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LE COMBAT SPIRITUEL

 

« Le temps est accompli, et le Royaume de Dieu s’est approché: Changez d'état d'esprit et croyez en l’Evangile » (Mc. 1, 15 [Mt. 4,17]).

Ce commandement du Seigneur de changer d’état d’esprit par lequel Il inaugure l’annonce de l’Evangile de Dieu est le plus souvent traduit en français par pénitence ou repentir. Ce qui n’est pas faux mais faible, car le texte grec exprime bien plus. Repentir, en hébreu techouva, a son origine dans le verbe biblique shub : retourner, revenir, retrouver le point de départ, et correspond, en partie seulement, au terme grec métanoïa des Evangiles, formé de deux racines : meta : au-delà, changement, transformation et noûs : esprit, intellect.

Si ce terme de métanoïa exprime bien le repentir ou la pénitence, il possède surtout un sens théologique fort qui désigne et exige le changement intérieur, la conversion, le retournement de l’esprit. Métanoïa dépasse donc le sens courant de pénitence ou de repentir que ces termes ont en français en désignant au sens fort l’exigence commandée  à l’homme, par le Seigneur, de changer d’état d’esprit, de vie, par la prise de conscience objective de sa misère spirituelle, préalable à un retour vers Dieu, source de Vie.

 

Dieu, enseignent nos Pères, a donné à l’homme une arme spirituelle contre le péché : la conversion, le repentir. Si nous reconnaissons notre péché, si nous le regrettons du fond du cœur, si nous implorons le pardon divin, si nous nous efforçons sincèrement de nous convertir, Dieu viendra à notre aide, nous pardonnera et nous donnera l’Esprit Saint avec abondance, car, enseigne saint Théophane le reclus : « l’Esprit Saint vient comme un médecin vers ceux-là qui se reconnaissent malades » « l’art de la prière », Coll. Spiritualité Orientale n° 18, Abbaye de Bellefontaine} (Eph. 6, 10 à18).  De même que la découverte de la maladie doit s’accompagner de la volonté de guérir, la prise de conscience doit précéder le repentir. Mais si nous essayons de nous justifier, si nous appelons le mal bien et le bien mal en définissant nous-mêmes les critères du bien et du mal, nous nous fermerons au repentir, l’Esprit Saint s’éloignera de nous  (Is. 5, 20).

 

Il est important de distinguer le changement d’état d’esprit, la conversion, l’état de repentir de la culpabilité.

Le repentir n'est pas un accès de remords, de contrition et d'apitoiement sur soi-même, mais une conversion, un retournement de l’esprit de l’homme vers Dieu, accompli librement et avec confiance, en étant assuré du pardon du Père céleste (Lc. 15, 11 à 32).

La culpabilité au contraire est un enfermement de l’esprit sur lui-même, sur ses manquements et ses péchés. La culpabilité doute de la miséricorde et du pardon divins et peut amener l’homme au découragement, voire au désespoir : « Un frère demanda à abba Poemen : " Si l’homme tombe dans quelque péché et se convertit, obtiendra-t-il le pardon de Dieu ? " L’ancien lui dit : " Assurément Dieu, qui a commandé aux hommes de pardonner, ne le fera-t-il pas lui-même davantage ? » (Apophtegmes des Pères).

Le père Matta el maskîne de bienheureuse mémoire, qui fut le père spirituel du monastère saint Macaire au désert de Scété en Egypte, enseignait que nous ne devions pas nous attrister pour nos péchés,

"car, disait-il, cette attitude attriste le Christ, s’attrister c’est comme si nous disions au Christ : tout ce que Tu as fait pour moi n'est pas suffisant pour me pardonner mes péchés, Tes souffrances, Ta mort ne sont pas suffisantes. C'est un véritable déni de ce qu'a fait le Christ pour chacun de nous et pour tous les hommes ; Lui qui, par son sang versé pour chacun d’entre nous nous a obtenu le pardon et la rémission de nos péchés.  Car Dieu a manifesté son amour pour nous en envoyant son Fils unique dans le monde afin que nous vivions par lui. C’est lui qui nous a aimés le premier et qui a envoyé son Fils en sacrifice de pardon pour nos péchés" (1Jn. 4, 9 à 10).

