L’ESPRIT DU SACERDOCE Par l'abouna Elias-Patrick,
Le Seigneur soit avec vous
Booz salue les moissonneurs: le Seigneur soit avec vous, ils lui répondent : le Seigneur te bénisse -Ruth 2,4-. Cette salutation que nous rencontrons encore quelques fois dans l’Ecriture -Juges 6, 12 . - 2 Thessaloniciens 3,16 . - Luc 1,28- est utilisée en abondance dans la liturgie chrétienne particulièrement en occident mais aussi en Orient, surtout dans la tradition alexandrine où elle ouvre l'anaphore bohaïrique de saint Basile
Dans
Le culte chrétien, à la suite des apôtres et surtout saint Paul qui utilise abondamment le grec Kyrios, identifie ce Seigneur au Christ.
L’assemblée liturgique présidée par l’évêque ou le prêtre envoyé par l’évêque manifeste la plénitude de l’église catholique. Le salut de son président exprime la réalité et l’accomplissement de la promesse du Sauveur : “Voici, moi, je suis avec vous”. -Math.28, 20- L’Orient accentue encore plus le sens christologique, préférant depuis le IVème siècle la formule "Paix à vous". Ce sont les mots même par lesquels le Seigneur ressuscité salue ses apôtres (Math 24,36 . - Jean 20,19+21+26). Les églises d’Espagne utilisaient indifféremment les deux formules jusqu’au concile de Braga (Portugal) en 563: “Les évêques, de même que les prêtres, salueront le peuple en disant: le Seigneur soit avec vous, à quoi le peuple répondra : Et avec ton Esprit, selon la pratique de tout l’Orient (sic), fondée sur la tradition apostolique.” (Héfélé, histoire des conciles, T.3, Paris 1869.).
Et avec Ton Esprit
L’assemblée spontanément répond à la salutation "Paix à tous, Le Seigneur soit avec vous" par l’acclamation “et avec ton esprit”. A ma connaissance, malgré sa tournure hébraïque attestée par son emploi chez Saint Paul -Galates 6,18-. “La grâce de notre Seigneur Jésus Christ soit avec votre esprit”.), l’expression “et avec ton esprit” n’appartient pas au culte de la synagogue. Elle semble être une création de la communauté chrétienne apostolique. Saint Hippolyte, au début du IIIème siècle, est le premier témoin de la tradition écrite (Hippolyte, . L’évêque débute l’anaphore par le dialogue avec le peuple “le Seigneur soit avec vous, Et avec ton Esprit”.
Depuis toutes les liturgies d’orient et d’occident, quelque soit le salut du président de la célébration connaissent le répons “et avec ton esprit”. Le sens obvie est bien entendu, “et avec toi”. Les tournures sémites aiment employer une partie pour le tout. Jésus par exemple, à la cène, dit “Prenez et mangez, ceci est mon corps” pour désigner sa personne entière, “ceci est mon sang de l’Alliance” pour indiquer sa vie offerte pour la vie du monde. Les pères sont unanimes pour préciser que le corps et le sang de l’eucharistie ne sont pas matière morte d’un sacrifice, mais le Christ vivant, chair ressuscitée, âme et divinité du messie, un et non divisé, qui s’offre en nourriture et breuvage de vie à ses fidèles.
"Ton esprit" signifie donc en premier lieu “ta personne, toi”.
Ce premier sens est satisfaisant et suffisant pour l’intelligence du répons.
Deux représentants de l’école d’Antioche ont essayé d’aller un peu plus loin et proposent une explication originale et inattendue qui n’exclut par la première explication.
La grâce de l’Esprit Saint :
Théodore de Mopsueste (428+), l’ami fidèle de saint Jean Chrysostome (Théodore, comme Jean Chrysostome fut l’élève de Diodore de Tarse. Il devient évêque de Mopsueste en 392 après avoir été prêtre à Antioche. A l’opposé de saint Jean Chrysostome, il eut un épiscopat tranquille et fut considéré pendant sa vie comme orthodoxe. Sa vie posthume fut plus mouvementée : embarqué dans la lutte engagée contre Nestorius, il fut condamné en même temps que les ‘trois chapitres”, 125 ans après sa mort !) nous livre une première réponse dans sa quinzième homélie catéchétique (Théodore de Mopsueste homélies catéchétiques, Traduction (légèrement modifiée) R.Tonneau. Studi e testi 145, città del Vaticano 1949. p.519 sq. Ces homélies reflètent une belle théologie, certes archaïque, mais pure de toutes hérésies.). “le pontife) du mot de “paix” bénit les assistants, et en échange reçoit d’eux la bénédiction du fait qu’ils disent “et avec ton esprit” Or, ce n’est pas l’âme qu’ils veulent dire par ce “et avec ton esprit”. Mais c’est la grâce de l’Esprit Saint par laquelle le pontife a eu accès au sacerdoce, comme le croient ceux qui lui sont confiés. Ainsi dit le bienheureux Paul : Dieu que je sers en Esprit dans l’évangile de son Fils (Rom.1,9) comme si l’on disait : Je sers par le don de la grâce de l’Esprit Saint qui m’a été donnée pour que je remplisse le service de l’évangile et que tous, vous vous réunissiez avec mon esprit à moi ; c’est à dire : j’ai reçu de Dieu d’être en mesure de faire cela et d’autres choses semblables..." “... c’est ainsi que disent au pontife ceux qui sont rassemblés dans l’Eglise "Et à ton Esprit" selon les canons (règles) posés dès le commencement de l’Eglise ... Tous prient que, dans la paix, il ait la grâce de l’Esprit Saint, pour qu’il puisse prendre soin de ce qu’il faut et accomplir comme il convient la liturgie.”
