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Eau vive

 

En ce temps là, lors de la fête des tentes, Jésus criait dans le temple, enseignant et disant: Vous me connaissez, et vous savez d’où je suis: et je ne suis pas venu de par moi-même, mais celui qui m’a envoyé est véridique, et vous ne le connaissez pas.    Moi, je le connais, car je suis de lui, et c’est lui qui m’a envoyé.   Et en le dernier jour, le grand jour de la fête, Jésus se tint là et cria, et dit: Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, et qu’il boive.   Celui qui croit en moi, selon ce qu’a dit l’Ecriture, des fleuves d’eau vive couleront de son sein. Or il disait cela de l’Esprit qu’allaient recevoir ceux qui croyaient en lui; car l’Esprit n’était pas encore, parce que Jésus n’avait pas encore été glorifié. - Jean 7, 28-29 & 37-39-

 

Nombreux les lectionnaires anciens qui proposent pour la vigile de la Pentecôte cette péricope; notre lectionnaire local, la place à l'office de l'encens du matin.  L'eau vive tient une place importante dans les Ecritures et dans la liturgie chrétienne, Aussi, je vous invite à saisir, ou redécouvrir, toute la symbolique de l'eau vive.

 

L'expression "eau vive" possède quatre significations.

- Au sens profane elle différencie l'eau de source par opposition à l'eau stagnante.

- Dans le judaïsme, elle présente Dieu comme source de vie.

- Dans le rituel chrétien ancien, elle désigne l'eau baptismale.

- Enfin, dans la mystique de l'Eglise du Christ, à la suite de l'explication de saint Jean, elle est le signe de l'Esprit Saint.

 

Pour ne pas se perdre dans références bibliques, je propose de partir du texte de saint Jean cité en exergue, puis de parcourir les Ecritures en déclinant la relation entre l'eau vive,  le rite du baptême et l'effusion du Saint Esprit. 

 

                                         

  

                            

Le prophète Ezéchiel conduit sous les portiques du temple regarde l'eau qui sortait de la cour du temple et coulait à l’orient ; car la façade du temple regardait l’orient, et l’eau descendait à droite au midi de l’autel. Et son conducteur lui dit : "Cette eau sort de la Galilée, qui est vers l’Orient, puis elle descend vers l’Arabie, et va jusqu’à la mer, jusqu’à l’eau qui en sort, et elle assainira toutes les eaux. Et ceci arrivera: toute âme de créature vivant et se mourant sur tout lieu où ce fleuve passera, vivra; et il y aura là une multitude de poissons, parce que l’eau y sera venue ; et où sera passé le fleuve tout être sera sain, et il  vivra, et il vivra en ce lieu.- Ez 47,1 & 8-9- Les pères ont discerné dans ces versets, une annonce des eaux du baptême qui apportent la résurrection et la vie. Le néophyte porte désormais le nom de chrétien, petit poisson du Grand Poisson ICTUS en grec, qui forme l'acrostiche: Jésus, Fils de Dieu, Sauveur.

                                   

 

La Didaché, recueil canonico-liturgique le plus ancien, qui contient des éléments juifs, demande que le baptême soit accompli dans l'eau vive. "Au sujet du baptême baptisez ainsi au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, dans l'eau vive". Il ne s'agit pas seulement d'eau courante mais certainement d'eau sanctifié par l'épiclèse à l'Esprit Saint, bien que la Tra­dition Apostolique parle simplement d'une « eau courante et pure » pour le baptême.  

 L'eau pourtant n'est pas seulement matière, elle est vie:

"C'est par la volonté du Seigneur qu'existe notre vie;<> Une eau parlante s'est approchée de mes lèvres, venant de la source généreuse du Seigneur et j'ai bu et j'ai été enivré de l'eau vivante qui ne meurt pas. <> Je me suis tourné vers le très-haut, mon Dieu, je devins riche par son don."

                                                                  -Ode 9 de Salomon-

 

On remarquera l'expression "eau parlante". Saint Ignace d'Antioche la reprend: "Il y a en moi une eau vive qui murmure: "Viens vers le Père".  Saint Zénon de Vérone, aussi,  parle de l'eau vive et de son doux murmure". Ceci semble une allusion au fait que l'Esprit Saint se fait entendre au cœur du fidèle par un doux murmure, comme celui de l'eau courante.

Par ailleurs l'Ode 30 est un appel au baptisé dans les mêmes termes:

 

"Puisez aux eaux de la source vivante du Seigneur, car elle est ouverte à vous. Venez, vous tous les altérés, prenez la boisson qui désaltère. Reposez-vous près de la source du Seigneur, elle est belle et pure, elle apaise l'âme".

