L’arbre de Jessé

                              

Au cours d’un office de la veille de la fête de la nativité, de nombreux lectionnaires proposent la lecture de la "table des origines de Jésus-Christ"-Mathieu 1,1- à partir d'Abraham jusqu'à "Joseph, l'époux de Marie, de laquelle fut engendré Jésus qu'on appelle Christ messie".

(Luc 3,23-38, remonte la généalogie de Joseph pour aboutir à Adam puis termine par "Fils de Dieu").

 

L'exercice parait fastidieux, en raison de la monotonie des noms d'illustres inconnus, nous y relevons tout de même des personnages importants de l'histoire sainte: Abraham, Isaac et Jacob, Juda et Thamar, Booz et Ruth, Jessé et son Fils le roi David qui engendra de la femme d'Urie le roi Salomon.

 

La liturgie de Noël dans nos Eglises orthodoxes met surtout l'accent sur la divinité de l'enfant qui est en toute vérité le Logos incarné, Fils de Dieu; il convenait aussi de ne pas omettre sa filiation humaine, fils d'Homme. C'est pourquoi, nous allons essayer de mesurer la portée théologique de la généalogie du Sauveur.

 

Pour cela, rien ne vaut la tradition iconographique de l'Eglise: Comme il n'est pas possible de représenter tous les personnages de ces généalogies, les écrivains d'icônes ont reçu le modèle de l'arbre de Jessé, -1- en s'appuyant sur la prophétie de Isaïe 11, 1-2 "Un rejeton sortira de la souche de Jessé, un rameau poussera de ses racines.  Sur lui reposera l'Esprit d'Adonaï Seigneur, Esprit de sagesse et d'intelligence, Esprit de conseil et de force, Esprit de connaissance et de crainte du Seigneur". Les pères de l'Eglise appliquent cette prophétie au Christ. -2-  .

 

L'antienne du 19 décembre n'est certainement pas sans rapport avec l'image de l'arbre de Jessé qui devient en quelques sortes l'icône de l'avent. "

 

O Rejeton de Jessé, étendard des peuples, devant lequel les rois garderont le silence et que les nations invoqueront, viens et ne tarde pas, viens nous libérer,  ne tarde plus".

                          

Le thème est cher à l'art médiéval occidental, beaucoup d'enluminures ainsi que  quasi toutes les cathédrales et églises majeures d'occident le présentent à l'un de ses portails. L'orient ne le méconnait pas comme en témoigne le portail du monastère d'Iviron au mont Athos, les fresques de Roumanie et Bulgarie, et des manuscrits grecs et arméniens.

                                                   

                            

 

Pour commencer, décrivons l'image selon les représentations les plus courantes:

 

Jessé, le père de David, est le plus souvent couché à la base de la composition et un arbre, parfois matérialisé par un cep de vigne, prend racine dans ses entrailles, ses reins ou plus rarement dans sa bouche. Les branches se déploient portant les ancêtres.

Leur nombre, bien qu’étant le plus souvent limité à dix ou douze, peut varier de façon considérable: un vitrail de la Sainte-Chapelle de Paris rassemble vingt-neuf aïeux, alors que la miniature du Psautier de saint Louis les limite à deux. Seuls David et Salomon sont toujours présents, parfois Abraham et Sarah. Souvent les épouses des patriarches et rois sont figurées. 

 Le sommet de la composition est occupé par la Vierge présentant le Christ enfant. Parfois, comme sur le vitrail de Chartres, le Christ en gloire couronne le tableau.

                                                         

 Les iconographes ne se sont pas contentés des ancêtres du Seigneur selon la chair mais aussi selon l'esprit: des prophètes participent à la composition. Des représentations des sages païens dans la scène de l'Arbre de Jessé ont été recensées en Roumanie Bukovine, en Bulgarie et au monastère d'Iviron au mont Athos. Ils sont philosophes, poètes, savants, et la Sibylle. -3-

 

Poursuivons par la symbolique de l'arbre:

 

Dans les Ecritures, l'emploi de métaphores faisant appel à l'arbre et au bois est très répandu.

Ainsi, le peuple d'Israël est souvent comparé à un arbre, que ce soit la vigne, l'olivier ou le figuier -Jérémie 2, 21-.

Les auteurs bibliques rapprochent parfois les caractéristiques particulières de certaines sortes d'arbres aux qualités d'êtres humains. À titre d'exemple, le cèdre évoque la grandeur -Cantiques 5, 15-, le chêne, la force -Amos 2, 9-, l'olivier, la longévité -Psaume 52, 10-.

Les différentes composantes de l'arbre sont parfois associées à diverses expériences humaines. On parle de généalogie en terme de souche, de racines ou de rameaux -Isaïe 11, 1-.

