L'Esprit Saint et nous

Les conciles et les primats

 

Une question récurrente nous est posée: Qui est le chef de l'Eglise orthodoxe?

Face à l'organisation centralisée de la chrétienté romaine, les théologiens orthodoxes, byzantins surtout, posent la structure synodale et placent comme sommet de l'organisation ecclésiastique le concile œcuménique. (Par charité, nous ne dirons rien des médias qui présentent le patriarche d'Istanbul comme l'équivalent du pape romain.)

Notre Eglise d'Alexandrie comme l'indique l'absolution au début de la sainte Oblation fait un grand cas des conciles œcuméniques.

 

"Que Tes serviteurs les ministres de ce jour, tout le peuple …soient absous par la parole de la Trinité Toute Sainte, le Père, le Fils et le Saint-Esprit; par la parole de l'Eglise de Dieu, Une, Sainte, Catholique et Apostolique ; par la parole des douze Apôtres; par la bouche des 318 Pères assemblés à Nicée, des 150 réunis à Constantinople et des 200 rassemblés à Ephèse…".

 

De même lors de l'entrée d'un chrétien baptisé dans l'Eglise orthodoxe, la chrismation est précédée de la confession de foi:

 

"Connais-tu la foi des Eglises orthodoxes confessée par la tradition de la sainte Eglise d'Alexandrie, notamment les décisions de nos Pères aux conciles de Nicée, de Constantinople et d'Ephèse? -oui, abouna N. - Tu reçois la tradition liturgique et les règles de la sainte Eglise reçues dans la sainte Eglise d'Alexandrie. Confesse le symbole de la foi".

 

Nous devons donc nous familiariser avec les pères de ces conciles et connaître leurs discussions et leurs décisions. Toutefois l'étude des conciles dits œcuméniques doit être précédée par une recherche sans a priori sur la fonction même de l'institution conciliaire.

 

L'Eglise catholique est en plénitude dans l'Eglise locale. C'est l'Eucharistie célébrée régulièrement qui fonde l'Eglise locale. La communion dans l'Eglise locale et entre les Eglises locales est l'assise de l'ecclésiologie patristique orthodoxe.

Concrètement, la communion entre Eglises se manifeste par l'hospitalité eucharistique -tout fidèle d'une Eglise locale est reçu dans une autre Eglise locale comme ses propres fidèles-, l'échange de lettres de paix entre évêques lors de fêtes, des ordinations ou décès de hiérarques, les diptyques des noms lus pendant la sainte Oblation, et aussi selon la coutume de certaines Eglises, la transmission du "fermentum" parcelle des saints dons envoyée d'une autre Eglise et placée dans le saint calice au moment de la communion. (Nous en gardons peut-être un souvenir dans le rite de la commixtion de notre liturgie.)

 

Dans le contexte de cette ecclésiologie de communion d'Eglises locales, l'évêque est le pivot naturel. L'évêque est ordonné pour une Eglise locale, il est identifié avec son Eglise. Son rôle d'évêque est de maintenir d'une part son Eglise ouverte à la communion catholique, et d'autre part, l'accès de son Eglise à la communion catholique des autres Eglises. C'est sa vocation essentielle et cela est manifesté par son ordination par plusieurs  évêques. Ainsi les évêques forment un collège parce que l'Eglise catholique est communion et que dans cette communion ils représentent et apportent leurs Eglises, en même temps que dans leur Eglise, ils sont l'icône et le signe  de la communion catholique.

 

Le pouvoir canonique de lier et de délier de l'évêque est souverain. Il n'est pas limité par une constitution canonique car les règles canoniques ne sont pas éternelles, elles doivent servir de modèles et d'ordonnances thérapeutiques. Ce pouvoir souverain n'est pas personnel, donné isolément mais au collège des apôtres puis à celui des évêques, il n'est pas non plus infaillible. D'où la nécessité d'un organe d'expression de l'unité des Eglises de façon à ce que toutes les affaires qui dépassent le pouvoir de l'évêque dans son exercice territorial puissent être examinées et réglées. Emergent de cette nécessité deux institutions, non de droit divin mais de circonstance: l'organisation territoriale avec un primat et la réunion de conciles.