Saint Germain de Paris émet la même idée dans sa première lettre au sujet de la messe : “(le prêtre) est béni lui-même par tous en ces termes : Et avec ton Esprit, de sorte qu’il est d’autant plus digne de bénir le peuple que lui-même reçoit, par la grâce de Dieu, la bénédiction de tous”. (Traduction T. de Foucauld & A. Darmar, in Présence orthodoxe n°20,21, Paris 1973)
L’exégète Théodore rapproche le répons "et avec ton esprit", du mot esprit (pneuma) employé par l’apôtre Paul pour désigner la grâce spéciale qu’il a reçue pour le service (diakonia) de l’Evangile.
La formule “et avec ton esprit” signifie donc "avec le don de l’Esprit que tu as reçu pour accomplir ton ministère".
Dans la même homélie, un peu plus haut, Théodore précise la nature de ce don spirituel (ou d’esprit) :
“ceux qui accomplissent l’Eucharistie sont) ceux que la grâce divine a élu prêtres de Cette formule évoque la première prière de l’ordination : “la grâce divine qui guérit les faiblesses et supplée aux défaillances élit (ou ordonne) le prêtre très aimé de Dieu, N, au sacerdoce, prions donc afin que descende sur lui la grâce du Très Saint Esprit”.”.
Dans l’homélie suivante, Théodore, décrit la communion aux Saints Mystères et précise avec quels sentiments, ils doivent être reçus :
“Quand tu vois le pontife, à cause de la grâce de l’esprit qui est en lui en vue du ministère, te donner ce don avec une grande assurance, te faut-il, toi, avoir confiance, et le recevoir avec grande espérance.”
La grâce de l’Esprit Saint couvre tout de ses ailes :
Saint Jean Chrysostome (407 +) alors prêtre à Antioche, dans une homélie pour la fête de
“S’il n’y avait pas d’Esprit Saint dans le père et docteur commun que voici, (l’évêque) lorsque, il y a un instant, quand il est monté au saint autel et qu’il vous a donné à tous la paix, vous ne lui auriez pas tous répondu "et avec ton esprit" <> Il ne porte la main aux oblats qu’après avoir demandé pour vous la grâce du Seigneur, et que vous lui avez répondu : "Et avec ton Esprit". Par cette réponse vous vous remettez en mémoire que celui qui est visiblement présent ne produit rien ; que les dons qui sont là, ne sont pas l’oeuvre de l’homme, mais que c’est la grâce de l’Esprit survenant et couvrant tout de ses ailes qui accomplit le sacrifice mystique”. (Homélie 1 sur
L’esprit est donné aux pasteurs par l’imposition des mains et c’est à cette présence permanente de l’Esprit que s’adresse l’acclamation "et avec ton Esprit".
L’esprit du souverain sacerdoce :
La prière d’ordination de l’évêque de Les explications de la formule et avec ton esprit par Théodore de Mopsueste et saint Jean Chrysostome nous mettent sur la piste d’une interprétation de la nature de l’esprit du souverain sacerdoce: L’onction de l’Esprit, aussi mystérieuse et impalpable que celle reçue par Jésus le Christ (oint) fait participer les prêtres à l’onction du Christ. Saint Grégoire de Nazianze compare l’action du prêtre “marqué au chiffre du Christ à un anneau servant à imprimer un sceau dans la cire : que cet anneau soit d’or ou de fer, l’empreinte dans la cire est la même. (homélie 40, sur le baptême, S.C. n°358, Paris 1990, p.259) La chirotonie (imposition des mains) imprime un sceau –sphragis- sur la personne ordonnée et la rend conforme au Christ pour exercer le ministère (diakonia) du Christ, unique prêtre. La manière dont l’ordination affecte un homme ne peut se concevoir, ni en termes ontologiques, ni en termes fonctionnels mais en termes personnels. (Jean Zizioulas, l’ordination est-elle un sacrement ? in Concilium n°74,1972. ). Le sceau est un don vivant du Saint Esprit qui donne à certains hommes le service (diakonia) de Le communiquer aux autres. Le prêtre devient icône, sa personne liturgique renvoie au prototype, le Christ.
