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La Prière du Seigneur |
La
prière du Seigneur Par
l'higoumène Elias-Patrick Les évangélistes nous montrent souvent Jésus se retirant à l’écart
pour prier. Au milieu des foules, il n’hésite pas non plus à tressaillir dans
l’Esprit Saint et faire éclater sa joie de connaître la volonté du Père. La vue
du maître en prière laissaient les disciples étonnés; Il utilise certes les
formes traditionnelles de la prière juive, notamment la bénédiction et les
psaumes, mais Jésus montre une attitude nouvelle dans la prière, née de sa
relation unique avec Adonaï. Toute la prière de Jésus et son enseignement sur la
prière découlent de son expérience de Dieu comme Père, Abba.
A ses
disciples qui lui demandent de leur apprendre à prier, Il leur donne un modèle
(et non une formule) transmis par Mathieu
6, 9-13, et Luc 11, 2-4: le notre Père ou prière dominicale.-1- . Le texte même n’est pas une révélation nouvelle, Christ vient
accomplir la Thora (Loi), non l’écarter; la nouvelle Alliance sort de la
première Alliance sans la renier, elle ne la détruit pas, elle la renouvelle,
elle la transfigure: l’Alliance éternelle change la lettre en Esprit.
La prière dominicale, de même, a ses sources dans les prières juives
que Jésus prononça certainement. On a établi de nombreux rapprochements, il
suffira de citer deux prières importantes: le Qaddish et le shemôné essré ou
Tefila (dix huit bénédictions). Le Qaddish primitif a un caractère purement messianique qui a encore
été accentué par son amplification après la destruction du temple: l’idée
fondamentale est l’établissement de la grandeur et de la sainteté du Nom
ineffable; c’est la vocation suprême de l’assemblée (Qahal= Eglise)
d’Israël. Il doit
conclure l’étude et la récitation de l’écriture, il est au coeur de toute prière
publique, dans le judaïsme contemporain, il est aussi la prière que l’on
prononce sur un mort. -2- Il requiert, pour manifester le Qahal
d’Israël, la présence d’au moins dix hommes. Que soit glorifié et sanctifié, le grand Nom, dans le monde qu’il a
créé selon sa volonté. Qu’il fasse régner son règne en votre vie et dans vos
jours, et dans la vie de toute la maison d’Israël, bientôt, dans un temps
prochain et dites: Amen.
Que son grand Nom soit béni à jamais et dans toute l’éternité. Que
soit béni, loué, célébré, vénéré, exalté, honoré, magnifié et glorifié le Nom du
saint, béni soit il, au dessus de
toutes bénédictions, cantiques, louanges et paroles de consolation qui se
prononcent dans le monde. et dites: Amen. Que soient reçues les prières et supplications de tout Israël, devant
leur Père des cieux et dites: Amen. Que soit béni le Nom, d’ici jusqu’en l’éternité. Qu’une grande paix
vienne du ciel, ainsi que la vie, sur nous et sur Israël et dites: Amen.Que
Celui qui établit la paix dans les cieux, établisse la paix sur nous et sur tout
Israël et dites: Amen. Sur Israël, sur nos maîtres, sur les disciples, sur tous les
disciples de leurs disciples et sur tous ceux qui se préoccupent de la Thora, en
ce lieu et en tout lieu, qu’ils aient, ainsi que vous, une paix abondante,
faveur, grâce et miséricorde, longue vie, abondance et rédemption de leur Père
qui est au ciel et sur terre,et dites: Amen. La prière du matin comprend
notamment les dix huit bénédictions articulées sur cinq thèmes:
1 Confession de la grandeur de Dieu, 2. demande des biens spirituels, 3. demande des biens matériels, 4. la quête du secours de Dieu, 5.l’action de grâces et doxologie. Nous retrouverons un ordre
similaire dans la prière dominicale. 3è bénédiction: Nous sanctifierons ton Nom dans le monde, de même qu’on le sanctifie
au plus haut des cieux, ainsi qu’il est écrit par la main de ton prophète: L’un
appelle, l’autre s’écrie: saint, saint, saint est le Seigneur Sabbaot, remplie
est toute la terre de sa gloire. Ceux qui sont devant eux disent: Bénie la
gloire du Seigneur où elle se trouve! Et dans tes paroles saintes il est ainsi écrit:
le Seigneur règne pour l’éternité, ton Dieu, Sion, d’âge en âge. Alleluia! de
génération en génération nous
proclamons ta grandeur, pour les siècles des siècles nous sanctifions ta
sainteté, et ta louange, notre Dieu ne quittera point notre bouche pour
toujours, à jamais; car tu es Dieu, Roi, grand et saint. Tu es béni, Seigneur
Dieu saint. 6è bénédiction: Pardonne nous, notre Père, car nous avons péché, absous nous, notre
roi, car nous avons mal fait, car tu es celui qui pardonnes et absous. Tu es
béni, Seigneur miséricordieux, qui pardonnes sans
restriction. Bénédiction 16b: . .. Délivres nous de l’instinct mauvais et méchant, du voisin mauvais
et du satan destructeur...Ne nous fais pas entrer au pouvoir du péché... ni au
pouvoir de la tentation, ni au pouvoir du
déshonneur... La prière concerne Dieu et est une contribution de la créature à
l’oeuvre du créateur; elle consiste à adapter la vie de l’homme au programme
divin. Elle n’est pas voeu pieux sans lendemain, elle engage celui qui la
prononce et Celui qui la reçoit. C’est pour cela que le Seigneur Jésus remet à
ses disciples une prière courte, concise, qui selon le mot de Tertullien est
l’abrégé de tout l’Evangile. “Toute prière,
quelle qu’elle soit, est enseignement sur la vie, pour qui s’applique au devoir.
Car, tels nous voulons que soient nos moeurs, telle nous nous efforçons aussi
que soit notre prière. <...> la prière, ce n’est pas en mots qu’elle
consiste, mais en moeurs, amour et application au bien.(...) C’est pourquoi, le
Seigneur, aux disciples qui demandaient à apprendre une prière(dit): Si c’est à
la prière que vous vous appliquez, sachez qu’elle ne consiste pas en paroles,
mais dans le choix d’une vie vertueuse, dans l’amour pour Dieu et le zèle pour
le bien. Si vous vous appliquez à ces choses , durant toute votre vie vous serez
à prier.” -3- La prière dominicale Avant de pénétrer dans le corps même de la prière du Seigneur, nous
allons poser un regard macroscopique pour saisir la structure du texte, puis
appréhender le climat nécessaire à son épanouissement dans la vie des
fidèles. Nous
remarquons que la prière dominicale nous a été transmise par deux recensions
-4- rapportées par St. Mathieu (6,
9b-13) et St. Luc (11, 2b-4). L’un offre une version brève, l’autre une plus
longue.
Luc Mathieu Père,
Notre
Père des cieux ton
Nom soit sanctifié
ton Nom soit sanctifié ton
Règne vienne
ton Règne vienne
ta
volonté soit faite
comme au ciel, aussi sur la terre. Notre pain epiousion,donne le
Notre pain epiousion,donne le nous chaque jour,
aujourd’hui et remets nous nos péchés
et remets nous nos dettes car nous mêmes aussi remettons
comme nous aussi remettons à tout (homme) qui nous doit.
à nos débiteurs. et ne nous laisse pas entrer dans la
et ne nous laisse pas entrer dans tentation.
la
tentation
mais délivre nous du mauvais
car à toi appartiennent la puissance et la
gloire
aux siècles des siècles.
Amen. -5- Sans entrer dans les détails de la discussion exégétique, on peut
résumer l’état de la question par les deux opinions contradictoires mais
respectant toutes les deux la certitude de la transmission d’un enseignement
unique: A. le texte court de Luc serait primitif, en raison de la loi de la
transmission des textes qui établit que, vraisemblablement, lorsqu’une rédaction
courte est intégralement contenue dans une longue, c’est la plus courte qui doit
être considérée comme originale. Le fait aussi que la prière commence simplement
par “Père”, qui pourrait s’approcher mieux que “Père des cieux “ du “Abba” de
Jésus, (que l’on devrait alors traduire par “Père bien aimé”), plaide en faveur
du texte de Luc. B. La version longue de Mathieu serait plus fidèle, de par sa forme
rythmée autour du “ comme au ciel ainsi sur la terre” et serrerait de près
l’araméen. Elle serait destinée à des communautés judéo-chrétiennes tandis que
Luc aurait laissé de côté, pour les communautés hellénistes, les expressions
typiquement juives qui risquaient d’être ambiguës à ses auditeurs. (Boff, p.
29-31 & Dupont, p. 19-22). Le fait que le texte de Mathieu est repris par la
Didaché et par toutes les liturgies montre sa prééminence.
En fait, on pourrait dire aussi que pour retrouver les ipsissima
verba du Seigneur, il faudrait retenir les idées et les demandes de Luc et les
lire avec la formulation de Mathieu
qui contient les mots du vocabulaire de la prière
juive. C’est le texte de Mathieu que nous utiliserons, selon l’usage
liturgique, pour cette étude. La structure donc, est bien équilibrée autour de la formule
charnière: Comme au ciel, ainsi sur la terre. * Une invocation solennelle d’ouverture: Père notre, des
cieux. * Trois pétitions adressées à Dieu et pour Dieu: La sanctification du
Nom de Dieu, la venue du Règne de Dieu, l’accomplissement de la volonté de
Dieu. * trois demandes concernant l’homme: le pain, le pardon, la
délivrance du mauvais. Nous retrouvons dans ce schéma l’essentiel de la Tefila juive.
“Dans la prière du Seigneur, nous trouvons de manière exemplaire, la
relation juste entre Dieu et l’homme, le ciel et la terre, le religieux et le
politique, respectant l’unité de l’incarnation. La première partie concerne
Dieu: le Père, la sanctification de son Nom, son royaume, sa volonté sainte. La
seconde partie concerne l’homme: le pain nécessaire, le pardon indispensable, la
tentation toujours présente et le mal sans cesse menaçant. Ensemble, elles
constituent une seule et unique prière, la prière de Jésus. Dieu ne s’intéresse
pas seulement à ce qui lui est propre: le Nom, le royaume, la volonté divine; il
se préoccupe également de ce qui est de l’homme: le pain, le pardon, la
tentation, le mal. De son côté, l’homme ne s’en tient pas à ce qui lui importe:
le pain,le pardon, la tentation, le mal; il s’ouvre aussi à ce qui se rapporte
au Père: la sanctification de son Nom, la venue de son royaume, la réalisation
de sa volonté...L’ordre des demandes n’est pas arbitraire, on commence par Dieu
et seulement ensuite il est question de l’homme. C’est à partir de Dieu et de
son point de vue que nous nous préoccupons de nos besoins. La passion pour le
ciel s’articule avec la passion pour la terre.” (Boff,
p.14) Cette attitude n’est pas évidente: dans l’Eglise primitive, la prière
dominicale n’était enseignée aux catéchumènes qu’à l’approche immédiate du
baptême et expliquée après la célébration de l’initiation chrétienne. Elle est
conditionnée par la foi. La foi, bien sûr, dans le Père à qui on s’adresse, mais aussi en le
Fils bien aimé. C’est par Lui et en Lui que nous avons accès au Père, c’est
parce qu’Il a assumé toute l’humanité et chacun de nous que nous pouvons
ensemble, membre d’un seul Corps, oser dire en confiance Notre Père.
Jésus ne nous a pas seulement donné les mots de sa prière, il nous a
donné aussi son Esprit Saint pour que les mots deviennent en nous esprit et
vie. Alors notre
baptême et tous les mystères célébrés dans l’Eglise sont expérimentés comme un
retour au paradis, le jardin de la fréquentation divine. La rencontre, suivie de
la tension amoureuse avec le créateur nous permet véritablement mais assurément
avec audace de l’appeler Père, en s’appropriant les paroles même du Fils
unique. -6- Notre
Père Les enfants de la première Alliance ont d’abord pris conscience que
le peuple d’Israël était protégé par le Seigneur Adonaï comme un fils bien aimé.
Alors seulement, ils envisagèrent de présenter le Dieu unique et tout puissant,
créateur du ciel et de la terre, comme le père vigilant. Il est le père qui
donne la vie, le père qui éduque, le père qui aime.
Dieu est père parce qu’il est le créateur et que de lui provient la
vie (Carm. p.56 sq;): “est ce là votre reconnaissance au Seigneur, (...) n’est-il pas ton
père et ton créateur, celui qui t’a fait et affermi?”(Deut.32,
6) “Cependant,
Seigneur, tu es notre père; nous sommes l’argile, et toi notre potier, nous
sommes tous l’ouvrage de tes mains.” (Esaïe 64,
7) Dieu est père, éducateur, car il prend soin de ses créatures, les
corrige et les gouverne avec sagesse: “je proclamai:
Seigneur tu es mon Père; ne m’abandonne pas...” (Siracide 51, 10
Hb.) “Je célébrerai
les grâces du Seigneur,les exploits d’Adonaï,dans tout ce qu’il a fait pour nous
(...) Il a dit: oui, ils sont mon peuple (...) Mais ils furent rebelles et froissèrent son
esprit saint; alors il se changea pour eux en ennemi; lui-même leur fit la
guerre.(..) C’est ainsi que tu conduits ton peuple,pour te faire un nom
glorieux. (...) car tu es notre père, toi, Adonaï, tu es notre père; notre
rédempteur: voilà ton nom depuis toujours.(Esaïe 63,7-16) Mais Dieu est surtout un père qui aime ses créatures sorties de ses
mains: “ Au jour où
j’agirai, dit le seigneur des armées, ils seront pour moi un bien particulier,
et je serai pour eux plein d’indulgence, comme un homme est plein d’indulgence
pour son fils.” (Malachie 3,
17) Un hymne de Qumrâm exprime cette
tendresse: “Car toi, plus que mon Père Tu m’as connu (...) et plus que ma mère
tu t’es occupé de moi. (...) l’abondance de tes pardons accompagne mes pas, et
la foule des tendresses influence ton jugement sur moi.(...) Car tu es un Père
pour tous tes fils fidèles, tu as exulté sur eux comme une maman sur son bébé,
et comme celui qui porte sur sa poitrine, tu sustentes toutes tes oeuvres.”