 

Le sens véritable de la conversion, du repentir se trouve dans la parabole du fils prodigue (Lc. 15, 11 à 32) {Prodigue : qui dilapide, dissipe ses biens sans discernement, noceur, débauché}. L’homme tel l’enfant prodigue de l’Evangile a dilapidé l’héritage paternel, cherchant dans les biens de ce monde et dans des jouissances égoïstes à satisfaire le désir de bonheur inné en lui, et qui ne peut trouver son accomplissement qu’en Dieu. Le Père - qui n’est autre que notre Père céleste - n’a pas attendu que son fils prenne conscience de son état, se repente, mais par amour Il vient à la rencontre de son pécheur de fils, Lui ayant déjà pardonné en son cœur.

De même pour nous hommes, Dieu nous aime et il est venu à nous en envoyant dans le monde son Fils unique, Jésus Christ, sans rien exiger de nous. Par amour pour sa créature, notre Créateur est venu à nous pour que nous allions à Lui afin d’avoir la vie par Lui, en Lui et avec Lui.

Le repentir c’est le retour, le cœur contrit, de l’homme pécheur vers son Père céleste après qu’il est pris conscience que son péché l’a éloigné de Dieu son Père et Créateur : « Père, j’ai péché envers le ciel et envers toi, pardonnes-moi ». A cet aveu les entrailles divines s’émeuvent, et Dieu notre Père accorde son pardon.

 

Le prototype du repentir nous est donné, lui, sous la figure de la femme pécheresse, alors que Jésus vient à Béthanie, village de Lazare, de Marthe et Marie ses Sœurs (Lc. 7, 36 à 50 ; Jn. 12, 1 à 11). Cette femme baigne les pieds du Seigneur de ses larmes, les essuient avec ses cheveux et les oint de parfum. L’entourage du Seigneur en est scandalisé. Mais que dit Jésus Christ notre Seigneur et Sauveur : « Ses péchés lui sont pardonnés parce qu'elle a beaucoup aimé ». Pourquoi ? Parce que cette femme a compris qu’elle était aimée de Jésus malgré son état de pécheresse, de paria, que la gratuité totale du pardon lui était offerte par le Seigneur. L’amour et le pardon divin ont donc fait jaillir d’elle en réponse des larmes d’amour. A l’amour de Dieu pour elle, la pécheresse a répondu par un acte d’amour : « elle a beaucoup aimé dit le Seigneur Jésus. C’est pourquoi ses si nombreux péchés lui ont été pardonnés ».

 

Le repentir, disent les Pères, ce sont des larmes d'action de grâce, des larmes d'amour, des larmes de remerciement que nous devons déposer nous aussi sur les pieds du Christ. 

Et ils ajoutent que celui qui montrera de l’ingratitude envers le Seigneur, il lui sera peu pardonné, mais celui qui transformera sa vie en action de grâces il lui sera beaucoup pardonné.  Se repentir c’est imiter la femme pécheresse qui a pleuré pour ses péchés en déposant des larmes d'amour sur les pieds du Seigneur Jésus Christ.

Dieu notre Père, dans Sa miséricorde, par l'économie de notre rédemption et la venue dans la chair de Jésus Christ son Fils unique nous a apporté la grâce du Salut (Tt. 2, 11) [1].

 

Sur la Croix, notre Seigneur a vaincu la mort et établi en son Sang versé pour le monde et son Salut l’Alliance nouvelle et éternelle. Descendu dans les enfers, Il en a brisé les portes et ramené l’homme au Paradis [2]. De même tout homme qui a reconnu et confesse Jésus Christ comme son Seigneur et son Sauveur, doit également, mystiquement par son baptême d’eau et d’Esprit, passer par la porte de la mort pour naître de nouveau et ressusciter avec le Christ au monde à venir (Jn. 3, 1 à 7).

 

Toutefois il n’y a là rien d’automatique. Certes le baptême nous communique l'Esprit du Christ et détruit le mur de séparation construit par la chute, l’homme est désormais libéré de toute servitude du péché et peut partager la vie divine (Rm. 6, 6).

Cependant les conséquences de la séparation due au péché d'Adam persistent dans l'homme, qui, malgré sa libération par le Seigneur Jésus Christ, reste intérieurement divisée entre deux tendances opposées, les appétits de la chair et les appels de l’Esprit (Ga. 5, 17). Et selon Paul, "la chair", c’est "le vieil homme" qui refuse de se soumettre à "l’Esprit", et ne suit que ses convoitises et son orgueil.

 

L’esprit, c’est l’homme tout entier, corps et âme, l’homme nouveau habité par l’Esprit de Dieu. Aussi, l’existence chrétienne est-elle, selon saint Paul, une lutte dont la terre est un stade et l’homme un athlète, car pour vaincre le mal et vivre, il faut lutter contre lui (1Co. 9, 24 ; Am. 5, 14) [3].

