La préparation à la fête de  pâques

 

L'Eglise copte orthodoxe débute le grand carême de Pâques environ soixante jours avant la fête de la résurrection du Sauveur.

Si nous nous souvenons que le mot "carême" vient du latin "in quadragésima", c’est-à-dire " dans la période de quarante ", nous trouvons le compte généreux.

 Aussi, je vous invite à parcourir l'histoire du carême pour y voir plus clair, sachant déjà que la quadragésime correspond plus ou moins à 40 jours avant la fête de la résurrection, tandis que le jeûne, rompu les samedis et dimanches, commence plus tôt pour atteindre plus ou moins 40 jours d'abstinence.

 

L'Occident avec une certaine logique a réservé le mot carême/quadragésime pour les quarante jours précédant la Pâque, et ont appelé sexagésime et quinquagésime les semaines ajoutées, tandis que l'Orient a gardé pour toute la période du jeûne le mot carême. Il n'en a pas été toujours ainsi. (Notons que l'Eglise romaine après Vatican II a supprimé avec sagacité le prè-carême)

 

Le plus ancien document connu touchant le jeûne préparatoire à la fête de Pâques provient de la Gaule, il date de la fin du 2è siècle: La controverse pascale, agitée entre le pape Victor et les évêques d'Asie, en fut l'occasion. Saint Irénée, l'évêque de Lyon fait observer que la question concernait non seulement le jour de la célébration de la Pâque, mais encore le jeûne qui s'y rattachait. Sur ce dernier point les Eglises étaient aussi en désaccord.

"Cette discussion en effet ne regarde pas seulement la date [de Pâques], mais aussi la manière même de jeûner; car les uns croient qu'ils ne doivent jeûner qu'un jour, les autres deux, et les autres davantage. Certains comptent quarante heures du jour et de la nuit pour leur jour. Cette diversité d'observances n'est pas de notre époque, mais bien antérieure à notre temps, nos devanciers qui ont avec exactitude, comme il semble, retenu cette coutume par simplicité ou ignorance, l'ont transmise après eux; tous n'en gardaient pas moins la paix et nous la gardons les uns envers les autres, et la différence du jeûne confirme l'unanimité de la foi".  (Eusèbe de Césarée, histoire ecclésiastique livre 5, 24)

 

L'usage authentique d'Alexandrie est attesté par une lettre de son archevêque saint Denys (vers 264), adressée à Basilide, où l'on voit que le jeûne pascal ne dépassait pas alors une semaine. Denys semble partir de cette idée que "le .jeûne de six jours doit être considéré comme une règle ancienne et générale. Mais il constate qu'il y a beaucoup de diversité dans les observances. Même parmi ceux qui .jeûnent les six jours, tous ne le font pas d'un trait et sans interruption  il y en a qui ne jeûnent que deux .jours de suite, d'autres trois, d'autres quatre; il y en a même qui ne se soumettent pas tout un jour au jeûne strict et absolu. Enfin quelques-uns ne jeûnent ni peu ni beaucoup les quatre premiers jours et croient faire quelque chose de magnifique en consacrant au jeûne le vendredi et le samedi saints". P. G., t. x, col. 1277

 

Le jeûne continu du vendredi et du samedi saints a pour but de satisfaire au précepte du Sauveur et de célébrer l'anniversaire des jours où l'époux est enlevé -Luc.5, 35 & Marc, 2 20-.

 C'est là, probablement le jeûne pascal primitif observé dans les églises issues des communautés primitives non juives.

 

Saint Denys d'Alexandrie mentionne le jeûne de six jours qui appartient à la tradition des chrétiens issus du judaïsme. On en trouve la justification dans un document précieux du 3è siècle: la Didascalie des apôtres, témoin des usages judéo-chrétiens de Syrie.

Elle ordonne de jeûner, "à partir du lundi [saint], six jours complètement jusqu'à la nuit qui suit le samedi, et cela est compté pour une semaine. -Canon 21-

Cette fixation d'une semaine dérive apparemment de la coutume juive mentionnée dans Exode,12, 8, et par le Deutéronome, 16, 3, d'après laquelle les Hé­breux, au temps de la Pâque de la Mer Rouge, devaient se nourrir pendant sept jours du "pain de l'affliction", les fameux azymes.  Les premiers chrétiens, qui vécurent quelque temps sous le régime des pratiques juives, firent passer ce jeûne dans l'usage pour la préparation de la Pâque du Seigneur.

Tel apparaît dans la variété de ses formes, au 2è et au 3è siècle, le jeûne préparatoire à la fête de Pâques. Ce n'est pas un jeûne quadragésimal. On l'appelle simplement "le jeûne pascal", et il conservera cette dénomination chez les Pères grecs durant la période suivante.

 

De la quarantaine, nous ne possédons aucune source authentique antérieure au 4è siècle.

 

Pour l'usage égyptien,  les anciens commençaient le jeûne du Carême, le jour suivant la fête de l’Épiphanie (12 Touba), pour suivre la chronologie de l’Evangile: "Jésus, rempli de l’Esprit Saint, revint du Jourdain et a été conduit par l’Esprit dans le désert où, pendant quarante jours, il fut tenté par le diable. -Luc 4,1,2-. Ils célébraient la Pâque de la mer rouge le 22 Amshir, suivie de la semaine de la Pâque du Seigneur, conclue avec la célébration de la sainte fête de la Résurrection.

Les sources de l'Eglise copte en arabe laissent entendre que Démétrius (189-232), le douzième Patriarche d’Alexandrie, aurait institué la durée du Carême qui est utilisée jusqu'à ce jour. C'est peu probable, les lettres festales de saint Athanase et d'autres textes antérieurs au milieu du 4è siècle nous renseignent parfaitement sur la pratique égyptienne.