(cité par Carm. p. 58) Le Créateur a tellement aimé le monde qu’il lui envoie son Fils, son
Unique. Au terme de son Economie, Jésus donne sa vie; le ressuscité associe tout
en marquant bien les distances, ses disciples à sa qualité de Fils de Dieu, il
annonce à Marie Magdeleine: “ Je remonte vers mon Père et votre Père, vers mon
Dieu et votre Dieu.” (Jean 2O, 17). A partir de sa résurrection, le Christ
associe les croyants à sa vie de ressuscité, à sa condition de Fils, vivant
auprès du Père; il répand sur eux son Esprit vivifiant. Et l’Esprit fait de nous
les membres du corps du Christ, son Eglise. Présent en nos coeurs, il y répand
l’amour de Dieu, il nous déifie. Nous pouvons en toute vérité, alors
appeler Dieu, le tout autre : notre
Père. “C’est la grâce de l’Esprit Saint, reçue (par Jésus le Christ) qui
nous a valu l’adoption filiale; et nous avons la liberté d’appeler Dieu Père”
(Théodore p. 299). Nés de l’Esprit, l’homme
a la liberté d’appeler Dieu Père. Car Dieu lui est présent comme un père: Il
prend soin de ses enfants; l’homme n’est pas un produit d’un hasard ou d’une
nécessité, mais une personne unique aimé de Dieu. Pourtant, “si l’on considère
l’état anormal et aberrant de ce monde, il n’est pas évident d’aimer Dieu comme
un Père (Abba). Nous avons besoin de foi, d’espérance et d’amour, pour écarter
la tentation du scepticisme et de la révolte et répéter avec Jésus: notre Père. Si lui même ne nous l’avait
pas enseigné et demandé de prier, certainement nous n’aurions jamais osé nous
exclamer, pleins de confiance et de tendresse: Père bien aimé.” (Boff p.
36) Notre prière est l’écho de celle de Jésus. Lui seul peut en toute
vérité appeler Dieu Abba, Père saint. Pour lui, ce vocable est l’expression de
sa filiation divine unique. “Cette prière
nous pouvons l’utiliser que dans la mesure où nous sommes profondément unis au
Christ; Ce n’est qu’en Christ, lui la seule porte qui s’ouvre sur la paternité
de Dieu, que nous pouvons devenir les fils et filles du Très Haut”. -7-.
Par la rédemption opérée par le sang du Christ, le chrétien devient
fils adoptif du Père et temple du Saint Esprit (1 corinth. 6, 19). Grâce au
Christ, qui est l’aîné “le premier né d’une multitude de
frères” (Rom. 8, 29), l’homme peut sans crainte de confusion entre le
Créateur et la créature, appeler Dieu, Père. “Voyez,quel grand amour nous a donné le Père
pour que nous soyons appelés enfants de Dieu, car nous le sommes , dès
maintenant nous le sommes. (1 Jean, 3, 1). Laissons nous aller à la joie de notre adoption. Cette joie résulte
de la confiance filiale, la liturgie orientale, avant de chanter la prière
dominicale dit: Rends nous digne, Maître, d’oser en toute confiance, ( parrhésia
= certitude confiante, audace humble et joyeuse) t’appeler Père, toi le Dieu du
Ciel et te dire: Notre Père. “La conscience
que nous avons de notre situation d’esclaves nous ferait rentrer sous terre,
notre condition terrestre se fondrait en poussière, si l’autorité de notre Père
lui-même et l’Esprit de son Fils ne nous poussaient à proférer ce cri: Abba
Père.(...) Quand la faiblesse d’un mortel oserait-elle appeler Dieu son Père,
sinon seulement lorsque l’intime de l’homme est animé par la Puissance d’en
haut.” -8- “En face de
Dieu, nous ne sommes pas “Je”, nous sommes “nous”. Chacun de nous est fils de
Dieu en tant que co-héritier, co-fils avec les autres; en chacun repose la
semence de la divinité, mais cette divinité est donné au membre du Corps du
Christ” . -9- Ce nous porte une exigence: celle d’une fraternité entre tous les
hommes; dire notre Père, ce n’est pas seulement confesser notre filiation
divine, c’est aussi, ayant découvert en Dieu la source de cette fraternité,
affirmer notre union à nos frères. Le notre Père n’est pas la prière d’un
individu mais comme le dit saint Cyrille de Jérusalem, la vénérable prière de
famille laissée par le Christ à ses disciples. Tous les hommes sont en réalité des frères, ayant le même Père, ils
doivent s’aimer et se traiter comme tels. La création constitue en Dieu une
indubitable fraternité universelle; toutefois le cercle de famille est plus ou
moins grand, les membres plus ou moins proches, sans nier cette fraternité, le
droit d’appeler Dieu Père se limite aux membres du Christ.
L’Eglise ancienne l’a bien mis en valeur en réservant la prière
dominicale aux “illuminés” et en l’insérant dans la liturgie du baptême. Celui
qui a reçu le don du baptême peut invoquer Dieu comme son Père, puisqu’il est
admis parmi les fils et filles de la grâce. Recevons avec gratitude ce
don. Notre Père des cieux Si Jésus nous
demande de prier Dieu comme un Père aimant, il exige aussi que nous purifions
nos pensées et notre coeur des fausses images de ce monde et que notre relation
avec le Père soit débarrassée des handicaps de notre histoire personnelle avec
notre père ou notre mère. “ Notre Père des cieux est un cri de liberté: notre
vie s’enracine dans un Père généreux, qui n’ayant ni père ni mère, ne projette
pas sur nous l’ombre d’une hérédité mêlée de lumière et de ténèbres”
–
10- Nous nous adressons au “Père des lumières
qui ne connait ni ombre ni variation” (Jacques 1,
17), nous sommes
libérés des traumatismes psychiques du désir et de la peur, ou de l’attente
déçue, qui nous maintiennent en esclavage. “ A présent nous sommes des fils
adultes, la relation que nous établissons avec Dieu-Père ne naît pas d’une
dépendance infantile et névrotique mais d’une autonomie <reçue et acceptée
>et d’une décision de liberté.” (Boff, p. 56) Cette attitude nous réconcilie avec les paternités que nous pouvons
appeler relatives. Nous sommes les fils de Dieu par la grâce, notre source est
en Dieu. “Les paternités- culturelles, familiales, spirituelles et autres- sont
dignes d’être honorées, telles des icônes, reflets de l’unique Paternité.
Ecoutons les autres avec respect, librement, mais le seul Père à qui nous devons
obéir est le Père céleste” ( +Jean,p. 118).
La précision
notre Père des cieux -11- se rapporte à
l’être même de Dieu. Sa présence n’est pas limitée à des lieux sacrés: montagnes
saintes, temple, sanctuaires, désert. Notre Dieu n’est pas exclusivement le Dieu
d’une race, d’un peuple, il est le créateur de tout, des choses visibles et invisibles. Il est
accessible à tous, sans condition ethnique ou cultuelle. Il est au delà de tout
mais il enveloppe tout, pénètre tout , offrant à tous sa bonté paternelle. Les
cieux mettent toutefois en évidence la distance; Dieu est partout présent et
remplit tout, mais la création n’est pas une émanation panthéiste de la
divinité. Dieu est un Père proche mais ne se confond pas avec la création, il
est le Tout Autre. Les psaumes
présentent souvent les cieux comme la demeure de Dieu : “Il est celui qui habite les cieux” , “les cieux appartiennent au
Seigneur et il a donné la terre au fils des hommes”(Psaumes
2&115). Pourtant cette
image reste qu’une image et le premier livre des Rois ( 8, 27
) n’hésite pas
à la corriger “ les cieux et les cieux
des cieux ne peuvent contenir le Créateur “. Les cieux sont en quelque sorte
l’équivalent de la gloire qui dévoile et cache tout à la fois la face du
Créateur. Il est le céleste, nous sommes terrestres. Il incline les cieux et
descend vers nous. Nous n’avons pas besoin de temple ou de médiateur pour nous
présenter devant lui et offrir notre prière; en tout temps et en tout lieux, le
Miséricordieux écoute la prière des humbles.
Les cieux bibliques ne sont pas vides. Notre Dieu est Un mais pas
seul. Lui même est trinité de personnes, il est entouré et servi par une
multitude d’êtres magnifiques, “quand nous disons Père des cieux, nous signifions donc
que, au-delà de nous, vit l’infini cosmos dont nous sommes qu’une infirme
parcelle, que Dieu n’est pas seul, qu’il est entouré des saints, des anges”.
(+Jean p. 13O). Dieu et les habitants de son royaume n’occupent point d’espace, en ce
sens, ils sont célestes, ils sont impalpables à nos sens grossiers mais, avec
les sens de l’homme intérieur, l’homme nouveau, ils peuvent devenir accessibles.
Saint Cyrille de Jérusalem avance
timidement: “Les cieux
pourraient bien être les hommes qui portent l’image du Céleste, et au milieu
desquels Dieu réside et se promène” -12- Augustin d’Hippone, avec assurance,
affirme: “C’est avec raison que ces paroles “Notre Père des cieux” s’entendent
du coeur des justes, où Dieu habite comme dans son temple. Par là aussi celui
qui prie désirera voir résider en lui Celui qu’il invoque” (cité par C.E.C. p.
565) Car selon
l’enseignement du Sauveur, la divine Trinité n’est pas seulement dans les
hauteurs spirituelles, mais Elle repose aussi dans le coeur de ses amis. “ Si quelqu’un m’aime, mon Père l’aimera et
nous viendrons vers lui et nous
habiterons en lui “ (Jean 14, 23). La Trinité n’est pas seule: elle est
environnée de son “ciel”. Dieu et son royaume reposent dans ses saints. Quand
nous prononçons la prière du Seigneur,nous sommes en communion avec le Père,
avec le Fils unique dans l ‘unique Esprit, nous sommes aussi en communion avec
tous ceux que le Père par le Christ a appelés et sanctifiés; les incorporels ne
sont pas absents de cette communion. Pour ne pas être un mot vide de réalité, la
communion exige de nous des efforts permanents de métanoïa (retournement du
coeur = conversion) et de nous
souvenir, quand nous nommons Dieu “notre Père,que nous devons nous comporter en
Fils de Dieu en toutes circonstances
selon la parole de Saint Cyprien “ Sanctifié soit ton Nom Après avoir reconnu Dieu comme le Père des cieux, l’homme en prière
élève son regard et exprime son admiration devant l’immensité du donateur de
vie. Il ne peut que faire éclater son enthousiasme: Saint est son Nom (Luc 1,49). Avant
d’aller plus loin, il convient de s’interroger sur ces deux notions : sainteté
et
Nom. * Le nom pour
un homme de la Bible n’est pas une simple étiquette posée sur un être pour le
désigner; l’hébreu shém exprime la
totalité de l’être lui même avec l’ensemble de ses attributs faisant de lui une
personne unique, shém ne désigne ni
la nature, ni l’hypostase, car l’hébreu ne connait pas d’abstraction
philosophique, mais s’y rapproche; Origène définit “le nom comme étant une
appellation résumée qui manifeste la propre qualité de l’être nommé” . -13- En révélant
son nom à Moïse, Dieu s’est révélé tel qu’il est en lui même, celui qui est
toujours présent. “Je suis celui qui
est-Je serai qui je serai” (Exode 3,14). Son Nom est ineffable, c’est
pourquoi la tradition juive suivie d’ailleurs par l’Eglise orthodoxe ne prononce
pas de vocable NIN’ écrit et phonétisé dans nos bibles par Yavhé, mais disent
Adonaï = Seigneur. Le psalmiste aime rendre hommage au Nom de
Dieu: Il est bon de louer le Seigneur, et de chanter ton Nom, ô très
haut, dès l’aurore d’annoncer ta grâce, au long des nuits ta fidélité. Ps.
92 Je veux bénir le Seigneur en tout temps, et que toujours sa louange
soit dans ma bouche. Oui, glorifiez le Seigneur avec moi, exaltons ensemble son Nom.
Ps.34 Louez, serviteurs du Seigneur, louez le Nom du
Seigneur Béni soit le Nom du Seigneur, dès maintenant et à
jamais. Du lever du
soleil jusqu’à son coucher, loué soit le Nom du Seigneur. Ps. 113 Non pas à
nous, Seigneur, non pas à nous, mais à ton Nom donne gloire, en raison de ton
amour et de ta fidélité. Ps.