 

Les réunions conciliaires d'évêques ont été précédées dans l'histoire de l'Eglise par des réunions des prêtres autour de leurs évêques formant ainsi un synode pour assurer le lien de la charité et l'ordre canonique entre ministres.  Puis à la fin du 2è siècle, les évêques se sont réunis par province, ces réunions portaient aussi le nom de synode, le grec sunodos traduit en latin par concilium a donné notre français concile. Il s'agit du premier regroupement d'Eglises locales en provinces ecclésiales d'où émergeront nécessairement un primat. Le modèle de provinces ou éparchies provient de l'administration impériale. Le canon 9 du synode d'Antioche en 327/341 pose la forme:

 

Les évêques de chaque province doivent savoir que l'évêque de la métropole prend aussi le soin de toute la province, parce que tous ceux qui ont des affaires viennent à la métropole, de tous côtés; C'est pourquoi l'on a jugé qu'il devait les précéder en honneur, et que les autres ne devaient rien faire de considérable sans lui, selon l'ancienne règle de nos pères. Chaque évêque n'a le pouvoir que sur son diocèse et il doit le gouverner selon sa conscience. Il peut ordonner des prêtres et des diacres et juger les affaires particulières; mais il ne fera rien au-delà sans l'avis du métropolite, ni le métropolite dans l'avis des autres évêques".

 

On ne peut être plus clair, l'évêque de la métropole a préséance devant ses collègues non pour des raisons de fondation de siège par les apôtres, mais bien parce qu'il se trouve au siège du pouvoir civil; les évêques de sa province possèdent le pouvoir souverain dans leurs diocèses mais pour toutes décisions qui dépassent leur juridiction immédiate, la décision doit être collégiale, le primat les précèdent en honneur et n'agit pas sans les autres, ni les autres sans lui.  Ainsi se préfigurent et  l'institution patriarcale et le rôle éminent des conciles. Ce mode de fonctionnement relève indéniablement d'une accommodation aux structures administratives de l'empire plus qu'à la mystique évangélique bien que les pères et les canonistes posent comme archétype "le concile des apôtres en actes 15 où nous voyons le collège apostolique prendre la décision unanime de ne pas exiger la circoncision aux non juifs convertis à l'Evangile. 

Cinquante ans plus tard, vers 380, un canoniste compilateur dans ses "canons apostoliques" donnera un petit air spirituel à l'organisation terminant son 34è canon:

 

"Les évêques de chaque nation doivent connaître le primat parmi eux et le considérer comme leur tête, que chacun fasse seul ce qui concerne son district et ses campagnes mais ne fasse rien au-delà sans son avis. Mais que le premier non plus ne fasse rien sans l'avis de tous. Ainsi il y aura concorde et Dieu sera glorifié par le Fils dans l'Esprit Saint."

 

En remplaçant la province par la notion de nation, le compilateur des canons apostoliques fournit la base juridique des patriarcats et Eglise autocéphales orthodoxes.

 

La question de l'autorité suprême dans l'Eglise est résolue par la double entité des primats et des conciles, étant entendu que le Christ ressuscité, toujours présent dans les Assemblées liturgiques a confié la charge de le manifester à l'Esprit Saint. L'unanimité et la concorde marquent la présence de l'Esprit Saint. Ce qui permet aux pères conciliaires de présenter leurs décisions avec la formule "L'Esprit Saint et nous".

Nous devons nous garder de tout romantisme, l'histoire des conciles nous apprend que les réunions épiscopales ne se sont pas toutes réglées avec sérénité et douceur fraternelle.  La lecture de leurs actes ne fait guère percevoir la présence sensible de l'Esprit. La fameuse unanimité fut souvent acquise par quelques violences physiques ou morales peu édifiantes et l'exclusion de la minorité.

Aussi, cette discrète présence de l'Esprit doit être reconnue par la réception des décisions conciliaires par le peuple orthodoxe gardien de la foi. Là aussi, il faut être réaliste, la réception ne se fait pas toujours spontanément et rapidement. Il faudra sept siècles pour que concile de Nicée soit reçu partout et par tous, et encore, il existe aujourd'hui des mouvements dits "unitariens" qui  le refusent!

 

Pour terminer, encore quelques mots sur le primat: "Premier parmi les égaux" est la formule généralement diffusée pour parler des patriarches et chefs d'Eglises autocéphales. Dès l'émergence de l'épiscopat monarchique, cette formule est inexacte pour les archevêques de Rome et d'Alexandrie qui ont toujours possédé dans leurs limites territoriales d'une autorité particulière assise sur la fondation apostolique de leur siège. Pour les autres Eglises, il paraît plaisant de parler d'égalité lorsque le primat possède des droits dont les autres évêques sont privés même équilibrés par le devoir de rien faire sans les autres, puis, progressivement, toutes les primatiales ont recherché une fondation apostolique pour justifier leur préséance.  

 

                                                                                                                                          Elias-Patrick,

 

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