l’homme les voies de l’union mystique.

 

Ainsi pour les très nombreux juifs de la diaspora, qui lisaient la Bible en langue grecque, le mot Logos évoquait directement la Parole de Dieu créateur et révélateur, le dabar hébreu.

Ce Logos-parole était inséparable de Dieu et de son action dans le monde pour les hommes, mais il n’était pourtant pas véritablement une personne .

 

Jean s’inscrit aussi dans l’héritage séculaire des sages d’lsraèl et leurs méditations théologiques sur le rôle de la Sagesse personnifiée (hébreu: hokmah, grec: sophia).

Présente devant Dieu lorsqu’il crée l’univers, la Sagesse ne cesse pas de demeurer “dans les hauteurs du ciel" alors même qu’elle est active dans l’univers comme un secret d’intelligence et présente en l’homme comme médiatrice de révélation et de Salut. -Proverbes 1-9-

 

 

Avant de dire que “le Logos est Dieu "Jean précise “Dans le Principe (au Commencement) le Logos était tourné vers Dieu”.

Une distinction, un vis-à-vis, s’esquisse ici entre le Logos et Dieu, non pas comme une coexistence purement statique, mais une orientation dynamique du Logos vers Dieu. Or Dieu (ho théos) désigne toujours, dans la Nouvelle Alliance, le Père. Ce mouvement du Logos vers le Père apparaît donc déjà implicitement comme une relation filiale, ce que nous retrouverons en toute clarté dès la fin de ce Prologue:

“le Fils unique-engendré qui est le sein du Père”  ((1,18) Le Logos n’est pas seulement, comme la Sagesse au commencement proche du monde de Dieu; il n’est pas une créature de Dieu, inégale Lui, mais il est authentiquement, éternellement, Dieu.

 

“De ce qui a été fait, en lui était vie”. La vie de Dieu qui est dans le Logos est source de toutes les formes de vie physique que nous connaissons.

 

Encore plus, pour nous, les humains, elle s’est faite Lumière:

“La vie était la lumière des hommes”, lumière pour leur esprit, lumière à l’intime du coeur, car nous ne vivrons vraiment de la vie éternelle qu’en dialogue avec Dieu dans l’action de grâce.

Dès le premier instant de la création de l’homme et au long des millénaires, de la préhistoire à la fin de lhistoire, le Logos de Dieu se veut pour l’Homme et en l’Homme, source de connaissance et d’amitié.  Et cela en dehors même de toute Alliance explicite, comme une offre universelle à l’humanité qui a rempli la terre.

 

Le Logos, depuis toujours Dieu tourné vers Dieu, se communique progressivement aux hommes, afin d’être pour eux vie et lumière. Il a voulu l’Homme, maître conscient des créatures inconscientes; peu à peu il a illuminé son intelligence et son coeur, intervenant dans l’histoire du monde et à l’intime de chacun; puis il a fait retentir dans le peuple choisi la voix des prophètes et des sages. Il a donné la Torah (la Loi /Enseignement) dans la Première Alliance. Maintenant, en se faisant homme, il fait entendre une voix qui est la sienne, il se rend présent à l’histoire, non plus comme une force invisible, mais agissant à visage découvert, reconnaissable par son nom, par son physique, son comportement.

 

Désormais, le Logos engendré du Père céleste de toute éternité, pour tous les hommes, de génération en génération sera un avec Jésus, né de Marie dans le temps, en Judée au temps d’Hérode, sous le règne de l’empereur Tibère.

“Le Logos s’est fait chair”.

Le mot chair, dans la Bible (hébreu: b s r ; grec: sarx), désigne bien l’homme, l’homme tout entier: corps, esprit, âme, avec son indice de fragilité.

La chair, c’est l’homme limité, caduc, périssable et précaire.

Devenu chair, le Logos assume bien notre condition humaine toujours en attente et en devenir. Cette chair, pauvre et sacrée à la fois de l’homme Jésus va désormais révéler la gloire du Logos.

 

En se manifestant dans la chair, le Logos reste ce qu’il était et ce qu’il est devenu, homme, il le demeure pour toujours. Il demeure le Logos de Dieu tourné vers Dieu, par qui tout est venu à l’existence et par qui l’univers subsiste. Mais désormais la lumière et la vie pour les hommes émanent de lui en tant que Dieu fait homme; et cette nouveauté est irréversible.

 

Durant toute sa vie sur terre, mais aussi dans la gloire céleste, il sera à jamais le Logos fait chair, Il ne laissera pas sur terre son humanité comme un pieux souvenir ou un vêtement provisoire.

 

Ressuscité, il demeurera pour toujours le Théanthropos, l’Homme Dieu, Dieu fait homme.

La venue du Logos dans la chair en un lieu et un temps déterminés se répercute dans toutes les dimensions de l’espace et du temps. “Il a fait sa demeure parmi nous”, c’est-à-dire au coeur de l’humanité tout entière et dans le coeur de “ceux qui croient en son Nom”.

 

Jésus, le Logos fait chair, s’est montré “plein de grâce [kharisl et de vérité [alèthéia]”. Selon toute vraisemblance, l’évangéliste emprunte ici à la Première Alliance le couple hesed et ‘emet, si riche de portée théologique.

Hesed, c’est l’amour du Dieu de vie, sa grâce et sa miséricorde.

Emet, c’est sa fidélité à son dessein de Salut. Dieu lui-même se présente ainsi lors de la conclusion de l’Alliance : “Adonai; Adonai, Dieu de tendresse et de pitié, riche en amour et en fidélité” -Ex 34,6)-       + e-p

Dieu dans la chair