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La divine miséricorde

 

1.     Dieu bon et compatissant

 

Ouvrant nos yeux sur les conditions de vie de notre monde, nous devons constater que le monde est sans pitié pour les faibles, dur pour les plus forts. Cela n'est pas nouveau, toutes les générations ont connu les difficultés de la vie en société. Aujourd'hui la loi du marché gouverne notre économie libérale, elle exploite la nature, profite de la main d'oeuvre et utilise l'homme comme un matériel que l'on peut jeter après usage ou remplacer sans état d'âme par plus performant. Ceux qui ont l'ambition de gouverner et d'organiser la société pour le bien des hommes risquent d'accroître la dureté en raisonnant en terme de croissance et négligeant la personne unique.

Nous vivons trop souvent loin des idéaux de justice de la Loi/Thora et de l'amour fraternel de l'Evangile. C'est que le prince de ce monde ne laisse aucun repos à sa malfaisance.

 

Souvent, pour beaucoup, il  faut les épreuves de la vie pour se souvenir de l'Eglise et penser à notre Créateur. Et encore, combien se tournent vers l'idolâtrie de la magie ou de l'astrologie plutôt que vers la Source de vie?

L'humanité semble apparemment abandonnée par la providence et Dieu bien lointain.

Un partage s'établit entre ceux dont la foi est faible ou même absente, et ceux qui ont cherché le visage du créateur et qui ont reçu la grâce de l'entrevoir. Ces derniers savent que le Dieu vivant prend terriblement au sérieux la liberté qu'il a donnée à sa créature au point d'accepter la possibilité d'être repoussé, renié, nié. Pourtant, lui est fidèle à sa parole, il n'abandonne pas l'humanité au péché, la liturgie copte-orthodoxe de saint Basile nous fait confesser:

 

" < . >Quand nous avons désobéi à tes commandements à cause du serpent, nous avons été déchus de la vie éternelle et avons été exilés du paradis de la joie. Cependant, tu ne nous as pas abandonnés et tu nous as visités par tes saints prophètes, et, à la fin des temps, tu nous es apparu, à nous qui étions assis dans les ténèbres, à l'ombre de la mort, par ton Fils unique et sauveur Jésus-Christ <. > selon ta miséricorde, ô Seigneur, et non selon nos iniquités <. >"

 

Les derniers mots font écho aux versets 4 & 5 du chapitre 3 de l'épître de saint Paul à Tite: "La bonté du Sauveur, notre Dieu, et son amour pour les hommes sont apparus. Ce n'est pas en raison des oeuvres de justice que nous avons accomplies, mais en vertu de sa miséricorde qu'il nous sauve".

Notre créateur établit l'Alliance avec les hommes pour les sauver de l'empire de la mort. Dès le début, même sous la rigueur de la pédagogie de la Loi, il se révèle à Moïse comme le miséricordieux.

 

Le terme miséricorde ne doit pas se laisser réduire au sens courant dans notre langue de sentiment de pitié envers les coupables. A l'aide du vocabulaire hébreu, il nous faut élargir la portée du concept de miséricorde.

 

* Rahamim   en grec de la  septante  oiktirmoi, en français, miséricordieux, compatissant. Rehem, c'est l'utérus, le sein maternel, le pluriel rahamim désigne les entrailles. Ce mot marque l'attachement viscéral, la tendresse de celui qui tressaille dans sa chair, qui est ému jusqu'aux entrailles.

* Hesed, loyauté entre deux personnes, grec de la septante eleos, (l'adjectif  hasid grec eleemon est traduit aussi par pieux) le français traduit par miséricorde, pitié, bonté. Le mot hesed implique la fidélité 'emet; les deux mots, hesed & 'emet,  sont apparentés et souvent alliés.

Les traductions françaises donc, oscillent pour ces trois mots, de la miséricorde, l'amour, la tendresse, la bonté, à la piété, la compassion, la clémence. Toutes ces notions sont englobées dans un autre mot parfois aussi traduit par miséricorde:

* Hen, faveur, grâce, hannum celui qui fait grâce.

 

Tout le long de l'histoire, Dieu manifeste sa tendresse, sa miséricorde envers l'humanité à tout moment de la vie et surtout dans l'adversité et la peine.

La liturgie de notre Eglise d'Alexandrie ouvre tous les rites des sacrements et des oblations, par la prière d'action de grâces qui remercie le Seigneur de toutes ses miséricordes:

 

Rendons grâces au Dieu bienfaiteur hesed et miséricordieux rahamim,  Père de notre Seigneur  Dieu et sauveur Jésus-Christ, car il nous a protégés, aidés et gardés, acceptés auprès de Lui. reçus avec bonté 'emet, traités avec miséricorde hen.  Il nous a soutenus et amenés jusqu'à cette heure. Prions-le de nous garder encore en ce saint jour et tous les jours de notre vie dans la paix, lui qui est tout puissant le Seigneur notre Dieu.