115. Le Seigneur Jésus lui même définit sa mission comme le devoir de
faire connaître et de manifester le Nom du Père (Jean 17, 6). En fait, c’est en
son nom, Jésus, que le Nom du Dieu saint nous est révélé et donné, dans une
chair semblable à la notre, ce nom est Sauveur. Par l’incarnation de l’Unique
engendré, Dieu franchit l’abîme qui sépare sa réalité sainte de notre existence
fragile. “Il sort de sa lumière inaccessible et pénètre dans nos ténèbres” (Boff
p.65). * Le terme saint QoDeSch doit d’abord être compris dans le sens de
séparation. Est saint ce qui est fondamentalement différent, qui ne peut être
comparé à rien d’autre dans l’ordre de la création. On ne peut s’approcher de ce
qui est saint que sous certaines conditions de pureté (souvent rituelle
d’ailleurs). La sainteté se manifeste par la gloire et touche au mystère du
divin, elle a sa source en Dieu. Ayant examiné le sens de saint et de nom, nous sommes en mesure de
comprendre que quand nous disons Ton Nom soit sanctifié, nous demandons que Dieu
soit respecté, vénéré et honoré pour ce qu’Il est: celui qui est saint, lumière
au delà de toute lumière. La première demande de la prière dominicale résume le
but de toute vie, Adonaï est exalté par la droiture de ses adorateurs, leur
comportement dans la justice détermine ce que les rabbins appellent Kiddouch
haSchem = la sanctification du Nom. (relire la 3è. bénédiction du matin citée
plus haut) Cette sanctification doit venir tout à la fois de Dieu lui même et de
nous. La Bible connait un double thème: 1 Dieu se sanctifie ou sanctifie son Nom en manifestant sa sainteté,
2 l’homme sanctifie Dieu en reconnaissant sa sainteté par le culte,
la louange, l’obéissance et la fidélité aux commandements, Les Pères livreront
un 3è thème, Dieu est sanctifié en nous. 1. Dieu sanctifie son Nom: en faisant
rayonner sa gloire. Il délivre les captifs d’Israël pour que son Nom,en eux, ne
soit pas profané par les nations païennes. “Ce n’est pas à cause de vous que j’agis,
mais de mon saint nom”-Ezéchiel 36, 2O à 24-. Dans l’Evangile, la parole qui se rapproche le plus de la première
demande du notre Père est celle de Jean 12,28: “Père, glorifie ton Nom” prononcée par
Jésus après son accueil triomphal à Jérusalem en réponse aux apôtres André et
Philippe lui présentant la demande de quelque grecs de le voir.
2. Nous sanctifions le Nom de Dieu: Le lévitique -22, 31- présente la sanctification de Dieu comme le
résultat de l’obéissance à la Loi: “Vous
observerez mes commandements et les pratiquerez: Je suis Adonaï Seigneur. Vous
ne profanerez pas mon saint Nom, et
je serai sanctifié au milieu des enfants d’Israël.”
Isaïe -29,23- attribue à la maison de Jacob la tâche de “sanctifier le Nom, ils sanctifieront le Saint
de Jacob et ils craindront le Dieu d’Israël.” Jésus dit à
ses disciples: Que votre lumière brille
devant les hommes, de telle façon qu’en voyant vos bonnes oeuvres, ils
glorifient votre Père du ciel.” -Math.
5,16- Saint Jean
Chrysostome nous “assure que soit sanctifié est la même chose que soit glorifié”
-14- La sanctification du Nom divin dépend
d’une certaine manière des hommes. On dira ce Nom profané par leur inconduite.
Origène constate que la sanctification du Nom divin n’est pas encore
parfaitement accomplie. Il suffit de regarder les dissensions des communautés
chrétiennes et même à l’intérieur des Eglises pour en être convaincu.
3. Dieu est sanctifié en nous: La lumière qui
doit briller devant les hommes ne nous appartient pas.”Soyez saints, parce que je suis Saint”
dit le Seigneur en Lév.
11,44. L’homme se
sanctifie en laissant Dieu pénétrer son être. “Lorsqu’on regarde le Christ avec
persévérance dans la prière, son image mystique et invisible s’imprime
secrètement en notre être intérieur” dit le père Matta el Maskîne. -15- La seule présence lumineuse de Dieu rend
lumineux ce qui était obscur. “ C’est
toi, Seigneur qui fait resplendir ma lumière, mon Dieu, tu éclaires mes
ténèbres”.-Ps. 18-
La
sanctification du Nom nous fait
donc un devoir, de célébrer la sainteté, mais aussi de nous laisser envahir par
elle. “Sanctifié ton Nom revient à dire: il faut vous appliquer à agir de
telle sorte que tous louent Dieu, quand ils admireront sa miséricorde et sa
grâce abondante répandue sur vous. Ce n’est pas en vain qu’il aura fait de vous
ses fils, et que par miséricorde il vous aura donné l’Esprit, qu’il vous aura
transformé au point de pouvoir appeler Dieu Père” (Théodore p. 3O1).
Le Nom divin
est sanctifié en nous par ”l’admirable échange” chanté par la liturgie: Dieu
franchit la distance qui le sépare ontologiquement de la créature en envoyant Sa
Parole recevoir notre chair, de
l’Esprit Saint et de Marie la vierge, et, l’homme recevant la communion de
l’Esprit par l’Economie du Logos incarné, surmonte cette distance ontologique,
reçoit les arrhes de déification qui lui permet d’accomplir le commandement: “Soyez parfaits et miséricordieux comme
votre Père est parfait et miséricordieux” -Math. 5,
48- car le Père
veut que l’homme soit saint comme lui est le Saint.
Vienne ton Règne Changez d’état
d’esprit (faites
métanoïa =convertissez vous), le royaume
est proche, annonce Jean le Baptiste. Jésus montre la voie du Salut et
déclare: Le Royaume est arrivé et il est
au milieu de nous. -Luc
17,21-. La
sanctification du Nom suppose l’intervention de Dieu qui montre sa gloire. Il
l’a manifesté par Jésus le Messie, et la manifestera encore.
En hébreu il n’y a qu’un seul mot Malkût (couronne) qui signifie
“domination de Dieu” dont l’équivalent grec des évangélistes basileia peut recevoir
un triple sens en français:- royauté= dignité royale du souverain, - règne=
exercice du pouvoir royal, - royaume= le territoire, les sujets sur lesquels
s’exerce le pouvoir royal. Dans la
traduction du notre Père, c’est le verbe qui commandera le choix du
substantif français, royauté, règne
ou royaume? Si on choisit de
traduire le grec elthéto par arrive, il faut dire “ton royaume arrive”. Le
royaume est déjà là, il est en mouvement, certains ne mourront pas avant d’avoir vu le
royaume, beaucoup par la foi et
la participation à l’eucharistie reçoivent les prémices du royaume accompli par
la vie et la résurrection du Christ, premier né du Royaume . Les martyrs puis
“tous ceux qui font la volonté du
Père” sont déjà membres du Royaume. Bref, le royaume s’étend à la mesure de
sa réception par les saints, il est en route, il est en train d’aboutir, il
arrive à son terme. Arrive suggère la fin d’un processus en
mouvement. L’emploi de
elthéto à l’aoriste suggère plutôt non une venue progressive mais un avènement
unique, définitif, soudain. C’est le jour du Seigneur: au cri du Seigneur “Me voici “, le messager de la Bonne
Nouvelle (=Evangile) d’Isaïe -52,
6&7- répond “Dieu Règne”. A la traduction du verbe
par vienne on doit associer le Règne. Quand les fils et filles du Royaume seront
au complet, le Seigneur dira “Voici je
viens”. C’est le désir des premières communautés exprimé par le Marana Tha!
Viens Seigneur. Notre Dieu est
un Dieu qui vient comme l’éclair de l’Orient à l’occident. Nous avons perdu le
goût de dire Viens; Pourtant à la divine Liturgie nous chantons avec les
chérubins:”Agios, sanctus, saint le
Seigneur Dieu tout puissant qui était, qui est, qui vient”.- Apoc.
4,8- La logique devrait nous faire dire qui
était, qui est, qui sera. L’avenir, le demain de Dieu, c’est sa venue pour
établir son Règne.
Dieu seul
possède la royauté souveraine -16- sur sa création, son royaume est présent
dans le monde comme un trésor caché mais bien réel, Il règne sur les coeurs
purs, ce règne s’exerce sur l’homme que dans la mesure ou celui ci le reconnaît,
il sera parfait et définitif à la fin des temps. Bien entendu, il ne faut pas séparer et opposer les trois notions de
royauté, royaume et règne, souvenons nous qu’il y a une seule racine hébraïque
ou araméenne. Un auteur
copte, Jean , fils d’abou Zakariyâ, dans son commentaire liturgique <la Perle
précieuse> -17- fait
expliquer au Seigneur les paroles
“vienne ton règne” comme la conséquence normale de la sanctification du Nom
commencée par les saintes souffrances du Messie, “après la croix, sera uni à vos
âmes l’Esprit Saint, alors vous louerez mon Nom”. Si la sanctification du Nom est avant tout opérée par le Christ qui
réalise en plénitude son Nom de Sauveur, le Règne de Dieu est lié à l’action de
l’Esprit Saint qui venant dans le coeur de l’homme, comme dit St. Irénée,
habitue Dieu à cohabiter avec l’homme et l’homme avec Dieu, il poursuit l’oeuvre
du Verbe fait chair et achève toute sanctification. “Le Règne de Dieu est justice, paix et joie
dans l’esprit Saint.” -Rom.
14,17- C’est tout naturellement que l’on associe le Règne avec l’Esprit
Saint. L’Esprit saint est doux, humble, ne s’impose pas, il est plein
d’attention délicate et donne la joie et la lumière. Après le bouleversement du
retour du Messie -18- , le règne de Dieu aura les mêmes qualités, aujourd’hui
pour les enfants du Royaume, les saints, Dieu règne déjà dans leur coeur, toutes
ces marques de l’Esprit suintent de leur personne et apportent la paix.
Saint Grégoire de Nysse (4è S.), le saint patriarche d’Antioche
Sévère, accusé injustement de monophysisme (5èS.), Maxime le confesseur (7è S.)
attestent une variante du Notre Père en Luc 11,2: à la place des mots “vienne
ton règne” ils lisent:
“Vienne ton Esprit Saint sur nous et nous
purifie”. Une version de
la liturgie selon saint Jean chrysostome du 6è S. et un manuscrit de l’Evangile
du 11è S. contiennent cette variante importante. (Carmignac p. 89). Avec raison,
la majorité des exégètes la considère comme inauthentique, elle rompt
l’équilibre de la prière en introduisant l’homme dans la première partie consacrée au
Créateur; Toutefois, elle s’harmonise avec la réflexion théologique de Luc qui
complète la prière dominicale par la parabole de l’ami importun suivie de
l’encouragement du Seigneur à prier avec insistance, et terminée par la phrase:
“ Vous savez donner à vos enfants des
choses qui sont bonnes, combien plus le Père céleste donnera-t-il l’Esprit Saint
à ceux qui le lui demanderont”. Luc 11, 1 à 13.
On a rapproché
-19- la variante
“Vienne ton Esprit Saint” des premières épiclèses. Le sacrifice liturgique de
l’Alliance éternelle a pour type celui, d’Abel, d’Abraham et de
Melchisédech. Il semblerait que
l’idée primitive de l’épiclèse calquée sur Genèse 4,4: “Dieu regarda sur Abel et sur ses dons”
soit devenue “Regarde sur nous et sur nos dons” puis sur l’influence de la
variante du notre Père “Vienne ton Esprit sur nous et sur nos dons” comme dans
les très anciennes anaphores, celles de Addaï et Mari, de saint Sixte, de saint
Basile, de Théodore de Mopsueste. Les épiclèses mozarabes et gallo-gothiques
gardent l’idée et disent ”descende ton Esprit Saint”. Puis l’anaphore se
structurant s’adresse généralement au Père en une noble et longue période, la
formule d’épiclèse devient “Envoie ton Saint Esprit”. Un papyrus d’une version
archaïque de la liturgie de saint Marc fait dire au prêtre “Fais briller ton
visage sur ce pain et sur ce calice et envoie ton Esprit Saint...”
“C’est pourquoi nous espérons en Toi, Seigneur notre Dieu, pour voir
bientôt la majesté de ta puissance<...> pour restaurer le monde par la
royauté du tout puissant et toute chair invoquera ton Nom; pour faire retourner
vers toi tous les impies de la terre <...> ils accueilleront tous, le joug
de ton règne et Tu régneras sur eux bientôt, pour toujours. Car la royauté est
tienne, jusqu’en l’éternité tu régneras avec gloire...”
(Kaddish de roch hachana)
Par ces mots “Vienne ton Règne”, Jésus nous demande d’être en vérité
des enfants du Royaume par notre simplicité à accueillir le don de Dieu, ainsi
les temps seront hâtés où il pourra remettre toutes choses à son Père qui
régnera Tout en tous. Ta volonté soit faite Le Règne tarde à s’installer, que de difficultés pour apercevoir le
Royaume, le conquérir. “L’histoire continue son errance tragique, avec ses
absurdités, ses injustices, le péché et les questions sans fin que nos coeurs
adressent au ciel.<..> Le juste est marginalisé, le sage ridiculisé et le
saint rejeté. C’est le triomphe du frivole, le malhonnête gagne la partie et le
médiocre commande à la destinée de toute une société.” ( Boff p.
94). Alors nous continuons
notre prière en nous interrogeant: Quelle est la volonté de
Dieu? Et sans attendre une réponse qui amoindrirait le mystère, dans la
lumière de l’Evangile nous élaborons un projet de vie et, avec confiance nous
disons à Dieu: Ta volonté soit faite.
