Le pentecostaire: les cinquante jours de Pâques

 

Avant de considérer la portée spirituelle du temps liturgique de Pâque, il est peut-être nécessaire de préciser le vocabulaire de l'Eglise des premiers jours, il  reste celui des Eglises d'Orient.

 

La Pâque, c'est d'abord la Pâque juive, la commémoration de la sortie d'Egypte, la traversée de la mer rouge, le "passage" de l'esclavage à la liberté.

                                         

Puis, les pères ont employé le mot Pâque pour le passage du Messie de la mort par la croix à la vie de la résurrection; le grand Origène le premier l'a utilisé dans ce sens. Le mot Pâque rejoint ce que l'occident appelle Passion, ainsi les livres liturgiques anciens appellent semaine de la Pâque, la Semaine Sainte occidentale: essentiellement ce que les latins nomment Triduum, le Jeudi de l'Alliance, le Bon Vendredi, le Samedi de la Joie qui se termine par la grande vigile de la fête de la Résurrection. Notre liturgie copte fait commencer la semaine pascale au soir du dimanche des rameaux appelé l'Entrée du Sauveur à Jérusalem.

 

Le copte comme le grec ne connaissent pas le mot Pâques au pluriel comme en français.  Nous pouvons employer le pluriel Pâques pour qualifier les jours de la résurrection qui sont pour nous un seul grand jour de la fête des fêtes.

Le temps qui s'écoule du premier au huitième dimanche de la Pâque a reçu le nom de Pentecostaire,  le huitième dimanche qui  clôture les cinquante jours de fête porte le nom de Pentecôte qui signifie en grec cinquantième (jour).

 

Comme la Pâque chrétienne est l'accomplissement de "Pessah" la Pâque juive, le dimanche de la Pentecôte mentionné dans les Actes des Apôtres 2,1 comme le jour de la descente du Saint Esprit, correspond à la fête juive de Chavouot, qui regroupe la fête des semaines selon Exode 34,22 et Deutéronome 16,9.12,  celle des prémices selon Nombres 28  et aussi la fête de la moisson selon Exode 23,16.

Si Dieu le veut,  nous étudierons ailleurs la fête juive de Chavouot/Pentecôte. Il suffit aujourd'hui  pour indiquer l'essentiel de savoir que Chavouot est d'abord une fête agraire, puis celle du renouvellement du serment de l'Alliance et enfin que le judaïsme tardif lui a consacré la mémoire de la remise de la Torah à Moïse au mont Sinaï.

                                       

Très tôt dans l'histoire, les chrétiens célébrèrent les cinquante jours qui séparent la Pâque de la Pentecôte comme un long jour de fête unique ou mieux, comme le dit notre Père saint Athanase, "un seul grand dimanche".

 

Pour marquer la joie exubérante à cause de la résurrection et de la vie nouvelle, l'Eglise invite ses fidèles à cesser toutes marques extérieures de pénitence: jeûne et métanies en particulier. Cette observance est attestée par les Constitutions Apostoliques, la Tradition Apostolique d'Hippolyte et un canon du premier concile de Nicée. L'usage doit être apostolique comme en témoigne un fragment d'un livre de saint Irénée:

"Pendant le Pentecostaire, nous ne ployons pas les genoux, car ces jours ont la même valeur que le Jour du Seigneur. Cette coutume commença aux temps apostoliques".

 

Cette attitude joyeuse contraste avec l'usage juif qui pendant la période des moissons observait les cinquante jours comme un moment de restriction en commémoration de ces jours de pérégrination dans le désert en châtiment de l'épreuve des eaux de Mériba.  Nombres 20,12.

 

C'est encore notre Origène qui explicite la spiritualité du pentecostaire quand se souvenant de la fête juive de Chavouot, quand il dit dans le contre Celse

"la période des cinquante jours est joyeuse, parce qu'elle est le temps ininterrompu où l'Eglise célèbre la Résurrection du Seigneur comme "prémices" et celle des croyants qui doit suivre". 