 

Notre prière d'action de grâces résume  tous les sens du mot miséricorde. En elle, toute notre vie, du baptême à l'office des funérailles, en passant par tous les sacrements est une perpétuelle eucharistie (= action de grâce) au mystère de l'amour divin.

 

Toute l'histoire sacrée du peuple de Dieu qui doit devenir l'histoire de notre vie concrète est la révélation et l'expérience de l'amour de Dieu. En sachant aussi,  que l'amour de Dieu est un amour jaloux qui ne laisse pas les caprices du péché dans l'indifférence:

"Adonaï, Adonaï! Dieu miséricordieux  hen et compatissant  rahamim, lent à la colère et riche en bonté  hesed et fidélité  emet qui garde sa bonté hesed jusqu'à mille générations,  qui supporte faute, révolte et péché, mais ne laisse rien impuni  visitant l'iniquité des pères sur les fils des fils, sur la troisième génération et sur la quatrième génération."  Exode 34, 6.

Si Dieu visite l'iniquité ce n'est pas pour apporter un châtiment de représaille  gratuite mais pour corriger la trajectoire de la vie. Nous nous souvenons que l'étymologie du mot péché signifie "manquer la cible", l'objectif.

L'amour de Dieu est depuis le péché d'Adam, un amour de souffrance d'un père désolé de voir son enfant se détruire. L'espace de cette monographie ne permet pas de citer toutes les références de la première Alliance: Osée 11 "Quand Israël était enfant, je l'aimai, et de l'Egypte, j'appelai mon fils. < > mon coeur en moi se retourne, toutes mes entrailles rahamim frémissent.<> je suis Dieu et non pas un homme: au milieu de toi je suis le saint et je n'aime pas à détruire".  Dieu a des entrailles de Père pour son peuple; malgré ses péchés, il l'enveloppe de sa tendresse. Lisez dans votre Bible Jérémie 3, 12 sq. & 31, 20 où Adonaï met Israël rebelle au rang de fils pour qui ses entrailles s'émeuvent et débordent de tendresse. Le Père saint compare son peuple avec audace à une épouse toujours aimée malgré ses infidélités: Osée 2, 8sq.  & Isaïe 54, 6sq. "un court instant, je t'avais délaissé, mais ému d'une immense pitié rahamim, je te rassemblerai. Dans un débordement de fureur, un instant je t'avais caché ma face. Dans mon amour hesed éternel j'ai pitié rahamim de toi <> les montagnes peuvent s'en aller <> mais mon amour  hesed pour toi ne s'en ira pas <> a déclaré Adonaï qui a pitié rahamim de toi".  A cette déclaration d'alliance d'amour éternel, répond la confiance du psaume 102 LXX (ou Héb. 103): "Bénis le Seigneur, ô mon âme <> qui te couronne d'amour hesed et de tendresse rahamim <>Le Seigneur est tendresse rahamim et pitié  hen, lent à la colère et plein d'amour  hesed .. "

Le texte passe du singulier au pluriel pour nous montrer que chaque fidèle doit s'appliquer l'action de grâce du psalmiste qui est celle de tout l'Israël de Dieu.

La pitié du créateur se manifeste en plénitude dans la venue dans la chair du Fils de Dieu pour accomplir à cause de son amour  sa mission messianique.

 

" S'il est descendu sur terre, c'est par compassion pour le genre humain. Oui, il a souffert nos souffrances avant même d'avoir souffert la croix, avant d'avoir pris notre chair. Car s'il n'avait pas souffert, il ne serait venu partager avec nous la vie humaine. D'abord, il a souffert, puis il est descendu. Mais quelle est cette passion qu'il a ressentie pour nous? C'est la passion de l'amour.  Et le Père lui-même, le Dieu de l'univers, lent à la colère et riche en miséricorde, ne souffre-t-il pas lui aussi avec nous, d'une certaine manière? Ignorerais-tu qu'en gouvernant les choses humaines, il compatit aux souffrances des hommes? En effet, le seigneur  ton Dieu a supporté ta conduite comme un père supporte son fils. De même que le Fils de Dieu  a porté nos souffrances, de même Dieu supporte notre conduite. Le Père, lui non plus n'est pas impassible<> il a pitié, il connaît quelque chose de l'amour, il a des miséricordes que sa souveraine majesté semblerait devoir lui interdire".