 

Il ne peut donc y avoir de vie spirituelle chrétienne, vie qui a pour but la conquête du Royaume des cieux, sans combat spirituel : « tapi à ta porte, le péché te désire. Mais toi, domine-le» (Genèse 4,7). Lutte intérieure, qui s'oppose aux tentations, aux pensées, aux suggestions qui poussent l’homme à faire le mal qu’il ne veut pas et l’empêche de faire le bien qu’il veut faire (Rm. 7, 19) : " L'essence du péché n'est pas la transgression d'une norme éthique, mais un éloignement de la vie éternelle et divine pour laquelle l'homme est créé et à laquelle il est naturellement - c'est-à-dire conformément à sa nature - appelé. Le péché s'accomplit avant tout dans la mystérieuse profondeur de l'esprit humain, mais ses conséquences affectent l'homme tout entier." (Archimandrite Sophrony, Starets Silouane : Moine du Mont-Athos. Éd. Présence, Sisteron, 1973).

 

Dans ce combat spirituel contre le mal l’homme doit apporter le consentement de sa liberté à l’œuvre que la grâce divine accomplie en lui : « Si vous vivez selon la chair, vous mourrez ; mais si par l’Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez » (Rm. 8, 13)  [4]. Nous ne devons pas nous bercer d’illusions et être conscient qu’il y a des choix qui conduisent à la vie et d’autres qui entraînent l’homme vers le néant, car tout ce qui asservit l’homme empêche l’Esprit Saint de demeurer en lui et le mène à la mort (Ph. 3, 19).

 

Etre disciple du Christ implique une manière de vivre qui doit correspondre au germe de vie divine, l’Esprit Saint, reçu au baptême. Si nous restons dans l’esprit du monde, si nous ne luttons pas spirituellement contre, ce germe de vie s’éteindra en nous, le péché dominera sur nous et nous nous acheminerons à la mort, au néant, car seul l’Esprit qui œuvre en nous peut nous conduire à la suite du Christ vers la résurrection du corps de gloire et à la vie éternelle dans le Royaume des cieux (Rm. 2, 4 à  8 ; 8, 11 ; Ga. 3, 27 ; Eph. 4, 22 à 24 ; Ph. 3, 12 à 16 ; Col. 3, 1 à 10).

 

"Le but de notre vie c'est l'acquisition de la perfection et de la sainteté. C'est devenir les dignes enfants de Dieu et les héritiers de son Royaume. Prenons garde de nous priver de cette vie future en donnant la priorité aux choses de la vie présente. Ne nous écartons pas du but et du sens de la vraie vie en privilégiant les soucis et les tribulations qui sont inhérents au monde d'ici-bas. Le jeûne, les veilles et la prière ne peuvent à eux seuls produire les fruits escomptés. Ils ne constituent pas en soi le véritable but ; ils ne sont que des moyens pour atteindre ce but. Aussi, ornez vos cierges d'authentiques vertus. Luttez sans cesse pour déraciner les passions qui sont en vous. Purifiez vos cœurs de toutes ses souillures pour qu'ils deviennent la demeure de Dieu et que l'Esprit Saint y trouve de quoi les remplir de ses dons divins.  <> À chaque instant de votre existence cherchez d'abord Dieu. Mais cherchez-le là où il se trouve : à l'intérieur de votre cœur et uniquement là. <> Toutefois, pour trouver le Seigneur, humiliez-vous plus bas que terre parce que Dieu vomit les orgueilleux tandis qu'il aime au contraire et visite les humbles de cœur.  <> Mène le bon combat donc et Dieu en retour te fortifiera. Par ce combat nous localisons nos propres faiblesses, nos manques et nos défauts personnels. Car ce combat incessant n'est que le miroir de notre situation spirituelle : celui qui n'a jamais mené ce type de combat, celui-là n'a jamais non plus été capable de connaître son état intérieur réel. <> Les états de tristesse exagérée et les moments de désespoir qui nous saisissent nous font beaucoup de tort et ils finissent par devenir pour nous un vrai danger. Très souvent ils ne sont que l'œuvre du diable afin que nous mettions un terme à notre bon combat. C'est vrai : la route qui mène à la perfection est longue et ardue. Priez Dieu de vous en donner la force. Affrontez vos chutes avec patience et une fois debout, ne vous attardez pas, comme le font d'habitude les enfants, sur le lieu de votre chute en poussant des hurlements et en versant des pleurs la plupart des fois inconsolables. Restez sans cesse vigilants et sans cesse priez pour ne point succomber à la tentation. Et s'il vous arrive de tomber dans des fautes déjà anciennes, surtout ne vous laissez pas aller au désespoir car nombre d'entre elles sont naturellement puissantes et c'est par habitude qu'on les commet. Cependant, avec le temps et la persévérance, on trouve aussi le moyen de les vaincre. Pour cela loin de vous tout désespoir !" (Nectaire d’Egine, "la voie du bonheur, catéchèse").