 

Origène dans son commentaire sur saint Jean distingue trois étapes dans le processus de la résurrection:

                     - la descente aux enfers en vue de libérer tous les justes,

                     - les manifestations devant les disciples afin de les introduire dans la plénitude de la vérité,

                     -l'ascension qui est en Christ la glorification de toute l'humanité. La résurrection  et l'ascension du Sauveur sont le commencement de la médiation céleste que le Christ grand prêtre des choses à venir  exerce dans l'Eglise son corps mystique et qui doit aboutir lors de la Parousie quand il soumettra toutes choses à son Père.

 

Le pentecostaire est le temps où le Seigneur ressuscité se manifesta fréquemment aux disciples, le temps où la grâce du Saint Esprit fut communiquée et qui laisse entrevoir l'espérance du retour du Seigneur.

Il correspond à la deuxième étape dans le processus de rétablissement annoncé par saint Pierre dans son discours en Actes 3, 11-26: Il faut que Jésus demeure au ciel jusqu' au temps où tout sera rétabli comme Dieu l'avait annoncé".

                  

 

Car, si nous en croyons saint Jean 20,19.23, c'est le soir même de la découverte du tombeau vide par Marie-Magdeleine que Jésus vint et se tint au milieu des disciples et leur insuffla l'Esprit en disant: "recevez l'Esprit Saint" et leur donna le pouvoir de lier et délier. Le don de l'Esprit dans cette circonstance est le signe même de la Glorification de Jésus, il permit aussi aux disciples de voir le Ressuscité et d'accéder à la Vérité toute entière.  Jean 16.12.

 

De même, pour nous les fidèles, la liturgie de ce temps de Pentecostaire concentre notre regard intérieur sur la Personne du Sauveur, ouvre notre intelligence à son ministère selon la volonté de son Père bon, et nous fait sentir notre communion intime avec le Seigneur Jésus par l'Esprit Saint.

 

Le dernier jour de la Pentecôte, les apôtres ont reçu le feu de l'Esprit pour les appeler à remplir leur mission de proclamer de l'orient au couchant la Bonne Nouvelle de l'éternel salut. Nous ne sommes pas dispensés de cette proclamation.

 

 

Chavouôt & Pentecôte

 

A partir du jour de la résurrection, nous comptons cinquante jours (pentecostaire) avant de clôturer les fêtes de la Pâque. Cette manière de faire s'ancre dans le calendrier juif.

Après Pessah, la Pâque juive, c'est à dire la sortie d'Egypte, la tradition liturgique du temple puis de la synagogue compte sept semaines dites du Omer (des prémices) pour fêter "Chavouôt" (clôture des semaines) devenu  notre fête de la Pentecôte.

Les juifs donc comptent les semaines, les chrétiens les jours, le résultat est le même et les deux traditions se gardent de donner un nom à cette importante fête en se contentant d'indiquer par là qu'elle correspond au franchissement d'une étape importante.

Nous avons examiné les sources bibliques du temps de la pentecôte, maintenant, nous allons approfondir notre intelligence de la tradition en posant un regard sur la dimension spirituelle de Chavouôt et son épanouissement dans la Nouvelle Alliance:

-  A. sens du Omer, les sept semaines d'oblation des prémices

-  B. rémission des dettes

-  C. fête de la Torah

 

1. Donc Chavouôt est la clôture des semaines de Omer (des prémices), fête des moissons où selon le commandement du Seigneur à Moïse, les juifs apportaient une gerbe de la moisson au prêtre pour l'offrir sur l'autel , puis comptaient sept semaines pour offrir une oblation nouvelle. Lév. 23, 10.15.

Cette offrande est celle de la mémoire de l'Entrée dans la terre promise après les pérégrinations dans le désert. C'est une action de grâces pour ce qui a été accompli  et ce qui va se réaliser.

Le grand philosophe juif Philon nous explique que le Omer est apporté sur l'autel

"en action de grâces pour la prospérité et l'abondance; le Omer procure à la fois le souvenir de Dieu qui est le bien le plus excellent, et une juste action de grâce envers Celui qui est la cause de toute prospérité".