“Celui qui sanctifie et qui transforme c’est lui, le Christ. Il n’est pas vrai qu’ici ce soit un homme qui fasse tout, tandis qu’à la cène c’était le Christ. C’est ce dernier qui agit dans les deux cas. Aussi, lorsque tu vois le prêtre qui te présente l’oblation, ne juge pas que ce soit lui qui opère et étend la main. De même, lorsque le prêtre baptise, ce n’est pas lui qui te baptise, mais c’est Dieu qui de sa main invisible te touche la tête, ici de même.” (Saint Jean Chrysostome, hom. 82 sur saint Mathieu P.G. 57)
La puissance vient de Dieu même, c’est l’Esprit souverain qui repose, sur le Fils bien aimé Jésus Christ. Le Logos n’est jamais sans l’Esprit, l’Esprit sans le Christ, les deux mains du Père dit saint Irénée. Le Christ à son tour a donné cet Esprit aux Saints Apôtres et c’est ainsi que l’Esprit du Christ se propage, Tradition divine, à travers les siècles pour la louange incessante.
Le sacerdoce royal des fidèles
Ceux qui n’ont pas reçu la chirotonie ne sont pourtant pas privés de l’esprit du sacerdoce. S’il est abusif, voire erroné de faire dériver le sacerdoce ministériel du sacerdoce royal des fidèles, il est tout aussi abusif de dire que le sacerdoce des baptisés est moindre ou dérivé du sacerdoce hiérarchique. Il est d’une autre nature.
“Mais vous, vous êtes une race élue, un sacerdoce royal, une nation sainte, un peuple qu’il s’est acquis pour annoncer les vertus de celui qui vous a appelé des ténèbres à sa merveilleuse lumière -1 Pierre 2,9-.
Par le baptême et le sceau du Saint Esprit (chrismation) tous les chrétiens reçoivent le sceau du Christ. Ils ont donc part, selon leur condition, au sacerdoce du Christ.
“Dans l’unité de la foi et du baptême, nous formons une société sans discrimination ; et commune est notre dignité selon le témoignage du bienheureux Pierre. Tous ceux qui sont renés dans le Christ, le signe de croix les fait rois, et l’onction du Saint Esprit les consacre prêtres, afin qu’en dehors de la servitude spéciale de notre ministère, tous les chrétiens spirituels et raisonnables se reconnaissent participants d’une race royale et d’une fonction sacerdotale.” (Léon de Rome, P.L. 54)
C’est tout le peuple chrétien qui est véritablement roi et prêtre.
Mais comment s’exerce concrètement cette condition sacerdotale ?
La consécration sacerdotale, nous l’avons lu plus haut est liée au baptême et à l’onction, c’est à toute l’Eglise et à tout le peuple qu’est confié le sacerdoce.
“Le prêtre souverain, revêtu de la tunique sacerdotale nous a porté tous car lui même était le corps parfait et nous ses membres, qui ne faisons qu’un avec son corps parfait, nous sommes portés par le Logos lui-même”. Saint Hippolyte, Commentaire sur Daniel S.C. n°14, 1947
La condition sacerdotale du chrétien :
Les prêtres de la première Alliance appartiennent exclusivement à la tribu d’Aaron, eux seuls offrent le sacrifice et consomment les victimes. Seul le grand prêtre entre dans le Saint des Saints. Le sacerdoce est monopolisé par une famille. Christ a établi Tel est l’honneur du sacerdoce royal des fidèles selon la déclaration de l'apôtre Pierre.
Les fidèles reçoivent la paix comme le dit plus haut Théodore, et aussi échangent le baiser de paix, car l’esprit du sacerdoce du Christ repose en plénitude sur tout le corps de l’Eglise et sur chacun.
Le sacerdoce ne s’exprime pas seulement dans le culte liturgique. Le “royaume de prêtres, la race sainte” -Exode 19,6- conforme sa vie à sa foi. La loi (Thora) du Seigneur fait les délices du fidèle. Le disciple du Christ offre ainsi un véritable sacrifice spirituel sur l’autel de son coeur. L’ode 20 de Salomon décrit merveilleusement ce sacrifice en Esprit :
“Je suis prêtre du Seigneur, pour lui j’exerce mon sacerdoce. Je lui offre le sacrifice de ma pensée. Car sa pensée n’est pas comme celle du monde, ni comme celle de la chair, ni comme celle de ceux qui agissent charnellement. Le sacrifice du Seigneur, c’est la justice, ainsi que la pureté du coeur et des lèvres. Offre tes reins sans reproche, que ton coeur n’opprime aucun coeur, que ton âme n’opprime aucune âme ! N’acquiers pas l’étranger au prix de ton âme, ne cherche pas à dévorer le prochain, et ne lui vole pas la couverture de sa nudité. Revêts abondamment la grâce du Seigneur, reviens au Paradis, dresse-toi une couronne de son arbre et pose-la sur ta tête. Sois heureux et repose en sa suavité. Et la gloire marchera devant toi, tu recevras de sa douceur et de sa grâce, et tu t’engraisseras dans la vérité, par la louange de sa sainteté. Gloire et honneur à son nom ! Alleluia ! Odes de Salomon (anonyme de la première moitié du IIème siècle). Pierre Batifoll, in Revue Biblique 1911.
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