Béni et plein de gloire est le Nom Saint

                           

-Le langage de la bénédiction-

 

La liturgie chrétienne, surtout dans les Eglises orthodoxes, a hérité d’un élément important de la prière juive : la bénédiction.

Au premier abord, on peut être surpris, et du concept, et de ce langage particulier qui bénit Dieu comme si on pouvait augmenter ainsi la puissance divine.

 

La bénédiction en langage courant c’est une faveur accordée par Dieu à une créature, par un puissant à un petit, c’est aussi l’action d’un prêtre qui consacre un objet, un acte, un contrat pour appeler la force divine ou le bonheur.

 

Quand Dieu bénit, il protège et fait fructifier l’objet de sa bénédiction. Saint Paul dans son épître aux hébreux évoque la bénédiction d’Abraham par Melkisédeq et dit : " Sans aucune contestation, c'est l'inférieur qui est béni par le supérieur". Hébreux, 7,7.

 

                                                                     

Pour limiter les exemples, dans la seule liturgie eucharistique  de saint Basile, nous bénissons pourtant Dieu à plusieurs reprises:

- A la préparation: "Béni est Dieu le Père tout puissant, béni son Fils unique, Jésus Christ, notre Seigneur, Béni l'Esprit Saint, l'Intercesseur, amen"; 

- avant l'encensement de l'entrée en conclusion de l'absolution des ministres: "Car il est béni et plein de gloire, Ton Nom saint, Père, Fils, Saint Esprit, maintenant et toujours et dans les siècles des siècles";

- à l'Evangile: "Alleluia, tu es béni en Vérité, Christ , avec ton Père bon et le Saint Esprit, car tu es venu et nous as sauvé";

- au début de  l'anaphore: " il est digne et juste en vérité de te louer, de te bénir, Maître Seigneur de Vérité";

- à la doxologie de l'anaphore: " Conduis-nous à ton Royaume, afin qu'en cela aussi, ainsi qu'en toutes choses, soit glorifié , béni et exalté ton Grand et saint Nom…".

                                                                    

Nous sommes à un tout autre niveau de celui du geste ou de la formule prononcée sur une personne ou un objet pour lui conférer une puissance. Cependant cette manière de comprendre la bénédiction n'est pas absolument absente de la foi d'Israël ni de l'usage des Eglises. Aussi il n'est pas inutile d'étudier le vocabulaire  en hébreu et en français pour passer d'un mode de pensée à un autre.

 

Le vocabulaire hébreu part de la racine BRK pour se développer sous trois formes principales:

le nom BeRaKah (bénédiction),

le verbe BaRaK (bénir)

et le participe BaRuK (béni).

 

Pour la prière, c'est le participe BaRuK qui revient le plus souvent et exprime la bénédiction dans toute sa forme, et nous verrons plus loin qu'il faut être très attentif dans nos traductions au temps du verbe qui l'accompagne (C'est hélas pas souvent le cas!).

 

BaRaKa  ou BéRaKah   Bénédiction

 

Le nom ne nous est pas inconnu, par l'intermédiaire du cinéma ou des pieds noirs, nous savons qu'il s'agit de la bonne fortune.

 

Plus sérieusement BeRaKah sert à désigner les aspect les plus matériels de la bénédiction, souvent il s'agit d'un cadeau.

Mais dans les Ecritures, il ne s'agit pas de n'importe quel cadeau, il sert à sceller une union, un contrat, une réconciliation. Il peut aussi désigner un geste de remerciement.

Enfin comme notre mot bénédiction, BeRaKah désigne la formule elle-même comme agissante presque automatiquement, ex opere operato. La bonne parole (bene dictio =  bien dire) produit l'effet qu'elle annonce. Nous sommes ici dans une zone proche de la magie.

Mais en fait la conscience juive, même quand la bénédiction évoque des images de richesse et de plénitude et désigne des richesses matérielles, associe souvent son efficacité à la rectitude morale, à la grandeur d'âme, à la plénitude divine. "La bénédiction des gens de bien fait la fortune de la cité, la bouche des méchants, sa ruine. Proverbes 11, 11.

Les bénédictions du Seigneur sont sur la tête du juste et l'injustice se dissimule dans la bouche du méchant. Proverbes 10, 6.

La bénédiction du Seigneur enrichit, et le tourment n'ajoute rien.  Proverbes 10, 22.

 

Nous pouvons conclure que la BeRaKah apporte richesse et abondance d'une saine prospérité, d'une aisance solide qui permet la générosité. Elle est aussi synonyme de fécondité.

 

La bénédiction du Seigneur s'épanouit dans le Shalom (la paix) qui comme dans le sens liturgique de nos célébrations chrétiennes ne se réduit pas à l'absence de guerre mais au concept de vie, santé, sainteté, plénitude de bien-être spirituel et de joie.

 

Enfin la bénédiction d'en-haut est donnée pour être partagée. "L'âme de bénédiction sera rassasiée; qui donne de son eau sera lui-même désaltéré". Proverbes 11, 25. Ici l'âme de bénédiction est celui qui sait donner et en donnant il s'ouvre lui-même à la bénédiction.

 

On n'emploie jamais BéRaKah pour Dieu. La bénédiction est un don, et Dieu n'en a pas besoin.

 En ce sens il est au dessus de toute BéRaKah.