Mais
concrètement comment connaître sans aucun doute la volonté de Dieu. Combien
d’hommes d’Eglise se trompent lourdement et proposent ou imposent leurs idées
mesquines comme la volonté du Très-Haut? Combien de fidèles pieux, s’en
remettent au destin et se reposent sur la volonté de Dieu qu’ils confondent avec
la fatalité. Il n’est d’ailleurs pas impossible de justifier cette idée en
lisant les Ecritures. Judas Maccabée engage le combat contre une armée
supérieure en force et en nombre en disant: “ Quelque soit Sa volonté au ciel, qu’ ainsi
fasse-t-il.”
1 Macc. 3,6O. Jésus au
jardin de Gethsémani prie son Père : “
Mon Père, si cela ne peut se passer sans que je boive <ce calice> que ta
volonté soit faite.” Math. 26,
42. Ces deux
exemples, l’un de la première Alliance, l’autre de la seconde et éternelle
n’expriment pas la résignation fataliste de celui qui refuse de s’engager et
attend que les choses adviennent d’elles-mêmes où que d’autres aillent “au
charbon “ mais bien au contraire c’est le cri d’intense espérance de celui qui
va “mouiller sa chemise”, qui s’empresse d’agir, qui s’engage sur un chemin
difficile mais sait qu’il peut compter sur la bienveillance de Dieu, dans la
réussite comme dans l’échec apparent. Prier que ta volonté soit faite, -20- exige de s’abandonner au dessein
mystérieux de Dieu en choisissant
non le chemin le plus large et évident pour la sagesse humaine mais en passant
par la porte étroite, accepter le chemin mystérieux de Dieu, même et peut-être
surtout, lorsque nous ne voyons et ne comprenons rien et que nous sommes obliger
de renoncer à nos désirs et au confort de notre intelligence. Nous devons
prendre de la distance avec la raison et la prudence, même si celles-ci nous
mènent vers des objectifs justes et nobles. La soumission
est comparable à la confiance de l’enfant envers ses parents. Il ne comprend pas
toujours la raison des obligations, mais s’y soumet. Parfois, il rechigne mais
comme le fils de la parabole
-Math. 21,28sq.- qui d’abord
dit non puis finit par aller travailler à la vigne, il sait que l’obéissance ne
consiste pas seulement à dire oui, mais à faire ce qui est demandé. Cette sorte
d’obéissance est une réponse personnelle à un Dieu qui appelle, et exige d’une
manière souvent imprévisible. Dire que Ta volonté soit
faite équivaut à dire oui à toutes les manifestations concrètes de la
volonté divine, même lorsqu’elles se présentent sous formes de limitations de
notre initiative et nous demandent de renoncer à notre propre volonté. C’est
cela, prendre sa croix et suivre le Sauveur. La volonté du
Seigneur, hélas, n’est pas inscrite dans les nuages, il faut au fil des
situations discerner quotidiennement cette volonté. Tout cela est facile à lire
ou à écrire, mais difficile à mettre en pratique. S’il convient de se méfier de
ceux qui prétendent avoir un fil direct avec le ciel, on peut, laissant de côté
son ego,”son démon de droiture” -21- se mettre à l’écoute d’abord des
Ecritures, puis de son père spirituel ou de son confesseur, recevoir l’avis de
ses frères et enfin prendre la décision d’agir dans la prière devant la face du
Christ en prenant en considération
son seul enseignement; n’essayons pas de nous soustraire à son commandement
d’amour avec des prétextes de traditions divines hors de leur contexte, ou de
prescriptions ecclésiastiques, qui sans l’Esprit sont mortifères.
“En adhérant au Christ, nous pouvons devenir un seul esprit avec lui,
et par là accomplir sa volonté; de la sorte, elle sera parfaite sur la terre
comme au ciel.” (Origène, de Orat.) “Jésus Christ n’a jamais manifesté de pouvoir, il a commandé à la
tempête, au vent, au démon, à la maladie, il n’a jamais commandé à l’homme. Il a
toujours laissé l’homme libre. <...> il n’ a jamais donné un ordre. Il a
toujours fait preuve d’autorité par contraste avec la notion de pouvoir.
<...> L’autorité, c’est la façon dont une personne profondément remplie de
vérité et possédant la vie, la présente aux autres et dit: Je te la donne, si tu
veux.” (+Antoine). Jésus indique clairement quelle est la volonté du Père, objet de sa
mission: 1.Le Salut de l’humanité entière, 2. le don de la Vie éternelle et de la résurrection, la
sanctification. “ Je suis
descendu du ciel, non pour faire ma volonté à moi, mais la volonté de Celui qui
m’a envoyé. Or telle est la volonté de Celui qui m’a envoyé: Que de tout ce
qu’il m’a donné, je ne perde rien, mais que je le ressuscite au dernier jour.
Car telle est la volonté de mon Père: Que quiconque voit le Fils et croit en lui
ait la vie éternelle, et que je le ressuscite, moi, au dernier
jour. -Jean 6,
38,41-. Ce jour du Seigneur, le Royaume aura atteint sa plénitude. Saint Paul
montre que le Règne, c’est à dire la volonté de Dieu, sera parfaitement réalisé
lorsque toute chose sera unifié en Christ. “ Béni est le
Dieu et Père de notre Seigneur Jésus Christ,<...> il nous a fait connaître
le mystère de sa volonté, cette bienveillante Economie qu’il avait formé en Lui
par avance, pour le réaliser quand les temps seraient accomplis: Ramener toutes
choses sous un seul chef, le Christ, les êtres célestes, comme les terrestres.
-Ephes.1, 9-10-
Quand, donc, nous disons ta
volonté soit faite, nous demandons au Père d’achever toute son Economie
c’est à dire d’accomplir l’ensemble du plan divin sur chaque être et sur la
création entière, nous nous engageons aussi à y mettre du notre.
Cette demande de la prière dominicale embrasse Dieu et les hommes. On
demande à Dieu d’accomplir son plan divin et aussi que sa volonté soit comprise
et obéie par les hommes. Nous
allons faire en sorte que la volonté humaine choisisse et s’allie librement,
comme la meilleure pour elle, à la volonté divine. C’est ce qu’on appelle la
synergie. On peut acquérir la certitude de ne pas être menteur dans sa prière
quand on laisse de côté sa volonté propre et qu’on place dans son coeur le
commandement du Seigneur: aimez vous
comme je vous ai aimé, et, soyez un comme le Père, le Verbe incarné et
l’Esprit de vie sont un. Sur la terre comme au
ciel Nous voici arrivés à la charnière de la prière dominicale, nos trois
premières demandes élevaient notre coeur et notre pensée vers l’accomplissement
de l’Economie divine; comme une flèche notre désir allait droit, sans hésitation
vers le but de la création: l’intimité entre le créateur et la créature
manifestant la gloire du Père. Les trois prochaines pétitions nous montrent le
chemin, les moyens pour atteindre cette plénitude. La phrase pivot “sur la terre
comme au ciel”, à vrai dire ne respecte pas le texte grec dont la traduction
littérale inverse les lieux: “comme au ciel, ainsi sur la terre”. Il ne s’agit
donc pas comme le français le laisserait supposer d’une addition, sur la terre
et aussi sur la terre, mais d’une comparaison: Que soit réalisé sur la terre ce
qui existe déjà dans le ciel. Nous l’avons vu le ciel est conçu par l’homme de
la bible comme le monde où Dieu règne sans contestation tandis que la terre
apparaît comme le lieu d’affrontement entre les fidèles, les soumis à la Loi
divine et les révoltés conduits par Satan, le prince de ce monde. Nous demandons
donc que soit réalisé sur la terre ce qui existe déjà dans le ciel.
Origène compare les pécheurs à la terre, les sauvés au ciel. La
volonté de Dieu s’exerce à ce que le pécheur se convertisse et devienne son ami, que la terre devienne
ciel. “Le pécheur, quel qu’il soit, est terre; et s’il ne change pas d’état
d’esprit, il redeviendra terre. Mais celui qui fait la volonté de Dieu et ne
désobéit pas aux lois salutaires et spirituelles est ciel.<> Si au yeux de
Dieu, nous ne sommes pas regardés comme terre, mais déjà comme ciel, demandons
que sur la terre comme au ciel, sur les pires s’accomplisse la volonté de Dieu
<> de telle sorte qu’un jour, il n’y ait plus de terre, mais que tout
devienne ciel.” (Origène, de orat.) On devine aussi que dans la pensée d’Origène se profile l’idée de la
résurrection qui commence dès la
conversion et la réception du baptême pour s’achever à la parousie dans la
Jérusalem céleste. Les traductions modernes accroche sans ponctuation l’expression sur la terre comme au ciel, à la demande
ta volonté soit faite. Pourtant il
convient de se poser la question en tenant compte de la structure parfaite de la
prière du Seigneur, de savoir si ce complément attaché seulement à la troisième
demande ne vient pas désorganiser l’harmonie de l’ensemble. Encore, Origène
avait signalé que le complément sur la terre comme au ciel pouvait se rattacher
à chacune des trois demandes précédentes. “ de sorte que la prière qui nous est commandée soit celle ci : Ton
nom soit sanctifié sur la terre comme au ciel, ta volonté soit faite sur la
terre comme au ciel. Car le Nom de Dieu est sanctifié par les habitants du ciel;
le Règne de Dieu s’est établi parmi eux; la volonté de Dieu est faite parmi eux.
Toutes ces choses sont incomplètes
pour les habitants de la terre, mais peuvent être réalisées si nous nous
montrons dignes d’être exaucés en cela par Dieu.”
( de orat.) Carmignac signale que
cette remarque d’Origène a été adopté dans un ouvrage attribué à saint Jean
Chrysostome, l’opus imperfectum in Matthaeum, homélie 14:
“L’expression sur la terre comme au ciel doit être comprise
distributivement, c’est à dire: Ton Nom soit sanctifié
sur la terre comme au ciel Ton règne vienne sur la terre comme au
ciel ta volonté soit faite sur la terre comme au
ciel” Il précise que les études récentes sur la prière dominicale et sur
l’art poétique de Qumrân justifient tout à fait cette exégèse. (Carm.
p.115) Les cieux en question, bien entendu ne sont pas seulement les cieux
visibles, la voûte astrale et son ordre harmonieux, mais aussi le ciel
invisible, la cour céleste où les saints et les anges chantent sans cesse la
gloire de Dieu. Comme le Père est glorifié dans ses oeuvres visibles,
l’évolution merveilleuse des astres, il est aussi glorifié, et bien plus encore
par la liturgie céleste que lui offrent les anges et les saints. A ce mystère
céleste nous participons nous qui sommes sur terre: La première partie de
l’anaphore de l’Eglise de Jérusalem, celle de saint Jacques, développe cette
merveilleuse liturgie où la
création mêle sa voix à celle des anges et des
saints. Il est digne, juste, convenable et nécessaire de te louer, de te
chanter, de te bénir, de t’adorer, de te glorifier, de te rendre grâces, toi,
l’auteur de toutes créatures visibles et invisibles, le trésor des biens
éternels, la fontaine de vie et de l’immortalité, le Seigneur et Dieu de toutes
choses. Toi que chantent les cieux et cieux des cieux et toutes leurs
puissances, le soleil et la lune et tout le cortège des étoiles, la terre, la
mer et tout ce qu’elle contient; la Jérusalem céleste, l’assemblée des élus, l’Eglise des premiers nés
qui sont inscrits au ciel, les esprits des justes et des prophètes, les âmes des
martyrs et des apôtres; les anges, les archanges, <> les chérubins et les
séraphins <>, tous acclament, en se répondant les uns les autres, sans
jamais cesser, en louant Dieu sans fin: ils entonnent l’hymne triomphale de ta
gloire merveilleuse; d’une voix claire, ils chantent, ils crient, ils proclament
et disent: saint, saint , saint... Tout comme Dieu règne souverainement sur le cours des astres et tout
comme il règne en plénitude au milieu de ses saints, nous désirons et demandons
qu’il règne en nous, d’abord dans son Eglise terrestre puis dans toute la
création en attente de l’enfantement des cieux nouveaux et de la terre
nouvelle. Origène propose une interprétation encore plus globalisante du ciel
et de la terre. Il entend, par allégorie, le ciel comme le Christ et la terre
comme l’Eglise, ainsi “chaque membre
de l’Eglise doit demander de faire la volonté paternelle de la même manière que
le Christ l’a faite, lui qui est venu pour faire la volonté du Père et l’a
accomplie toute entière. <> car celui qui adhère au Seigneur, selon saint
Paul, est un seul esprit . -22- Le Royaume de Dieu est la paix du Saint Esprit; Il régnera en nous,
si notre coeur est dans la paix du Christ, mort pour nous sur la croix et
ressuscité pour entraîner notre vie dans sa Vie. Le signe du pain Dans la vision
biblique, le pain est considéré comme l’aliment premier et principal de l’homme.
Le pain don de Dieu est pour l’homme, source de force pour maintenir la vie et
l’épanouir. Avec le psaume 1O4 qui ouvre l’office des vêpres et qui est consacré
à la louange du Créateur, nous bénissons le Seigneur avec ces mots: “Tu tires le pain-23- de la terre et le vin qui réjouit
le coeur de l’homme et fait plus que l’huile resplendir son visage, et le pain
qui fortifie le coeur de l’homme. ” Dans la vie
courante, on caractérise une situation en disant quel goût elle donne au
pain: -24- Celui qui
souffre et que Dieu semble abandonner mange un pain de larmes ou de cendres: “Mes larmes sont mon pain jour et nuit,
tandis qu’on me dit tout le jour: Où est ton Dieu.” Ps. 42 “Seigneur<>ne me cache pas ta face au
jour de ma détresse <> car pour pain je mange de la cendre.