                                                           Origène, 6è. homélie sur Ezechiel.

Jésus nous a révélé par, son incarnation, sa prédication en Palestine, sa croix et sa résurrection, toute la tendresse de Dieu. Il nous a démontré que pour la divinité aussi l'amour n'est pas sans y mettre du prix. La croix est le signe de l'amour et il n'y a pas d'amour sans la croix. Ne soyons pas ingrats.

 

2.Jésus, grand prêtre miséricordieux

 

Dieu, Père de notre Seigneur Jésus Christ a poussé jusqu'aux extrêmes limites son amour envers les hommes. Les prophètes de la première Alliance ont annoncé la venue personnelle du Roi et Créateur comme rédempteur et berger de son peuple. Consolez, consolez mon peuple dit votre Dieu <> Voici le Seigneur Adonaï<> tel un berger qui fait paître son troupeau, recueille dans ses bras les agneaux, les met sur sa poitrine conduit au repos les brebis. Isaïe 40, 1- sq. . Ils ont à peine entrevu que pour mettre le comble à son amour et sauver  l'homme, du péché et de la mort, le Logos/Parole divin a voulu devenir en tout semblable à nous, expérimenter la mort pour que désormais la mort soit dépossédée et remplie de Sa vie.

 

"La bonté hesed / eleos du Seigneur ne nous a pas abandonnés et nous n'avons pas découragé son amour rahamim / oiktirmoï envers nous. <> Bien au contraire, nous avons été tirés de la mort et rendus à la vie par notre Seigneur Jésus Christ. Ici la manière dont il nous a comblés de bienfaits Hen est plus admirable encore: Lui qui était de condition divine, il n'a pas jugé bon de revendiquer son droit d'être traité à l'égal de Dieu; mais au contraire, il se dépouilla lui-même en prenant la condition de serviteur.  En outre, il a porté nos souffrances, il s'est chargé de nos maladies, il a été blessé pour nous afin que nous soyons guéris par ses plaies. Il nous a rachetés de la malédiction en devenant lui-même malédiction pour nous. Il a subi la mort la plus déshonorante pour nous ramener à la vie de la gloire.

Et il ne lui a pas suffi de rendre à la vie ceux qui étaient morts; il leur a donné gracieusement hen la dignité divine et leur a préparé dans l'éternel repos un bonheur qui surpasse tout ce que l'homme peut imaginer."

Saint Basile, Grandes Règles monastiques, P.G. 31

 

Jésus nous a montré le visage de la miséricorde divine par ses actes, sa passion et la croix salvatrice, il a aussi expliqué le mode de la tendresse de Dieu et invité les disciples à faire leur cette ligne de vie.

Jésus annonce la Bonne Nouvelle aux pauvres, il est l'ami des publicains et des pécheurs, il leur fait bon accueil, il se laisse toucher par les malades, oindre par la pécheresse, avec une grande délicatesse sans exercer de jugement, il pardonne les péchés.

De nombreuses fois les évangélistes utilisent le mot splanchnizomai = s'émouvoir jusqu'aux entrailles, synonyme d'oiktirmoï / rahamim, pour décrire les actions messianiques de Jésus. " à la vue de la grande foule, il en eut pitié splanchnizomaï  car ces gens étaient las et prostrés comme des brebis sans berger .  Math. 9,36 parallèles chez Marc 6, 34, Math. 14, 14.

Ses entrailles frémissent aussi devant les souffrances causées par la mort de son fils à la veuve de Naïm . Luc 7, 13

 

Trois paraboles témoignent de la compassion par l'usage de l'expression "ému jusqu'au entrailles".

Dans la première, Math. 18, 23-35, Jésus montre à Pierre qu'il n'y a pas de limite au pardon et qu'il convient de s'émouvoir jusqu'aux entrailles, comme le maître du débiteur impitoyable qui lui remet sa dette incommensurable.

La seconde, Luc 10, 25-35, il explique à un docteur de la loi  qui est le prochain. Le bon samaritain, ému de compassion par le blessé sur le chemin donne la réponse: Tout homme sans considération d'ethnie, de langue, de condition sociale, de religion, est le prochain . Les pères ont aussi entendu la parabole comme un exemple du Seigneur lui-même qui a eu pitié de notre race.

La troisième, est lue dans l'Eglise pendant le carême, le lectionnaire copte pour le 3è.  dimanche, le lectionnaire oecuménique pour le 4è. dimanche de carême (année C ). Il s'agit de la parabole que nous avons l'habitude d'appeler en occident "du Fils prodigue", nous devrions plutôt l'appeler "du Père longanime et compatissant". Luc 15, 11-32.