Ce texte fait l'allusion vraisemblablement à Isaïe 55,1  "Vous tous qui avez soif, venez aux eaux "

 

En référence à la liturgie juive, Jean précise que la péricope lue à notre fête de la Pentecôte se passe à Souccot appelée aussi fête des tentes: cette fête était à la fois un rappel du passé et une anticipation de l’avenir promis par Dieu.

Elle fait mémoire de la période du désert, cette période de la sortie d'Egypte où l'on vivait sous des tentes dans les bienfaits de la bonté divine. C’est de là que la fête tient son nom, bien sûr. Et, en même temps, ces huit jours de fête annonçaient l’avenir promis par Dieu, la création nouvelle (comme chaque fois que nous rencontrons le chiffre huit, notons au passage que la fête de la Pentecôte est appelée dans les plus anciens lectionnaires, 8è dimanche de Pâques, c'est la clôture des solennités de la Résurrection et l'ouverture d'un autre temps): d’avance, on célébrait le triomphe du Messie futur, et avec lui la réalisation du projet de Dieu, c’est-à-dire la communion à la vie divine.

Le huitième et dernier jour de Souccot, un cortège vers le temple rapportait de l’eau de la piscine de Siloé avec laquelle on aspergeait l’autel. Ce rite de purification annonçait la purification définitive que Dieu avait promise par la bouche des prophètes, et en particulier de Zacharie: "Ce jour-là une source jaillira pour la maison de David et les habitants de Jérusalem en remède au péché et à la souillure.  -Za 13, 1-  

C’est au cours d’une fête des Tentes, justement, le huitième jour, que Jésus dit: "Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi, qu’il boive.  Celui qui croit en moi, comme l’a dit l’Ecriture, de son sein, couleront des fleuves d’eau vive". Ici, en écho, Jean rapporte sa vision: "l’Agneau qui se tient au milieu du Trône sera leur Pasteur pour les conduire vers les eaux de la source de vie".-Ap 7, 17-

 

Ainsi au contexte rituel de l'eau vive s'ajoute une profondeur théologique.

L'eau vive est dans toute la première Alliance un symbole de Dieu comme source de vie. "Ils m’ont délaissé, moi la fontaine d’eau vive, et ils se sont creusé des citernes crevassées qui ne pourront retenir l’eau.". -Jérémie, 2, 13-.

Le Cantique des Cantiques parle aussi du "puits  d'eau vive", dans un contexte plus mystérieux" "Ma soeur, mon épouse, est un jardin enclos; c’est un jardin enclos, une fontaine scellée". -4,12-, "La fontaine de ce jardin est un puits d’eau vive, qui jaillit du Liban". -4,15-.

Ce chant d'amour entre le bien-aimé et sa bien-aimée est compris aussi bien dans le judaïsme que chez les pères comme une figure de la relation difficile mais remplie de tendresse de Dieu et de son peuple, de Dieu et de l'âme du fidèle.

 

Ezéchiel et Zacharie montrent dans l'eau vive, l'effusion eschatologique de la vie de Dieu. "Ce jour-là sera connu du Seigneur, et ce ne sera pas le jour, et ce ne sera pas la nuit; et, sur le soir, il y aura une lumière. Et ce jour-là une eau vive sortira de Jérusalem, <> et le Seigneur sera roi de toute la terre; et ce jour-là le Seigneur sera le seul Dieu, et son Nom sera un,  -Zacharie, 14,7-14-

 

Ezéchiel montre  l'effusion d'eau vive eschatolo­gique mise en relation avec l'Esprit Saint. "Et je vous arroserai d’une eau pure, et vous serez purifiés de toutes vos impuretés et de toutes vos idoles, et je vous purifierai moi-même; Je vous donnerai un nouveau cœur, et je mettrai en vous un esprit nouveau; j’ôterai de votre sein votre cœur de pierre, et j’y placerai un cœur de chair. Et je mettrai en vous mon Esprit, et je vous ferai marcher dans la voie de mes ordonnances, et vous garderez mes jugements, et vous les mettrez en pratique". -Ez.36,25-2

 

La relation du baptême d'eau et du baptême d'Esprit Saint posée par Jean-Baptiste  paraît bien se rapporter  en référence à Ezéchiel, elle distingue deux moments dans la nouvelle créature née de l'eau et de l'Esprit, et montre l'eau comme purification préalable au don de l'Esprit. "Pour moi, je vous baptise d’eau, en vue de la conversion; mais celui qui vient après moi est plus puissant que moi, et je ne suis pas digne de porter ses sandales. C’est lui qui vous baptisera d’Esprit-Saint et de feu".-Mt 3,11-