Ps.
102 Celui qui est joyeux le mange avec joie:
“va, mange ton pain avec joie et bois ton vin
d’un coeur heureux, car Dieu prend déjà plaisir à tes oeuvres. Qohélet 9,
7. Du pécheur , on dit qu’il mange un pain d’impiété, du paresseux, un
pain d’oisiveté, du mauvais, le pain des pauvres. “Dans le
sentier des méchants ne t’engage pas <>car ils mangent le pain de
l’impiété et boivent le vin de la violence” Prov. 4,
14-17.
Le boire et le manger sont donc élevés à une dignité morale plus
grande qu’une simple fonction biologique. Le pain n’est pas seulement un moyen
de subsistance: il est destiné à être partagé, il devient alors le signe de
l’intimité, de la communion. La
liturgie met dans la bouche de Christ, livré par Judas, le verset du psaume 41:
“ Mon ami lui même, mon confident, celui
qui partageait mon pain, a levé le talon contre
moi.” Le pain est
surtout un don de Dieu: “ Celui qui octroie la semence au semeur et le pain qui
le nourrit, vous octroiera
amplement votre semence, et il accroîtra les produits de votre justice”
-2
corinth. 9, 1O- dit saint
Paul aux corinthiens pour recommander la collecte en faveur des déshérités de
Jérusalem. Nous devons exprimer notre reconnaissance en offrant à Dieu des dons
pris parmi ses dons. L’offrande des prémices -Lév. 23,
17- et des pains
azymes -Ex. 23,18- est le type
même du sacrifice pacifique. Le terme hébreu pour offrande est Qorban; Ce mot est encore employé
pour désigner le pain eucharistique dans les Eglises copte et syriaque
orthodoxes . Qorban vient de Qarov qui signifie proche. Quand nous offrons le
pain, nous nous rapprochons les uns des autres et nous nous rapprochons de Dieu.
Le pain dans le sens élargi du mot lehem, est le
don suprême de l’époque eschatologique, soit pour chacun en particulier
-Esaïe 3O, 23-, soit dans le
banquet messianique -Jér. 31,
12- promis aux
Elus. -25- notre pain epiousion Notre quatrième demande de la prière dominicale est celle qui a reçu
le plus grand nombre de commentaires et les interprétations les plus
diverses. Que voulons nous dire à Dieu quand nous lui disons: donne nous,
aujourd’hui, notre pain? La prière, à partir de la demande du pain, change de tonalité: dans
la première partie, notre regard se dirigeait vers la réalité divine, vers le
royaume, à présent nous abaissons nos yeux vers la terre et l’homme avec ses
besoins. L’attitude est celle du pauvre qui tend la main et attendant de devenir
celle du fils qui sans inquiétude pour le lendemain reçoit de son Père, en temps
opportun ce qui lui est nécessaire. Le pain doit être pris au sens le plus large: c’est la partie pour le
tout, le mot lehem recouvre à la fois le pain et toute nourriture, le vêtement,
tout ce qui est nécessaire à la vie du corps sur la terre. Le pain devant
naturellement être partagé, il symbolise aussi la vie en société, nous dirions
en communion, donc nous demandons aussi ce qui est nécessaire à notre vie
spirituelle. “Toute joie véritable doit être communiquée et partagée. Il en est
ainsi du pain: le pain de l’homme lorsqu’il est partagé devient communion. C’est
alors qu’il apporte la joie et satisfait vraiment la faim.” (Boff, p. 105)
Pour bien saisir la nature de ce pain, il nous faut tenter
d’expliquer ce mot unique dans la littérature grecque epiousios epiousios. Selon le sens que nous lui donnerons, notre pain sera,
une simple nourriture, un pain spirituel, ou les deux.
Sa signification exacte pose un problème aux spécialistes, et les
Pères grecs eux-mêmes ne sont pas unanimes sur sa définition.
L’analyse philologique propose
grosso modo trois explications. *A. epiousios dérive du verbe être -> epi eianai.
En brutalisant
quelque peu la conjugaison du verbe être, on peut lui donner deux sens: Aa: le
pain pour le jour qui est maintenant, le pain quotidien, le pain de ce jour.
-26- Ab: le pain
nécessaire pour être, pour exister, le pain substantiel -27- *B. epiousios provient de essence (nature, substance)-> epi
ousia. Ce qui nous
donne la traduction epi -> au dessus, ousia -> essence, substance. Origène
et Jérôme ont retenu sur-essentiel, super-substantiel. Il faudrait ainsi
comprendre “le pain qui est au dessus de toutes les substances et qui dépasse
toutes les créatures.” -28_ *C. epiousios formé de survenir -> epienai.
Nous demandons alors le pain qui vient, le pain à venir, le pain du
siècle à venir. Origène ne refuse pas non plus cette signification, nous
“demandons aujourd’hui de recevoir le pain
propre du siècle à venir” ( de orat. p. 143). Les deux versions coptes
retiennent cette racine. Le texte bohaïrique (delta du Nil) dit pain de demain,
celui sahidique (sud de l’Egypte)
pain à venir. Malgré cette analyse sémantique nous ne sommes pas encore
parfaitement éclairés sur la nature du pain que nous réclamons chaque jour. Nos
Pères ont puisé dans les trois registres pour nous aider à ce que notre prière
ne soit pas seulement des mots prononcés par les lèvres distraites mais aussi et
surtout un engagement de notre coeur pour toute notre
vie. Bien entendu,
le pain est destiné à nourrir le corps. La vie certes, est plus que le pain mais
la vie ne peut se passer du pain. Aucune prière, aucun acte spirituel ne peuvent
remplacer la nourriture, aucune bonne parole ne peut rassasier quelqu’un qui
souffre de faim. Saint Jean Chrysostome et saint Grégoire de Nysse comprennent
le pain du boulanger pour les besoins du corps. -29- Ils précisent que notre demande consiste
à considérer les oiseaux du ciel et le lis des champs -Math.
6,25sq.-, à ne
solliciter que le nécessaire du jour sans s’inquiéter du lendemain, ni réclamer
“des richesses, ou des plaisirs, ou des habits précieux ou rien de semblables”.
Le pain, même gagné à la sueur de notre front, nous le recevons en premier lieu
de Dieu, nous ne pouvons que le partager; celui qui se rassasie sans tenir
compte de la misère, ne mange pas de façon digne d’un Fils du Royaume. Tous les
pauvres Lazare -Luc
16- affamés qui
n’ont pu recueillir ce qui tombaient de notre table de riche témoigneront devant
le juste juge de notre égoïsme. Ceux qui se désolidarisent de l’humanité
souffrante ne peuvent être déclarés bienheureux dans le Règne. Il ne faut pas
occulter, sous prétexte de spiritualisation, cette dimension
simple. Il ne convient pas non plus de s’arrêter là. L’homme ne vit pas
seulement de pain de blé et de relations socioculturelles qui sont le pain de
son âme. Le pain epiousion est aussi (mais pas surtout), un pain spirituel.
Quelques Pères attribuent au pain epiousion une valeur tellement spirituelle
qu’ils semblent lui dénier une valeur charnelle. C’est le cas de saint Cyrille
de Jérusalem:”Le pain ordinaire n’est pas substantiel; mais ce pain sacré est
substantiel, autrement dit distribué pour la substance de l’âme”. Origène pense
que c’est une erreur de croire qu’il faut prier pour le pain
corporel: “Le véritable pain est celui qui nourrit
l’homme véritable <> la véritable nourriture est la chair du Christ, qui,
étant Logos/Parole, est devenu chair<>; afin que notre âme ne soit pas
malade par manque de nourriture et que nous ne mourrions pas à Dieu par faim de
la parole du Seigneur, demandons au Père le pain vivant qui est le même que le
pain suressentiel.” Augustin d’Hippone voit
aussi dans ce pain la Parole de Dieu. ”Le pain
quotidien est celui que vous entendez chaque jour dans les lectures de l’Eglise,
que vous rompez par le chant et l’écoute des hymnes” . -30- Beaucoup donc
sont d’accord pour un sens spirituel -31- et bien sûr, il n’est pas possible de ne
pas penser au pain de l’Eucharistie. Le Seigneur lui même s’est défini comme le
pain de vie. “Je suis le pain vivant
descendu du ciel<> le pain que moi je donnerai, c’est ma chair, pour la
vie du monde.” -Jean 6, 48-51-
Il serait trop
long de citer les pères favorables à l’interprétation eucharistique -32- , il suffira d’appeler le témoignage de
saint Pierre Chrysologue. “Le Christ<>est le pain descendu du ciel, réduit en farine par
la meule de la loi et de la grâce, brisé par la souffrance de la croix, fermenté
par le mystère de son immense amour. Il arracha au sépulcre le levain de sa pâte
légère, il fut cuit au feu de sa divinité, lui-même fit par sa cuisson le four
de l’enfer; chaque jour, il est apporté à la table de l’Eglise comme une
nourriture céleste; il est rompu en rémission du péché; il alimente et nourrit
pour la vie éternelle ceux qui le consomment.” Le pain epiousion est à la fois, le pain matériel, la Parole de Dieu
proclamée dans les Écritures et l’Eglise, et l’Eucharistie. Je propose pour
garder ses trois sens de traduire avec Sévère d’Antioche: Donne nous aujourd’hui notre pain à
venir. Ce tri-unique pain reçu et partagé nous introduit dans le Royaume
vers le Règne. Le pain de vie
-Jean 6, 22- 69- Maintenant que nous savons que le pain que nous demandons au Seigneur
aujourd’hui est celui du Règne à venir: le pain qui nourrit le corps et que nous
partageons pour être enfants du Royaume, celui de la Parole de Dieu que nous
rompons pour la multiplier et la faire grandir dans notre coeur, nous pouvons
poser le regard sur le pain vivant descendu du ciel, Jésus le Christ qui nous
confie son corps et son sang. Jésus, alors que la Pâque était proche, après avoir rendu grâces
(eucaristhsas
= fait
eucharistie) nourrit environ cinq
mille personnes avec cinq pains et deux poissons -Jean 6,
1-13-. Le
lendemain, il prononce un discours dans la synagogue de Capharnaüm dans lequel
il oppose la nourriture matérielle périssable à une nourriture mystérieuse qui
demeure, la manne que Dieu avait donné dans le désert lors de l’exode, au pain de vie qui délivre de la
mort. -33-
“Gagnez par
vos oeuvres non la nourriture qui périt, mais la nourriture qui dure pour la vie
éternelle, celle que vous donnera le Fils de l’homme, car c’est lui, que le
Père, Dieu, a marqué de son sceau.” Les auditeurs
lui demandent que faire pour gagner de ce pain là. “Jésus leur répondit: l’oeuvre de Dieu,
c’est de croire en celui qu’il a envoyé.” Aussitôt, à l’intervention de
quelques uns qui lui demandent quelle oeuvre il compte faire pour obtenir leur
foi et qui lui argumentent le miracle de la manne, pain du ciel, Jésus s’identifie lui-même au pain du ciel. “C’est moi qui suis le pain de
vie.<..>Je suis descendu du ciel pour faire non ma volonté à moi, mais la
volonté de celui qui m’ a envoyé.<..> Telle est la volonté de mon Père,
que quiconque voit le Fils et croit en lui ait la vie éternelle; et moi je le
ressusciterai au dernier jour.”
Christ demande d’abord de croire en lui, d’accepter ce que les yeux
ne voient pas comme une évidence: le fils de l’homme est descendu du ciel, son
Père est dans les cieux. C’est le mystère de l’incarnation: le Logos, la Parole divine, a
assumé la chair. Il est devenu en toute vérité, lui Dieu parfait, homme parfait,
sans changement ni mutation, sans mélange ni confusion des natures, pourtant un
seul Jésus le Logos fait chair, une seule personne de deux natures, la divine,
l’humaine, sans séparation un seul instant, même le temps d’un clignement
d’oeil. Cette foi, ouvre au mystère de la communion qui triomphe de la mort.
Il faut
rapprocher l’affirmation de Jésus, Je
suis le pain de vie d’autres définitions, la lumière de la vie -Jean 8,
12-, l’eau de la
vie -Apoc. 21,6 &
22,1-, la parole de la vie -1 Jean 1,
1-. Ces
expressions font référence à l’arbre de
vie du paradis -Gen.