Ainsi toute la tradition juive puis chrétienne dans l'esprit des Ecritures sacrées propose aux fidèles d'apporter à l'autel des offrandes en action de grâces (Eucharistie) à Celui qui fournit tous biens comme signe de la reconnaissance de la totale dépendance de l'homme par rapport à Dieu.

 

Pesssah, la Pâque est la libération du joug de l'esclavage, les sept semaines sont le symbole de la purification progressive, lente, difficile qui conduit de la libération physique, de principe,  à la libération effective qui ne peut se réaliser qu'à deux conditions:

1. Quand l'Homme veut intérieurement être vraiment libre en prenant tout le temps nécessaire pour  calculer la dépense et être sûr de son choix;

2. quand il reçoit la connaissance de l'Economie divine qui assure cette liberté par le don et la réception de la Torah.

Cette lente libération est la nôtre. Notre grand Origène, quoiqu'en dise J. Daniélou, reste parfaitement dans l'esprit de la fête juive quand il commente la fête des prémices comme le renouvellement de l'Homme intérieur:

 

"Si tu veux toi aussi célébrer avec Dieu la fête des Prémices, veille à la manière dont tu sèmes et au lieu où tu sèmes afin de pouvoir récolter des fruits qui plaisent à Dieu et lui fassent célébrer une fête. Or tu ne pourras la réaliser qu'en écoutant la parole de l'apôtre: "Celui qui sème dans l'Esprit, moissonnera dans l'Esprit  la vie éternelle". <> Celui qui renouvelle son coeur et l'Homme intérieur, de jour en jour, défriche des terres neuves et ne sème pas sur des épines, mais sur une bonne terre qui lui rendra, trente, soixante ou cent pour un. Tel  est celui qui sème dans l'Esprit et qui moissonne dans l'Esprit. Or parmi les fruits de l'Esprit, le premier est la joie. Et il est naturel de fêter les Prémices quand on moissonne la joie; surtout si on moissonne en même temps la paix, la patience, la bonté, la douceur, si on recueille les autres fruits de l'Esprit, on célébrera très dignement pour le Seigneur la fête des prémices".

 

Origène nous montre le labeur de la libération de l'Homme intérieur, il ne s'attache pas à son caractère pénible, car pour celui qui est dans l'Esprit, tout est joie pour et dans le Seigneur.

Le jour de la Pentecôte récapitule la période de la moisson spirituelle: le premier jour, le Christ comme prémices, est passé de la mort à la vie, ceux qui croient en lui, sont élevés avec lui dans les réalités célestes. Notre père saint Cyrille d'Alexandrie lie la fête biblique des moissons à la résurrection et l'ascension du Christ prémices de l'humanité renouvelée et fait de la fête de la Pentecôte  celle du mystère pascal tout entier:

 

"Le Christ est figuré dans le symbole de la gerbe considérée comme prémices des épis et comme fruits nouveaux: Il est en effet le premier-né d'entre les morts, la voie qui nous ouvre la résurrection, celui qui renouvelle toutes choses. Les choses anciennes sont passées, voici que tout est devenu nouveau, dit l'Ecriture. La gerbe était présentée devant la face du Seigneur: ainsi l'Emmanuel ressuscité des morts, fruit nouveau et incorruptible de l'humanité, est monté au ciel pour se présenter pour nous devant la face du Père"

 

Le temps du Omer est celui la libération, La Pâque est marquée par la hâte de la sortie d'Egypte du peuple hébreu et la soudaine résurrection de Jésus notre messie comme prémices de notre libération de la mort, (le ton rapide de la liturgie nous le rappelle), mais après ce qui est accompli par le Sauveur, la suite de la moisson doit être menée à son terme par un long travail, progressif, lent,  de Dieu et de l'humanité, en synergie.

Ce processus doit reposer sur l'épiclèse, la prière qui s'élève avec les offrandes, et en réponse divine la paraclèse, l'envoi de la bénédiction  qui repose sur l'autel, les dons, ceux qui offrent,  ceux pour qui les dons sont offerts.