Nous devons lire cette parabole en gardant en mémoire tout l'enseignement de l'histoire de la première Alliance admirablement résumé dans l'anaphore de saint Basile déjà citée.

Le plus jeune fils comme Adam et sa descendance, a voulu l'autonomie, il s'est éloigné de son père, il a fait l'expérience du péché, a connu l'exaltation de la débauche,  pour finalement trouver la faim et le malheur. Il a regretté, non sa faute et son inconduite, mais le temps où, près de son père, il avait tout en abondance. Il décide de retourner vers son père et prépare un discours pour rentrer en grâce ou du moins être accueilli  et nourri de pain en surabondance. Mais, si le fils est prodigue, le père est fidèle, il attendait un geste. Dès qu'il vit son fils, encore loin, il fut touché de compassion esplanchnisthe, il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Il ne laisse pas son fils débiter son discours de repentir, Il le revêt du beau vêtement et lui remet l'anneau. La fête commence. Il y a déjà bien longtemps que le Père  a pardonné.

Il n'y a pas d'image plus douce et plus adéquate pour révéler que Dieu, le père miséricordieux, laisse ses enfants libres, ne s'oppose pas à leur privauté, leur laisse assumer les conséquences de leur choix mais son coeur déborde de tendresse, il attend le moindre début de conversion, de changement d'esprit, même si les motifs ne sont pas les plus nobles ou affectueux envers lui, pour exercer sa pitié hesed et faire grâce hen .

La compassion généreuse et son amour sans limite scandalisent le frère aîné et avec lui les pharisiens et tous ceux qui mettent confiance en leur prétendue droiture, en s'écriant au déni de justice. Pourtant tous sont pécheurs et doivent se reconnaître pécheurs et serviteurs inutiles afin de bénéficier de la miséricorde apportée en Jésus le messie. "Dieu a enfermé tous les hommes dans la désobéissance pour faire à tous miséricorde" Rom. 11,32. En Jésus seul "la miséricorde et la vérité se rencontrent, la justice et la paix s'embrassent" Ps. 84, Héb 85.

 

Soeur Thérèse de Lisieux  a justement écrit

" Dieu est amour; la justice de Dieu est dépendante de son amour; la justice de Dieu s'est réalisée une fois pour toutes en Jésus <> Toutes nos justices ont des taches, à tes yeux, Seigneur. Je veux donc me revêtir de ta propre justice et recevoir de ton amour la possession éternelle de toi-même".

 

Notre justice est dans la foi  dans Jésus le Fils de Dieu qui dans sa chair, par la croix "est à l'origine du Salut de tous. Car Jésus qui sanctifie, et les hommes qui sont sanctifiés, sont de la même race; <> Il a voulu partager la condition humaine: ainsi par sa mort, il a pu réduire à l'impuissance celui qui possédait le pouvoir de la mort <>Il lui fallait donc devenir semblables à ses frères, pour être dans leur relations avec Dieu, un grand prêtre miséricordieux  eleemon / hesed et fidèle  pistos/ 'emet, capable d'enlever les péchés du peuple". Hébreux 2, 11- 18.

Le Logos/Parole a voulu partager, lui de condition divine, la condition humaine, il a été touché par la misère et la souffrance, il a porté le péché du monde, lui sans péché,  et par sa mort, condamné le péché dans sa chair pour nous ouvrir le chemin de la résurrection et de la vie sans fin des enfants de lumière.

 

Pour être en toute vérité enfants de lumière, les disciples doivent être parfaits comme le Père céleste est parfait, c'est à dire miséricordieux comme le Père est miséricordieux.  Luc 6, 36.

C'est la condition essentielle pour entrer dans le royaume de Dieu, car nous serons jugés d'après la miséricorde que nous aurons exercée à l'égard de notre prochain. En aimant le prochain, c'est Jésus lui-même que nous aimons. Le premier pas vers l'amour miséricordieux  est l'absence de tout jugement, laissant à Dieu le jugement. Nous avons reçu le sceau du saint Esprit, soyons entre nous plein de générosité et de tendresse car comme le suggère saint Jean, l'amour de Dieu ne demeure que dans ceux qui exercent la miséricorde. 1 Jean 3, 17.

 

+ Elias-Patrick   Noël 1996          

Bibliographie:

Jules Cambier & Xavier Léon-Dufour, article miséricorde in Vocabulaire de Théologie biblique, Paris,  Cerf 1962

 

                           

 

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