2,9-; comme l’arbre
est le signe de l’immortalité dont l’humanité aurait pu jouir sans le tragique
péché, Jésus donne la possibilité de l’accès au paradis et à l’immortalité. La
foi en Jésus, n’est pas une simple acceptation de doctrines, d’ enseignements, une
connaissance métaphysique, elle n’est même pas un art de vivre, c’est avant
tout, un attachement authentique et vigoureux à une personne vivante, le maître
de vie venu pour accomplir la volonté de son Père et donner sa vie pour la vie
du monde. Après s’être
présenté comme le pain du ciel, Jésus revient à l’affirmation qu’il est le pain
de vie dont il faut se nourrir. Jusqu’à présent, ses auditeurs bienveillants
pouvaient encore accepter ses paroles en comprenant avec Deut. 8,
3, la manne,
donc le pain de vie, comme symbole de la parole de Dieu “Il t’a fait manger la manne <..> afin
de te faire savoir que ce n’est pas seulement sur le pain que l’homme vit, mais
que c’est sur tout ce qui sort de la bouche de Dieu.” Christ ajoute
maintenant que ce pain n’est autre que sa chair et qu’il faudra manger sa chair
et boire son sang pour avoir la vie éternelle. “le pain que je donnerai, c’est ma chair
pour la vie du monde <..>Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la
vie éternelle <..>Car ma chair est une vraie nourriture et mon sang un
vrai breuvage.” Il faut
reconnaître dans la chair toute la personne du Christ comme précisé plus haut,
Jésus parle ainsi car seule son humanité (la chair) pouvait rendre visible le
Logos qui en raison de la faiblesse de l’homme ne pouvait pas se manifester, ni
se communiquer dans l’éclat de la divinité. Il dut s’anéantir, se dépouiller de
sa gloire et assumer l’humanité pour se rendre
appréhensible. Il aurait pu venir à nous dans sa gloire; mais nous, d’aucune façon
nous ne pouvions porter la grandeur de sa gloire. Pour ce motif, celui qui est
le pain parfait du Père, s’est donné à nous sous forme de lait, comme à des
enfants, un lait qui est sa venue en forme humaine, afin que nourris de sa chair
comme à la mamelle, et nous étant accoutumés par une telle lactation à manger et
boire le Logos de Dieu,nous soyons rendus capables de retenir en nous-mêmes le
pain d’immortalité qui est l’Esprit du Père. (
Saint Irénée, contre les hérésies, livre IV, 38,1) Pour des
fidèles connaissant les rites de la Sainte Oblation, il ne fait pas de doute que
Jésus en parlant du pain qu’il donnera,
sa chair, fait allusion à l’Eucharistie partagée en mémoire de lui jusqu’à
son retour, mystère de son corps distribué et de son sang répandu, instituée
lors de sa sainte cène en prévision de son sacrifice sur la croix. Sa chair est une vraie nourriture, son sang
un vrai breuvage, il s’agit donc d’un vrai repas, manducation et communication à l’homme
d’une chair qui est celle du Logos divin qui constitue un aliment de vie
éternelle. -34- La chair du
Sauveur aussi bien que son sang est toute spirituelle (= porteuse d’Esprit),
Jésus emploie le futur pour indiquer qu’il se communiquera en véritable
nourriture après sa résurrection quand son corps sera devenu par la puissance de
la résurrection, pneumatique; le corps eucharistique ne pouvant être que le
corps ressuscité, divinisé. -35- Le pain eucharistique instaure le lien le plus profond et le plus
intime qui puisse se concevoir entre Jésus et ses disciples. “Celui qui mange ma chair et qui boit mon
sang demeure en moi, et moi en lui”. La communion est union réelle entre le
Christ et le croyant, elle est accueil en soi de l’Autre, et don de Soi à
l’autre. On peut dire avec saint Paul, ce n’est plus moi qui vis, mais le christ
vit en moi. Oserions dire qu’il y a deux personnes, mais une seule chair, par
analogie à l’union conjugale? Cette communion s’élève à la vie des personnes de la Trinité. Entre
le Christ et ceux qui mangeront le pain vivant il y aura la même relation
qu’entre le Fils et son Père. “De même
que le Père, qui est vivant, m’a envoyé et que je vis par le Père, ainsi celui
qui me mange vivra, lui aussi par moi.” La communion eucharistique est
principe de vie, comme l’était pour le christ l’accomplissement de la volonté du
Père. Les relations qui s’instaurent grâce au mystère de l’eucharistie sont
d’une profondeur, d’une hauteur, d’une largeur,telle que les hommes ne puissent
en avoir pleinement conscience maintenant, c’est pourquoi avec saint Athanase
nous ne pouvons affirmer que” du pain céleste de la vie à venir nous recevons
les prémices dans la communion”. La communion de vie Lors de son
dernier repas avant sa propre Pâque, le Seigneur Jésus “prit du pain, rendit grâce (= fit
eucharistie), le rompit et le donna à ses disciples, en disant: ceci est mon
corps, donné pour vous; faites cela en mémoire de moi; de même, il prit le
calice après le repas en disant: Ce calice est la nouvelle Alliance en mon sang
répandu pour vous.” -Luc
22,19.20-.
Par ces mots, Jésus établit la nouvelle Alliance, et nous donne une
clef de la puissance de la Parole divine: la mémoire de Dieu qui est action. Il
nous demande de faire mémoire de Lui chaque fois que nous partagerons le pain à
venir. La mémoire dont parle les textes saints n’est pas un simple souvenir, une
image du passé révolu qui se forme dans notre intelligence par la volonté
humaine ou sous l’émotion. Le mot hébreu Zikkaron, amnanèse en grec du N.T. que
nous traduisons par mémoire ou mémorial, révèle le surgissement d’une réalité
toujours cachée et toujours présente. La mémoire liturgique est un reflet, une
icône de l’éternité de Dieu. Se souvenir, c’est rendre présents, abolissant le
temps et l’espace, les évènements, les êtres, dans et par
l’Esprit. En présentant, son corps livré, son sang répandu, le Seigneur entre
dans sa passion. Les trois jours saints - le triduum-: la cène mystérieuse, la
croix, le repos du sabbat au tombeau, la résurrection glorieuse, sont une seule
et unique pâque dont les éléments ne sont pas isolés et autonomes. Christ, dès
l’institution du repas mystique se présente au sacrifice qui libère l’humanité
de l’esclavage du péché. L’eucharistie est en dépendance étroite de la croix, le pain et le
vin eucharistiés sont toute la personne, toute la vie du Christ données pour la
vie du monde. En assimilant le corps ressuscité du Logos, les croyants forment avec
Lui, le grand corps du Christ dont ils sont tous membres, et par conséquent ils
sont aussi membres les uns des autres. La communion des hommes avec le Créateur
et entre eux, qui avait été rompue par le péché, se rétablit.
“Le Christ
innocent ne s’est pas substitué aux hommes coupables pour régler la dette à leur
place et les dispenser de la payer; il s’est rendu solidaire du destin qui, à
cause du péché, fait de toute existence humaine une
existence-pour-la-mort.”
-36- Désormais la mort n’est plus seulement un châtiment du péché, elle
devient un instrument pour mettre fin à la carrière du péché.
Christ est ressuscité des morts, par la mort, il a vaincu la mort. Le
Fils de Dieu s’est uni à la chair, il a assumé tout ce qui était nôtre, il est
devenu Fils de l’homme, il a souffert la mort sur la croix pour nous montrer le
chemin de l’humilité et de l’exaltation. Premier né d’entre les morts, il
ressuscite dans son corps glorieux.
Baptisés dans sa mort et sa résurrection, nourris par son corps et
son sang, nous sommes unis à sa mort pour que le péché et la mort perdent leur
pouvoir d’asservissement, nous sommes unis à sa résurrection pour mettre à mort
la mort en recevant l’Esprit de vie. Car la chair ne sert de rien, c’est l’Esprit qui
vivifie -Jean 6,63-. En recevant,
le corps et le sang du ressuscité, nous acquérons les prémices de l’Esprit. Le
calice reçoit la plénitude de l’Esprit Saint qui est en quelque sorte l’âme de
l’Eglise. Dans la communion de l’unique Saint Esprit, nous sommes unis les uns
aux autres. Hélas, dès que les mystères sont terminés et même parfois avant même
de sortir de l’église, nous oublions cette réalité, nous faisons comme si nous
n’avions participés qu’à une simple rencontre fortuite. La rencontre d’un
instant, même en présence de l’Esprit ne crée pas la communion. Il ne suffit pas
d’aller à l’Office pour connaître le Vivant, s’unir à lui et à son grand corps
qui est l’Eglise. Le culte risque toujours de se pervertir lorsqu’il ne
s’accomplit pas dans une conduite juste et fraternelle. Saint Jean
dans sa relation du repas du Cénacle, ne rapporte pas l’institution de
l’eucharistie mais à sa place, décrit le geste du Seigneur démontrant l’esprit
dans laquelle elle doit être célébrée pour accomplir véritablement sa volonté.
”Jésus, ayant aimé les siens qui étaient
dans le monde, mit le comble à son amour <.> il se mit à laver les pieds
des disciples et à les essuyer avec un linge noué à sa ceinture. <.>
Comprenez-vous ce que je vous ai fait? Vous m’appelez maître et seigneur, et
vous dites bien; je le suis en effet. Si donc je vous ai lavé les pieds, moi, le
seigneur et le maître, vous devez vous aussi, vous lavez les pieds les uns aux
autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné afin que, comme moi je vous ai
fait, vous fassiez vous aussi.” -Jean 13,
1-17-.
Il y a donc une véritable équivalence entre la liturgie eucharistique
et la liturgie du frère. Ce service commence par la prise de conscience que nous
sommes tous des pécheurs pardonnés et par conséquence que nous devons remettre
les dettes à nos débiteurs pour que le pain de la vie à venir fasse son plein
effet: répandre dans nos âmes la paix du Royaume. La remise des
dettes Dieu veut que l’homme se nourrisse dès aujourd’hui du pain de vie, du
pain du royaume à venir; hélas, l’homme ne rumine souvent que ses rancoeurs avec
les ambitions qui habitent son coeur et obsèdent son
âme. Jésus nous met en garde contre ce qui pourrait rendre inassimilable
le pain de vie: la dureté de coeur et la bonne conscience.
En disant au Père “remets-nous nos dettes comme nous remettons à nos
débiteurs” nous prenons conscience de notre condition commune de quêteurs du
pardon. Le texte grec de Mathieu écrit ojeilemata
(opheilemata)
=
dettes, celui de Luc
amartias (amartias) =
péchés, nous continuons à suivre le
texte de Mathieu utilisé par les liturgies, et nous nous arrêtons donc sur le
terme dette en sachant avec Luc qu’il rejoint la notion de péché. -37- Avant d’ examiner les valeurs de la dette, nous devons poser la
question de savoir la qualité du créancier et celle du débiteur, et surtout si
le dernier est en mesure de rembourser. Le péché n’est pas seulement une erreur d’appréciation qui fait
manquer la cible, l’objectif, il est en premier lieu désobéissance, manquement à
l’égard de Dieu, de ce fait, pour
rétablir les rapports personnels avec Lui, il appelle réparation. Le pécheur est
ainsi comparé à un débiteur vis à vis de Dieu. En systématisant les commandements de la Thora sur les sacrifices et
actes de purification, les docteurs juifs
discutaient et proposaient des moyens de racheter les péchés par des
oeuvres. Jésus s’oppose à cette vision légaliste où Dieu est contraint par
marché. La parabole du
serviteur impitoyable en Mathieu 18,
23-35, est le
meilleur commentaire par le Seigneur lui-même de la demande que nous étudions:
Le pécheur est un débiteur insolvable, il
est dans la situation du serviteur de la parabole qui devait à son maître
la somme colossale de dix mille talents soit soixante millions de pièces
d’argent. Le seul moyen d’éviter la catastrophe lors de la reddition des
comptes, est d’obtenir dès à présent que Dieu fasse
grâce. Il faut considérer qu’ il y a deux sortes de dettes. La première n’ a
pas, à priori, de caractère
peccamineux. Nous recevons de Dieu l’être, nos parents nous transmettent la vie
et ce qui forge l’identité culturelle, la nature est soumise à l’homme, nous ne
sommes, quoique nous en pensons, propriétaires de notre vie et de nos biens mais
seulement gestionnaires pour un temps, celui de nos années. Tout cela représente
une dette que nous ne pouvons pas rembourser intégralement, nous sommes
seulement en mesure d’exercer de la gratitude et de la reconnaissance . -- L’ingratitude envers Dieu et nos bienfaiteurs alourdit le poids de
cette dette naturelle et la fait compter dans la deuxième catégorie de dettes:
les manquements qui donnent de l’ampleur au péché. Nous demandons pardon pour nos péchés objectifs qui sont
désobéissance à la volonté du Père et à ses préceptes de
vie. Nous savons que le juste
pèche sept fois par jour; pourtant en ce temps, le sens du péché s’oblitère de
manière alarmante et, de plus, beaucoup de malheureux veulent s’affranchir de la
loi de Dieu en définissant eux-mêmes les critères du bien et du mal.( Nous devons bien prendre conscience du
fait de notre injustice foncière et que nous offensons pas quelque Dieu
susceptible mais que notre désobéissance le blesse en son affection de Père.
Dieu souffre de voir l’homme refuser son amour et par là s’avancer vers sa
propre perte. Il ne cesse de l’appeler au changement d’état d’esprit (métanoïa)
et de lui promettre le pardon. “ C’est pour
nos péchés que maintenant nous prions. Après l’appui d’une nourriture, nous
demandons le pardon du péché. Cela afin que celui qui est nourri par Dieu vive
en Dieu. On s’approche de la vie éternelle si nos péchés sont pardonnés. Ces
péchés, le Seigneur les appellent dettes et il les remet, comme affirme
l’Evangile: je t’ai remis toute ta dette
parce que tu m’en as prié. -Math.
18,32- <.>
Pour éviter que quelqu’un, satisfait de lui-même comme s’il était innocent, ne
tombe d’autant plus bas qu’il s’est élevé plus haut, on nous apprend que chaque
jour nous péchons, en nous ordonnant de prier chaque jour pour nos péchés.”
Saint Cyprien -40- Et nous sommes coupables, non seulement de nos manquements aux règles
de la Thora , mais encore à la loi du Christ dont nous avons accepté le joug
lors de notre baptême. La nouvelle Alliance n’est pas exempte de loi, bien au
contraire, Jésus vient accomplir la Thora et scelle par son sang l’Eternelle
Alliance aux conditions encore plus exigeantes que la première. La loi du Christ
est loi de grâce, loi de liberté, loi de l’Esprit, loi intérieure de charité
écrite sur le coeur. Elle commande non seulement des pratiques extérieures mais
aussi une attitude intérieure de simplicité, de pureté et d’amour. Et personne
ne peut dire qu’il a fait le tour de cette loi, qu’il est quitte de son devoir
d’amour. “Le propre de
l’amour est de briser toutes les frontières, tous les murs de séparation
-Eph.