 

B. C'est encore Origène qui met en rapport le cinquantième jour de la Pâque avec le mystère de la rémission et du pardon:

 

" Le nombre cinquante est sacré; cela est manifeste d'après les jours festifs de la Pentecôte qui signifient la délivrance des peines et la possession de la joie. C'est pourquoi, ni le jeûne, ni la position à genoux, ne sont de mise en ce temps là; car celui-ci figure le rassemblement festif réservé pour les temps futurs, préfiguré au pays d'Israël par l'année appelée chez les hébreux Jobel -Jubilé- qui apporte avec elle la liberté des esclaves et l'abolition de dettes et autres choses semblables".

 

La pentecôte est ainsi une figure du pardon accordé et de la restauration de l'humanité dans la plénitude de sa relation avec le Créateur.

Notre père saint Athanase l'apostolique suit cette piste et conclut une lettre pascale en disant que "le jour de la Pentecôte est celui des libérations et des remises de dettes, de toute manière un jour de liberté".

La rémission des péchés est un don du Ressuscité à son Eglise quand il répandit son Souffle sur les disciples en disant: "Recevez l'Esprit Saint."

 

C. Les fêtes indiquées dans les Ecritures ne comprennent pas celle du "don de la Torah", pourtant c'est aujourd'hui  dans la synagogue, le sens principal du jour de Chavouôt.

Un texte ancien du Talmud dit:

"Dieu n'a pas voulu fixer un jour précis du don de la Torah, car c'est chaque jour que nous devons accepter et recevoir la Torah, comme si nous venions de la recevoir au Sinaï. Ses paroles te seront nouvelles chaque jour, s'il en est ainsi, nous recevons chaque jour la Torah en l'étudiant".

La fête de la Torah s'est développée probablement dans le courant du 2è. siècle avant la naissance du Sauveur autour des rites de la communauté de Qûmran qui en s'éloignant du Temple avait établi,  dit-on,  une fête de la Révélation et de l'Alliance.

 

La liturgie juive contemporaine fait lire à la synagogue les dix commandements, le récit des prémices de la moisson et le majestueux premier chapitre d'Ezéchiel sur le char de la gloire céleste, en proposant au peuple de méditer sur l'importance de recevoir la Torah plutôt que de la penser ou discuter, d'intérioriser le message de la Torah en sachant que sa lumière montre de nombreux visages qui ne sont pas tous également visibles en même temps, d'améliorer le monde par l'étude qui débouche sur la joie spirituelle par la redécouverte du sens de la beauté et de la sainteté.

Philon nous donne la description du don de la Torah au Sinaï  qui prélude la vision de la descente de l'Esprit Saint sur les apôtres:

 

" Du milieu du feu qui ruisselait du ciel, il vint à leur grand étonnement une voix, car la flamme devint un discours articulé dans un langage familier aux auditeurs, et les mots étaient formés si clairement et distinctement qu'ils eurent l'impression de les voir plutôt que les entendre <> il est écrit " tout le peuple vit la voix" <> la voix de l'homme s'entend mais la voix de Dieu est vraiment visible parce que tout ce que Dieu dit, ce ne sont pas des mots, mais des actes".

 

Le jour de la Pentecôte, les apôtres réunis virent apparaître comme une sorte de feu  qui se partageait en langues et qui se posa sur chacun d'eux, alors ils furent tous remplis de l'Esprit Saint.  Actes 2,1.4

A partir de ce jour, par le baptême et la chrismation, l'Esprit est répandu abondamment sur toute chair et toute la terre est remplie de la connaissance de Dieu.  Nous devons faire briller  la lumière de connaissance dans nos vies et dans le monde.

 

                                                                                                                +E-P

Bibliographie:

* Jean Daniélou, Bible et liturgie,  lex orandi  11, Cerf 1951

* J. van Goudoever, Fêtes et calendriers bibliques, Théologie historique 7, 1967

* Origène, Homélies sur les Nombres, Traduction A. Méhat,  SC N°29, 1951

 

 

 

de Pâques à la Pentecôte