 

Nous pouvons suivre l'évolution de la pratique du carême dans les lettres expédiées pour fixer la date de pâques de notre père saint Athanase, 20è patriarche d'Alexandrie du 8 juin 328 à sa mort le 2 mai 373. 

Dans celle de l'année 329, il n'est question que de la préparation à la fête de Pâques d'une manière générale sans que la quarantaine ne soit mentionnée, le jeûne est indiqué comme commençant le lundi saint.

L'année suivante 330, il est parlé du temps quadragésimal, dont la durée est de six semaines, en rappelant que le jeûne de rigueur  est celui de la semaine sainte.

Il est précisé que pendant la quarantaine, le jeûne figure au nombre des exercices de préparation à la fête, il n'est indiqué, ni de stricte observance, ni comme un usage accepté par tout le monde.

Pendant son exil à Rome, en 340, on fit des reproches à saint Athanase sur la liberté accordé aux égyptiens au sujet de la durée du carême. Aussi dans un billet adressé à saint Sérapion de Tmuis, annexé à sa lettre festale de 341, datée de Rome, il exhorte vivement les égyptiens à observer le jeûne de quarante jours. Dès lors, le dispositif de préparation à la fête pascale mentionne l'observance quadragésimale.

 

Un document antérieur au concile de Nicée, appelé "les canons d'Hippolyte" ou "constitution de l'Eglise égyptienne", remaniement vers 313, de la "tradition apostolique" de saint Hippolyte de Rome, dans son canon 20, au sujet du jeûne ordonne: "

Les jours de jeûne qui ont été fixés sont les mercredis et le vendredis [de l'année, sauf au temps pascal] et la sainte quarantaine. Celui qui ajoute à cela recevra une récompense et quiconque transgresse cela, sauf maladie, contrainte ou nécessité, sort de la règle".

 

Le jeûne de 40 jours est bien établi dans toutes les Eglises à la fin du 4è siècle.

 

A la fin du 6è siècle, on y ajouta deux semaines pour bien marquer la durée effective de quarante jours en tenant compte de la rupture du jeûne les samedis et dimanches, les deux semaines furent appelées en occident sexagésime (60 jours avant Pâques) et quinquagésime (50 jours).

A la fin du 7è siècle, on détacha de la sainte quarantaine la semaine sainte, aussi on ajouta une septième semaine, la septuagésime (70 jours avant Pâques).

L'Orient adopta ce mode de calcul en étirant toutefois le mot carême/quadragésime pour l'ensemble de la préparation à Pâques.

Toutes les Eglises? non, des irréductibles résistent: l'innovation du "pré-carême" ne pénètrent pas dans les Eglises gallo-hispaniques. Les missels anciens de ces régions, gallicanum-gothicum, mozarabe, ambrosien,  ne présentent aucun office pour le temps des "gésimes".

Fauste évêque de Riez, ( vers 493) témoigne en tout cas de l'usage de l'Eglise de Provence du 5è siècle, Sermo de Quadragesima, P. L., t. LIV, col. 488, il nous apprend que le jeûne commençait le lundi après le premier dimanche de carême, et qu'on ne jeûnait régulièrement que cinq jours par semaine.

Le concile d'Orléans de 541 interdit d'allonger le carême par des quinquagésimes et sexagésimes.

 

Aujourd'hui, notre préparation à la fête de Pâques se déroule bien sur 40 jours précédés par 20 jours de pré-carême. Pour garder du sens aux mots, je préfère utiliser les vocables "sexagésime" et "quinquagésime" pour le pré-carême, même s'ils n'appartiennent pas à l'usage de l'Eglise d'Alexandrie.

L'usage recommande que les quarante jours que Jésus-Christ notre Sauveur a jeûné doivent être jeûnés jusqu’au coucher du soleil, et en s’abstenant de toute chair et tout ce qui appartient à la chair.

 Aujourd'hui, la durée est assouplie jusqu'à l'heure de none soit 15 h.

Le jeûne n'est pas seulement un ensemble de règles alimentaires: c'est avant tout un épurement du superflu et des entraves au rapport avec Dieu. Le carême a pour objet de ramener le fidèle à l'essentiel.                                                                                                                   

                                                                   + E-R

  

 Février 2018                                                

    

"Quand Dieu s’est montré Père, il a préféré régner plutôt par l’amour que par la puissance, être aimé plutôt qu’être craint. Son affection paternelle nous met en garde pour qu’un effort pénible, très saint par lui-même, n’entraîne pas notre perte, selon les mots de l’Evangéliste: "quand vous jeunez, ne prenez pas un visage triste comme font les hypocrites. Ils prennent une mine défaite pour que les hommes voient bien qu’ils jeûnent. En vérité, en vérité, je vous le dis, ils ont reçu leurs récompenses". <>

Fuyons l’hypocrisie. Fuyons-la. Que notre jeûne soit sanctifié par la simplicité, par l’innocence. Que la pureté le rende pur, la sincérité sincère. Qu’il soit caché aux hommes, ignoré du démon, mais connu de Dieu.<> Exerçons abondamment la miséricorde en puisant dans notre besace.


Mes frères, le jeûne affame, le jeûne assoiffe celui qui ne se sustente pas avec le pain de la piété, que l’aumône ne protège pas, que ne recouvre pas le vêtement de la miséricorde.

Ce que le printemps est à la terre, la miséricorde l’est au jeûne. <> La miséricorde et la piété sont les ailes du jeûne, à l’aide desquelles il prend son envol et se rend jusqu’au ciel, et sans lesquelles il reste sur place, on tourne en rond.

                              + Saint Pierre Chrysologue, évêque de Ravenne (450)

                                                                                               

                                                                  

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