2,14-, d’être
appétit de brûler et d’embraser toutes choses -Luc
12,49-. Jamais
l’homme ne pourra se découvrir en règle avec le commandement nouveau du Christ-
son amplitude est infinie; toujours malgré ses efforts, il se découvrira
débiteur, aimant mais n’aimant pas assez, au regard de cet amour du Fils de Dieu
qui s’est livré pour lui et de
l’affection des frères qui l’entourent.”
-41- Pour tout ce que nous devrions faire et que nous ne faisons pas, nous
sommes aussi débiteurs. Nous devons aussi
en demander au Père
rémission. Nous sommes
certain du pardon déjà accordé pourvu que nous traitions les autres de la
manière dont nous souhaitons être traités par lui. En remettant non seulement
les offenses mais aussi les dettes légitimes, nous acquérons avec la dimension
de la miséricorde du Dieu, l’héritage du Royaume, et selon la formule d’Ibn
Sabâ, nous atteignons la perfection et le revêtement de la gloire divine.
-42- L’épreuve et la tentation Décidément, le texte grec de la prière dominicale ne se laisse pas
aborder facilement. Après le fameux epiousion, maintenant la sixième demande
pose plusieurs difficultés de vocabulaire. D’abord le verbe eisjerw
/ eisphero = amener, introduire, puis le complément peirasmos / peirasmos qui possède certainement deux sens épreuve ou tentation.
Une traduction mot à mot nous donnerait donc: Ne nous introduis pas dans une
tentation, ou, ne nous amène pas dans
l’épreuve /ne nous soumets pas à l’épreuve. L’une ou
l’autre version choque le croyant familier avec la révélation biblique; au
premier examen il semblerait que nous demandions à Dieu soit qu’il ne nous tente
pas, ce qui voudrait dire que c’est lui le tentateur qui sollicite au péché
-43- , soit que
nous lui demandions d’échapper aux épreuves de la vie et au combat spirituel qui
donnent un sens à l’ascèse chrétienne. Pour esquiver
cet embarras, les traducteurs et même les pères ont essayé diverses
échappatoires: par exemple les liturgies d’Alexandrie et celle de saint Jacques,
accompagnées par saints Jean Cassien, Hilaire de Poitiers et Ambroise de Milan
ont ajouté une glose et disent: Ne nous
introduis pas dans une tentation au dessus de nos forces; le sacramentaire
gélasien et le missale gallicanus vetus écrivent: Ne permets pas que nous soyons introduits
dans la tentation; avec Augustin d’Hippone, Grégoire de Rome, d’autres
infléchissent le sens du verbe: ne nous
abandonne pas à la tentation.
-44- Laissons ici ces méthodes qui pourtant ouvrent des pistes et montrent
bien l’insuffisance du mot à mot, pour nous attacher à la saveur spirituelle du
texte. Donc notre peirasmos signifie bien
à la fois épreuve et tentation. Carmignac découvre caché derrière le grec la
racine hébraïque NiSsâH, il remarque que dans la première alliance le mot n’a
jamais la signification péjorative de tentation mais toujours d’épreuve dans le
sens d’expérimentation, de test -45- . Dans l’éternelle Alliance, Luc dans le
livre des Actes -9,26. 16,7 &
24,6- l’emploie
pour marquer un effort de réalisation, une tentative. Pourtant les synoptiques
mettent le mot dans la bouche du Seigneur Jésus à Gethsémani “Veillez et priez afin que vous n’entriez pas
en tentation” - Marc 14,38.
Math. 26,41 & Luc 22,46-. Il s’agit non d’une épreuve, normalement
bienfaisante, mais d’une véritable tentation. Le mauvais tente un assaut
décisif, il engage toutes ses forces fasciné par la croix, poussant presque le
messie au désespoir: mon Dieu, mon Dieu,
pourquoi m’as tu abandonné, et laissant les disciples désemparés par le
doute. Cependant, par la croix, Jésus le vaincra définitivement, car ce n’est
pas à lui mais au Père qu’il remit son
esprit. Au jour de la résurrection, la crainte, le découragement des
disciples, leur incrédulité même sont remplacés par la foi au vainqueur de la
mort,en la certitude de la présence
au milieu d’eux du vivant aux siècles des
siècles. Le verbe eisjerw, s’il signifie amener, introduire, peut aussi, selon les
dictionnaires exprimer: faire entrer dans. Avec la préposition
eis/eis, il précise non plus le mouvement vers mais un net passage à
l’intérieur de. Le père Carmignac propose “comme équivalent hébreu tebî’enû . La
bénédiction 60b du talmud de Babylone demande: <Fais que
nous n’entrions pas aux mains du péché, ni aux mains de la transgression, ni au
mains de la tentation, ni aux mains du mépris.> <.> on
demande de ne pas entrer aux mains du péché et de la tentation, de ne pas
devenir leur proie, leur jouet; c’est bien autre chose que de ne pas être exposé
à la tentation. Tout comme entrer dans l’Alliance, c’est faire partie du peuple
de l’Alliance, de même entrer dans la tentation c’est pénétrer dans le domaine
défendu, <.> c’est inclure sa volonté dans celle du tentateur, c’est en
somme consentir à cette tentation.” -46-
Origène l’a comprit ainsi: Aussi
demandons nous d’être délivrés de la tentation; non pas de ne pas être tentés,
ce qui est impossible <.> mais de ne pas succomber lorsque nous sommes
tentés. Celui qui succombe à la tentation entre, à mon avis, dans la tentation,
puisqu’il est pris dans ses filets.
47 Saint Cyrille de Jérusalem, Denys d’Alexandrie, saint Jean Cassien
s’accordent avec Origène. Nous pouvons donc traduire la sixième demande du notre Père: Ne nous laisse pas entrer dans la
tentation. Entrer dans la tentation voulant dire entrer dans le jeu de la
tentation, bref adhérer à ses suggestions. Entrer en tentation est alors
antithétique de entrer dans le Royaume- entrer dans la joie du Père- entrer dans
la gloire. Nous demandons
ainsi tous les jours et plusieurs fois par jour la grâce d’éviter de faire
siennes les suggestions du mauvais, fait prendre conscience de la fragilité de
l’homme et de l’inconstance de ses bonnes résolutions. Nous avons l’humilité,
dans les épreuves qui peuvent venir de Dieu, dans les tentations qui viennent
toujours du Satan, de confesser que nous sommes incapables par notre seule
volonté d’éviter les pièges si le Seigneur ne combat pas à nos côtés. C’est pour
cette raison que le Sauveur nous recommande de veiller et prier pour ne pas entrer en
tentation; l’Esprit Saint nous fait discerner entre l’épreuve nécessaire à
la croissance de l’homme intérieur
et la tentation qui conduit, si on y entre, au péché et à la mort. Les
combats spirituels ouvrent les portes du Royaume.-48- “Puisque l’Esprit Saint est notre vie, que
l’Esprit nous fasse aussi agir” -Gal; 5, 25- Si nous ouvrons notre coeur à la tentation, nous permettons au
mauvais d’y entrer, il fait de nous des enfants des ténèbres. Si nous ouvrons au
Christ qui frappe à notre porte, nous le laissons entrer, Lui, avec l’Esprit et
le Père, il fait en nous sa demeure et nous devenons par là, selon la belle
expression de la liturgie selon saint Basile, "Enfants du jour, enfants de la
lumière". Délivre-nous du Mauvais Nous ne
pouvons pas être exemptés de l’épreuve ou de la tentation. Nous avons demandé au
Père la grâce de ne pas entrer dans le jeu du tentateur, la force de résister à
la facilité du péché. Viendra un jour la grande tentation susceptible de
provoquer l’apostasie ou le reniement: Jésus en a prévenu Pierre, le coryphée
des apôtres et l’archétype de chaque croyant: “Simon, Simon, Satan vous a réclamés pour
vous secouer au crible comme on le fait pour le blé. Mais moi j’ai prié pour
toi, afin que ta foi ne disparaisse pas.” Luc 22, 31-32. Cette épreuve pourra être celle de la violence physique de la
persécution. La grande tentation pourra aussi consister, devant le spectacle de
l’injustice triomphante dans le monde, à se détourner de Dieu, refuser son
Economie, nier sa providence puis, comme conséquence, admettre l’incohérence de
la création, définie alors comme produit du hasard et de la nécessité. Dieu
devient inutile. En demandant au Seigneur de ne pas entrer dans la tentation nous
prenons conscience que si le royaume est bien présent, le mal n’en est pas pour
autant absent, la lumière est venue dans le monde et le monde ne l’a pas
reconnue. Je laisse longuement la parole à Léonardo
Boff: “ Le mal est présent dans l’histoire, car
la tentation existe. Et les hommes ont succombé à la tentation. Ce fut le péché,
la trahison des appels de la conscience, la désobéissance à la voix de Dieu qui
se fait entendre à travers les signes des temps. <.> (le péché) exerce son
pouvoir en chacun de nous, au point que nous nous sentons réduits en esclavage:
- Je suis un être de chair vendu au
pouvoir du péché <.> puisque je ne fais pas le bien que je veux, et
commets le mal que je ne veux pas . Rom.
7,14. <.> Le péché est entré dans le
monde et a corrompu le monde, pas entièrement mais profondément. Ce monde tel
qu’il est actuellement, se présente donc comme ennemi de Dieu -Jacq.
4,4-, il engendre la mort -Rom. 7,
10-, il n’a pas
reconnu Jésus Christ -Jean 1,
10-. <.> La
gravité du péché réside dans le fait qu’il constitue une situation ou une
structure. <.> Les péchés ne meurent pas avec les personnes, ils se
perpétuent dans les actes qui survivent aux personnes, dans les institutions,
les préjugés, les règles morales ou juridiques, les habitudes culturelles.
<.> La personne se trouve déjà située, déterminée, indépendamment
participe au péché du monde dans la mesure où elle reconnaît et accepte cette
situation, elle augmente le péché du monde de ses péchés personnels. Elle est
donc, d’un côté victime du péché du monde ( parce qu’ elle se trouve déjà
située) et de l’autre, agent reproducteur du péché ( car elle contribue à
maintenir et à recréer cette situation.<.> Mais il ne faut pas perdre de
vue ce point capital: Si grande que soit notre solidarité avec l’ancien Adam,
elle est plus grande encore avec le Christ le nouvel Adam. Car là où le péché s’est multiplié, la grâce
a surabondé Rom. 5,
20; et si , par la faute d’un seul, la mort a régné du
fait de ce seul homme, combien plus ceux qui reçoivent avec profusion la grâce
et le don de la justice régneront-ils dans la vie par le seul Seigneur Jésus
Christ. Rom. 5,17.”
–note
49- Voici la situation de ce qu’Augustin d’Hippone appelle le péché
originel. Dans le sang
du Messie et par le baptême nous ne sommes plus solidaires du péché , -50- et commence
le grand combat de la liberté. Pourtant, il ne faut pas sous-estimer la
puissance du mal et sa force d’inertie contre la grâce offerte. Il est si fort
qu’il a pu refuser le Fils de Dieu lorsque, les temps accomplis, celui-ci a pris notre chair, devenu un , Dieu
parfait, homme parfait, pour notre salut, et il continue à rejeter les fils de
Dieu aujourd’hui encore. Les premiers mots de la prière dominicale désigne l’ami de l’homme,
celui qui crée et vivifie tous et tout, le Père des lumières; la dernière
demande dénonce l’ennemi du genre humain, le père de la jalousie.
Car tous les troubles du monde, la violence et la perversion ont un
inspirateur. Les Ecritures sont très claires à ce sujet. Le mal n’appartient pas à
la création, à son origine préside un être révolté qui pervertit la liberté
voulue par le Créateur. Cet être est défini avec les noms de tentateur, ennemi, grand dragon, antique
serpent, homicide dès le commencement, père du mensonge, diable, satan, prince
de ce monde. C’est de lui, que nous demandons d’être délivré. Si nous
n’entrons pas dans ses filets, alors le royaume est accompli, la venue du messie et son règne est imminente.
Le texte grec dit alla
rusai hmas apo tou ponhrou = alla rhysai imas apo tou ponerou. Il parait
probable que le génitif tou ponerou vise le pervers et désigne
le démon.) -51- Les
évangélistes emploient ce mot ho poneros pour désigner sans le nommer le satan.