"Que l'on bénisse (BaRuK) ton Nom glorieux qui surpasse toute bénédiction (BeRaKah) et louange" Néhémie 9,5

 

BaRaK ou  BéRaK     bénir

 

Ce verbe possède une grande diversité d'emplois, comme le shalom/ Paix, il peut se limiter au salut le plus banal à un étranger rencontré sur le chemin, "bonjour"!

 

Il est aussi utilisé pour désigner la puissance divine qui répand ses dons sur sa création, sur son élu.

 

Dieu bénit la création en lui donnant les énergies naturelles de croissance.  Dieu bénit les patriarches et les fait prospérer. Adonaï en bénissant son peuple répand ses bienfaits en sa qualité de source de vie.

 

Après Dieu, Le Père de tous, la racine de vie est le père selon la chair. Il lui revient donc de bénir sa postérité. "la bénédiction du père affermit la maison de ses enfants". Siracide 3,9.

Analogue à la bénédiction du père, celle du roi, du prêtre, du prophète. Et le peuple, à son tour, bénit le souverain généreux.

Alors apparaît un nouveau sens de bénir, bénir est un geste d'échange, de communion.

Bénir quelqu'un, recevoir sa bénédiction, c'est entrer en contact spirituel, établir dans ce qui est le plus profond de l'être, un courant de vie.

 

BaRuK      Béni

 

Le participe "béni" ne s'emploie jamais pour un objet. Ainsi pour rester dans l'esprit des pères nous ne devrions pas dire de l'eau, une médaille, bénie, mais utiliser l'adjectif bénite.

 

BaRuK possède un sens très plein. Il désigne proprement la personne remplie de bénédiction.

Sans entrer dans le détail de la conjugaison de l'hébreu, ce qui va accentuer ou diminuer la plénitude de BaRuK, c'est le temps du verbe. En français aussi le temps de notre verbe va changer parfaitement la puissance de notre participe "béni" et en modifier l'entendement.

 

Il peut s'agit d'un souhait, alors nous dirons comme dans la formule de bénédiction sacerdotale en Nombres 6, 24.26 "Que le Seigneur te bénisse et te garde, qu'il illumine sur toi sa sainte face et de couvre de sa miséricorde". Béni alors est un vœu de bienfaits. Ainsi la bénédiction de Balaam: "Béni soit qui te bénira" Nombres 24,9, la prophétie d'Isaïe 19, 25: "Telle sera la bénédiction que prononcera le Seigneur " Bénis soient l'Egypte, mon peuple, l'Assyrie, œuvre de mes mains, et Israël mon patrimoine", la bénédiction de Judith par le peuple assemblé autour du grand-prêtre appelle sur elle la persistance de la force divine: "Tu as fait du bien à Israël et Dieu s'y est complu. Bénie sois-tu par le Seigneur tout puissant jusqu'à la fin des siècles". Judith 15, 10.

 

BaRuK  élargit son contenu en prenant un sens déclaratoire et signifie alors "rempli de bénédiction".

 

Béni alors se dit de l'homme, la femme à qui Dieu a manifesté sa bénédiction. Ainsi Abraham est empli de la bénédiction et devient sujet de bénédiction: Melkisedeq dit "Béni Abraham par le Dieu très-haut, souverain du ciel et de la terre" Génése 14, 19.

 

Le sens déclamatoire pour nous chrétiens reçoit, bien que le texte soit grec, son sommet dans la salutation d'Elisabeth à Marie, mère de Dieu: "Tu es bénie parmi toutes les femmes, béni aussi le fruit de ton sein". Luc 1,42. 

Notre Jésus aussi dans la parabole du Jugement fait déclarer au Fils de l'homme "Venez les bénis de mon Père, recevez le Royaume". Mathieu 25, 34

 

BaRuK s'épanouit dans son aspect duratif, permanent "béni est celui qui est, qui était, qui sera" , que nous ne pouvons rendre que par le présent de l'indicatif. Béni est Dieu.

 

C'est lui, le béni par excellence, il possède en plénitude toute bénédiction.

L'Homme n'envoie pas sa bénédiction, il constate simplement que Dieu est la source de la bénédiction, que tous bienfaits viennent de lui et que tout retourne à lui, il déclare Dieu BaRuK parce qu'il constate que la BeRaKah se manifeste.

 

Pour s'exclamer "Béni est Dieu" il faut reconnaître "Dieu a béni". Par là, on exprime la joie qui s'élargit dans l'action de grâces (eucharistie).

 

Ouvrir l'action de grâces par la bénédiction, c'est se projeter dans les entrailles de Dieu, Père de miséricorde et de qui viennent toutes bénédictions.

                                             

 

Les prières coptes commencent souvent par la formule " Dans le Nom du Père, du Fils et du Saint Esprit". Si nous faisons une rétroversion en hiéroglyphes nous voyons que ce "dans" est représenté par le signe de l'adoration, il s'agit bien donc de BaRuK béni.

 

En traduisant justement par "Béni" ou "dans" ( et non "au" Nom du..) nous confessons la Source de bénédiction et prenons conscience que par la volonté divine nous sommes les enfants de l'Alliance et que par la grâce nous sommes appelés à nous unir parfaitement en lui.

 

                                                                                            +  Elias-Patrick

Bibliographie:

Cette monographie repose en grande partie sur le travail de Jacques Guillet, le langage de la bénédiction dans l'Ancien Testament, Recherches  de Sciences  Religieuses, 57, 1969

Lettre de saint Elie  N° 196   mars 2005

 

Bénédiction