 

Dans l'épisode de sa rencontre avec la samaritaine, Jésus lui rétorque à son étonnement  de sa demande de lui donner à boire "Si tu savais le don de Dieu, et qui est celui qui te dit: donne-moi à boire ?<> c'est toi qui lui demanderais et il te donnerait de l'eau vive. Elle lui dit: Seigneur, tu n'as rien pour puiser et le puits est profond. D'où aurais-tu de l'eau vive? <>Jésus lui répondit : Quiconque boira de cette eau aura encore soif. Mais celui qui boira de l'eau que moi je lui donnerai n'aura plus jamais soif; bien plus l'eau que je lui donnerai deviendra en lui une source d'eau vive pour la vie éternelle." -Jn 4,10-14- 

  

       

  "Jésus cherche à lui faire comprendre que l'eau qu'il lui demandait n'était pas celle qu'elle entendait, mais qu'il avait soif de sa foi et qu'elle eût soif elle-même de l'Esprit Saint qu'il désirait lui donner. Car cette eau vive, si nous la comprenons bien, c'est le don de Dieu, comme le Sauveur dit expressément: "Si vous connaissiez le don de Dieu." écrit Augustin.

 

Notre Origène enseigne avec force que l'eau de vie est l'Esprit Saint qui  remplit les Ecritures et sanctifie les Mystères, présence et vie des paroles et actes de Jésus pour la vie éternelle, hier, aujourd'hui, demain.

 

"L'eau que donne Jésus, ce sont les mystères que contiennent les saintes Ecritures <>; or ils découlent de cette source qui rejaillit jusqu'à la vie éternelle, c'est-à-dire de l'Esprit saint qui est un esprit de sagesse, et sont révélés à ceux <> qui peuvent dire avec l'Apôtre: "Pour nous, nous avons l'Esprit de Jésus-Christ." -1 Co 2, 16-

 

Par ailleurs l'eau qui jaillit du côté du Christ sur la croix, si elle est certainement le signe de l'eau du baptême, elle apparaît aussi comme l'effusion promise du Saint Esprit. "Et Jésus dit: Tout est accompli. Et baissant la tête, il remit l’Esprit" -Jn 19,30-

 

                            

    

Une miniature carolingienne (Evangéliaire de saint Médard de Soissons. BNF  Lat.8850).représente la fontaine de la Jérusalem céleste, construction octogonale comme les anciens baptistères, dont les huit colonnes symbolisent la résurrection du Christ. Elle évoque aussi le Saint-Sépulcre dans la basilique de la Résurrection. Au faîte du dôme, la croix en or, autour de la vasque croît la végétation dont parle l'Apocalypse, qui fructifie douze fois par an et dont les feuilles guérissent. Le point important ici est le lien de l'eau vive et les arbres de vie. L'eau vive n'est pas seulement l'eau courante par opposition à l'eau stagnante. Elle est l'eau qui communique la vie. Des animaux apprivoisés convergent vers la source, ou sont perchés sur le bâtiment en hémicycle qui épouse la rotondité de la fontaine.  Cerfs et biches, cygne, hérons et cigogne, paons et faisans évoquent le Psaume 42 LXX 41:

Comme un cerf altéré cherche l’eau vive,
Ainsi mon âme te cherche, toi, mon Dieu.

Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant;
Quand pourrai-je m’avancer, paraître face à Dieu?

 

 

Une mosaïque du 13è siècle de la cathédrale de saint Jean du Latran à Rome, expose  le thème de la Croix reposant sur la Jérusalem Céleste.

 

 

A son pied deux cerfs s'approchent des eaux vives. Au-dessus de la croix, apparaît le symbole de la colombe de qui procèdent les flots de la vie. Ces flots descendent, par delà les bras de la croix, qui porte en son centre une représentation du baptême de Jésus jusqu'à la montagne où ils se divisent en quatre fleuves. Des cerfs et des agneaux viennent s'abreuver aux eaux vives.  

Au pied de la montagne, entre les fleuves, voici la Cité sainte aux murs d'or. Un ange en garde la porte, et Pierre et Paul comme deux soldats vigilants se tiennent aux créneaux.

Au centre de la cité, un phénix, symbole de l'immortalité, est perché sur la plus haute branche d'un palmier. La montagne est située au bord du Jourdain dans un merveilleux jardin de verdure et de fleurs.

 

 

+ E-P   juin 2019

 

L'eau vive