Il devrait être traduit littéralement par “le pervers”. Pour ne pas donner prise
à un calembour (père vert), on a préféré traduire “le
mauvais”: Mathieu 13, 19: le mauvais vient et s’empare de ce qui se
trouve semé dans le coeur <de l’homme qui entend parler du royaume et ne
comprend pas la Parole.> Ephésiens 6, 16: Ayez toujours en main le bouclier de la foi
sur lequel vous pourrez éteindre tous les traits enflammés du
mauvais. 1
Jean 2, 13&14: Vous connaissez Celui qui est depuis le
commencement <.> parce que vous êtes forts et que la Parole de Dieu
demeure en vous et que vous avez vaincu le
mauvais. On peut aussi
avec les traducteurs anciens, depuis Lefèvre d’Etaples (1524), préférer le mot
malin. Pour ma part, j’estime que malin est trop loin du pervers et outre la
résonance facétieuse, il n’exprime plus aujourd’hui suffisamment la méchanceté
malfaisante de celui qui transforme la liberté des enfants de Dieu en esclavage
des passions les plus basses. Le verbe rhysai apo inclut une notion de violence,
libère-nous pourrait être traduit littéralement par arrache-nous loin du mauvais . Avec
Jésus nous demandons au Père non d’être
retirés du monde mais d’être gardés du mauvais Jean
17.15 afin de
témoigner de la réalité profonde du Royaume qui consiste d’abord à notre
incorporation au Christ vivant. Car à toi la Royauté, la puissance, la
gloire La doxologie se trouve parmi les manuscrits les plus anciens, sous
une forme brève omettant la Royauté, dans la Didaché et les versions coptes de
l’Evangile sahidique et fayumique. L’usage liturgique a consacré la formule “car
à toi la Royauté, la puissance et la gloire aux siècles des siècles”. Pour qui
connait la pratique juive, il est inconcevable que le Seigneur ait achevé la
prière qu’il nous a léguée sur les mots tentation (Luc) ou mauvais (Mathieu).
Toute la prière dominicale est orientée vers la venue du Règne. La
doxologie reprend en inclusion les trois premières demandes: la glorification du
Nom, la venue du Règne, et la puissance de la Volonté salvifique; nous affirmons
aussi que notre prière se réalisera car la royauté appartient depuis toujours et
à jamais au Père. Cette affirmation donne du poids à l’Amen
final. Notes et bibliographie: 1 Toute l’étude
de la prière dominicale, en
l’absence de ma part, de bonnes
connaissances philologiques de l’hébreu et de l’araméen , sera en fait des notes de lecture des Pères de
l’Eglise et d’ouvrages de savants
exégètes contemporains. Je ne suivrai pas toujours leurs conclusions, mais
reconnais mon entière dépendance. Voici une petite bibliographie des ouvrages
les plus utilisés: *
Carmignac Jean, recherches sur le notre Père, Paris 1969; cité ultérieurement
Carm. suivi des n° de
pages * Jéremias
Joachim, paroles de Jésus, lectio
divina n°38, Paris Cerf 1963;cité ultérieurement Jérem. * Dupont
Jacques, Notre Père..; cahiers de la
T.O.B. Paris cerf 1968;cité ultérieurement Dupont * Boff
leonardo, Le notre Père, Paris cerf
1988;cité ultérieurement Boff * Théodore
de Mopsueste, catéchèses, édition
Tonneau, citta del vaticano, 1949 * St.
Cyprien de Carthage, lettre sur la prière
du Seigneur 2 c’est même particulièrement la prière que le fils prononce
sur le cadavre de son père, au moment de l’ultime
adieu. Nous
donnons le texte d’aujourd’hui. Rabbin Elie Munk, le monde des prières, Paris
1988. 3 Théodore
de Mopsueste, p. 283 sq. 4 dans un
conteste différent d’ailleurs. Celui de Luc, paraît plus vraisemblable, en
raison de la question des disciples impressionnés par l’attitude originale et
tellement remarquable de la prière du Maître. Mathieu, l’insère dans le sermon
sur la montagne qui ouvre le ministère public du Sauveur après l’appel des
quatre premiers disciples; Il rassemble là une collection de sentences qui n’ont
probablement pas été prononcées en même temps. Je laisse de côté la question de
savoir si le Seigneur a prononcé sa prière en hébreu ( langue liturgique) ou en
araméen. 5 la
doxologie se trouve dans quelques manuscrits, elle n’est pas acceptée par tous.
Celle que je reproduis appartient à la Didaché dont la rédaction est
probablement antérieure à celle des évangiles canoniques. 6 Dans
notre bouche, la prière du Seigneur, devient la prière de l’Eglise, non prière
individuelle. La Didaché (1er.S.) et la Tradition Apostolique(3èS) recommande sa
récitation aux heures des sacrifices du Temple: le matin, midi, et fin de la
journée (3 heure). Sacrifice de communion, ces trois récitations sont l’embryon
de notre office divin 7
métropolite Antoine (Blum) de Souroge, le
notre Père, in Joie n° 47, mai
199O; plus loin cité : +Antoine 8 saint
Pierre Chrysologue, sermon 71, cité par Catéchisme de l’Eglise catholique, Paris
1992; cité ultérieurement: C. E.
C 9 évêque
Jean (Kovalesky), technique de la
prière, éd. Friant, Paris 1981; cité ultérieurement :
+Jean 10
Goetmann, J., la traduction du Notre
Père, in Présence orthodoxe n° 61,
1984 11 Forme
préférable à “Notre Père qui es aux cieux”. littéralement “Père notre, le dans
les cieux”. 11 Père
des cieux ou son équivalent Père céleste, a l’avantage d’éviter une
interprétation uniquement locale qui comprendrait: le Père qui est relégué dans
les cieux (voir le poème de Prévert) alors que l’accent est plutôt dans
l’opposition du Père des cieux au père de la terre. De plus l’addition du verbe
être aboutit à une proposition relative inutile, éloignée de l’original et
inélégante. 12 5è Catéchèse mystagogique,ch.11 ,
traduction Bouvet, Ed. du soleil levant , Namur, 1962, cité ultérieurement: St.
Cyrille Jér. 13
Origène, de la prière, traduction
Bardy, 1932, p.111; cité ultérieurement
Origène, de Orat. 14 commentaire sur Mathieu, hom. 19, cité
par Carm. p.86 15 Conseils pour la prière, in Irenikon
1986/4 ou Lettre de St. Elie S1 16 Ainsi
dans la traduction de la doxologie qui termine les prières, on devrait plutôt
dire: à Toi appartiennent la royauté, la puissance et la gloire, aux siècles...
La royauté est un attribut divin incontestable. 17
traduction J. Périer in Patrologie Orientale T. 16 fasc. 4,
1973 18 Voir
“la venue sur les nuées en gloire” in lettre de St. Elie n°25, déc.
9O 19
notamment, J. Magne, la réception de la
variante de Luc et l’origine des épiclèses, in Ephemerides liturgicae 1O2,
1988 20
certaines traductions proposent Ton vouloir (moines de Bois-Aubry, Chouraqui). Je
préfère ta volonté. Le grec possède deux mots précis: thelema = objet voulu,
thelosis = action de vouloir. Les Mss. du N.T. portent thelema; ce mot
correspond à l’hébreu Râçôn qui désigne la volonté divine telle qu’elle
s’exprime dans les commandements de la Thora. Il s’agit donc de l’état de choses voulu
par Dieu. Nous demandons à Dieu que cet état de choses s’accomplisse, se
réalise. Le verbe grec d’ailleurs genetheto signifie d’abord devenir, se
réaliser. 21 Aldous
Huxley, réflexion sur l’oraison
dominicale, in les portes de la perception, coll. 1O/18,
1954 22 1
corint. 6, 12 23 il
s’agit bien du pain -hébreu lehem- et non comme certaines traductions écrivent
le blé. Dans l’hébreu d’aujourd’hui, lehem est réservé au pain, l’hébreu ancien
pouvait aussi comprendre le repas en général. Etymologiquement semblable à lehem, le mot arabe lahma
-repas-, aujourd’hui correspond à
viande. Le Lévitique dit que les offrandes sont le pain de Dieu -Lehem Elohim-,
on entend par là, la chair des animaux sacrifiés, même si des galettes de pain
sont jointes aux offrandes. 24 24.
Daniel Sesboüé, article pain in
V.T.B. # 25
ibidem 26 la
traduction oecuménique en disant “donne nous aujourd’hui notre pain de ce jour”
a choisi, outre la répétition “aujourd’hui-de ce jour”, cette possibilité proche
de la tautologie , elle méprise
l’originalité de l’adjectif epiousion. 27
Quelques paroisses orthodoxes francophones préfèrent “pain substantiel” en
élargissant d’ailleurs dans la catéchèse le sens vers B. 28 Jérôme,
commentaire sur Mathieu, cité par
Carmignac p. 129 29
ibidem p. 153, 30
Sermon 56 P.L. 38 ,col. 381sq 31 sans
d’ailleurs s’entendre toujours sur la nature du pain spirituel. Origène,
Hilaire,Augustin et Cyrille de Jérusalem pensent à la personne du Logos-Parole,
Athanase d’Alexandrie et Irénée de Lyon
découvrent l’Esprit, Ephrem distingue le Royaume. 32
Carmignac, op. cit. en note 1, les a recensés: Tertullien, Ambroise, Jean ibn
Saba, Cyrille d’Alexandrie (qui n’exclut pas le sens matériel) parmi les plus
précis. 33 Le
travail de A Feuillet, les thèmes majeurs du discours du pain de
vie, in N.R.T. 1960, est une
source précieuse pour l’exégèse de cette péricope. 34 les
apôtres désignent la divine Eucharistie par l’expression “repas du Seigneur”.
Car c’est le seigneur Jésus, qui préside invisiblement ce repas où il offre et
est offert, où il reçoit et est distribué. C’est un véritable repas, que
signifierait la présence à un repas auquel on ne mangerait pas? La communion
fait partie intégrante de l’Eucharistie; il ne faut pas la séparer de l’anaphore
et briser l’unité de la célébration
de l’unique mystère. 35 St.
Athanase écrit cela à St. Sérapion, lettre IV, col. 668A, S.C. n°15,
1947 36 P.
Grelot, péché originel et rédemption chez
saint Paul, in N.R.T. 1968 37 sans
toutefois être tout à fait équivalent. On peut se demander, par ailleurs, où
diable(!) les traducteurs français du texte oecuménique proposé pour la
célébration liturgique, sont allés chercher la formule réductrice “
pardonne-nous nos offenses comme nous pardonnons aussi à ceux qui nous ont
offensés”. Nous verrons plus loin que les dettes ne se limitent pas seulement
aux affronts. 38 La
reconnaissance exige le respect de la nature, l’honneur aux pères et mères, l’action de grâce à Dieu. Ces vertus ne
sont pas entièrement sans obligation onéreuse; dans l’esprit de l’Alliance, pour
demeurer en possession de ses biens, il est nécessaire de les racheter
symboliquement chaque année par la dîme et les sacrifices des prémices; les
ancêtres doivent recevoir assistance; la nature n’est pas à piller et jouit
aussi du privilège du repos du sabbat. 39 Il ne
faut pas condamner le pécheur car il est vraiment impossible d’apprécier la
gravité morale du péché et de savoir les intentions du pécheur, son tempérament,
ses hérédités, son ignorance, sa souffrance intérieure qui l’a amené à la
révolte ou au crime, mais il est du devoir du croyant d’affirmer les
commandements du Seigneur: certains actes sont mauvais en raison de la loi
divine et souvent font violence aux droits d’autrui. Il conduisent à la mort
spirituelle individuelle et à la mort physique de la
communauté. 40 lettre
sur la prière du Seigneur, op. cit. en note 1 41 Michel
Corbin, nature et signification de la loi
évangélique, in Rech.S.R. N°59,1969 42 la perle divine, op. cit. en note
17 43 Que les
traducteurs de la version française oecuménique me pardonnent, ils ont choisi ce
cas invraisemblable en disant “ et ne nous soumets pas à la tentation”. Je veux
bien accepter que parfois Dieu endurcisse le coeur pour manifester sa gloire et
son action en faveur de ses élus (Cf. Pharaon dans le livre de l’Exode) mais de
là à lui attribuer le rôle du tentateur réservé au satan qui met tout en oeuvre
pour faire chuter la créature, je ne peux. Quant à interpréter que nous
demandons au Seigneur de nous épargner la tentation, nous savons bien par
expérience que cela est impossible, même les saints jusqu’à leur dernier soupir
doivent lutter contre les suggestions du mauvais. 44
Carmignac, op.cit. en note 1, P. 239 à 255, pour plus de détails sur les gloses
et les auteurs. 45 ibidem,
P. 256 à 262 46
ta`élinnan en araméen. ibidem, P. 211 à 275 47 46. op.
cit. en note 13, p. 166, 167 48 Sa
sainteté le patriarche Schénouda explique que “nul n’est couronné s’il n’a point
remporté la victoire, et nul ne remporte de victoire que s’il combat”. “Plus les
combats du diable sont acharnés, plus l’homme attaqué touche de près sa
faiblesse devant eux, ce qui fait disparaître tout orgueil” et incitent à la
miséricorde envers les pécheurs; “celui qui a été assailli et a éprouvé la
violence de l’ennemi a pitié de tout pécheur; finalement les combats spirituels
nous ouvrent les portes du Royaume des cieux” in le lien/la voix de saint Marc, feuillet
de l’éparchie copte orthodoxe de France, juil. août 1994 49 48. op.
cit. en note 1, P. 147, 148 50 même si
hélas, nous succombons à la tentation et entrons dans le péché. Alors Dieu nous
propose le repentir et l’Eglise met
à notre disposition le sacrement de la pénitence. Le métropolite Séraphim de
Berlin expliquait récemment que la confession effaçait les fautes et permettait
à l’homme d’affirmer à lui-même et
à Dieu sa faiblesse et son péché
et de protester, de tout son coeur, qu’ il n’est pas d’accord avec son
péché et le père du péché. 51 il
s’agit donc du génitif du mot masculin ho poneros= “le mauvais” et probablement
pas du mot neutre to pomeron =“le mal” comme l’a traduit le texte oecuménique
français probablement influencé par la version latine libera nos a malo=délivre
nous du mal et par les liturgies occidentales qui terminent généralement le
pater par l’embolisme: délivre nous de tout mal passé, présent et à venir.
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