Le fruit de l'arbre représente l'aboutissement de la descendance d'une personne -Luc 1, 42-. Les feuilles et les fleurs sont associées à l'idée d'étendue, de protection, de prospérité -Osée 14, 6-. L'arbre est aussi le symbole de la vie, de l'immortalité ou de la vie éternelle. -Genèse 2, 4b - 3, 24-

 

Quant à l'arbre de la connaissance du bien et du mal, il faut se garder de l'interpréter seulement de façon morale. L'expression "connaissance du bien et du mal" ne désigne pas la capacité de distinguer ce qui est bon de ce qui est mauvais. Elle fait plutôt référence à un savoir total, une maîtrise parfaite des mystères de la vie.

Les deux arbres représentent donc les caractéristiques même de Dieu: immortalité et savoir illimité. Adam et Ève commettent une faute en saisissant le fruit de cet arbre, car cela constitue une tentative d'échapper à la condition humaine. L'harmonie paradisiaque est ainsi rompue. C'est pourquoi l'accès à l'arbre de vie (immortalité) est désormais coupé pour l'être humain -Genèse 3, 24-.

 

 L'Apocalypse fait allusion à cet arbre de vie : Au vainqueur, je ferai manger de l'arbre de vie placé dans le Paradis de Dieu -2, 7-. Au terme de l'expérience pascale, les fidèles du Christ retrouvent la vie de Dieu dont ils furent privés en Adam et Ève.

Entre ces deux extrêmes: l'arbre de Jessé et celui de la croix.

 

L'arbre de Jessé a un fût, des branches avec des rameaux, et des racines. Le fût, c'est Jessé. Les branches, ce sont les fils de Jessé, dont l'une, David, donne le rameau rédempteur.

Les racines, c'est Booz, le grand-père de David par Oreb -Ruth 4, 17 -, Booz le rédempteur/racheteur de Ruth la Moabite, qui prolonge, par ce rachat, les racines de Jessé jusqu'à Moab et à ses parents Loth et sa fille aînée, celle qui enivra son père pour coucher avec lui -Gn. 19,32-33-. Les racines de l'arbre de Jessé, c'est aussi Elimelek et Noémi, les Ephraséens, du clan de Juda; c'est Ephrata et Bethléem; c'est aussi Juda, et par rachat involontaire de Tamar la Cananéenne, tous les Cananéens.  L'arbre de Jessé constitue "Un étendard des peuples !" - Is 11, 10-

 

Booz est le premier rédempteur, et Jésus le véritable. Esaïe, en effet, a dit: "Il adviendra que le Seigneur étendra la main une seconde fois pour racheter le reste de son peuple." - Is  11, 11 Le Seigneur a étendu une première fois la main vers Booz pour racheter le reste du peuple. Le reste du peuple, c'est le peuple déporté aux quatre coins du monde.

 

Le Seigneur Jésus étendit les deux mains sur la croix pour racheter le reste du monde. Le reste du monde, cette fois, est bien l'ensemble des nations rassemblées par la croix sous le même "étendard des peuples". Et là où Dieu avait dit : Vous n'êtes pas mon peuple, là ils seront appelés Fils du Dieu vivant." -Rm. 9, 25-26- .

 

Jésus a porté tout l'héritage de l'humanité "fils d'Abraham" et "fils de David", c'est à dire fils de roi. Mais il est aussi fils d'étranger à la Torah d'Israël par Ruth la Moabite, fils de pécheurs par Juda et David, fils de prostituée par Rahab, fils d'adultère par la femme d'Urie.

Il a assumé ses origines et a porté sur lui nos erreurs et nos fautes, le péché du monde.

Sur la croix, il s'est fait rédempteur de tous les hommes. Il est né de Marie la Vierge, l'immaculée, celle qui est ce que l'humanité a produit de plus beau, de plus noble, de plus pur. 

                                               

Terminons en confessant que chacun de nous est inscrit mystérieusement dans cette généalogie du Salut.

Il nous appartient de faire notre l'attitude de Joseph le juste: accepter que la réalité la plus importante de notre vie ne vienne pas de nous-mêmes. Le Salut éternel n’est pas quelque chose que nous devons produire par nous-mêmes, il est à recevoir, à adopter comme Joseph adopte dans la foi l’enfant que porte Marie. Le Salut de Dieu est ainsi comme une réalité nouvelle qui nous surprend et nous dépasse, une réalité vivante que l'on ne peut connaître qu'en acceptant de la recevoir et de l’aimer:

                            " Christ Emmanuel, Dieu avec nous ".

                                                                                                         +  E-P                                                                                                  

 Notes & bibliographie:

1. Isaï est le nom hébraïque du père de David, Jessé étant sa transcription grecque pour éviter toute confusion entre Isaï le père de David, et le prophète Isaïe.

2. Tertullien, De carne Christi 21, 5; saint Irénée, contre les hérésies, III 9, 3

3. Valeva Julia, Les sages païens dans l'iconographie de l'arbre de Jessé et leurs antécédents, Colloque international pour l'étude de la mosaïque antique et médiévale No 9, Roma, 2001, ISSN  0223-5099

 

Lettre  de saint Elie, N°265   décembre 2010

 

Complément:

 

L'iconographie copte préfère à l'arbre de Jessé, l'arbre de vie, vigne abondante présentant le Sauveur et les apôtres, évangélisateurs des nations

 

                         

 

Arbre de Jessé