 

Pour mener à bien cette lutte spirituelle qui doit nous amener à devenir semblable au Fils de Dieu incarné nous devons nous fortifier par la participation à la sainte Eucharistie, action de grâce parfaite, nourriture divine et remède d’immortalité.

C’est l’Eucharistie qui par son pouvoir vivifiant, conditionne notre transformation spirituelle à l’image du Christ, pour que, participant à son Corps, nous recevions l’Esprit.

Car en mangeant le Corps du Christ, chair vivifiée par l’Esprit Saint, par Lui nous assimilons l’Esprit Saint (Saint Ephrem le Syrien). Et l’Esprit Saint peut ainsi devenir notre vie et nous communiquer la sainteté en nous apportant la vie même de Dieu par l’Eucharistie du Sauveur son Corps et de son Sang (Jn. 6, 55). Mystère de la foi et don surabondant de vie, qui de nouveau mettent l’homme en capacité de porter la puissance de la divinité et devenir saint, dieu avec Dieu [5]. A Lui qui est Père, Fils et Saint Esprit, Dieu Un, honneur et gloire, gloire et honneur aux siècles des siècles. Amen.

 

+ Père Patrick Bernardin  (2011)

 

1. Economie: En théologie, appliqué à Dieu, il s'agit de son projet sur l'humanité, des moyens qu'il emploie  pour l'amener au Salut, de la Torah à l'Eglise en passant par les prophètes, l'incarnation du Logos, la croix, la résurrection, l'envoi du Saint Esprit,  les ministères. Pour l’Orthodoxie, l’homme est appelé à être Dieu non par essence mais par grâce ; ainsi la nature divine à laquelle l’homme est appelé à participer ne sera jamais une surnature, un don surajouté, mais Dieu lui-même, dans la communion duquel s’accomplit la véritable nature de l’homme, nature qui s’est obscurcie dans la chute et qui ne redevient elle-même que dans la Lumière de la Sainte Trinité. La grâce est cette force divine dont la source est dans le Père, distribuée gratuitement par le Fils dans le Saint Esprit

 

2. La plupart des pères posent l’équivalence du Royaume et du Paradis (l’Eden)

 

3. Pour beaucoup de Pères, l’homme est composé de deux éléments, le corps et l’âme. La tradition chrétienne a en effet écarté, lors des grandes controverses christologiques des 4èmes  et 5ème  siècles, la théorie tripartite qui considérait que la nature humaine était constituée de trois éléments distincts, le corps, l’âme et l’esprit. Lorsque certains, parmi les Pères, parlent de l’esprit comme d’un troisième élément de l’homme, ils n’entendent pas par ce mot un élément créé, mais l’énergie incréée du Saint-Esprit, qui vient vivifier l’âme créée. Plus souvent, les saints Pères entendent par esprit (pneuma) la partie supérieure de l’âme, le noûs, celui étant vu comme la "fine pointe de l’âme", sans en faire un troisième élément constitutif et indépendant.

 

4. La liberté véritable est d'ordre spirituel, elle vient de la juste et véritable connaissance de Dieu que communique l’Esprit saint qui procède du Père et qu’envoie le Fils, Jésus Christ, Seigneur et Sauveur. Pour nos Pères saints et théophores l’homme n’est véritablement libre que lorsque l'Esprit de Dieu repose en lui (2Co. 3, 17). 

 

5. Pour notre père saint Irénée, ce qui caractérise l’Eucharistie, sacrifice de la Nouvelle Alliance, conséquence et expression du Salut, est la liberté, car « l’offrande » ne peut être offerte que par des hommes véritablement libres. Elle est le lieu d’une symphonie du Salut où librement des hommes s’unissent pour rendre grâce au Dieu Père et Créateur, Père du Christ Sauveur qui s’offre, et Créateur du pain et du vin qui sont offerts (CH. IV, 18, 2  et 20, 7).

 

? LETTRE DE L’ASSOCIATION ORTHODOXE CEVENOLE

30440 - SAINT LAURENT LE MINIER - N° 2   - 2008 ?

 

 

 

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